FR10CR21       AS (2010) CR 21

Edition provisoire

SESSION DE 2010

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(Troisième partie)

COMPTE RENDU

de la vingt et unième séance

Mardi 22 juin 2010 à 10 heures


Dans ce compte rendu:

1.       Les discours prononcés en français sont reproduits in extenso.

2.       Les interventions dans une autre langue sont résumées à partir de l’interprétation et sont précédées d’un astérisque.

3.       Les interventions en allemand et en italien, in extenso, dans ces langues, sont distribuées séparément.

4.       Les corrections doivent être adressées au bureau 1035 au plus tard 24 heures après la distribution du compte rendu.

Le sommaire de la séance se trouve à la fin du compte rendu.


La séance est ouverte à 10 heures 5 sous la présidence de M. Çavuşoğlu, Président de l’Assemblée.

LE PRÉSIDENT* – La séance est ouverte.

1. Election de juges à la Cour européenne des droits de l’homme au titre de l’Allemagne et de Malte

LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle l’élection de deux juges à la Cour européenne des droits de l’homme au titre de l’Allemagne et de Malte.

La liste des candidats et leurs notices biographiques figurent dans le Doc. 12240.

Le vote aura lieu dans la rotonde derrière la Présidence.

À 13 heures, je suspendrai le scrutin. Il reprendra à 15 heures et sera clos à 17 heures.

Le dépouillement aura lieu aussitôt après dans les conditions habituelles, sous le contrôle de deux scrutateurs que nous allons désigner par tirage au sort.

Le tirage au sort désigne M. Bremer et Lord Anderson.

Je leur rappelle qu’ils devront se trouver dans la rotonde derrière la Présidence à 17 heures.

Le scrutin est ouvert.

Nous continuons nos travaux pendant ce temps.

2. Modification de l’ordre du jour

LE PRÉSIDENT* – Je crois que M. Pourgourides souhaite proposer une modification de l’ordre du jour de la présente session au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme.

M. Pourgourides, vous avez la parole

M. POURGOURIDES (Chypre), président de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme*– Cher Président, chers collègues, hier matin, l’Assemblée a inscrit la question du rapport sur la gestion de la pandémie H1N1 à son ordre du jour de jeudi. De ce fait, le rapport sur la nécessité d’éviter le chevauchement des travaux du Conseil de l’Europe par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a été reporté à la séance de vendredi. Ces changements étant intervenus de façon imprévue, les rapporteurs et moi-même ne pourront être présents vendredi matin.

La commission des questions juridiques propose de remplacer la discussion de ce rapport par celle des rapports sur l’interdiction de la commercialisation et de l’utilisation du dispositif anti-jeunes « Moquisto ». Je crois savoir que la commission de la culture, de la science et de l’éducation approuve cette modification.

LE PRÉSIDENT* – Je comprends donc que la commission des questions juridiques propose de retirer de l’ordre du jour la discussion du rapport sur la nécessité d’éviter le chevauchement des travaux du Conseil de l’Europe par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (Doc. 12272) qui était prévue vendredi 25 juin à 10 heures, et par conséquent, à la place d’inscrire la discussion des rapports sur l’interdiction de la commercialisation et de l’utilisation du dispositif anti-jeunes « Mosquito » (Doc. 12186), en accord avec la commission de la culture.

Il n’y a pas d’objection ?…

L’ordre du jour est ainsi modifié.

3. Recours juridiques en cas de violations des droits de l’homme dans la région du Caucase du Nord

LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle la discussion du rapport sur les recours juridiques en cas de violations des droits de l’homme dans la région du Caucase du Nord, présenté par M. Dick Marty au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme (Doc. 12276), ainsi que de l’avis présenté par Mme Anne Brasseur au nom de la commission des questions politiques (Doc. 12301).

Je vous rappelle que nous devrons en avoir terminé avec l’examen de ce texte, vote inclus, à 12 heures. Nous devrons donc interrompre la liste des orateurs vers 11 h 30, afin de pouvoir entendre la réplique de la commission et de procéder aux votes nécessaires.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

Monsieur le rapporteur, vous disposez d’un temps de parole total de 13 minutes, que vous pouvez répartir à votre convenance entre la présentation de votre rapport et la réponse aux orateurs.

Vous avez la parole.

M. MARTY (Suisse), rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme – Mesdames, Messieurs, chers collègues, Monsieur le Président de l’Ingouchie, j’ai abordé ce travail avec beaucoup de respect, conscient de la complexité de la situation du Caucase du Nord. Comme certains d’entre vous, présents depuis plusieurs années dans cet hémicycle, j’avais en mémoire les discussions ayant accompagné les rapports Bindig dédiés à la question des droits de l’homme en Tchétchénie et je me suis donc efforcé de travailler sans préjugé avec la seule ambition de comprendre sans jamais condamner ni faire la leçon: j’ai seulement voulu établir un certain nombre de faits et les faire connaître. À cette fin, je me suis documenté à travers de nombreuses lectures et j’ai rencontré bien des personnes connaissant le Caucase du Nord.

La réalité de cette région du monde n’est compréhensible qu’à condition de tenir compte des facteurs culturels, religieux, historiques, sociologiques et politiques mais, également, de la situation de la Russie – cet immense pays qui occupe dix ou onze fuseaux horaires – et du traumatisme considérable qu’a été l’implosion de l’URSS, tout comme le chaos qui s’en est suivi. Plus encore: le Caucase ne peut être compris qu’en y allant; il faut en percevoir l’esprit, aller à la rencontre de ses habitants et parler avec eux. À ce propos, je tiens à remercier la délégation russe pour avoir facilité ma mission et organisé l’ensemble des rencontres avec les autorités – dont les trois présidents – les familles des victimes – ce fut en l’occurrence bouleversant comme en attestent les témoignages vidéos que vous pouvez voir partiellement ici-même, au rez-de-chaussée –, les organisations non gouvernementales (ONG) – dont le travail est considérable, en particulier en faveur du droit des victimes. Je tiens également à rendre hommage au sénateur Umakhanov qui m’a accompagné pendant tout le voyage et qui, loin de se livrer à je ne sais quelle propagande, a toujours satisfait mes requêtes, ainsi qu’à M. Slutsky, qui m’a quant à lui accompagné en Tchétchénie.

Au cours de mon voyage, j’ai été le témoin de saisissants contrastes: ainsi, après les destructions qu’elle a subies, Grosny est-elle maintenant reconstruite, vivante, la plupart des stigmates du conflit ayant été effacés; outre que le réseau routier est désormais excellent, des villages lointains sont même reliés à la distribution du gaz ! La situation, hélas, n’est pas aussi réjouissante sur le plan du droit: des enlèvements se produisent encore, la justice souffre d’un manque d’organisation, les enquêteurs redoutent certaines personnes appartenant notamment aux forces de l’ordre, le sentiment d’impunité perdure et 160 arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme témoignant de violations des droits les plus élémentaires de la personne humaine restent sans effet. Cela est d’autant plus saisissant, je le répète, que l’hospitalité des Caucasiens est particulièrement émouvante et que les paysages de ce pays semblent irréels de beauté.

Par ailleurs, des perspectives d’espoir se font jour. Outre que M. le Président Medvedev considère la situation du Caucase du Nord comme le problème numéro un de la Fédération de Russie, le procureur général de ce pays a également admis que les forces de police et de justice de la région sont corrompues. Or, reconnaître les problèmes, n’est-ce pas le premier pas vers leur solution ? La collaboration avec les collègues russes a également été excellente: malgré mes critiques parfois acerbes, ils ne se sont jamais sentis agressés. J’ajoute que le Président Medvedev a rencontré récemment les ONG qui se battent pour les droits de l’homme dans la région et que le Président de l’Ingouchie, M. Evkourov, mène quant à lui un combat très positif contre la corruption – lui-même a également rencontré un certain nombre de victimes ainsi que des représentants des ONG; nous ne pouvons que le remercier et l’encourager à œuvrer en faveur du dialogue entre toutes les composantes de la société.

La situation dans le Caucase du Nord est donc très grave. Si le terrorisme doit y être assurément combattu, il doit l’être avec les armes de l’Etat de droit car l’injustice, ne l’oublions pas, est le terreau sur lequel il prospère et c’est elle qu’il convient aussi d’éradiquer.

Comme je le disais dans la conclusion de mon rapport : le Caucase du Nord n’a pas besoin de plus de réflexion, il a besoin d’un peu d’Etat de droit.

LE PRÉSIDENT* – Je vous remercie, monsieur Marty. Il vous restera quatre minutes pour répondre aux orateurs.

La parole est à Mme Brasseur, pour présenter l’avis de la commission des questions politiques.

Mme BRASSEUR (Luxembourg), rapporteur pour avis de la commission des questions politiques – Monsieur le Président, au nom de la commission des questions politiques, je félicite M. Marty pour son rapport très équilibré, très balancé et très nuancé sur une situation extrêmement complexe et difficile.

« Aidez-nous ! », tel était le cri du cœur que nous a lancé une des victimes que nous avons auditionnées hier. Pour qualifier ces témoignages, je ne peux qu’employer les mots de «bouleversants, révoltants, dramatiques, émouvants». Je rends ici hommage à ces témoins qui ont eu le courage de venir jusqu’ici pour témoigner de leur vécu. Ils sont dans la tribune et je salue encore leur courage et leur détermination, car par ce geste courageux, ils encouragent les autres. Ils ont été témoins d’assassinats, victimes de torture, ils sont parents d’enfants enlevés ou habitants de maisons brûlées. Cela se passe au XXIe siècle sur le territoire du Conseil de l’Europe, sur notre territoire. Malgré les démarches engagées auprès des autorités politiques et judiciaires, ces crimes n’ont pas été poursuivis. Cela est inadmissible.

Après le débat de ce jour, après le vote de la résolution, nous devrons continuer à suivre de près cette évolution. Des améliorations se font déjà sentir. Nous ne pouvons que nous en féliciter. Mais ce n’est pas suffisant. Je lance donc un appel au rapporteur qui s’occupe du suivi de la Fédération de Russie afin qu’il continue de surveiller l’évolution dans le Caucase du Nord et qu’il en fasse rapport régulièrement à la commission de suivi.

Je conclurai en citant l’un des témoins qui disait hier: « Si la justice n’est pas à la base d’un Etat, l’Etat ne fonctionnera pas. » Il ajoutait: « On ne construit pas un Etat sur la lâcheté. » Je voudrais encore rendre hommage au courage de toutes ces personnes et vous invite, au nom de la commission des questions politiques, de voter la résolution telle qu’amendée par la commission des questions politiques et dire combien il est important de suivre cette question de près. J’ai le plaisir de lancer cet appel en présence du Président de l’Ingouchie, qui nous fait l’honneur d’être parmi nous aujourd’hui. Je suis sûre qu’il approuve notre démarche, dans l’intérêt de sa population.

LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle maintenant l’intervention de M. Iounous-Bek Evkourov, Président de l’Ingouchie, que j’ai le plaisir d’accueillir au nom de notre Assemblée.

Après l’avoir entendu, nous ouvrirons notre débat et M. Evkourov pourra à nouveau intervenir à la fin de ce débat, s’il le souhaite.

Monsieur le Président, nous tous qui avons eu l’occasion de lire l’excellent rapport de M. Marty connaissons les difficultés que vous rencontrez dans votre république.

Dès votre élection l’an dernier, vous avez abordé de façon vigoureuse et courageuse les problèmes de votre république, qui étaient loin d’être simples: corruption largement diffusée, chômage massif, notamment parmi les jeunes, et enfin, une série d’actes de terrorisme commis par des fondamentalistes radicaux qui se disent musulmans. Les problèmes étaient malheureusement imbriqués et n’avaient pas été résolus par les réactions inappropriées et souvent illégales des forces de sécurité, qui minaient la confiance de la population dans les instances de l’Etat.

Monsieur le Président, je tiens également à vous féliciter pour votre engagement à résoudre les problèmes sur la base d’un véritable dialogue avec la société civile, une méthode qui devrait être suivie par tous les dirigeants dans la région du Caucase du Nord. Nous avons bien noté que le directeur du bureau de « Memorial » en Ingouchie était présent et s’est exprimé librement lors de la réunion que vous aviez organisée, pendant la visite de M. Marty, avec les représentants de la société civile.

Vos efforts ont été cruellement interrompus, mais non arrêtés, par un attentat à la bombe l’an dernier qui a tué des membres de votre entourage et vous a laissé grièvement blessé. Nous sommes heureux de voir que vous êtes rétabli et c’est avec beaucoup d’attention que nous écouterons votre contribution à cet important débat.

Monsieur le Président, vous avez la parole.

M. EVKOUROV, Président de l’Ingouchie (Fédération de Russie)* – Monsieur le Président, je vous suis extrêmement reconnaissant de m’avoir accordé l’honneur de parler aujourd’hui devant cet hémicycle. Je veux avant tout, ici, vous remercier de m’offrir cette opportunité. La possibilité que vous me donnez de vous décrire la situation qui prévaut maintenant dans le Caucase du Nord est extrêmement bouleversante pour moi.

Je voudrais avant tout évoquer la situation dans la République d’Ingouchie que je dirige, vous le savez, maintenant. Nous sommes très sensibles à l’attention qui est portée par la communauté européenne à notre situation, notamment pour tout ce qui a trait au respect des droits de l’homme dans notre région. Tout cela nous préoccupe plus que quiconque aujourd’hui et nous souhaitons, bien sûr, que ces problèmes s’améliorent.

À la suite aux propos tenus par M. Marty, je tiens à dire que c’est une question de principe. Je suis un patriote en tant qu’Ingouche et en tant que Russe, et il est vrai que je suis particulièrement touché du fait que nos problèmes sont maintenant évoqués sur la scène européenne ; nous tenons à ce que ceux-ci puissent être réglés le plus rapidement possible.

L’analyse de la situation en République d’Ingouchie au cours des cinq premiers mois de 2010 montre que, par comparaison à la situation qui y régnait l’année dernière, le niveau de criminalité a baissé de 35 à 40 %. Le nombre de crimes particulièrement graves a baissé de 42 %; les atteintes à la vie de membres de forces de l’ordre et des forces armées, de 31 %. Et les cas de banditisme ou d’enlèvement, qui suscitaient la profonde angoisse de nos concitoyens ont pratiquement disparu. Une dynamique positive s’est donc enclenchée en raison, essentiellement, d’opérations spéciales menées par les forces de l’ordre ces derniers mois qui ont permis de mettre un terme à l’activité de chefs de bande qui travaillaient de façon clandestine et également le fait que nous ayons veillé à prévenir cette criminalité.

En octobre 2009, se sont tenues des élections pour les organes de pouvoir local. Dans toutes les villes et lieux d’habitation, des organes représentatifs ont été élus. C’était la première fois que nous pouvions organiser ce genre d’élections. Dans la vie sociale et politique de notre république, nous mettons l’accent sur un dialogue permanent avec la société civile. Nous élargissons les contacts entre les organes de pouvoir et les organisations de défense des droits de l’homme, les représentants des confessions religieuses et nous avons créé une organisation tout à fait unique, le Conseil des Teip, qui sont les dynasties claniques locales. Ainsi, chacun peut être représenté. Nous avons enregistré plus de 100 organisations de la société civile, qui participent à pratiquement toutes les réunions des organes de pouvoir.

Nous avons également mis en place un défenseur des droits de l’homme et un représentant des droits des enfants.

D’autre part, deux grands programmes fédéraux ont été lancés afin d’améliorer la situation économique et sociale de la région. Ils permettront de financer une centaine de projets et de créer quelque 18 000 emplois. Malheureusement, le principal problème reste le chômage des jeunes, problème que le radicalisme religieux ne fait qu’aggraver, car ces jeunes qui n’ont pas encore réussi à s’installer dans la vie peuvent être tentés par l’extrémisme. Nous essayons de traiter le problème avec tact. Les écarts ne sont pas systématiquement sanctionnés, nous essayons plutôt de redonner une nouvelle chance à ces jeunes et de faire en sorte qu’ils se sentent de nouveau membres de plein droit de la société. Il m’est arrivé souvent de m’entretenir avec des parents afin de comprendre ce qui avait fait dévier leurs enfants vers la délinquance. Quoi qu’il en soit, nous encourageons au maximum un retour à la vie normale et jusqu’à présent, ce dialogue s’est avéré plutôt positif.

Nous veillons particulièrement à ce que les forces de l’ordre se comportent bien. Les criminels en uniforme sont poursuivis au pénal. C’est ainsi qu’en 2009, six membres des forces de l’ordre ont été condamnés pour crimes ou délits.

Les organisations internationales travaillent sans entraves chez nous, comme peuvent en témoigner les représentants de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe – ainsi que d’autres institutions européennes – qui sont plusieurs fois venus nous rendre visite et qui ont pu chaque fois rencontrer librement les populations. Je pense d’ailleurs que la plupart de mes affirmations recoupent les évaluations faites par ces observateurs parlementaires. Nous avons également bénéficié de l’expérience du Commissaire aux droits de l’homme, M. Thomas Hammarberg, et de celle du président de la commission des questions juridiques, M. Dick Marty. Ils ont travaillé avec sincérité et avec objectivité. Nous les en remercions infiniment.

M. Marty a pu évaluer tout à fait librement la situation qui existe dans le Caucase du Nord, mais je crois à ce propos qu’il serait injuste de comparer nos régions avec des pays plus favorisés. Il faut plutôt comparer la situation actuelle avec celle qui prévalait il y a trois ou quatre ans. Nous avons en effet enclenché une dynamique positive. Je vous invite par ailleurs à ne pas oublier que l’Europe reste sous la menace du terrorisme et que nos républiques sont en quelque sorte en première ligne dans le combat à mener contre ce fléau.

Nous devons également nous souvenir que ce sont les forces de l’ordre et les administrations qui sont en général les premières visées par les terroristes. Voilà maintenant six ans que des bandes de terroristes ont agressé notre république. Au cours de ces affrontements, plus de 200 personnes avaient été tuées, dont 90 membres des forces de l’ordre.

Compte tenu de l’arbitraire qui a sévi pendant de longues années dans notre région et de la criminalité qu’il a engendrée, il faudra du temps pour redresser la situation et faire du Caucase du nord une zone de paix et d’épanouissement. Nous y travaillons bien entendu de toutes nos forces et en tant que président de l’Ingouchie, je souhaite plus que quiconque que l’ordre et la paix règnent. Nous partageons les souffrances des citoyens, nous savons qu’il y a des cas de violations des droits de l’homme, nous sommes parfaitement conscients de tous les problèmes qui subsistent, mais nous avons la volonté de faire disparaître les séquelles du passé. Ce n’est pas l’homme qui doit servir le pouvoir, mais le pouvoir qui doit se mettre au service de l’homme : telle est la devise qui inspire notre action.

En conclusion, je vous remercie infiniment de l’attention que vous voulez bien porter à notre région. Je remercie en particulier la commission des questions juridiques pour son aide.

LE PRÉSIDENT* – Merci beaucoup, Monsieur le Président, pour cette intervention extrêmement intéressante.

Dans le débat, la parole est à Mme Beck, au nom de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe.

Mme BECK (Allemagne)* – Je voudrais tout d’abord remercier M. Marty pour le regard incorruptible qu’il porte sur les sujets qu’il traite : il y a quelques années, sur les arcanes de la CIA, aujourd’hui, sur la situation dans le Caucase du nord. Cette constance l’honore. J’aurais voulu que plus de délégués regardent le film vidéo qui a été projeté. On y voit des gens simples, honnêtes, souvent marqués par une dure vie de labeur, qui cherchent désespérément à savoir ce que sont devenus leurs proches qui ont disparu. Ces témoins décrivent toujours les mêmes scènes: l’irruption dans une maison de personnes en uniforme qui, le visage masqué, s’emparent de quelqu’un qu’ils jettent dans une automobile. Les parents s’adressent ensuite à la police, au FSB, au Parquet ; ils envoient des courriers, mais ils n’obtiennent jamais de réponse.

Nous nous souvenons ici de Natalia Estemirova et d’Anna Politovskaïa, toutes deux froidement assassinées alors qu’elles s’efforçaient de faire leur métier et de défendre la liberté et les droits de l’homme. Tous les indices mènent vers le Caucase du nord mais la lumière n’a pas été faite sur ces deux crimes.

Je me souviens aussi de celles que l’on appelait «les folles de la place de mai», ces femmes argentines qui réclamaient inlassablement la vérité sur les disparitions de leurs proches. Pendant de longues années, nous les avons accompagnées. Aujourd’hui, je suis un peu effrayée de constater que l’on s’intéresse moins à ce qui se passe dans le Caucase du nord qu’à ce qui se passait en Argentine, alors que ces enlèvements et ces disparitions se produisent dans un pays membre du Conseil de l’Europe, censé par conséquent défendre les valeurs et les principes de ce dernier. Hier, le président de la Croatie a déclaré qu’il n’y avait pas de paix possible sans justice. Nous devons y penser dans le combat que nous menons contre l’extrémisme islamique, car nous ne gagnerons pas en sacrifiant nos valeurs. Nous ne devons jamais renoncer à la prééminence du droit, sans quoi les gens perdront confiance dans les institutions d’Etat. Cette absence de confiance est d’ailleurs le grand problème de la région du Caucase du nord.

Car oui, la peur règne souvent chez ceux qui sont censés conduire les enquêtes et il y a un mélange de criminalité, de corruption et d’implication des services de l’Etat, qui semblent considérer que tous les moyens doivent être permis pour lutter contre ceux qu’ils soupçonnent d’être des extrémistes.

Il y a eu 160 arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ces dernières années. En Russie, ils donnent souvent lieu simplement à des versements de sommes d’argent. Mais ce n’est pas la question: il faut obtenir que de vraies poursuites soient engagées contre les auteurs des exactions. Le Conseil de l’Europe devrait choisir dix cas et les suivre attentivement. Nous devons revendiquer l’impératif qu’aucune personne digne d’être protégée ne soit expulsée.

M. Fahey, Vice-Président, remplace M. Çavuşoğlu au fauteuil présidentiel.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Lotman, au nom du Groupe pour la gauche unitaire européenne.

M. LOTMAN (Estonie)* – La question des droits de l’homme dans le Caucase du Nord est tellement tragique qu’il semble un peu inadéquat de féliciter le rapporteur. Je remercie malgré tout Dick Marty pour son rapport, qui est aussi précis et rigoureux que son autre rapport sur les détentions secrètes de la CIA.

Sur le fond, le rapport est tragique: dans le Caucase du Nord, la privation de droits, la terreur et l’impunité règnent des deux côtés. Le gouvernement assassine, enlève, torture, tandis que les forces insurgées combattent avec violence depuis des années et sont devenues des groupes terroristes sans foi ni loi. La situation est pire qu’en Tchétchénie: les autorités entretiennent un climat de terreur; la justice et les institutions démocratiques ne fonctionnent pas et les défenseurs des droits de l’homme continuent de disparaître. Au Daghestan, la terreur est extrême. Il y avait quelque espoir en Ingouchie, mais les assassinats et les disparitions se multiplient.

La situation des femmes est encore pire: leurs droits sont bafoués de façon épouvantable. Ramzam Kadirov, président autoproclamé de la Tchétchénie, l’a déclaré: c’est le «style du grand frère»; la femme est un bien appartenant à l’homme. Alors que l’abolition universelle de l’esclavage a été réalisée il y a presque un siècle et demi, voilà un Etat membre du Conseil de l’Europe où les femmes sont considérées comme des objets ! Pouvons-nous accepter une telle justification de l’esclavage de la part d’un Etat membre du Conseil de l’Europe ? Ce n’est pas un hasard si on trouvait deux femmes parmi les défenseurs des droits de l’homme les plus critiques – je pense à Anna Politkovskaïa et à Natalia Estemirova. Toutes deux ont été assassinées et leurs assassins n’ont pas été traduits en justice, ce qui n’aurait pas été possible sans une intervention directe des autorités.

D’où cette lettre signée par de nombreuses personnalités, tels Vaclav Havel, Desmond Tutu et Gregori Iavinski, qui disent que la justice est assassinée en Russie. Ils demandent que les personnes en danger soient protégées et que les auteurs des assassinats soient poursuivis en justice. C’est le moins que nous puissions demander si nous voulons préserver notre réputation de champions de la démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit. Nous devons poursuivre notre travail jusqu’à ce que cette horreur s’achève.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Herkel, au nom du Groupe du Parti populaire européen.

M. HERKEL (Estonie)* – Je remercie, au nom de mon groupe, le rapporteur pour son travail. Il s’agit sans doute d’un des rapports les plus importants de ces dernières années. Il y a quatre ans, nous avions adopté un autre rapport sur l’état des droits de l’homme dans le Caucase. Depuis lors, le pire des scénarios envisagés à l’époque s’est réalisé: l’impunité, qui est partie de l’Ingouchie et de la Tchétchénie, s’étend vers d’autres pays de la région. Les assassinats, les disparitions n’ont pas cessé. En ont été victimes ces dernières années des journalistes et défenseurs des droits de l’homme remarquables comme Anna Politkovskaïa et Anna Estemirova – mais il y en a bien d’autres.

La Cour européenne des droits de l’homme a rendu des arrêts sur des cas concernant la seconde guerre de Tchétchénie. Depuis 2007, 160 ont été rendus contre la Fédération de Russie. Ils n’ont pas été mis en œuvre et c’est bien là le problème. De plus, de nombreuses requêtes restent pendantes. Alexei Malachenko, du Carnegie Center à Moscou, a récemment décrit la situation dans le nord du Caucase en utilisant des termes tels que «démodernisation», «islamisation», «archaïsation» de la société. Une pratique comme la vendetta revient de plus en plus. Comme on l’a rappelé, selon M. Kadyrov la femme doit être considérée comme une propriété de l’homme et, dans certains cas, les maris ou les frères peuvent les tuer. Cette situation nous inquiète gravement. Vous avez posé une question: quelle est la nature de la paix de Kadyrov ? Certes, la paix, c’est l’absence de guerre; mais, en l’occurrence, la société recule.

Un autre problème important réside dans l’absence de la stratégie claire de la communauté internationale pour aborder ces questions et en parler avec la Fédération de Russie. Le problème n’est pas simple, mais la pire des solutions est de rester silencieux. Ce rapport montre que nous ne voulons pas le rester et que nous entendons aborder toutes les questions, même les plus difficiles. Si ce rapport n’aborde pas tous les problèmes – je pense notamment au groupe des Circassiens qui sont venus hier –, il faut dire que rarement nous avons vu un texte aussi bon.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Marcenaro, au nom du Groupe socialiste.

M. MARCENARO (Italie)* – Je remercie moi aussi M. Marty, au nom de mon groupe comme en mon nom personnel, pour ce rapport très important. M. le rapporteur acceptera, je pense, de partager ces félicitations avec M. Hammarberg et tous ceux qui ont participé à l’élaboration du rapport.

Celui-ci possède trois caractéristiques. Tout d’abord, il est fidèle aux principes fondateurs du Conseil de l’Europe: respect des droits de l’homme, de la démocratie et de l’Etat de droit. Aucun acte de terrorisme ne peut justifier que l’on viole ces principes, que ce soit pour des raisons morales ou d’efficacité.

M. Marty évoque l’expérience italienne de lutte contre le terrorisme, qui a rendu très difficile le respect de l’état de droit et des libertés fondamentales. Il a été rapporteur d’un rapport sur les détentions illégales de la CIA dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et montre aujourd’hui, avec ce nouveau travail, que le Conseil de l'Europe ne pratique pas une politique de deux poids deux mesures.

La lucidité et l’intelligence politique du rapport de M. Marty doivent également être saluées. Le rapporteur ne sous-estime pas les mensonges même les plus légers et apporte son soutien à tous ceux qui défendent les droits de l’homme au quotidien. La critique des violations des droits de l’homme ne peut pas venir uniquement de l’extérieur. Les organisations de la société civile fournissent un travail extraordinaire mais, en Russie, la police et les responsables politiques montrent le mauvais exemple à la tête de l’Etat.

Enfin, ce rapport s’illustre par la grande compassion dont il fait preuve à l’égard des victimes, ni oubliées, ni instrumentalisées. Leur dignité est respectée et c’est bien dans cette dignité qui ne plie pas que les droits de l’homme trouvent leur racine. Car si l’on oublie les victimes, l’on oublie la justice. Le fait que ce rapport soit présenté ici, aujourd’hui, et que la délégation de la Fédération de Russie ait émis un vote favorable en commission, montre bien que le Conseil de l'Europe, quand il le veut, peut jouer un rôle tout à fait essentiel.

LE PRÉSIDENT* – J’interromps quelques instants votre débat pour rappeler aux membres de l’Assemblée que l’élection des juges pour la Cour européenne des droits de l’homme au titre de l’Allemagne et de Malte est en cours, et qu’ils sont invités à aller voter.

Nous reprenons notre débat. En l’absence de M. Renato Farina et de Mme Kiuru, la parole est à M. Kandelaki.

M. KANDELAKI (Géorgie)* – Je voudrais tout d’abord remercier M. Marty pour le travail très courageux qu’il mène depuis des années pour faire la lumière sur la situation du Caucase du Nord. Il ne faut pas oublier le contexte historique de cette région depuis des années. Hier, les victimes des crimes terribles commis récemment dans le Nord du Caucase ont été évoquées. Elles ne représentent qu’une faible partie, malheureusement, des milliers de victimes de cette région depuis des années. Selon diverses organisations russes de défense des droits de l’homme, le nombre total des victimes civiles causées par les deux guerres tchétchènes dépasse les 100 000 morts. C’est un chiffre terrible, qui recouvre un véritable génocide.

Les auteurs de ces crimes doivent être jugés devant les tribunaux de La Haye, mais qu’a fait la Russie pour les arrêter et les présenter devant la justice ? Absolument rien ! Le colonel Boudanov a violé et tué une jeune fille tchétchène; il est considéré comme un héros à Moscou et reste en liberté. Le général Chamanov, accusé de crime contre l’Humanité par Human Rights Watch, a été promu responsable des forces aériennes. Ceux qui veulent que la Russie reste membre du Conseil de l'Europe affirment que l’on ne doit pas priver ses citoyens de la possibilité de s’adresser à la Cour européenne des droits de l’homme. Cet argument est recevable, mais près de 160 arrêts de la Cour attendent toujours d’être mis en œuvre en Russie… Et lors de la dernière session, M. Lavrov a critiqué de manière scandaleuse la Cour européenne des droits de l’homme. Nous devons absolument réagir !

Au mois de janvier, par ailleurs, un rapport sur les prisons secrètes dans le Nord du Caucase a été présenté aux Nations Unies. C’est également une question à laquelle nous devons nous intéresser. Les événements tragiques de Tchétchénie et les assassinats et les crimes dans le Nord du Caucase ne sont pas nouveaux. Le Conseil de l'Europe doit faire preuve de cohérence s’il veut que ses valeurs soient mises en œuvre dans tous ses Etats membres. Ce n’est que par une pression constante sur les autorités russes qu’il a été possible d’obtenir qu’elles ratifient le Protocole n° 14. Nous devons maintenir nos exigences vis-à-vis de ce pays sinon nous n’arriverons à rien…

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Badré.

M. BADRÉ (France) – Monsieur le Président de l’Ingouchie, nous vous remercions de votre présence parmi nous aujourd’hui. Je salue par ailleurs l’excellence du rapport de M. Marty, qui exprime les deux qualités qui font les grands défenseurs des droits de l’homme: le courage et l’honnêteté intellectuelle. Sans manichéisme ni langue de bois, il présente de manière équilibrée la grave situation des droits de l’homme dans le Caucase du Nord. Ce rapport me semble d’autant plus fort qu’il se garde bien de donner la moindre leçon à quiconque mais cherche, avec une volonté inlassable, à ouvrir des voies de dialogue et de vrais progrès.

Sa lecture « effrayante », pour reprendre un terme du rapporteur, illustre un échec collectif: soit nous aurions eu tort d’admettre parmi nous un Etat qui accepte de telles exactions sur son territoire – ce serait alors un échec de la crédibilité de nos valeurs; soit son adhésion est restée trop longtemps sans effet sur la situation sur le terrain – et ce serait un échec de nos méthodes.

Le projet de résolution que, j’espère, nous allons largement adopter, le reconnaît: nos craintes d’un embrasement généralisé dans le Caucase du Nord étaient fondées. Nous avions mis en garde, mais rien de plus. Terrible aveu d’échec !

Echec pour nos démocraties qui renient leurs valeurs, lorsqu’elles choisissent l’attentisme, le manque de courage… ou l’intérêt. Notre rapporteur nous interroge d’ailleurs: le gaz aurait-il plus de valeur que les droits de l’homme ? L’Histoire nous apprend pourtant que de telles inversions de valeurs peuvent produire le pire.

Echec aussi pour la Russie. Notre rapporteur nous a rappelé que le Président Medvedev l’admet aujourd’hui. Certes, le problème est complexe. Mais les deux guerres de Tchétchénie ont exacerbé la violence et radicalisé les positions en présence. Le terrorisme doit être combattu avec détermination; les dramatiques attentats perpétrés dans le métro de Moscou en mars dernier, rappellent que la menace terroriste est bien réelle. Pour autant le terrorisme ne peut en aucun cas justifier des réponses contraires aux droits de l’homme.

Le diagnostic de notre rapporteur est clair. La situation au Caucase du Nord, en Tchétchénie, mais aussi au Daghestan ou en Ingouchie, est aussi le résultat de l’incapacité des autorités à construire un véritable Etat de droit. Une annexe au rapport dresse la liste, probablement non-exhaustive, des 28 affaires transmises aux autorités russes. Compte tenu de l’ampleur et de la gravité de ces faits, notre Assemblée n’aurait-elle pas dû demander qu’un ministre russe vienne exposer en séance, l’état d’avancement des enquêtes engagées sur les affaires les plus graves ?

La corruption, les insuffisances de la justice, les violences policières, une impunité trop large entretiennent un climat de peur qui mine le Caucase du Nord. Le rapport de Dick Marty ne dissimule rien des responsabilités des plus hautes autorités des républiques caucasiennes qu’il a visitées. Dès lors une question se pose: les autorités russes sont-elles vraiment déterminées à remédier aux violations massives des droits de l’homme au Caucase du Nord, violations dont elles n’ignorent rien, ne serait-ce qu’en raison du très grand nombre de condamnations prononcées par la Cour européenne des droits de l’homme ?

Mes chers collègues, lorsque les droits de l’homme sont bafoués, nous ne pouvons rester passifs. Je remercie Anne Brasseur d’avoir rappelé cela avec une grande émotion à l’instant, en citant les courageux témoignages de victimes que nous avons pu écouter hier. Elles ont tenu à faire le déplacement pour nous mettre en face de la réalité.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Kosachev.

M. KOSACHEV (Fédération de Russie)* – Monsieur le Président, au nom de l’ensemble de la délégation russe, je remercie M. Marty notre rapporteur pour son travail de haute qualité, professionnel. Son rapport est un pas en avant pour l’Assemblée sur cette question, après les travaux de Lord Judd et M. Bindig. C’est la première fois que l’on essaye de comprendre et de proposer certaines solutions pour mettre un terme à cette situation extrêmement difficile en Russie.

On a parlé d’échec à propos de la situation au Caucase du Nord. Je suis d’un avis contraire. Ce serait un échec pour l’Europe, s’il y avait eu une victoire du terrorisme dans le Nord du Caucase pour atteindre des buts politiques. Des dirigeants comme Doudaïev et Massadov qui dirigeaient la République tchétchène, se sont efforcés de mettre en œuvre cette politique de terreur. Aujourd’hui la situation a profondément changé. M. Marty l’a montré.

Je classe les personnes présentes en trois catégories.

Celles venues du Caucase du Nord, vivant sur place, le président Evkourov ainsi que certains de mes collègues qui comprennent parfaitement ce qui se passe sur le terrain et ceux qui ont connu des victimes.

Celles qui se sont rendues sur place pour comprendre. Je place dans cette catégorie MM. Marty, Gross et bien d’autres de nos collègues.

Celles qui continuent de lire la presse pour se faire une idée de la situation dans le Nord du Caucase. Elles voient les choses en noir et blanc, en bien et mal. Elles ne contribuent nullement à améliorer la situation.

Lorsque M. Lotman se permet de déclarer que le président Kadyrov est une sorte d’usurpateur, autoproclamé, il insulte tous les habitants de la République tchétchène qui ont voté pour lui. Je n’idéalise pas cet homme. Je vous prie simplement de ne pas insulter les Tchétchènes.

Lorsque notre collègue de la Géorgie nous dit que M. Boudanov est pratiquement un héros de la Russie, c’est faux, parce qu’il a été condamné par un tribunal pour les crimes qu’il a commis.

Ces dernières années, 300 000 personnes sont rentrées en Tchétchénie, ce qui prouve que la situation s’est améliorée.

En Tchétchénie le 26 avril, pour la première fois, on a créé un tribunal avec un jury, demande de l’Assemblée parlementaire qui a été mise en œuvre. Depuis cinq ans, on note une recrudescence de la criminalité. M. Marty en est parfaitement conscient ainsi que tous ses collègues qui travaillent sur la réalité. Nous nous félicitons de cette coopération et du travail de l’Assemblée dans cette région.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Slutsky.

M. SLUTSKY (Fédération de Russie)* – Monsieur le président, pour la première fois, depuis 14 ans que la Russie est membre du Conseil de l’Europe, un bon nombre de membres de la délégation russe, lors de la réunion de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, a appuyé le rapport. Il ne faut pas comparer la situation avec d’autres pays mais avec celle qui régnait il y a quelques années, lorsqu’il n’y avait pratiquement pas de droits de l’homme.

Grozny la capitale était soumise à l’arbitraire. Maintenant elle se développe rapidement car le taux de criminalité a notablement diminué. On voit une grande différence entre le rapport de M. Bindig et de M. Marty. Le premier rapport a beaucoup aidé à la normalisation de la région malgré des aspects non-objectifs.

Le rapport de M. Marty est tout à fait objectif. Il reflète la réalité de la situation et les préoccupations du parlement russe. Il n’est pas pro-russe. Il est critique à l’adresse de la Russie, nous le savons. Mais ce rapport est objectif. Le rapporteur n’a pas été «acheté».

En République tchétchène comme en Ingouchie, on veut construire une société basée sur le courage. Ces peuples sont courageux. Ils ont souhaité être avec la Fédération de Russie, faire renaître sur leur territoire un ordre constitutionnel.

On peut certes poser un certain nombre de questions à M. Marty sur son rapport. Lorsqu’il parle de la personnalisation du pouvoir en Tchétchénie, on peut s’interroger. Le peuple est reconnaissant au premier président Akhmad Kadyrov et maintenant au Président Ramzan Kadyrov, de pouvoir vivre en paix.

Ce rapport est un modèle d’objectivité pour un dossier parmi les plus difficiles de l’espace européen. Il permet de rapprocher l’Assemblée parlementaire de cette région, en mettant en œuvre une contribution objective et concrète. Dans l’ensemble, il est irréprochable. Je suis convaincu que M. Marty continuera à surveiller la situation dans le Nord du Caucase. Je le remercie infiniment pour ce travail. Notre délégation votera en son âme et conscience. À titre personnel, je voterai pour ce rapport et j’invite tous nos collègues de l’Assemblée parlementaire à le soutenir.

M. GROSS (Suisse)* – Mes chers collègues, Dick Marty n’a pas encore été suffisamment félicité. Même s’il est libéral, il suit les paroles de Jean Jaurès: il convient, par tous les moyens, de mettre les choses en lumière afin de trouver la vérité.

Pour la première fois, il a été possible, ici, de réunir les défenseurs des droits de l’homme et M. Slutsky, ainsi que d’autres membres de la délégation russe. Bravo Monsieur Marty et merci !

Hier, le Président de la Croatie disait que la paix n’est pas impossible sans la justice. Or la justice comporte plus facettes: la lutte contre l’impunité – le côté objectif de la justice – et la prise en compte de ceux qui souffrent, dimension subjective de la notion de justice. Mais certains dirigeants de cette région ne respectent pas ce dernier point. D’où l’excellent conseil de M. Marty, au paragraphe 11: les responsables du gouvernement russe devraient se déplacer, aller à la rencontre des personnes qui souffrent. M. Marty l’a fait.

Ce sont 300 enfants ont été tués à Beslan, au cours d’une attaque terroriste, une des pires que l’on puisse imaginer. M. Poutine s’est rendu sur place en avion, a survolé la zone, vu les dégâts, mais c’est seulement lorsque la ville a été reconstruite qu’un certain nombre de responsables ont pu y avoir accès.

Monsieur Slutsky, réparer les bâtiments est beaucoup plus facile que de réparer les âmes blessées. A ce sujet, un engagement des autorités russes serait indispensable, celui d’apporter la justice, au sens subjectif, à ceux qui ont tant souffert.

Je souhaiterais par ailleurs remercier le Président d’Ingouchie qui a déclaré ne pas comprendre que tant de personnes soient tentées par la voie religieuse radicale. La manière dont les autorités respectent les valeurs est exemplaire. Si elles ont un rapport cynique au crime ou à la torture, si elles parlent sans aucun respect de leurs adversaires politiques, elles poussent les jeunes, désoeuvrés, dans les bras de nos ennemis. C’est la raison pour laquelle les personnes qui détiennent le pouvoir ont le devoir de respecter nos valeurs, afin d’éviter que trop de jeunes soient tentés de s’engager dans la voie du fondamentalisme radical.

Cette nouvelle approche, réclamée par le Président de l’Ingouchie, est une grande chance pour nous, à même de donner une tournure nouvelle.

Monsieur Marty, je vous félicite une nouvelle fois et vous demande de ne pas abandonner ce travail.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Gorayacheva.

Mme GORYACHEVA (Fédération de Russie)* – Mes chers collègues, le thème dont nous débattons aujourd’hui préoccupe un grand nombre de Russes. Le Caucase du Nord est sans aucun doute la source de graves tensions. Au cours de l’année écoulée, plus de 500 crimes de nature terroriste ont été commis, dont un tiers avec des explosifs, faisant grand nombre de victimes innocentes. Par ailleurs, sous les coups des bandits, 235 membres des forces de l’ordre sont morts. Au cours des dix dernières années, 20 religieux musulmans et 10 journalistes défenseurs des droits de l’homme réputés ont été tués.

Tout le monde sait qu’à intervalles réguliers, des explosions retentissent bien au-delà du Caucase. Que peuvent ressentir les populations lorsque, deux attentats sont commis au cœur de Moscou tuant ou mutilant des centaines de personnes ? Tout le monde se demande quand et où se produira le prochain attentat.

La mort d’êtres chers engendre la haine, et l’on finit par voir, en chaque habitant du Caucase, un terroriste potentiel. De ce fait, la population demande des mesures de plus en plus strictes de la part des autorités.

Je vous citerai un vieux proverbe: là où les passions bouillonnent, il n’y a plus de raison possible. C’est justement sur ces passions que misent ceux à qui profitent les guerres. La pauvreté, la crise économique jouent sur cette déstabilisation. En Tchétchénie et en Ingouchie, un habitant sur deux est au chômage. Par ailleurs, dans certaines républiques, les réfugiés représentent plus de 20% de la population, à quoi s’ajoutent les traditions claniques et la corruption. Il conviendrait de faire preuve de plus de compréhension, notamment envers les parents de ceux qui sont passés dans la clandestinité.

Bien entendu, des mesures sont prises pour lutter contre le chômage, encourager la création d‘entreprise, donner un peu d’espoir aux jeunes et à éliminer ce terreau favorable aux séparatistes.

Sur proposition de la commission des droits de l’homme, un Conseil des anciens, instance consultative, a été créé auprès du Président de la Fédération de Russie. Des numéros d’appel téléphonique d’urgence ont été mis en place afin que toute victime puisse obtenir une aide rapide.

Il convient également de modifier la politique de recrutement. Il n’est pas possible de nommer des responsables qui ne disposent pas d’une haute moralité et d’une réputation professionnelle irréprochable.

Il convient par ailleurs de mettre un terme aux bastions où des exactions sont commises. La Russie ne doit pas se contenter de verser une indemnisation à la suite des arrêts de la Cour, elle doit tenter de mieux comprendre pourquoi ces personnes n’ont pas pu bénéficier d’une défense juridique appropriée.

Enfin, il ne faut pas fermer les yeux sur les tentatives venues de l’étranger pour déstabiliser la région. Au cours d’opérations antiterroristes, des mercenaires venant de 50 pays différents ont été tués ! Et des centaines de milliers de dollars viennent soutenir les séparatistes et les bandits. Cette aide se poursuit; il convient de la dénoncer, sinon nos recommandations ne seront pas aussi effectives que nous le souhaitons.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Schuster.

Mme SCHUSTER (Allemagne)* – Monsieur le Président, mes chers collègues, je veux à mon tour remercier M. Marty pour son excellent rapport. Extrêmement complet, ce document fait le point sur les graves violations des droits de l’homme dans la région du Caucase du nord. Ce rapport nous bouleverse. Je reste, en effet, sous le coup de l’émotion après avoir entendu hier des témoignages de personnes dont les proches ont disparu depuis plusieurs années. Des étrangers ont fait irruption dans leur maison, ont enlevé leurs proches dont elles ignorent tout, car, à ce jour, aucune enquête n’a été menée. Je reste impressionnée par la dignité, le courage et la force de ces personnes qui sont venues à Strasbourg. Refusant de se taire, elles demandent que l’information soit faite et que les victimes aient le droit à la parole. M. Marty a permis cela, à l’instar de l’association Memorial qui a permis à des témoins de se faire entendre.

Il est important que le Conseil de l’Europe fasse des préconisations fortes pour lutter contre cet état de fait dans le Caucase du Nord, pour que des poursuites soient engagées en cas de violation des droits de l’homme et pour que les forces de sécurité, si elles sont auteurs d’exactions, fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites. Les militants des droits de l’homme comme les ONG de la région doivent être protégées face aux importantes menaces qui pèsent sur elles. L’association Memorial, par exemple, a été contrainte de fermer ses bureaux, de même qu’une ONG de mères de victimes qui s’engageait au Daghestan. L’Assemblée doit soutenir sur place les défenseurs des droits de l’homme dans leur lutte contre l’impunité.

De par sa grande expérience en la matière, la Croix Rouge internationale, quant à elle, s’engage pour retrouver les personnes disparues. Nous pouvons nous-mêmes faire beaucoup dans nos parlements nationaux. Notre devoir consiste à informer sur ce qui se passe dans le Caucase du Nord, à proposer des mesures pour protéger les défenseurs des droits de l’homme. Il convient par ailleurs de nous adresser aux responsables sur place pour leur demander d’instaurer un système de justice qui mérite ce nom, afin de garantir la prééminence du droit.

M. Marty, dans son rapport sur la Tchétchénie, souligne que loin d’un Etat de droit, un Etat sans droit régnait en Tchétchénie. Il est indispensable que la situation évolue et que plus aucun régime totalitaire n’écrase ses adversaires.

Je lance un appel à l’Assemblée : engagez-vous sur ce dossier !

Je conclurai en citant une phrase de M. Marty: «L’injustice quelque part, c’est une menace pour la justice partout.»

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Fadzaev.

M. FADZAEV (Fédération de Russie)* – Je remercie M. Marty pour son magnifique rapport.

Voilà une semaine, avec mon collègue Babakov, nous nous sommes rendus en Tchétchénie à l’invitation de Ramzan Kadyrov. Une soirée avait été organisée en souvenir de Adam Delimkhanov, ancien administrateur principal de la région de la Tchétchénie.

Cette région, où je ne m’étais pas rendu depuis vingt ans, connaît une évolution sensible: la République est en train de s’épanouir, même si des violations des droits de l’homme demeurent.

Mais qui a encouragé ce massacre ? N’oublions pas que de telles exactions ont également eu lieu en Ingouchie, au Daghestan, dans l’ensemble du Caucase. Qui a soutenu cet état de fait ? Est-ce la Russie alors qu’elle souhaitait la stabilité de la région ? Mon ami M. Evkourov, Président de l’Ingouchie, nous a dit l’inquiétude qu’il ressentait pour son peuple, pour sa République. Il nous faut désormais faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que la stabilité règne effectivement dans l’ensemble de la région du Caucase du Nord et pour mettre un terme au soutien aux terroristes. Car qui est à l’origine des actes terroristes qui ont eu lieu dans le métro de Moscou ? Tout le monde sait que les responsables sont extérieurs aux frontières de la Russie. Qui a été le déclencheur de la guerre qui a éclaté en 1992 ? Heureusement, les Russes ont fait preuve de sagesse en souhaitant mettre un terme au conflit. Nos ancêtres étaient proches, nous souhaitons que nos enfants le soient à nouveau.

La République tchétchène restera au sein de l’Europe. Il convient donc que notre Assemblée réfléchisse à ce qu’elle peut faire pour œuvrer à la stabilité de la région en ne soutenant pas les terroristes. Sans doute alors finiront-ils par mettre un terme à leurs activités. C’est pourquoi je lance un appel à tous, à nos voisins également, que je salue, pour unir nos efforts. Il faut tout faire, être prêt à sacrifier sa vie pour son peuple, pour la Russie. Soutenons les efforts de ceux-là mêmes qui aujourd’hui sont à la tête des Républiques du Caucase du Nord et attachons-nous à les appuyer.

M. UMAKHANOV (Fédération de Russie)* – Le thème de notre débat est d’autant plus important que, dans le Caucase du Nord, l’argument massue le plus utilisé au terme de toute discussion était jusqu’à il y a peu… le révolver, ce qui ne fait que conforter le nécessaire retour à l’Etat de droit.

J’ai eu l’honneur et et le plaisir d’accompagner M. le rapporteur Marty lors de sa mission et je puis affirmer que sa venue – à l’instar de celle, naguère, du Commissaire aux droits de l’homme, Thomas Hammarberg – a été un signe fort attestant que notre Assemblée était prête à participer activement à la mise en œuvre des changements qui s’imposent.

Outre que le rapporteur s’est entretenu avec les dirigeants des trois républiques ainsi qu’avec l’ensemble des défenseurs des droits de l’homme et des représenants des ONG sans aucun a priori, il est remarquable que le Président de la République d’Ingouchie, M. Evkourov, soit aujourd’hui parmi nous pour défendre les valeurs du Conseil de l’Europe – son discours a été admirable – alors qu’il a par ailleurs été récemment victime d’une tentative d’attentat.

De surcroît, est-ce une coïcidence si le Président de la Fédération de Russie, M. Medvedev, a quant à lui réuni le Conseil présidentiel afin de contribuer à la mise en place d’institutions démocratiques dans cette région ? La discussion que nous avons eue, en l’occurrence, ne le cédait en rien à celle que nous connaissons d’aujourd’hui. A ce propos, je tiens à préciser que nous avons adopté un certain nombre de propositions visant notamment à créer un Conseil des Anciens et à mettre en place un Forum des droits de l’homme afin de favoriser les relations entre le pouvoir et la société civile, conformément, d’ailleurs, à la lettre et à l’esprit du rapport dont nous sommes saisis.

De ce point de vue, si je ne suis pas entièrement satisfait de son contenu, en revanche je ne doute absolument pas de la sincérité et du sérieux de son auteur. Quand bien même un seul individu verrait ses droits fondamentaux bafoués, nous ne saurions rester indifférents. Quoi qu’il en soit, hélas, les mesures prises pour lutter contre le fanatisme religieux ne donnent pas toujours les résultats attendus et de nouveaux foyers de violence voient le jour. Mettre fin à cet engrenage implique donc de favoriser le dialogue. En la matière, notre Assemblée a un rôle fondamental à jouer.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Reps.

Mme REPS (Estonie)* – J’ai pris note des propos qui ont été tenus. Certains semblent mettre en doute la raison d’être de notre débat. Nous serions tous ravis s’il n’avait aucun fondement et si les droits de l’homme étaient respectés dans le Caucase !

L’un de nos collègues a évoqué la nécessaire stabilité des nations. C’est en effet un point essentiel – d’où les lois qui ont été votées pour lutter contre le terrorisme – mais la Cour européenne des droits de l’homme a par ailleurs constaté que l’application de ces dernières s’accompagne de violences, l’interdiction de la torture étant par exemple elle-même violée. Après avoir entendu des témoins et lu le rapport, nous savons en effet que des assassinats et des actes de torture sont commis dans cette région d’Europe et que la terreur y règne. Ainsi que la Cour le demande, des enquêtes doivent impérativement être menées car il faut mettre en terme à l’engrenage de la violence. La terreur ne peut rien contre le terrorisme dès lors qu’elle fait des victimes innocentes. Ce sont, en effet, les femmes et les enfants qui souffrent au premier chef.

Les membres de la délégation russe assurent compter sur la coopération. Tant mieux, parce qu’il est plus que temps de mettre un terme à de telles actions.

LE PRÉSIDENT* – La liste des orateurs est close.

Je donne la parole à M. le Président de l’Ingouchie.

M. EVKOUROV, Président de l’Ingouchie (Fédération de Russie)* – La représentante de l’Estonie porte de graves accusations. Je serais d’accord avec elle à une condition: s’il est attesté qu’il s’agit là de mensonges et de calomnies – ce que je crois –, qu’elle démissionne ! Souvenons-nous des propos qui ont été tenus lors du conflit en Abkhazie et faisons donc preuve de prudence ! Comme nous évoquons un sujet essentiel je comprends que notre discussion soit animée, mais défendre les droits de l’homme implique de ne pas faire d’exception. J’ai également des droits et je souhaite qu’ils soient respectés.

Comme vous, je suis préoccupé par le sort des témoins mais que n’avez-vous entendu d’autres personnes dont les enfants ont été victimes de violences. Je ne nie pas que des illégalités aient été commises mais il ne faut pas non plus nier les massacres perpétrés. M. le rapporteur a participé à des tables rondes et il a pu se rendre compte que certains parents ne veulent pas reconnaître que leurs enfants ont commis des actes illégaux. J’appelle, quant à moi, ces derniers à dire la vérité et à ne pas dissimuler la réalité.

Pour ce qui est de la recherche des personnes disparues, je suis tout à fait d’accord avec tout ce qui a été dit. Le Comité international de la Croix-Rouge nous apporte une aide considérable en ce domaine. Nous lui en sommes très reconnaissants. Grâce à ses efforts et à nos propres efforts, nous avons retrouvé l’an dernier six personnes disparues. Nous avons pu reconnaître leur corps et les rendre à leur famille. J’appuie donc les propos des personnes qui sont intervenues dans l’hémicycle pour réclamer le soutien des efforts de recherche des personnes disparues, parce que c’est effectivement un facteur d’instabilité dans le Caucase du Nord.

J’appelle la réplique des commissions.

Monsieur le rapporteur, il vous reste 4 minutes. Vous avez la parole.

M. MARTY (Suisse), rapporteur – Mes chers collègues, je vous remercie de vos appréciations positives sur mon rapport.

M. Slutsky a eu raison de dire que je ne suis pas pro-russe. Mais je ne suis pas davantage anti-russe. Nous devons sortir de cette logique absurde. Ce qui nous intéresse ici, c’est le respect de la personne humaine et la recherche de la vérité. Mais ce qui s’est produit aujourd’hui est, pour moi, assez extraordinaire. Conformément à une certaine logique, ce rapport aurait pu fournir l’occasion d’un affrontement entre deux camps, mais tel n’a pas été le cas: les délégués de Memorial et Amnesty l’ont salué tout autant que les délégués russes. C’est le début d’un dialogue qui peut, et qui doit avoir lieu. Poursuivons donc sur cette lancée.

M. Marcenaro a mentionné le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Nous devons effectivement remercier M. Palma, son président, et son équipe de l’important travail qu’ils ont accompli. Ils se sont rendus dix à quinze fois dans la région pour visiter les structures de détention.

Certains ont parlé d’infiltrations, d’influences de l’étranger. C’est vrai, mais celles-ci ont lieu parce que le terrain est favorable, parce que l’injustice appelle l’extrémisme.

Donc, monsieur le Président Evkourov, poursuivez dans cette voie et dites à haute voix à votre population et à vos forces de police que vous ne tolèrerez plus les injustices et les abus de pouvoir. Vous avez raison, certaines des victimes ont commis des actes criminels, mais ce n’est pas une raison pour les tuer. Il faut les soumettre à la justice. Vous devez montrer à votre population et au reste de l’Europe que vous êtes à même de démontrer leurs fautes publiquement, dans un procès loyal, comme l’ont fait les Espagnols après les terribles attentats du 11 mars 2004 contre des trains, à Madrid.

Monsieur Evkourov, je vous remercie encore d’être venu jusqu’ici. Rentrez chez vous avec la ferme conviction que vous pouvez influencer la réalité. Le dialogue actuel entre les différentes parties à ce conflit ne doit pas en rester à l’état de simples paroles. Même si nos propos aujourd’hui ont été importants, il faut maintenant que chacun d’entre nous, dans son rôle, dans son parlement et ses fonctions, fasse en sorte que ces paroles deviennent réalité. Nous devons cette justice à la population du Caucase du Nord qui a tellement souffert. C’est à elle que nous devons penser dorénavant.

LE PRÉSIDENT* – Merci, Monsieur Marty. Soyez félicité pour cet excellent travail. L’accord est unanime sur vos sentiments.

Monsieur le président de la commission des questions juridiques, vous avez la parole.

M. POURGOURIDES (Chypre), président de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme* – Notre débat est l’aboutissement de discussions longues et approfondies, en commission. Nous examinons un rapport équilibré, résultat de compromis entre le rapporteur et les membres de la délégation russe. Ces personnes ont œuvré pour présenter à l’Assemblée un document capable de dégager le plus large consensus possible. Je salue très chaleureusement ceux qui ont fait preuve de cet esprit de compromis en commission pour permettre l’adoption de ce rapport. Je rends hommage aux membres russes de la commission et à la fermeté de notre rapporteur.

M. Marty est l’un des piliers de notre Assemblée en matière de défense des droits de l’homme. Nous sommes fiers qu’il soit membre de notre commission et nous accordons la plus grande importance à son travail, que nous soutenons. «Les violations des droits de l’homme sont inacceptables», ne cesse-t-il de répéter. Je suis heureux que les membres de la délégation russe souscrivent à cette conviction. L’adoption de ce rapport nous permet d’être confiants. Je pense que des progrès seront possibles dans la région et que les mesures nécessaires seront mises en œuvre.

Je félicite donc M. Marty et tous les membres de la commission du résultat obtenu.

LE PRÉSIDENT* – La discussion générale est close.

La commission des questions juridiques et des droits de l’homme a présenté un projet de résolution sur lequel 11 amendements et un sous-amendement oral ont été déposés, et un projet de recommandation sur lequel aucun amendement n’a été déposé.

Le président de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme demande l’application de l’article 33-10 du Règlement. Les amendements nos 1, 3, 9, 11 et 7 sur le projet de résolution ont été adoptés à l’unanimité par la commission. Est-ce bien cela, monsieur le président ?

M. POURGOURIDES (Chypre), président de la commission* – Tout à fait.

LE PRÉSIDENT* – Y a-t-il une objection ? Ce n’est pas le cas.

Les amendements nos 1, 3, 9, 11 et 7 sur le projet de résolution sont déclarés adoptés définitivement.

Ils sont ainsi rédigés:

L’amendement n° 1, présenté par Mme Anne Brasseur, au nom de la commission des questions politiques, tend, dans le projet de résolution, paragraphe 3, à remplacer les mots «aux familles des victimes» par les mots suivants: «aux proches et aux familles de toutes les victimes de la violence, y inclus celles»;

L’amendement n° 3, présenté par Mme Anne Brasseur, au nom de la commission des questions politiques, tend, dans le projet de résolution, paragraphe 9, à remplacer les mots «son aversion à» par les mots suivants: «sa condamnation sans équivoque de».

L’amendement n° 9, présenté par MM. Andres Herkel, Egidijus Vareikis, Christos Pourgourides, Mmes Tineke Strik, Doris Stump, tend, dans le projet de résolution, à la fin du paragraphe 12, à ajouter les mots suivants: «A cet égard, l’Assemblée invite les autorités autrichiennes et russes à coopérer afin de faire toute la lumière sur cette affaire.».

L’amendement n° 11, présenté par MM. Tiny Kox, Holger Haibach, Andres Herkel, Christos Pourgourides, Mme Tineke Strik, tend, dans le projet de résolution, à la fin du paragraphe 13.1.4, à ajouter les mots suivants: «, et à prendre les mesures générales qui s’imposent pour assurer une prévention effective de telles violations à l’avenir».

L’amendement n° 7, présenté par MM. Valery Parfenov, Sergey Markov, Valeriy Sudarenkov, Mme Svetlana Goryacheva, M. Oleg Panteleev, tend, dans le projet de résolution, à remplacer les paragraphes 13.3.2 et 13.3.3 par l’alinéa suivant: «à assurer une protection adéquate aux réfugiés du Caucase du Nord qui ont été accueillis sur leur territoire, et à examiner avec le plus grand soin et la plus grande prudence les demandes d’extradition les concernant, conformément à la Convention européenne des droits de l’homme ;»

Nous en venons à la discussion des autres amendements. Ils seront appelés dans l’ordre dans lequel ils s’appliquent au texte tel que publié dans le recueil des amendements.

L’amendement n° 10, présenté par MM. Tiny Kox, Holger Haibach, Egidijus Vareikis, Andres Herkel, Michael Hancock, tend, dans le projet de résolution, paragraphe 4.3, après la première phrase, à insérer la phrase suivante: «De graves violations des droits de l’homme sont signalées, telles que des disparitions forcées et des assassinats de civils, dont vraisemblablement des exécutions extrajudiciaires commises par les forces de l’ordre.».

La parole est à M. Herkel pour soutenir l’amendement n° 10.

M. HERKEL (Estonie)* – Il s’agit d’être plus précis en ce qui concerne les violations des droits de l’homme commises au Daghestan, notamment pour ce qui touche à la prééminence du droit et aux actions des forces de sécurité. C’est ce que dit également le paragraphe 37 du Memorandum.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Umakhanov, contre l’amendement.

M. UMAKHANOV (Fédération de Russie)* – Nous avons examiné cet amendement en commission des questions juridiques. L’atout principal de la proposition de résolution tient à son caractère équilibré et au fait qu’elle est étayée par des faits. L’amendement proposé déforme la situation, transforme et modifie le sens du document. Je souhaite que l’on s’en tienne aux faits sur lesquels se fonde le rapport.

LE PRÉSIDENT* – Quel est l’avis de la commission ?

M. POURGOURIDES (Chypre), président de la commission* – Défavorable.

LE PRÉSIDENT – Je mets aux voix l’amendement.

L’amendement n° 10 n’est pas adopté.

LE PRÉSIDENT* – L’amendement n° 2, présenté par Mme Brasseur, au nom de la commission des questions politiques, tend, dans le projet de résolution, à la fin du paragraphe 5, à ajouter la phrase suivante: «La création d’une commission d’Etat de haut niveau sur les personnes disparues semble indispensable.»

La parole est à Mme Brasseur, pour le soutenir.

Mme BRASSEUR (Luxembourg), rapporteure pour avis – Nous reprenons ici une proposition de la Croix-Rouge, dont nous saluons le travail remarquable.

LE PRÉSIDENT* – Quel est l’avis de la commission ?

M. MARTY (Suisse), rapporteur*– Nous avons voté pour l’amendement, avec grand plaisir.

LE PRÉSIDENT* – Je mets aux voix l’amendement.

L’amendement n° 2 est adopté.

LE PRÉSIDENT* – L’amendement n° 4, présenté par Mme Brasseur, au nom de la commission des questions politiques, tend, dans le projet de résolution, paragraphe 11, après les mots «on impose», à insérer les mots suivants: «, parfois de manière humiliante,».

Mme BRASSEUR (Luxembourg), rapporteure pour avis –Tout ce que nous avons pu lire sur la façon dont sont traitées les femmes en République Tchétchène justifie cet ajout.

LE PRÉSIDENT* – Quel est l’avis de la commission ?

M. MARTY (Suisse), rapporteur*– Avis favorable.

LE PRÉSIDENT* – Je mets aux voix l’amendement.

L’amendement n° 4 est adopté.

LE PRÉSIDENT* – L’amendement n° 5 n’est pas défendu.

L’amendement n° 6, présenté par Mmes Lydie Err, Anna Čurdová, Virág Kaufer, Andreja Rihter, Ingrida Circene, M. Håkon Haugli, Mmes Carmen Quintanilla Barba, Elvira Kovács, Nursuna Memecan, Ana Guţu, Carina Hägg, Mailis Reps, tend, dans le projet de résolution, après le paragraphe 13.1.2, à insérer l’alinéa suivant: «à mettre en œuvre toutes les conditions nécessaires pour que les victimes de droits de l’homme aient accès à la justice et exercent librement leur droit à un recours effectif devant les autorités judiciaires et bénéficient d’une protection adéquate;».

En l’absence de Mme Err, la parole est à Mme Circene.

Mme CIRCENE (Lettonie) *–L’amendement se justifie par son texte même.

LE PRÉSIDENT* – Quel est l’avis de la commission ?

M. MARTY (Suisse), rapporteur*– Avis favorable.

LE PRÉSIDENT* – Je mets aux voix l’amendement.

L’amendement n° 6 est adopté.

LE PRÉSIDENT* – L’amendement n° 8, présenté par MM. Tiny Kox, Holger Haibach, Andres Herkel, Mme Tineke Strik, M. Christos Pourgourides, tend, dans le projet de résolution, paragraphe 14, après les mots «L’Assemblée», à insérer les mots suivants:»décide de poursuivre son processus de suivi ciblé et de rapports publics sur la situation des droits de l’homme dans le Caucase du Nord. Elle».

Je suis saisi par la commission d’un sous-amendement oral à l’amendement n° 8 tendant à préférer la rédaction suivante: «L’Assemblée demande à sa commission de suivi de porter une attention particulière à l’évolution de la situation des droits de l’homme. Elle»

Ce sous-amendement me paraît conforme au Règlement. Nous allons donc l’examiner, à moins que dix membres de l’Assemblée ne s’y opposent. Ce n’est pas le cas. La parole est à M. Pourgourides, pour le soutenir.

M. POURGOURIDES (Chypre), président de la commission* – Il est évident que la commission de suivi est plus à même que la commission des questions juridiques de suivre l’évolution de la situation dans le Caucase du Nord. C’est pourquoi nous avons adopté ce sous-amendement oral à l’unanimité.

LE PRÉSIDENT* – L’avis de la commission étant favorable, je mets aux vois le sous-amendement oral.

Le sous-amendement oral est adopté.

LE PRÉSIDENT* – Quel est l’avis de la commission sur l’amendement ainsi modifié ?

M. POURGOURIDES (Chypre), président de la commission* – Favorable.

LE PRÉSIDENT* – Je le mets aux voix.

L’amendement n° 8 ainsi modifié est adopté.

LE PRÉSIDENT* – Nous allons procéder au vote sur le projet de résolution contenu dans le document 12276 (amendé), tel qu’il a été modifié.

Le projet de résolution, modifié, est adopté (132 voix pour, 6 abstentions).

LE PRÉSIDENT* – Nous allons maintenant procéder au vote sur le projet de recommandation contenu dans le document 12276 (amendé). Je vous rappelle que la majorité requise est celle des deux tiers des suffrages exprimés.

Le projet de recommandation est adopté (127 voix pour, 4 abstentions).

LE PRÉSIDENT* – Mes chers collègues, je vous rappelle, avant que nous passions au point suivant de notre ordre du jour, que le scrutin pour l’élection de deux juges à la Cour européenne des droits de l’homme, pour Malte et l’Allemagne, est en cours. Il sera suspendu à 13 heures et reprendra à 15 heures. J’invite ceux d’entre vous qui n’ont pas encore voté à le faire.

M. Çavuşoğlu, Président de l’Assemblée, reprend place au fauteuil présidentiel

4. Discours de M. Milo Đukanović, Premier ministre du Monténégro

LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle maintenant le discours de M. Milo Đukanović, Premier ministre du Monténégro, qui a de plus accepté de répondre à nos questions.

Cher Monsieur le Premier ministre, c’est un honneur de vous accueillir ici, un mois après notre rencontre à Podgorica où je m’étais rendu en visite officielle. Votre carrière politique est longue et prestigieuse. Peu de responsables politiques de votre génération peuvent se targuer de posséder une telle expérience. Vous êtes devenu chef du gouvernement de votre pays à 29 ans et c’est sous votre houlette que le Monténégro est devenu en tant qu’Etat indépendant le dernier membre du Conseil de l’Europe. Quand les négociations en vue de son adhésion à l’Union européenne commenceront l’année prochaine, vous accompagnerez le rapprochement de votre pays avec l’Union.

Vous avez toujours réitéré votre engagement en faveur des principes du Conseil de l’Europe et votre pays a ratifié rapidement toute une série de conventions de cette institution. Vous avez adopté un nouveau mode de scrutin pour l’élection des députés dans votre pays, ce qui constitue un excellent exemple de votre coopération avec le Conseil de l’Europe et la Commission de Venise. Certes, vous avez encore beaucoup à faire, car il ne suffit pas de ratifier les conventions: il faut aussi les mettre en œuvre de façon efficace. Votre présence ici prouve votre attachement au Conseil de l’Europe et à ses valeurs et je souligne que votre pays bénéficie du plein appui de l’Assemblée parlementaire.

Monsieur le Premier ministre, vous avez la parole.

M. Milo ĐUKANOVIĆ, Premier ministre du Monténégro*. Monsieur le Président de l’Assemblée parlementaire, monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée, c’est un grand honneur de m’exprimer devant vous en ma qualité de Premier ministre du Monténégro, le plus jeune des Etats membres du Conseil de l’Europe, qui possède pourtant une longue histoire et une grande tradition de souveraineté.

Je remercie le Président de m’avoir invité à m’exprimer aujourd’hui devant l’Assemblée et je le félicite pour son action en cette période difficile pour l’Europe. Nous vivons un ère de réforme pour le Conseil de l’Europe, la plus ancienne des institutions politiques paneuropéennes, qui doit se transformer pour poursuivre son rôle en matière de droits de l’homme et de prééminence du droit. Je tiens également à remercier M. Çavuşoğlu pour sa visite au Monténégro. Mon pays fera tout pour rester une démocratie réelle dans la région.

Je voudrais également rendre hommage au Secrétaire Général, M. Jagland, pour toutes les actions qu’il mène avec beaucoup de dynamisme afin de faire du Conseil de l’Europe une institution moderne, sans oublier le renforcement de son partenariat avec l’Union européenne et les Nations Unies, ce qui est très important pour garantir la sécurité sur l’ensemble du continent en renforçant la prééminence du droit. Ainsi, notre région pourra elle aussi intégrer dans de meilleures conditions l’Union européenne.

Je suis aussi particulièrement heureux d’être à Strasbourg en cette année qui marque le 60e anniversaire de la Convention européenne des droits de l’homme. Ma présence ici est enfin une manière de reconnaître tous les pays de la région qui souhaitent s’intégrer pleinement à l’Europe.

Le Monténégro a rétabli sa souveraineté il y a quatre ans. Nous avons tout fait pour affermir l’ordre démocratique dans notre région. Nous avons noué un partenariat avec le Conseil de l’Europe et avec la Commission de Venise, qui se renforcera au fil du temps. Le Monténégro est aujourd’hui reconnu par les plus hauts responsables politiques de l’Europe comme l’un des bastions de la démocratie dans la région.

Nous avons œuvré à renforcer dans notre pays l’harmonie entre les divers groupes religieux et culturels. Nous avons assuré une stricte séparation entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Nous avons œuvré pour renforcer nos institutions et l’Etat de droit, ce qui est fondamental pour combattre la criminalité et la corruption.

Nous nous efforçons également d’appliquer toutes les lois qui ont été adoptées. Nous avons préservé notre stabilité macroéconomique, y compris dans le contexte de la crise. Ainsi, nous avons connu l’année dernière une excellente saison touristique. Nous sommes l’un des pays d’Europe qui attirent le plus d’investissements étrangers directs, plus de 80 % d’entre eux venant des pays de l’Union européenne. Cette tendance positive s’est poursuivie au cours de la première partie de cette année. Nous avons lancé par ailleurs de grands projets dans le domaine des infrastructures de l’énergie et du tourisme, qui relanceront encore le développement économique du pays. Je tiens d’ailleurs à saisir l’occasion pour remercier la Banque de développement du Conseil de l'Europe, qui a soutenu de nombreux projets dans mon pays.

Le Monténégro fait partie de la coalition internationale qui s’efforce de résoudre les problèmes et de réduire les tensions entre pays. Il souhaite participer aux activités de l’Alliance atlantique et a bénéficié de la libéralisation des régimes de visa. En outre, il a noué des liens privilégiés avec l’Union européenne et rejoindra prochainement les pays candidats à l’adhésion. Le 1er mai dernier, l’accord de stabilisation et d’association est entré en vigueur. Il y a quelques jours, la première assemblée constituante prévue dans le cadre de cet accord s’est tenue à Luxembourg.

Lors d’une réunion au sommet entre l’Union européenne et les pays de l’Ouest des Balkans, à Sarajevo, nous avons réaffirmé notre engagement réciproque à favoriser la pleine intégration de la région au sein de l’Union. Les encouragements de Bruxelles nous incitent à faire encore mieux. Nous ne devons pas relâcher nos efforts, car l’Union européenne va évaluer la situation dans chacun de nos pays. L’intégration au sein de l’Otan constitue, pour le gouvernement du Monténégro, une garantie de stabilité.

En peu de temps, notre pays a fait beaucoup pour assurer son intégration au sein de l’Union européenne et de l’Otan. Il a adhéré en décembre 2009 au plan d’action en vue de l’adhésion à l’Otan. La semaine dernière, nous avons finalisé le plan d’action individuel en vue de cette adhésion et le premier contingent monténégrin a rejoint la force internationale d’assistance et de sécurité en Afghanistan.

Nous avons également renforcé notre partenariat avec le Conseil de l'Europe. Nous sommes devenus membre à part entière de l’Organisation le 11 mai 2007. L’importance de cette adhésion a été reconnue dans tous les secteurs de la vie politique et sociale du pays. Elle est essentielle pour nous permettre d’atteindre nos objectifs stratégiques. Nous fondons notre politique sur les principes et les valeurs du Conseil de l'Europe et nous souhaitons encourager le dialogue afin de garantir la démocratie, la stabilité, la prééminence du droit et le développement économique. Notre gouvernement souhaite mettre en œuvre de la manière la plus efficace possible tous les engagements que nous avons pris en adhérant au Conseil de l’Europe. Nous avons donc renforcé nos institutions et ratifié 73 conventions. Une seule convention obligatoire reste encore à signer, et trois conventions à ratifier.

Le Conseil de l'Europe considère que nous avons obtenu d’excellents résultats s’agissant du respect de nos engagements, ce dont nous nous félicitons. Notre gouvernement estime que le plus important n’est pas tant de ratifier les textes que de respecter toutes les normes requises pour l’Europe du XXIe siècle. L’appui du Conseil de l'Europe est très important pour nous dans le cadre du processus de réforme en matière de droit électoral, de système judiciaire, de système éducatif et de système pénitentiaire. Nous souhaitons améliorer la lutte contre la corruption et la criminalité organisée, œuvrer pour la tolérance, assurer une égalité de traitement à tous nos citoyens et améliorer les conditions de vie des Roms.

La collaboration avec la Commission de Venise est particulièrement importante pour l’amélioration des normes démocratiques au Monténégro. En 2008 et en 2009, huit lois ont été examinées par la Commission de Venise. Le code électoral va également être réexaminé, ainsi que la loi relative aux minorités. Le respect de la prééminence du droit est l’un de nos engagements fondamentaux. Le Commissaire aux droits de l’homme continue à suivre la situation dans notre pays.

La coopération avec la Cour européenne des droits de l’homme est également très importante. Elle représente un instrument essentiel pour la protection des droits humains. Nous sommes résolument favorables au processus de réforme engagé au sein de la Cour et nous nous félicitons des méthodes introduites pour filtrer les requêtes sur la base de la Déclaration d’Interlaken. Il convient, à nos yeux, pour favoriser ce processus, de renforcer les instances judiciaires au niveau national. L’indépendance du pouvoir judiciaire doit également être améliorée, ainsi que les capacités des juges. Les résultats obtenus à ce jour sont excellents. Nous avons rattrapé le retard des affaires en instance dans notre pays. Nous devons également œuvrer à la mise en œuvre du support du réseau des procureurs dans l'Europe du sud-est (Proseco) et améliorer la formation des juges et des procureurs.

Nous avons fait beaucoup pour la prévention du blanchiment d’argent et la lutte contre la criminalité organisée.

Nous avons mis en œuvre 16 des 24 recommandations du groupe d’Etats contre la corruption; les 8 autres l’ont été partiellement.

Nous avons adopté les recommandations et le rapport des experts du Conseil de l’Europe sur l’évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Nous avons adopté 41 des 49 recommandations formulées dans ce rapport.

Le Monténégro soutient par principe toutes les activités visant à renforcer le système des traités, des conventions, du renforcement des droits et des libertés de l’homme. Depuis notre adhésion au Conseil de l’Europe, nous avons voté un grand nombre de lois nouvelles, harmonisé notre législation avec les conventions internationales sur les droits de l’homme. Nous avons renforcé la capacité de nos institutions pour mieux mettre en œuvre les conventions du Conseil de l’Europe. Nous avons aussi renforcé notre participation au travail des instances du Conseil.

En avril, votre Assemblée a adopté le premier rapport sur le respect par le Monténégro de ses engagements et obligations à l’égard du Conseil de l’Europe. Il a constaté l’amélioration de la situation dans le pays. Nous avons aussi mis à profit les recommandations contenues dans ce rapport pour poursuivre le processus de réforme.

Nous sommes déterminés à tout faire pour continuer à améliorer la législation et la sécurité au Monténégro. Nous souhaitons nous aligner pleinement sur les normes européennes. Nous avons accepté les principes et les meilleures pratiques. Nous souhaitons être à l’avant-garde des Etats et des peuples européens dans ce domaine. Nous demeurons résolument engagés en faveur des valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe. Nous souhaitons réaffirmer notre appartenance aux traditions européennes.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, parmi les diverses priorités de mon gouvernement, on trouve les relations de bon voisinage. Nous n’avons pas de différend avec nos voisins.

Nous avons pris trois initiatives régionales importantes: une initiative Adriatique-Mer ionienne, une initiative de l’Europe centrale, un processus de coopération du sud-est de l’Europe. Nous sommes donc un acteur clef pour la stabilité dans notre région. Nous nous félicitons des progrès réalisés par nos voisins. Nous sommes toujours favorables au dialogue car profondément convaincus que d’éventuels problèmes régionaux peuvent être réglés uniquement par des moyens diplomatiques et politiques.

Nous souhaitons continuer à assurer le respect de la prééminence du droit et mettre en place un système juridique efficace. C’est la clef pour l’amélioration et le progrès de tout Etat. Le Monténégro est déterminé à contribuer à la paix, la stabilité et la prospérité de l’Europe. Je suis persuadé que le Conseil de l’Europe continuera d’apporter son soutien au Monténégro.

Mesdames et messieurs, je ne doute pas que votre attitude responsable à l’égard de tous les engagements que nous avons assumés nous aidera à mieux nous intégrer dans l’Europe. Je sais que sur cette voie, nous pourrons compter sur votre Organisation.

LE PRÉSIDENT* – Je vous remercie M. Đukanović pour votre discours très intéressant.

Un nombre important de collègues souhaitent vous poser une question. Je rappelle qu’elles ne doivent pas dépasser trente secondes et être vraiment interrogatives. Il ne doit pas s’agir de discours.

La parole est à M. Gardetto, au nom du Groupe du Parti populaire européen.

M. GARDETTO (Monaco) – Monsieur le Premier ministre, il reste aujourd’hui au Monténégro des réfugiés ou des personnes déplacées. Dans sa recommandation 1802 de 2007, l’Assemblée a insisté sur le fait que la recherche de solutions adéquates aux besoins des réfugiés et des personnes rapatriées et déplacées à l’intérieur de leur pays ainsi que la mise en œuvre d’une stratégie nationale en faveur de solutions durables pour leur retour, volontaire et permanent, doit occuper une place importante dans l’agenda politique de tous les pays de la région.

Nous savons que votre gouvernement travaille sur ce problème. Dans ce contexte, pouvez-vous nous faire part de vos idées quant aux actions concrètes de coopération régionale que les pays d’Europe du sud-est pourraient entreprendre pour améliorer la situation des personnes concernées et promouvoir la recherche de solutions durables pour leur retour ou leur intégration locale?

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Premier ministre du Monténégro.

M. ĐUKANOVIĆ, Premier ministre du Monténégro* – Je vous remercie monsieur Gardetto pour cette question fort intéressante ainsi que pour votre contribution comme rapporteur du Conseil de l’Europe pour le Monténégro.

Dans les années 90 et au début de ce siècle, le Monténégro a connu de graves problèmes à cause du flux de réfugiés. En 1990, 20 % de notre population étaient composées de réfugiés. La situation était d’autant plus compliquée, qu’à l’époque nous avions une guerre dans les Balkans avec des tensions interethniques. Les réfugiés affluaient. Cela n’a pas remis en cause pour autant dans mon pays le multiculturalisme. Nous avons pu faire face et accueillir de nombreux réfugiés qui vivent encore chez nous, venant du Kosovo et de Bosnie. Nous avons considéré que c’était notre devoir.

L’Union européenne nous avait demandé des efforts. Nous avons rempli un certain nombre de nos obligations. Certaines doivent encore l’être. Nous le ferons. Nous sommes en contact étroit avec les autorités de l’Union pour progresser.

Vous me demandez ce que nous pourrions faire de plus. Comment régler ce problème de façon définitive? Il faut solutionner les conflits de notre région, renforcer la stabilité de la Bosnie, améliorer les relations entre la Serbie et le Kosovo pour que les réfugiés puissent rentrer chez eux.

La communauté internationale peut jouer un rôle important, actif. Jusqu’à présent il n’y a pas eu d’action structurée. Souvent la communauté internationale s’est demandée ce qu’elle pourrait faire mais il n’y a pas eu des mesures concrètes jusqu’à présent.

Nous pouvons envisager toute une série de mesures: retour des réfugiés, création des conditions leur permettant de s’intégrer dans leur pays d’accueil… Le Monténégro a consacré des sommes importantes pour l’éducation et la santé de ces réfugiés. Cela dit, si nous voulons que ces personnes s’intègrent durablement dans notre société, d’autres efforts doivent être réalisés. Mais alors notre pays aura besoin d’aide.

Nous avons beaucoup fait dans les années 90. Tout n’est pas résolu, et nous avons besoin désormais de l’assistance de la Communauté internationale.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Fassino, au nom du Groupe socialiste.

M. FASSINO (Italie)* – Monsieur le Premier ministre, vous avez évoqué à plusieurs reprises l’intégration, dans l’Union européenne et dans les institutions euro-atlantiques, comme un objectif que poursuit le Monténégro ainsi que les autres pays de la région des Balkans, pour apporter définitivement la stabilité à cette région. Cet objectif, il nous appartient de le soutenir et de l’encourager.

Les accords de Dayton ont été signés il y a 15 ans, et les efforts de la communauté internationale ont visé pendant toute cette période à apporter la stabilité à cette région. L’intégration euro-atlantique représente le parachèvement de ce processus. Nous souhaitons également tous que le Monténégro, comme les autres pays concernés, puisse rapidement devenir membre de l’Union européenne.

Ma question porte sur la sécurité dans cette région, qui est parcourue par des flux d’émigrations clandestines importants, qu’elle est affligée par l’existence de trafics illicites et par des formes graves de criminalité organisée. Tout cela suscite l’inquiétude des populations ainsi que de l’opinion publique des pays européens.

Comment le Premier ministre du Monténégro aborde-t-il cette question, et quelles sont les mesures qu’il compte prendre afin d’instaurer la sécurité et la stabilité ?

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Premier ministre du Monténégro.

M. ĐUKANOVIĆ, Premier ministre du Monténégro*– Je vous remercie pour cette question très pertinente. Vous soulevez un point qui constitue une priorité lors des discussions entre les dirigeants de notre région et les autorités européennes. L’Europe est de plus en plus sensible à ce sujet, dans le cadre des élargissements successifs.

Si nous tenons compte de l’histoire de notre région, nous pouvons constater qu’il subsiste un climat de violence; un certain nombre de comportements psychologiques n’ont pas évolué.

Notre région a connu, dans les années 90, des conflits violents, nous avons fait l’objet de sanctions, notamment d’un embargo, qui ont marqué les esprits et encouragé le développement d’une économie parallèle.

Il convient donc de s’attaquer sérieusement à la criminalité organisée. Mais sachez que nous avons commencé à régler ce problème. Un grand nombre de délinquants ont déjà pu être réintégrés dans notre société, et nos résultats sont parfois meilleurs que dans d’autres pays.

Le Monténégro accorde la plus grande importance à cette question. J’en veux pour preuve les négociations menées à Bruxelles sur ce sujet et notre coopération étroite avec Europol et Interpol. D’ailleurs, l’Union européenne s’accorde pour constater que des progrès réels ont été réalisés au Monténégro.

Je suis intimement convaincu que c’est en luttant contre la criminalité organisée que nous pourrons rendre notre pays plus stable. L’histoire nous enseigne que notre région a tendance, à intervalles réguliers, à sombrer dans l’instabilité; il convient donc d’en tirer les enseignements et d’y mettre un terme. Je suis convaincu que l’intégration des Balkans occidentaux à l’Union européenne aura pour conséquence une plus grande stabilité de la région et rendra l’Europe plus compétitive. Chacun doit progresser à son rythme et je suis persuadé que le Monténégro sera le prochain pays à intégrer à la fois l’Otan et l’Union européenne.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Keaveney, au nom de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe.

Mme KEAVENEY (Irlande)*– Monsieur le Premier ministre, vous avez à plusieurs reprises évoqué les mots «instabilité» et «histoire». Dans ce contexte, j’aimerais savoir quelle priorité l’histoire nous enseigne pour nous permettre de minimiser les possibilités de conflits, en se concentrant, non pas sur les différences, mais sur les similarités ?

Enfin, quel est le rôle que peut jouer l’Europe pour atténuer ces crises ?

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Premier ministre du Monténégro.

M. ĐUKANOVIĆ, Premier ministre du Monténégro*– J’ai déjà rappelé l’expérience que nous tirons de notre histoire récente, une expérience de conflits récurrents.

Quelle que soit l’origine de ces conflits, ils ont toujours pour fondement un manque de tolérance et de respect s’agissant de diversité ethnique ou religieuse. C’est pourquoi le rôle de l’éducation est si important.

Il convient de résoudre les questions politiques qui sont encore en suspens dans la région. Il y a peu, je me suis entretenu avec le Secrétaire Général, M. Jagland, à propos des relations entre la Serbie et le Kosovo, la Macédoine et la Grèce. Toutes les situations n’ont pas le même degré d’intensité, mais il est crucial de les résoudre pour consolider la stabilité dans notre région. L’essentiel consiste à concentrer les efforts sur la solution à apporter à ces problèmes avec l’aide des institutions du Conseil de l’Europe.

S’agissant de la réforme du système de l’éducation, il faut améliorer la tolérance vis-à-vis de la diversité. Au fil du temps, nous établirons les fondements nécessaires à une bonne intégration de notre société dans la société européenne.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Kumcuoğlu, au nom du Groupe démocrate européen.

M. KUMCUOĞLU (Turquie)* – La question que je désirais poser a été abordée par M. Fassino et a donc reçu une réponse. Toutefois, à titre personnel et en tant que membre de la fondation qui s’occupe de ces questions à Istambul, je veux vous souhaiter le plus grand succès dans votre entreprise, Monsieur le Premier ministre.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Premier ministre du Monténégro.

M. ĐUKANOVIĆ, Premier ministre du Monténégro* – Je vous remercie.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Kox, au nom du Groupe pour la Gauche unitaire européenne.

M. KOX (Pays-Bas)* – Le processus de l’intégration européenne prévoit également l’accession de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme. Le processus est en cours, mais il devra être ratifié par les 47 Etats membres. Pouvons-nous prévoir que le Monténégro en tant que membre du Conseil de l’Europe soutiendra un processus de ratification sans heurts et sans accrocs comme l’a proposé notre Secrétaire Général, M. Jagland ?

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Premier ministre du Monténégro.

M. ĐUKANOVIĆ, Premier ministre du Monténégro* – Oui, absolument.

LE PRÉSIDENT* – Voilà qui est précis et concis !

M. Ivanovski étant absent, la parole est à M. Petreski.

M. PETRESKI («L’ex-République yougoslave de Macédoine»)* – Des opportunités s’offrent en ce moment au Monténégro. Quelle est l’importance de la coopération régionale dans le cadre des perspectives européennes et euro-atlantiques et que peut faire votre pays dans la région pour réussir à atteindre ses aspirations ?

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Premier ministre du Monténégro.

M. ĐUKANOVIĆ, Premier ministre du Monténégro* – La coopération régionale est d’une importance extrême. Elle revêt quatre dimensions. Premièrement, c’est par la coopération régionale que nous réussirons à surmonter plus rapidement les obstacles que nous rencontrons et qui remontent aux années 90 et à la crise qui est intervenue alors. Deuxièmement, les initiatives et la coopération régionale constituent un pont approprié pour faciliter le processus de réconciliation. S’ajoute une autre dimension: la coopération régionale permet de préparer efficacement le terrain pour asseoir nos efforts dans le sens de l’intégration européenne. C’est pourquoi le Monténégro est très attaché à cette coopération.

Il bénéficie en outre de la confiance de la région. Cette année, nous présidons trois initiatives importantes: l’initiative d’Europe centrale, l’initiative euroadriatique et le processus de coopération en Europe du sud. C’est bien là une manifestation de la confiance dans le Monténégro qui a recouvré sa souveraineté il y a seulement quatre ans.

Nous devons le plus rapidement possible trouver la formule qui nous permettra de surmonter les problèmes récents, notamment en assurant la présence de représentants de la Serbie et du Kosovo. Si nous réussissons à travailler au sein d’enceintes régionales à part entière, nous parviendrons alors à nous acquitter des obligations qui seront les nôtres demain.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Galati.

M. GALATI (Italie)* – Les rapports d’Amnesty International font apparaître que le Monténégro a réalisé des progrès importants s’agissant de la poursuite des crimes de guerre et surtout du respect des droits de l’homme.

Le Monténégro pourrait en 2011 obtenir le statut de pays candidat à l’Union européenne, puisque l’accord de stabilisation et d’association ratifié par les 27 Etats membres de l’Union européenne est d’ores et déjà entré en vigueur. Cela dit, cette adhésion restera conditionnée à l’engagement des négociations sur la base de progrès ultérieurs.

Quelles sont les politiques de rapprochement que votre gouvernement adoptera pour faciliter l’adhésion vers l’Union européenne et pour s’aligner sur la politique des droits de l’homme en vigueur au sein des institutions européennes ?

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Premier ministre du Monténégro.

M. ĐUKANOVIĆ, Premier ministre du Monténégro* – Il est important que l’on reconnaisse que le Monténégro a fait preuve de responsabilité pour assumer les obligations qui sont les siennes et respecter les normes requises pour accéder à une intégration. C’est ainsi que nous avons pu mettre un terme aux bruits qui circulaient et faire taire les doutes qui pesaient sur la possibilité du Monténégro d’être un Etat viable. Nous avons, en effet, scrupuleusement respecté toutes nos obligations aux termes de l’accord intérimaire et nous avons répondu de façon efficace aux questions qui nous étaient adressées par la Commission européenne. Cela dit, ce n’est qu’une toute petite partie du travail, car il reste encore bien à faire !

Pour les pays de la région comme pour le Monténégro, l’essentiel consistera à assurer la prééminence du droit pour faire valoir les droits des minorités et pour lutter de façon efficace contre la corruption et la criminalité organisée. Ce sont là les questions placées au cœur du développement de la démocratie tout autant que du développement économique de notre région.

Au cours des trois années qui ont suivi le référendum, le Monténégro a connu une progression économique extrêmement dynamique et une croissance annuelle du PIB de l’ordre de 9 %. Nous avons reçu des flux importants d’investissements étrangers. Notre système économique, semble-t-il, attire les investisseurs étrangers. Il n’en reste pas moins que la question essentielle reste la prééminence du droit. C’est pourquoi nous avons mis en place de nouvelles dispositions qui ont pour objet d’harmoniser le système juridique du Monténégro sur celui de l’Union européenne, afin de renforcer la confiance de nos partenaires étrangers, ce qui formera l’impulsion nécessaire pour rétablir une véritable croissance économique.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Vareikis.

M. VAREIKIS (Lituanie)* – S’agissant de la monnaie, quelles sont vos intentions? Etes-vous indirectement lié à l’eurozone? Avez-vous d’autres projets ?

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Premier ministre du Monténégro.

M. ĐUKANOVIĆ, Premier ministre du Monténégro* – Vous avez raison de dire que le Monténégro utilise l’euro. Je vais vous en expliquer les raisons.

Pendant un temps, le Monténégro formait une fédération avec la Serbie. A l’époque, une énorme inflation sévissait.

C’est pourquoi nous avons alors demandé à utiliser une monnaie étrangère – le deutschmark – avant de passer à l’euro. Nous avons par ailleurs essayé de mener une politique responsable en nous conformant aux règles de la Banque centrale européenne. Certains prétendent que nous avons eu de la chance mais, outre que cela n’a pas été de soi, nous avons été contraints de mettre en oeuvre des réformes considérables et d’en payer le prix fort. Même si nous ne sommes pas obligés de respecter strico sensu les critères de Maastricht, je note que notre dette ne représente que 36 % de notre PIB et qu’elle est comme telle largement inférieure à celle de nombreux pays de l’Union européenne. De surcroît, même si nous sommes conscients de nos faiblesses dans le contexte économique actuel de la zone euro, nous considérons que nous avons fait le bon choix et que nous devons persévérer: non seulement nous n’avons pas l’intention de créer une monnaie nationale mais nous entendons nous conformer bientôt aux critères de Maastricht.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Lavtižar-Bebler.

Mme LAVTIŽAR-BEBLER (Slovénie)* – Je félicite le Monténégro pour les progrès accomplis sur le chemin de l’intégration européenne. Outre que ce pays constitue l’une des priorités du programme slovène de développement, nous espérons que ses responsables parviendront non seulement à intensifier la lutte contre la criminalité organisée et en faveur de l’indépendance des médias mais, également, à obtenir le statut de candidat à l’Union européenne avant la fin de l’année.

Qu’attendez-vous donc en priorité, Monsieur le Premier ministre, de l’adhésion à l’Union européenne ?

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Premier ministre du Monténégro.

M. ÐUKANOVIĆ, Premier ministre du Monténégro* – Comme j’ai eu l’occasion de le dire, nous avons réalisé de grandes réformes institutionnelles et politiques afin d’améliorer les conditions de vie de nos concitoyens. Toutefois, si nous souhaitons faire partie de l’Union européenne le plus rapidement possible, il ne s’agit pas pour autant d’une finalité en soi, même si nous sommes en l’occurrence confiants. Nous sommes également persuadés que nous manquerons très rapidement de main-d’œuvre, la crise économique n’ayant guère eu de conséquences sur le taux de chômage dans notre pays. Outre que notre industrie est solide, chacun pourra vivre chez nous de son travail et donner libre cours à son esprit d’entreprise. Le Monténégro a en effet tous les atouts pour être l’une des républiques de l’ex-Yougoslavie les plus prospères et développées – le revenu par tête d’habitant se situe autour de 5 000 euros, ce qui est très en-deçà de notre potentiel; parce que nous pouvons encore progresser, nous entendons donc promouvoir nombre de projets – notamment en matière d’infrastructures routières et ferroviaires. La relance de notre économie est en bonne voie, étant entendu que la priorité des priorités demeure, je le répète, l’amélioration des conditions de vie de nos concitoyens. Je gage donc que les conditions sont remplies pour que nous obtenions cette année le statut de candidat et que commencent les négociations d’adhésion. Il existe, certes, un contre-exemple – l’ex-République yougoslave de Macédoine ayant obtenu un statut de candidat sans que les négociations, pour autant, ne commencent – mais j’espère que nous ne connaîtrons pas le même sort.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Iwiński.

M. IWIŃSKI (Pologne)* – Monsieur le Premier ministre, votre pays étant une oasis de stabilité dans la région, il n’est pas étonnant que les investissements y soient nombreux. L’instabilité de certains de vos voisins étant quant à elle le plus souvent due à une mauvaise approche du problème des minorités, où en êtes-vous de votre projet – d’ailleurs pierre d’achoppement parmi vos propres concitoyens – visant à garantir trois postes aux minorités qui dépassent 5 % de la population et un siège à celles qui en représentent moins de 1 % ?

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Premier ministre du Monténégro.

M. ÐUKANOVIĆ, Premier ministre du Monténégro* – Je le répète: nous sommes fiers, non sans raison, de la façon dont nous abordons la question des minorités.

Nous avons été le seul Etat de Yougoslavie à n’avoir pas connu de guerre sur son territoire durant les années 90. Nous étions un petit territoire sous développé et multiethnique – nous comptons un grand nombre d’ethnies différentes. Nous avons toutefois réussi à éviter ces problèmes, malgré, difficulté supplémentaire, le très grand nombre de réfugiés qui ont afflué sur notre territoire. Le fait que le Monténégro n’ait pas de litige en cours avec ses voisins est un signe de la réussite de sa politique de protection des droits des minorités. Je pourrais m’exprimer très longuement sur cette question.

Nous ne sommes pas les seuls à avoir des mérites, car, par le passé également, nous avons connu une politique positive à l’égard des minorités. Il est arrivé que des tensions surgissent et que des problèmes se posent entre communautés, mais cela n’a jamais pris une très grande ampleur. Depuis des années, la coalition au pouvoir réunit le parti social-démocrate et le parti d’inspiration socialiste. Mais nous avons aussi dans le pays des partis qui regroupent les personnes d’origine albanaise ou encore d’origine bosniaque. Nous avons toujours pu coopérer avec l’ensemble d’entre eux: ils considèrent que le Monténégro est l’Etat dans lequel ils souhaitent vivre et qu’ils veulent construire un Etat respectueux de chacun.

Notre code électoral comportait effectivement les dispositions auxquelles vous avez fait allusion. Cette solution était liée au droit d’une minorité spécifique: celle des Albanais, qui du fait de leur langue différente, avaient un statut particulier. Le code électoral leur garantissait un certain nombre de sièges au parlement – cinq, puis quatre. Aujourd’hui, nous pensons que le moment est venu de mettre en place de nouvelles dispositions plus intégrées traitant des droits de toutes les minorités au Monténégro. Nous avons donc élaboré un projet de loi, qui a été soumis à la Commission de Venise pour avis. Cette dernière s’est exprimée favorablement et ce texte sera prochainement adopté par le parlement monténégrin.

Je suis persuadé que l’on renforcera ainsi la stabilité politique du pays en réglant ces questions de manière optimale.

LE PRÉSIDENT* – Mes chers collègues, il nous faut maintenant conclure les questions à M. Đukanović que je remercie vivement au nom de l’Assemblée de sa présence ainsi que pour son discours et ses réponses aux questions des membres de l’Assemblée.

Il est maintenant 13 heures, le scrutin pour l’élection de juges à la Cour européenne des droits de l'homme au titre de l’Allemagne et de Malte va être suspendu. Il reprendra, cet après-midi, à 15 heures.

Ceux d’entre vous qui n’ont pas encore voté pourront le faire entre 15 heures et 17 heures, cet après-midi.

5. Prochaine séance publique

LE PRÉSIDENT* – La prochaine séance aura lieu cet après-midi, à 15 heures, avec l’ordre du jour adopté précédemment par l’Assemblée.

La séance est levée.

La séance est levée à 13 h 5.

Sommaire

1. Election de juges à la Cour européenne des droits de l’homme au titre de l’Allemange et de Malte

2. Modification de l’ordre du jour

3. Recours juridique en cas de violations des droits de l’homme dans la région du Caucase du Nord

Présentation par M. Dick Marty du rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme

Présentation par Mme Anne Brasseur du rapport de la commission des questions politiques saisie pour avis

Intervention de M. Iounous-Bek Evkourov, Président de l’Ingouchie (Fédération de Russie)

Orateurs : Mme Beck, MM. Lotman, Herkel, Marcenaro, Kandelaki, Badré, Kosachev, Slutsky, Gross, Mmes Gorycheva, Schuster, MM. Fadzaev, Umakhanov, Mme Reps

Réponses de M. Evkourov, M. Pourgourides le rapporteur, M. le président de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme

Votes sur les amendements au projet de résolution

Vote sur le projet de résolution

Vote sur le projet de recommandation

4. Discours de M. Milo Ðukanović, Premier ministre du Monténégro

Questions de MM. Gardetto, Fassino, Keaveney, Kumcuoğlu, Kox, Petreski, Galati, Vareikis, Mme Lavtižar-Bebler, M. Iwiński

5. Prochaine séance publique