FR11CR03

AS (2011) CR 03

 

Edition DVD

SESSION ORDINAIRE DE 2011

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(Première partie)

COMPTE RENDU

de la troisième séance

Mardi 25 janvier 2011 à 10 heures

Dans ce compte rendu :

1.       Les discours prononcés en français sont reproduits in extenso.

2.       Les interventions dans une autre langue sont résumées à partir de l’interprétation et sont précédées d’un astérisque.

3.       Les interventions en allemand et en italien, in extenso dans ces langues, sont distribuées séparément.

Le sommaire de la séance se trouve à la fin du compte rendu.

La séance est ouverte à 10 h 5, sous la présidence de M. Çavuşoğlu, Président de l’Assemblée.

LE PRÉSIDENT* – La séance est ouverte.

1. Election d’un juge à la Cour européenne des droits de l’homme au titre du Portugal

LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle l’élection d’un juge à la Cour européenne des droits de l’homme au titre du Portugal.

La liste des candidats et leurs notices biographiques figurent dans le Doc 12463.

Le vote aura lieu dans la rotonde derrière la Présidence.

À 13 heures, je suspendrai le scrutin. Il reprendra à 15 heures et sera clos à 17 heures.

Le dépouillement aura lieu aussitôt après dans les conditions habituelles, sous le contrôle de deux scrutateurs que nous allons désigner par tirage au sort.

MM. Ivanji et Ivanić sont désignés.

Je leur rappelle qu’ils devront se trouver dans la rotonde derrière la Présidence à 17 heures.

Le scrutin est ouvert.

Nous continuons nos travaux pendant ce temps.

2. Traitement inhumain de personnes et trafic illicite d’organes humains au Kosovo

LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle la présentation et la discussion du rapport de M. Marty, au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, sur le traitement inhumain de personnes et le trafic illicite d’organes humains au Kosovo (Doc. 12462).

La discussion sera interrompue à 12 heures, heure à laquelle nous écouterons l’intervention de M. Abdullah Gül, Président de la Turquie. Elle reprendra à 15 heures pour se terminer vers 16 heures.

Monsieur le rapporteur, vous disposez d’un temps de parole total de 13 minutes, que vous pouvez répartir à votre convenance entre la présentation de votre rapport et la réponse aux orateurs.

Vous avez la parole.

M. MARTY (Suisse), rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme – Mesdames et Messieurs, très chers collègues, membre depuis treize ans de cette Assemblée et de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, j’ai toujours compris et essayé d’interpréter le rôle de parlementaire, en particulier de rapporteur, en m’inspirant de l’exemple d’éminents collègues, dont notre Président, qui au cours de ces années nous ont indiqué la voie qui a fait de cette institution quelque chose de précieux et d’unique.

Nous sommes en quelque sorte, Mesdames et Messieurs, les vigiles des valeurs exprimées dans la Convention européenne des droits de l’homme, sentinelles attentives à ce que ces valeurs ne soient pas seulement déclamées, mais aussi et surtout mises en œuvre. Cela signifie se battre pour la vérité, combattre le double langage qui prêche les valeurs mais privilégie l’opportunisme politique, s’engager pour les faibles contre les abus et l’outrance.

Nous le savons, la recherche de la vérité et la dénonciation de l’injustice font souvent mal, dérangent, exaspèrent les stratèges de la politique politicienne. Nous avons toujours pensé dans cette Assemblée que les droits de l’homme ne pouvaient jamais, jamais être sacrifiés. Ils ne sont pas, ils ne sont jamais négociables. C’est aussi ces principes que nous devons réaffirmer aujourd’hui sans la moindre ambigüité.

L’avenir démocratique de l’Europe serait compromis si nous tolérions des rapports équivoques entre la politique et le crime organisé.

Ce rapport est né des révélations de l’ancienne procureure du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) contenues dans son livre publié en 2008 sur un trafic d’organes mis en œuvre par un groupe faisant partie de l’ALK au cours de l’année 1999/2000. Faute de collaboration et de compétence territoriale et temporelle – le TPIY était compétent seulement pour le territoire de l’ex-Yougoslavie, sauf accord d’un autre pays, et seulement jusqu’à la fin du conflit, c’est-à-dire jusqu’à mi-juin 1999 –, le Bureau du procureur du TPIY n’avait pas pu poursuivre ses recherches qui avaient pourtant déjà mis en évidence des indices très troublants.

L’ex-procureure fait état aussi d’un climat d’intimidation qui a empêché la poursuite des recherches. Il est assez déconcertant que les éléments matériels de preuve recueillis auprès de la fameuse « Maison jaune » aient été détruits peu de temps après, sans que la procureure en soit informée. J’ai longtemps travaillé dans le domaine de l’enquête judiciaire : on ne détruit jamais des éléments matériels recueillis sur une possible scène de crime, sinon après de très longues années, car des éléments nouveaux pourraient donner à ces pièces, apparemment peu signifiantes, une toute nouvelle dimension.

Il n’est pas surprenant que la publication de telles affirmations de la part d’un des plus hauts magistrats de la justice internationale, disposant d’une longue expérience dans la magistrature pénale, ait provoqué une motion demandant que l’Assemblée se penche sur cette affaire.

Il convient de dire tout d’abord ce que ce rapport n’est pas. Il n’est pas un rapport sur le statut politique du Kosovo, il ne concerne pas les relations entre le Kosovo et la Serbie, il ne traite pas, mais surtout ne relativise pas les crimes commis par le régime de Milošević. Ce rapport n’est pas dirigé contre le peuple kosovar ni contre le peuple albanais, et il ne constitue pas un plaidoyer pour la Serbie.

Ce rapport traite de violations des droits de l’homme, droits fondamentaux établis dans notre charte, la CEDH. Dès la publication de ce rapport, j’ai insisté sur le fait qu’il devait être lu avec attention, en donnant aux mots le sens qu’ils ont et non pas celui qu’on voudrait leur donner. En lisant certains articles de presse et les déclarations de quelques leaders politiques, force est de constater que cette recommandation a été ignorée.

Mon rapport aurait pu, il est vrai, citer des noms. L’accusation aurait été alors générique, arbitraire. Alors oui, tout un peuple aurait pu se sentir concerné et offensé. La vérité, l’honnêteté intellectuelle, le respect pour le peuple kosovar, pour les familles des victimes, exigeaient que l’on appelle un chat un chat et que l’on ne se réfugie pas dans la solution facile et hypocrite de l’allusion et du non-dit. Ces noms sont, pour la plupart, cités depuis des années dans des documents de police, de services de renseignements de plusieurs pays, dans des études de criminologie pour ne pas parler des articles de journalistes de recherche connus pour leur sérieux.

Que des centaines et des centaines de personnes, des Kosovars d’origine serbe et albanaise, aient disparu dans la période critique 1999/2000, qu’on ait perdu d’eux toute trace, est désormais un fait notoire et que l’on ne peut sérieusement contester. L’existence de prisons secrètes de l’UCK dans le nord de l’Albanie n’est pas seulement mentionnée dans mon rapport, pas seulement documentée dans une recherche de la BBC, elle est aujourd’hui confirmée par une enquête de l’EULEX. Des personnes sont en prison, un acte d’accusation précis a été adressé au tribunal au sujet de camps de prisonniers de l’UCK dans le nord de l’Albanie. Les victimes étaient des Serbes et des Kosovars albanais, considérés comme des traîtres ou des membres de groupes rivaux, pour nous avant tout et surtout des êtres humains.

Il est rare de trouver, sur une période aussi longue, une telle quantité d’éléments de dénonciation, sans que rien ne se passe. À ceux qui aujourd’hui sautent sur leur chaise comme des cabris en criant « des preuves, des preuves ! », je demanderai pourquoi ils ne l’ont pas fait avant quand tous ces rapports ont été rendus publics.

Et maintenant, si vous le permettez, c’est à moi de poser des questions. Pourquoi le rapport Marty fait-il scandale aujourd’hui alors que l’on a accueilli dans l’indifférence générale l’assassinat de témoins qui avaient osé déposer contre des politiciens accusés de crimes gravissimes ? Pourquoi n’ont-ils pas exigé des explications auprès des autorités nationales qui assumaient d’importantes responsabilités dans la région ? Pourquoi a-t-on préféré le silence ? Pourquoi a-t-on privilégié l’opportunisme politique par rapport au sens élémentaire de la justice et aux valeurs dont on se réclame avec tant de verve ?

Oui, nous avons trouvé des témoins, oui, ils sont crédibles, oui, ils nous ont permis d’être précis. Et c’est justement ce qui fait peur à certains milieux. Non, ils n’ont rien à voir avec les Serbes ni avec les Russes. Oui, ces témoins aiment leur pays, le Kosovo. Oui, ils ont très peur, ils n’ont pas confiance dans une justice nationale et internationale qui n’a pas su et ne sait toujours pas protéger les témoins. Comment leur donner tort ? Ils ont eu toutefois confiance dans le représentant du Conseil de l’Europe.

Lisez le rapport de notre collègue Gardetto sur la protection des témoins dans les Balkans qui viendra en discussion demain matin. Il est terriblement éloquent et ne peut laisser personne indifférent. C’est ce qu’il dénonce qui fait scandale, non le rapport.

Ce rapport et la résolution qui demandent une enquête, une véritable enquête, non un exercice alibi, sont un acte de justice, un acte de respect pour les hommes et les femmes qui vivent dans ce petit pays qui a déjà connu tant de souffrance. Il n’y a pas, il ne peut y avoir de véritable justice sans la vérité. Si ce n’est pas nous qui proclamons haut et fort ce principe aujourd’hui, qui le fera ?

LE PRÉSIDENT* – Monsieur Marty il vous reste un temps de réponse de trois minutes.

Je rappelle aux membres que l’Assemblée a décidé hier que le temps de parole dans les débats d’aujourd’hui serait limité à trois minutes.

La parole est à M. de Vries, au nom du Groupe socialiste.

M. de VRIES (Pays-Bas)* – Le rapport de notre collègue M. Marty nous rappelle l’une des périodes les plus noires récentes de l’Europe : la guerre, toutes les horreurs et souffrances qu’elle génère au Kosovo. Il n’y a jamais de fin aux guerres et aux conflits armés, pas seulement pour ceux qui ont perdu des êtres chers, des amis, des voisins, mais aussi pour les auteurs des crimes.

La guerre au Kosovo, comme l’a rappelé M. Marty, n’est pas différente d’autres guerres, en ce sens qu’elle laisse ceux qui en ont souffert avec trop de questions sans réponses, des questions sur d’innombrables violations des droits de l’homme, sur leurs auteurs et sur ceux qui, comme c’est trop souvent le cas, ont tiré profit de la vulnérabilité et de la souffrance humaines.

Le rapport Marty n’est pas un jugement, et il n’appartient pas à l’Assemblée parlementaire de prononcer un verdict. Ce rapport est un appel urgent, bien documenté, dramatique, adressé au monde civilisé pour lui demander d’enquêter sur les crimes qui ont pu être commis pendant la guerre et après. Voilà comment la plupart des membres de notre groupe lisent et interprètent le message dramatique du rapport Marty : ce n’est pas un verdict mais un rappel incontournable de notre devoir et de notre obligation de rechercher et de trouver la vérité grâce à la justice.

Le rapport Marty ne peut, bien sûr, décrire tous les constats qu’a faits notre rapporteur. La plupart des éléments de preuve apportés par les témoins sont trop sensibles pour être rendus publics puisqu’ils risqueraient de compromettre leur sécurité. Le rapporteur et notre Assemblée, même si nous voulons en savoir plus, ne pourront jamais prendre la responsabilité de mettre en danger autrui. Nous souhaitons que lorsqu’une enquête judiciaire internationale sérieuse aura été lancée, le rapporteur fournisse aux enquêteurs toutes les informations.

Notre groupe souhaite, dans le sillage du rapport Marty, obtenir une enquête judiciaire impartiale et internationale sur tous les faits et les allégations contenue dans ce rapport. Nous voulons que toutes les parties concernées, en particulier les gouvernements, appuient sans réserve une telle enquête et s’engagent à coopérer sans réserve. Nous voulons également que la communauté internationale prenne la responsabilité de l’enquête judiciaire et garantisse la sécurité des témoins. Voilà ce que nous attendons : une enquête judiciaire internationale, protégeant toutes les parties concernées, qui clarifiera les questions les plus graves soulevées dans le rapport Marty. Voilà qui aidera tous ceux qui sont concernés et nous tous, qui croyons aux droits de l’homme et à la justice.

Il n’est pas de fin aux horreurs de la guerre, mais certaines des questions les plus brûlantes doivent trouver une réponse pour que nous puissions espérer en un avenir plus sûr.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Rudd, au nom du Groupe démocrate européen.

Mme RUDD (Royaume-Uni)* – Le groupe démocrate européen trouve ce rapport extraordinaire et extrêmement utile. Il donne une image claire du chaos, de la confusion, de la violence et de la torture qui peuvent caractériser le temps de guerre au cœur de l’Europe, avec des meurtres en masse et un conflit violent.

C’est un rapport grave ; il rappelle combien il est nécessaire d’empêcher l’impunité et qu’il faut retrouver tous les criminels. Comme M. Marty le disait précédemment, c’est un rapport dépolitisé qui met l’accent sur l’être humain, sur les victimes.

Ce rapport nous invite à percer le brouillard de la guerre pour voir les crimes de torture, de traite et de trafic illicite d’organes. Le rapport met notamment en exergue le rôle du crime organisé qui a pu croître et se dissimuler sous ce manteau de la guerre. Les préoccupations qui y sont exprimées sont celles du crime organisé qui prend racine dans le chaos de la guerre et fleurit sur le terreau de la guerre et de la violence. Le Conseil de l’Europe n’a eu de cesse de dénoncer la tragédie des personnes disparues et de la traite des êtres humains, mais, dans ce rapport, c’est la première fois que l’on parle d’une dizaine de prisonniers assassinés aux fins de prélever sur eux des organes. Ce n’est pas le nombre qui compte, mais l’acte. C’est révoltant : il est inimaginable que l’on tue pour dépecer et vendre un être humain.

Nous nous félicitons que les premiers ministres du Kosovo et de l’Albanie aient fait des déclarations depuis l’élaboration du rapport. Ils proposent à présent leur pleine coopération avec un organe d’enquête internationale. Car c’est bien de cela que nous avons besoin et, à cet égard, nous sommes entièrement d’accord avec la déclaration du Groupe socialiste : il nous faut une enquête indépendante pour vérifier ces allégations, horribles dont M. Marty a fait état.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Beck, au nom de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe.

Mme BECK (Allemagne)* – Au nom de mon groupe, je remercie M. Marty pour son travail courageux mais aussi très difficile ; un travail qui a exigé de lui de faire le tri entre invention et vérité sur des faits difficiles, notamment ceux relatifs à l’intervention au Kosovo.

Comme le soulignait M. Marty, ce rapport ne doit pas répondre à la question de la légitimité de l’indépendance du Kosovo. Son objet est, au contraire, de déterminer si, à cette époque-là, dans cette période de chaos et dans cette phase transitoire, sous couvert de la guerre, une structure aurait vu le jour, qui aurait confondu politique et criminalité, situation qui remettrait en cause les fondements mêmes du Kosovo.

Il importe donc d’examiner ces questions avec sérieux, pour différentes raisons. En tant qu’élue, j’étais favorable à l’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1999. J’ai vu la guerre en Bosnie, j’ai été témoin de la tragédie de Srebrenica et je ne voulais pas que l’histoire se répète. Cette intervention au Kosovo a été contestée, notamment en droit international, mais elle se justifiait par le souci de la protection de la vie humaine. En découle aussi la responsabilité de la protection de la vie humaine au lendemain de l’intervention. On ne peut pas esquiver cette responsabilité sous prétexte que certains ont considéré que ce n’était plus opportun.

C’est la raison pour laquelle la réponse à ce premier rapport – ce n’est qu’un début – ne peut naître que de la volonté de rechercher la vérité par une coopération de tous ceux qui sont concernés, afin de rechercher les éléments de preuve. C’est un droit qu’il convient d’accorder aussi bien aux victimes qu’aux coupables, parce que, s’il apparaissait qu’une partie des critiques n’étaient pas justifiées ou fondées, il faudrait pouvoir laver ces personnes des accusations. La seule issue est donc d’œuvrer à la découverte de l’entière vérité afin que justice soit rendue aux victimes et que les accusés aient la possibilité de se laver de ces accusations.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Kox, au nom du Groupe pour la gauche unitaire européenne.

M. KOX (Pays-Bas)* – Nous ne sommes pas ici dans un tribunal, nous ne sommes pas des juges et M. Marty n’est pas notre procureur général. Il est l’un de nos meilleurs rapporteurs et il est à l’avant-poste du travail de l’Assemblée. Il a fait la preuve de ses qualités lorsqu’il a enquêté, entre autres, sur les centres de détention secrets. Une fois de plus, avec ce rapport, il nous montre l’étendue de ses qualités.

Nous ne devons pas oublier que M. Marty a été chargé par l’Assemblée elle-même en 2008 de travailler sur le traitement inhumain de personnes et le trafic illicite d’organes humains au Kosovo. Les allégations de Mme Carla Del Ponte, ex-procureure en chef du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, sur les trafics d’organes de personnes capturées par l’armée de libération du Kosovo à la fin du conflit, nous ont plongés dans la stupeur. De tels faits étaient-ils possibles ? Que devions-nous faire ? M. Marty a été chargé de répondre à cette question et il s’est acquitté de sa mission de manière extrêmement digne, professionnelle et impartiale.

L’une des principales conclusions de son rapport est que bien souvent l’on divise en deux groupes les protagonistes d’un conflit violent : les victimes et les criminels, les gagnants et les perdants. Tel a été le cas au Kosovo, comme en Bosnie et en Géorgie. Le rapporteur souligne à juste titre que la réalité est toujours plus complexe et que ces divisions manichéennes conduisent à l’injustice.

Autre conclusion de ce rapport, en Europe comme aux Etats-Unis, de nombreuses institutions d’Etat, notamment les services de renseignement, savaient ce qui se passait, mais n’ont rien fait. Ces crimes ont eu de nombreux complices. C’est choquant et nous devons tous, en tant que responsables politiques, nous sentir interpellés. Nos gouvernements sont aujourd’hui dans l’obligation de faire face à leurs responsabilités.

La plupart des Etats membres appartiennent à l’OTAN. Le premier ministre actuel du Kosovo est considéré comme l’un des principaux instigateurs de ces faits intolérables. C’est pourquoi mon groupe soutient l’ensemble des propositions du rapport de M. Marty. Nous demandons notamment que des moyens suffisants soient attribués à EULEX, la mission de l’Union européenne au Kosovo, afin que les enquêtes soient menées à terme et que les criminels soient jugés par la justice, pas seulement les simples exécutants mais l’ensemble des responsables politiques concernés. Pour cela, l’appui politique des gouvernements est indispensable, ainsi que la protection des témoins.

Je conclurai en soulignant que M. Berisha doit intervenir prochainement dans cet hémicycle. Il est scandaleux que notre rapporteur ait été qualifié de « raciste anti-albanais ». Nous attendons du Premier ministre de l’Albanie qu’il lui présente officiellement des excuses.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Haibach, au nom du Groupe du Parti populaire européen.

M. HAIBACH (Allemagne)* – Dans une guerre, il est toujours difficile de distinguer les coupables et les victimes. En effet, les rôles peuvent facilement s’intervertir. Le rapport de M. Marty mérite toute notre reconnaissance, car il donne une voix à tous ceux qui n’en ont pas : les blessés, les disparus, les familles qui cherchent un être cher, les amis qui ont perdu ceux qu’ils aimaient. Nous avons le devoir de faire dialoguer ceux qui refusent de se parler. Nous devons aussi montrer à ceux qui n’en sont pas convaincus que toute la lumière n’a pas été faite sur les événements du Kosovo. En un mot, nous devons assumer nos responsabilités.

Mme Beck a d’ailleurs rappelé que certains de nos pays sont intervenus militairement au Kosovo. Nous avons laissé certains actes se produire ; nous n’avons rien fait face à ce qui se tramait sous nos yeux. Notre responsabilité est ancienne et il est juste, aujourd’hui, d’adopter ce rapport. Nous avons le devoir d’être la voix de ceux qui n’en ont pas. Nous nous plaisons à dire que nous sommes la maison de la démocratie et des droits de l’homme en Europe. Soyons en dignes ! La situation dans les Balkans a été très difficile pendant deux décennies et elle le restera encore longtemps. Les tragédies personnelles empêchent la réconciliation. Comme l’a dit le rapporteur, il ne peut y avoir de paix sans justice, ni de réconciliation. Le travail sur le passé doit inclure une enquête judiciaire sur les événements qui se sont déroulés.

Je suis allemand et je sais combien cette tâche est difficile. Dans mon pays, six décennies après les horribles événements de la seconde guerre mondiale, il est encore douloureux de regarder en face nos responsabilités et nos devoirs. J’espère que nous serons ici, à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, dignes de cette exigence.

LE PRÉSIDENT* – Je vous remercie, Monsieur Haibach. Nous en avons terminé avec les porte-parole des groupes politiques. Je donne la parole à M. Mota Amaral pour poursuivre la discussion.

M. Walter, Vice-Président de l'Assemblée, remplace M. Çavuşoğlu au fauteuil présidentiel.

M. MOTA AMARAL (Portugal)* – Le rapport de M. Marty décrit des faits inacceptables et horribles. Le rapporteur a travaillé par le passé sur les centres de détention secrets de la CIA et sur le transfert secret de détenus sur le continent : nombreux étaient les députés à nier la véracité des faits exposés par M. Marty. Les débats contradictoires de notre Assemblée ont d’ailleurs permis alors d’appeler l’attention sur les missions et l’action essentielles du Conseil de l'Europe.

Aujourd’hui, la criminalité organisée déstabilise les gouvernements et les institutions des Etats européens. Le rapport de M. Marty présente les pires aspects de la criminalité organisée. Les traitements inhumains subis par les détenus, l’absence de garantie sur l’équité de leur procès, pire encore le meurtre d’un nombre inconnu d’entre eux pour prélever des organes à des fins de greffe. Dans ces crimes, de hauts responsables kosovars seraient impliqués. Les autorités internationales responsables du territoire du Kosovo pendant la période d’intérim n’ont pas mené les investigations nécessaires, ni engagé des poursuites contre les auteurs de ces crimes abominables.

L’adoption de ce rapport permettra de jeter la lumière sur de très graves violations des droits de l’homme dans un territoire sous juridiction du Conseil de l'Europe. Il ne s’agit pas pour nous de juger ou de poursuivre les criminels, mais de dénoncer des faits très graves au nom des principes fondamentaux du Conseil de l'Europe. Nous ne pouvons détourner le regard mais, au contraire, nous devons parler haut et fort, en demandant que les faits soient élucidés et que justice soit rendue.

LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Frécon.

M. FRÉCON (France) – Le rapport de Dick Marty sur les allégations de trafic illicite d’organes humains au Kosovo, que j’ai lu avec grand intérêt, répond à une demande de transparence formulée par les populations serbe et kosovare albanaises sur les atrocités qui ont entouré le conflit de 1998-1999.

Depuis l’arrêt des opérations militaires, des rumeurs de part et d’autre de l’Ibar étayent en effet l’idée d’une implication des plus hautes autorités de l’armée de libération du Kosovo, l’UCK, dans l’assassinat d’opposants internes, la torture de prisonniers serbes et l’organisation d’un vaste trafic de drogue. Le symbole de la dérive criminelle serait la fameuse « maison jaune », présentée par l’hebdomadaire Der spiegel en 2008 comme « la maison de la fin du monde ».

Située au nord de l’Albanie, elle aurait servi de lieu de déportation de prisonniers serbes enlevés au Kosovo. Trois cents détenus auraient ensuite été sélectionnés en vue d’un prélèvement de certains de leurs organes.

Selon notre rapporteur, dont la qualité a déjà été soulignée par de précédents orateurs, une véritable omerta pèse sur ces crimes, qui explique l’impunité dont bénéficient leurs auteurs. Notre collègue souhaite pourtant qu’on les nomme et vise jusqu’au Premier ministre du Kosovo, par ailleurs ancien leader de l’UCK.

Ces accusations sont graves. Sont-elles fondées ?

Elles s’inscrivent de surcroît dans un contexte précis : les négociations menées actuellement par le Premier ministre sortant pour former une nouvelle coalition gouvernementale à la suite des élections du 12 décembre dernier et l’ouverture annoncée d’un dialogue, que nous appelons bien sûr de nos vœux, entre Pristina et Belgrade.

Ce contexte politique n’interdit certainement pas tout travail d’enquête et de dénonciation de l’ignominie. Je continue néanmoins de m’interroger sur ce qui est avancé dans le rapport qui nous est présenté aujourd’hui. Celui-ci compile une décennie de rumeurs sur ce fameux trafic d’organes sans avancer de réelles preuves. La médiatisation du rapport et la lumière sous laquelle elle place notre institution ne doivent pas nous empêcher d’en faire une lecture critique. Je tiens à rappeler que deux enquêtes, menées par la MINUK en 2003 et par l’EULEX en 2009, n’ont pas permis d’aller plus loin dans la vérification des allégations sur la « maison jaune ». Le rapport de notre collègue fragilise de fait leurs conclusions et légitime les critiques de Belgrade à l’encontre des organisations internationales sur place.

Il ne s’agit pas pour moi de nier la réalité du trafic d’organes au Kosovo mais bien, faute d’éléments nouveaux, de rappeler que ce trafic a commencé après le conflit.

Je rappelle donc, pour conclure, la nécessité d’être extrêmement prudents dans ce type de dénonciation. Si elle se révélait infondée, elle ne manquerait pas de nuire à la crédibilité de notre Organisation.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Ivanji.

M. IVANJI (Serbie)* – Cette résolution n’est une victoire pour personne. Elle sonne au contraire comme une véritable défaite.

Une fois de plus, comme souvent, l’Assemblée parlementaire est appelée à ouvrir les yeux de ceux qui préconisaient le pragmatisme. Celui-ci n’a pas sauvé les organes des personnes assassinées parce qu’elles appartenaient à une autre nation. D’ailleurs, quel organe est plus ou moins serbe ? Quels sont les attributs ethniques d’un rein ? Quel organe serait acceptable parce que ce serait celui d’une personne appartenant à telle nation plutôt qu’à une autre ?

La valeur commerciale de l’être humain une fois disséqué est immense, alors que cette personne encore vivante et entière dérange beaucoup les dirigeants d’un Etat autoproclamé. Les organes ont été prélevés sur le territoire des Balkans avec cette même précision chirurgicale qui a servi à perpétrer le génocide des membres d’une nation, toujours la même. Cela suffit !

Aujourd’hui encore, un peu partout en Europe, des milliers de personnes cherchent des parents disparus. Il est donc temps que nous nous exprimions en leur nom et que nous reconnaissions que des crimes monstrueux ont été commis en Europe, au XXe siècle. Les visages de ces personnes assassinées sur des photographies silencieuses sont probablement la seule chose qui reste à leurs proches, à leurs familles. Elles sont mortes parce qu’elles étaient en bonne santé, parce que la mafia pouvait retirer de l’argent de ce trafic, que des personnes malades voulaient continuer à vivre et qu’un Etat autoproclamé voulait une épuration ethnique.

Les familles des personnes disparues ont besoin que nous parlions. L’Albanie devra assumer l’existence de la « maison jaune », des prisons et des cliniques où des organes étaient prélevés avec la coopération d’organisations terroristes. EULEX devra pour sa part poursuivre les auteurs de ces crimes afin de prouver la légitimité de sa mission. Nous ne pouvons pas attendre que ces organes nous parlent et nous révèlent les noms des assassins et des victimes. En revanche, nous pouvons aujourd’hui affirmer que de réels soupçons pèsent sur ceux qui négocient aujourd’hui avec la Serbie au nom du Kosovo en vue d’assurer l’avenir de ceux qui sont encore en vie.

Ce qui est sûr, c’est que ceux qui ont été identifiés comme des mafieux et des criminels ne doivent pas pouvoir se sentir les vainqueurs d’une situation traitée de manière dite « pragmatique ». Nous sommes confrontés à une affaire unique, caractérisée par des réalités et des faits monstrueux de traite d’organes, une situation qui a été acceptée dans le plus grand silence pour servir les intérêts d’une politique hypocrite. Il serait impossible que nous décidions de garder le silence, car les morts parlent plus fort que nous.

Merci, Monsieur Marty, de les avoir entendus.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Marquet.

M. MARQUET (Monaco) – Monsieur le Président, mes chers collègues, il m’importe avant tout de souligner l’exceptionnelle qualité du rapport de M. Marty sur un sujet qui ne peut souffrir aucune approximation. Ce travail a été accompli dans un contexte particulièrement difficile, où il était nécessaire de s’affranchir de toute considération d’opportunité politique ou partisane. Les membres de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme ont su faire face aux obstacles, voire aux menaces, avec courage et détermination.

Dès 2008, M. Konstantin Kosachev et ses collègues nous avaient exhortés à nous pencher sur les cas de trafic illicite d’organes humains au Kosovo décrits dans les mémoires de Mme Carla Del Ponte. Ces révélations auraient dû suffire à nous alerter : notre assemblée n’avait aucune raison de mettre en doute la compétence et les connaissances de l’ancien procureur du tribunal de La Haye. Or ces révélations n’ont donné lieu à aucune poursuite. Il est aujourd’hui démontré que, dans la période qui a suivi la fin du conflit armé, avant que les forces internationales aient pu prendre le contrôle de la région, de nombreux crimes ont été commis, aussi bien contre des Serbes restés au Kosovo que contre des Kosovars albanais soupçonnés de trahison.

La vérité, c’est que les organisations internationales au Kosovo ont privilégié une approche pragmatique visant à favoriser la stabilité à court terme, fût-ce en sacrifiant les principes de justice les plus élémentaires. Dans un contexte d’émotion exacerbée, on a voulu croire que les uns – les Serbes – étaient nécessairement les bourreaux tandis que les autres – les Kosovars – ne pouvaient être que des victimes innocentes. Or, comme le démontre admirablement le rapport de M. Dick Marty, la réalité est plus nuancée et complexe.

L’enquête minutieuse de la commission démontre qu’un noyau de personnalités de l’UCK avait pris le contrôle de la majeure partie des activités criminelles des Kosovars albanais en République d’Albanie, jusqu’à atteindre un degré ultime d’inhumanité avec le prélèvement et le trafic d’organes humains. Pire encore, les éléments recueillis conduisent à la conclusion que les violences commises par les membres et les auxiliaires de l’UCK en Albanie étaient suffisamment généralisées pour correspondre à un mode d’action systématique. Il s’agissait d’un véritable trafic international, impliquant des complicités dans au moins trois autres Etats.

Il est aujourd’hui urgent d’élaborer, comme le demande le rapporteur, un instrument juridique international qui fournisse une définition du trafic d’organes humains et qui énonce les mesures à prendre pour prévenir ce trafic, protéger les victimes et réprimer les coupables. En effet, le rapport Marty pose, au fond, l’inquiétante question du trafic d’organes à l’échelle international, sans volonté d’en circonscrire le champ à une région, à un conflit particuliers.

Nous avons tous à l’esprit les images atroces, insoutenables, d’enfants, notamment d’Asie ou d’Amérique du Sud, mutilés par le prélèvement d’un rein ou d’un œil. C’est dans cet esprit que j’ai déposé hier, auprès de notre Assemblée, une proposition visant à élaborer dans les meilleurs délais une convention internationale pour lutter contre le trafic d’organes, de tissus et de cellules d’origine humaine, qui représente aujourd’hui le plus insoutenable affront aux droits de l’homme les plus élémentaires.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Parfenov.

M. PARFENOV (Fédération de Russie)* – Tous les faits cités dans le rapport de M. Marty ne peuvent que nous laisser stupéfaits : ce sont des actes inhumains, commis délibérément contre d’autres êtres humains. Depuis plusieurs sessions déjà, notre commission des questions juridiques travaille sur le rapport de M. Marty. Chaque fois, nous avons de la peine à admettre que de tels faits soient possibles. Lors de l’une de ces séances, M. Marty nous a dit devoir faire un choix : garder le silence ou dire la vérité. Il a choisi de dire la vérité.

Aujourd’hui, dans cet hémicycle, nous sommes confrontés au même dilemme. Devons-nous garder le silence ou, à notre tour, dire la vérité ? On ne peut plus garder le silence, ce n’est plus possible puisqu’un homme, notre rapporteur, a pris sur lui la responsabilité de nous délivrer une parole de vérité.

C’est une parole amère. C’est une parole qui ne nous laisse plus le choix. Nous ne pouvons plus revenir en arrière. Penser que l’Assemblée pourrait faire le choix du silence serait irréaliste. J’ai été frappé par le texte du projet de résolution. Un très grand nombre d’amendements ont été présentés, qui suggèrent que l’inhumanité ou l’impunité pourraient être tolérés. J’en suis extrêmement frappé. Je me félicite que la commission des questions juridiques ait rejeté tous les amendements visant à atténuer ou diluer le rapport de M. Marty et les faits qu’il y présente.

Pour conclure, Mme Carla Del Ponte affirmait que la justice devait être rendue, qu’on ne pouvait pas parler de stabilité politique sans justice. Ce rapport ne saurait être étouffé. Il doit être rendu public, largement diffusé. Je suis persuadé qu’un grand nombre de collègues présents dans cet hémicycle seront d’accord avec moi pour considérer qu’il faut une enquête internationale. C’est indiscutable.

Je vous invite tous à soutenir ce projet de résolution. De tels faits ne doivent plus se reproduire. Il importe que les tribunaux internationaux reconnaissent tous les faits aujourd’hui établis. Cela nous donnera la possibilité de répondre par une décision de justice à ceux qui, aujourd’hui encore, ne croient pas à ces faits.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Lavtižar-Bebler.

Mme LAVTIŽAR-BEBLER (Slovénie)* – Le rapporteur mérite toutes nos félicitations pour le courage dont il a fait preuve en engageant une recherche sur cette question sensible et très controversée. Il faut prendre très au sérieux les allégations contenues dans ce rapport, même si certaines ne se révèleraient pas fondées. L’urgence, aujourd’hui, c’est de produire les preuves indispensables. Mais à mesure que le temps passe, cela devient de plus en plus difficile, en particulier pour les preuves physiques.

Le rapport mentionne de graves violations des droits de l’homme et de la dignité humaine pour lesquels il ne saurait y avoir d’excuses, si elles apparaissaient fondées. Les accusations contenues dans le rapport sont extrêmement graves et surtout très déplaisantes pour toutes les parties mentionnées. Mais il est dans l’intérêt des personnes impliquées et des pays concernés de mener une enquête soigneuse sur ces allégations pour établir la vérité.

Il est donc de la plus haute importance de mener une enquête internationale indépendante, selon des modalités précises. Les institutions indépendantes au Kosovo, mais également certaines institutions albanaises, devraient jouer dans ce processus un rôle précis. Sans leur coopération à ce processus, pas de résultat satisfaisant possible. Il est dans leur intérêt que la vérité soit établie. Cependant, politiser cette question pourrait compromettre le dialogue entre Pristina et Belgrade.

Je soutiens la proposition de résolution qui, si elle est correctement mise en œuvre, contribuera au processus de réconciliation dans les Balkans et à faire avancer la cause des droits de l’homme et de la démocratie sur notre continent.

LE PRÉSIDENT* – Je voudrais rappeler à mes collègues que l’élection d’un juge à la Cour des droits de l’homme pour le Portugal se poursuit. Le scrutin reste ouvert. Si vous souhaitez voter, rendez-vous dans la rotonde derrière la Présidence. À 13 heures, je suspendrai le scrutin. Il reprendra à 15 heures et sera clos à 17 heures.

La parole est à Mme Greff.

Mme GREFF (France) – Monsieur le Président, mes chers collègues, je tiens à saluer le difficile travail de notre collège Dick Marty relatif au traitement inhumain de personnes et au trafic illicite d’organes au Kosovo.

Ce rapport met en relief le travail remarquable que peut réaliser notre assemblée parlementaire et le rôle politique d’importance qu’elle peut jouer et qu’elle devrait être amenée à jouer dans l’avenir.

Si le Conseil de l’Europe veut être à la hauteur de sa mission de protection de droits de l’homme, il ne peut se cacher derrière des impératifs diplomatiques tels que le risque de déstabilisation de la région pour ne pas soulever des questions aussi graves que le trafic illicite d’organes.

Le fait que les personnes soupçonnées de crimes de guerre soient actuellement au pouvoir ne doit pas non plus freiner notre regard critique ni notre vigilance, car c’est la liberté et l’idéalisme wilsonien qui doivent présider à nos choix et non ce que l’on appelle la realpolitik. N’oublions pas les leçons du passé qui ont présidé à la création du Conseil de l’Europe.

À l’inverse, faire part de ces indices ou soupçons, qui pour le moment ne sont que des indices, permettra au contraire de faire « un travail de vérité » qui ne pourra que faciliter la réconciliation.

Le rapport s’est attaché à démontrer que les rumeurs insistantes sur l’existence d’un trafic d’organes nécessitaient que toute la lumière soit faite. Garder un silence pudique sur des soupçons aussi graves conduirait davantage à la défiance du fait du sentiment d’impunité.

Néanmoins les faits, les indices sont graves, très graves et, pour le moment, nous n’avons pas suffisamment de preuves. Aussi devons-nous rester prudents.

À ce titre, le rapport préconise qu’une enquête internationale soit diligentée. Je soutiens entièrement l’initiative qui consiste à donner à l’EULEX les moyens nécessaires à cette enquête.

La prudence ne signifie donc pas l’inaction ! Si notre Organisation veut entièrement joueur son rôle de « vigie des droits de l’homme » elle ne doit donc pas être timide.

Les dictateurs doivent savoir que le regard du Conseil de l’Europe sera toujours là.

Les criminels de guerre doivent savoir qu’ils ne sont jamais en paix car le Conseil de l’Europe les observera sans concessions.

Le concept de « sécurité douce » qui est préconisé dans la réforme de notre institution, telle que la présente le rapport Mignon, ne signifie pas abandonner la rigueur pour la faiblesse, mais redonner ses lettres de noblesse à une « magistrature d’influence ». C’est ce rôle que jouera à l’avenir notre Assemblée en mettant en évidence que les personnes qui commettraient des exactions, les pays qui ne respecteraient pas les engagements qu’ils ont signés, seront toujours critiquées et sans concessions par le Conseil de l’Europe.

C’est à ce prix qu’est l’équité, c’est à ce prix qu’est le rôle qui nous est imparti.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Ružić.

M. RUŽIĆ (Serbie)* – Monsieur le Président, chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier M. Marty qui a adopté ici une approche cohérente, objective et systématique pour traiter un problème délicat. Il s’agit de faire montre de maturité politique et de poursuivre un objectif commun. Il faut empêcher qu’il y ait des « trous noirs » dans la protection juridique, dans la politique, dans la morale et dans le bon sens social. Il faut respecter les droits de l’homme et la primauté du droit.

Il n’est plus possible que le silence perdure, que l’on cache pour des raisons de pragmatisme politique certains faits. Il s’agit de voir quelle était la véritable situation du Kosovo Metohija. La vérité sur les personnes disparues doit éclater. C’est la condition indispensable pour un avenir commun et pacifique dans la région des Balkans.

Le projet de résolution décrit les faits et les événements importants des années 1999 et 2000, après le déploiement de la mission de la KFOR dans la région, et les comportements irresponsables de l’UCK.

Nous n’avons pas le droit de détourner notre regard de ce qu’il est advenu de quelque 2 000 personnes. Les indications sur une traite d’organes sont suffisamment claires, les intimidations et les disparitions, y compris de témoins, ont été suffisamment établies – des morts ont même été identifiés sous d’autres noms que le leur –, pour qu’on puisse encore parler de manipulation. Ne peut-on reconnaître qu’il s’agit de la réalité, si horrible soit-elle ?

J’apporte mon entier soutien au projet de résolution et demande que des poursuites soient menées dans le cadre d’une enquête indépendante afin de trouver tous les criminels.

Il est indispensable d’avoir accès aux constatations, rapports et archives du tribunal de La Haye et du contingent de la KFOR, comme aux archives de la mission de vérification de l’OSCE de 1998.

La République serbe apporte tout son soutien à ce processus : elle souhaite savoir ce qu’il est advenu de tous les disparus. Nous sommes engagés en faveur de la stabilisation de la région et voulons un dialogue sincère.

Les morts, malheureusement, ne reviendront jamais dans leurs familles, mais celles-ci sauront ce qu’il est advenu de leurs chers disparus. Les criminels doivent être traînés en justice pour les faits qu’ils ont commis.

Il s’agit également de ne pas ternir la réputation du Conseil de l’Europe. L’enjeu est de protéger ensemble notre système commun de valeurs.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Gardetto.

M. GARDETTO (Monaco) – Le rapport de M. Marty sur les horreurs de la criminalité organisée au Kosovo constitue un moment historique pour notre Assemblée et pour tout le Conseil de l’Europe. Le rapport Marty n’est pas dirigé contre le peuple du Kosovo, qui mérite notre plus grand respect. Son message est que la recherche de la vérité est indispensable à l’œuvre de justice, laquelle doit et peut être menée à son terme, quelle que soit la personnalité des individus impliqués.

Elle est en effet indispensable au processus de réconciliation dans la région.

Ce que demande la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, dans son projet de résolution, n’est ni plus ni moins qu’une enquête judiciaire sérieuse permettant de faire toute la lumière sur les informations effrayantes communiquées à M. Marty.

En tant que rapporteur sur la protection des témoins dans l’ex-Yougoslavie – mon rapport figure à l’ordre du jour de demain –, je n’ignore rien des pressions qui pèsent sur les témoins souhaitant coopérer avec la justice dans des affaires impliquant des gros bonnets de la politique et du crime organisé. Ce sont, du reste, souvent les mêmes personnages. M. Marty a assuré à ses sources, à ses témoins, qu’il ne les exposerait pas contre leur gré. Ceux-ci lui ont fait confiance comme ils l’auraient fait au magistrat qu’il a été, comme à une personne d’honneur. Ils ont également fait confiance à l’Organisation qu’ils représentent et que nous représentons tous aujourd’hui : le Conseil de l’Europe.

L’EULEX est l’institution la mieux placée pour engager une enquête judiciaire. Elle devra proposer des mesures sérieuses pour la protection des témoins, bien plus efficaces que celles qui sont en place actuellement. Cette tâche est rendue délicate du fait de la rotation rapide du personnel international sur place et de la présence de nombreux collaborateurs locaux qui, pour certains, sont susceptibles d’avoir des relations avec les milieux concernés par les enquêtes ou de faire l’objet de pressions.

Peut-être faut-il effectivement créer une cellule de l’EULEX à l’extérieur du Kosovo, loin des influences locales, pour pouvoir vraiment travailler en toute sérénité, comme cela a été proposé par certaines ONG. Ce sera seulement à ces conditions que les sources de M. Marty pourront décider librement, et en toute connaissance de cause, si elles sont prêtes à devenir des témoins.

Le peuple du Kosovo, qu’il soit d’origine albanaise, serbe ou rom, mérite de vivre dans un Etat de droit sans connaître la crainte ni voir son avenir économique et social confisqué. C’est pour cela que la communauté internationale déploie d’énormes moyens financiers et humains : il s’agit de soutenir la construction d’institutions démocratiques dignes de ce nom.

Les résultats produits jusqu’à ce jour, issus de la politique d’apaisement à tout prix des élites arrivées au pouvoir à la faveur de la lutte armée, ne sont pas à la hauteur des moyens mobilisés, loin de là. Il est donc temps que la communauté internationale change de cap en mettant la justice face à ses responsabilités. Le débat d’aujourd’hui est l’occasion d’envoyer un signal fort en ce sens.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Idrizi.

M. IDRIZI (Albanie)* – J’aurais préféré que ma première intervention porte sur les libertés et non sur ces faits. Le rapporteur, avec l’aide de la Serbie et de la Russie, cherche la publicité. Sans fournir la moindre preuve véritable, il lance de graves accusations contre plusieurs pays et un grand nombre de personnes. Le rapporteur n’est pas procureur, il n’est pas non plus Dan Brown : on trouve dans le rapport une liste de noms de personnes dont les organes auraient été prélevés. Les prétendues victimes ne parleraient pas parce qu’elles auraient peur. Pourquoi ne pas avoir rencontré les responsables, notamment des hôpitaux de Belgrade ? Comme cela a déjà été dit, il fallait trouver autre chose pour critiquer Pristina que ces prélèvements d’organes qui ne peuvent être facilement transplantés d’un corps à un autre. Ces transplantations sont en effet infaisables de la manière incriminée.

Nous sommes confrontés à une tentative de propagande : le coupable est placé sur un pied d’égalité avec la victime. J’appartiens à un peuple qui a été victime d’un génocide à la fin de la seconde guerre mondiale. À cette époque, il n’y avait ni CNN ni Conseil de l’Europe pour commenter de tels crimes et ce génocide n’a jamais été porté à la connaissance du monde. La Serbie de Milošević a essuyé le courroux international pour les crimes qu’elle a commis.

Je vous rappellerai également que depuis 1989, le Kosovo est le pays le plus surveillé sur le plan international, notamment par l’OTAN et l’EULEX. Les crimes dont le rapporteur avance qu’ils ont eu lieu auraient-ils pu rester méconnus ? Il demande une enquête : mon pays a déclaré qu’il était disposé à la mener.

Ce projet de résolution devrait se limiter à demander une enquête réelle. Le rapporteur doit également présenter les preuves dont il dit disposer.

La population du Kosovo a adressé une pétition au Conseil de l’Europe, qui a recueilli plus de 260 000 signatures. Les pétitionnaires croient en nous comme dans la démocratie. J’ajoute qu’il est impossible d’éliminer les traces de la guerre en lançant des accusations de trafic d’organes.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Shaklein.

M. SHAKLEIN (Fédération de Russie)* – Voilà huit ans que je représente mon pays au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Il n’est pas si fréquent d’y débattre de rapports qui font l’effet d’une véritable bombe.

S’il y a des raisons de penser que les agissements dénoncés dans ce rapport se sont produits et que des membres de l’armée de libération du Kosovo en ont été les auteurs, je tiens à rendre hommage à M. Marty pour son courage, son objectivité et son professionnalisme dans la préparation de son rapport. Celui-ci, sans doute, ne plaît pas à tous, certains responsables politiques étant prêts, au nom de la stabilité dans les Balkans, à couvrir des agissements commis y compris dans le cadre de structures mafieuses.

Je suis convaincu que le rapport de M. Marty est fiable ; nous ne pouvons donc pas laisser les faits qu’il dénonce sans conséquence. Ayons le courage de regarder la vérité en face : les faits contenus dans ce rapport sont extrêmement graves, il s’agit de crimes contre l’humanité.

Le projet de résolution souligne la nécessité de lutter contre l’impunité des personnes coupables de ces violations des droits de l’homme : quel que soit le parti auquel ils ont appartenu au moment du conflit, tous les coupables doivent répondre de leurs actes devant la justice.

J’espère donc que ce débat débouchera sur une aide de la communauté internationale aux organes d’enquête européens, afin qu’ils puissent entreprendre toutes les démarches nécessaires au rendu de la justice. Et, j’appuie sans réserve le projet de résolution, en espérant qu’il sera suivi d’effet.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Mićunović.

M. MIĆUNOVIĆ (Serbie)* – Monsieur le Président, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de féliciter le rapporteur pour le courage dont il a fait preuve. Conscient de l’accueil qui serait réservé à son rapport, il a fait le choix difficile de la vérité.

Nous sommes horrifiés par les actes barbares qui ont été commis et par le fait que les relations humaines soient à ce point devenues inhumaines. Le Conseil de l'Europe défend des valeurs essentielles, dont la sacralité de l’être humain ; le désacraliser, c’est nier à l’autre son avenir.

J’ai rencontré des représentants d’organisations qui recherchent, depuis une douzaine d’années, des milliers de personnes disparues et qui coopèrent avec des Albanais, eux-mêmes à la recherche de membres de leurs familles disparus. Deux peuples coopèrent donc et effectuent ensemble des recherches et des fouilles – ils ont trouvé des charniers.

Pourquoi le silence règne-t-il depuis plus de dix ans ? Pourquoi tant de personnes sont-elles restées muettes alors qu’elles étaient au courant ? De ce fait, des personnalités importantes sont persuadées qu’elles resteront impunies, et elles ont sans doute raison. Il faut pourtant que toute la lumière soit faite et que des poursuites soient engagées.

Les ennemis de la démocratie se nomment crime et corruption. L’Etat de droit a été sapé. La démocratie a fait défaut.

Je rends hommage à M. Marty qui a eu le courage d’ouvrir un chapitre, celui de notre conscience. À nous de comprendre qu’en tant qu’êtres humains, nous sommes tous égaux et que nous ne devons pas nous désacraliser.

LE PRÉSIDENT* – Mes chers collègues, je vous demande de vous en tenir à vos trois minutes de temps de parole, car la liste des orateurs est longue. Je vous remercie.

La parole est à M. Conde Bajén.

M. CONDE BAJÉN (Espagne)* – Monsieur le Président, je voudrais tout d’abord féliciter chaleureusement notre collègue, M. Marty, pour son excellent rapport. Un rapport qui m’a fortement impressionné, non seulement par la description des crimes qui ont été commis, mais également parce qu’il constate que la cruauté, le malheur et la souffrance existent partout. Pendant de longues années, nous avons pensé être à l’abri de ce genre d’événements : ça ne pouvait se produire qu’ailleurs dans le monde !

La défense des droits et de la dignité de l’homme est une fleur fragile qui doit être entourée quotidiennement de nos soins. Ce qui nous oblige à nous livrer à quelques réflexions.

Comment est-il possible que tous ces crimes aient eu lieu sans que personne ne les dénonce ? Comment est-il possible que les forces armées de nombreux pays déployées sur le terrain ne se soient pas rendu compte de ce qui se passait ?

Je vous demande, mes chers collègues, de vous faire les porte-parole auprès de vos parlements de cette demande de recherche de vérité. Nous devons demander à nos gouvernements de nous fournir les données sur nos personnels alors déployés sur le terrain.

Je fais partie d’un des rares pays qui n’ont pas reconnu l’indépendance du Kosovo. Nous devons nous demander entre quelles mains nous avons mis le pouvoir de cet Etat indépendant. En voulant résoudre un problème, n’en avons-nous pas créé un autre pour le futur ?

Je sais bien que le rapport ne traite pas de cette question, mais elle doit tout de même être posée : qu’a fait l’Europe en reconnaissant l’indépendance du Kosovo ?

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Díaz Tejera.

M. DIAZ TEREJA (Espagne)* – Je n’ai pas de religion autre que celle des droits de l’homme, mais le prophète Isaïe disait que la justice et la paix vont de pair : pas de paix sans justice, pas de justice sans paix !

Il est difficile de créer une démocratie parlementaire protégeant les droits de l’homme là où se déroulent les faits décrits par M. Marty. Ce dernier a été beaucoup critiqué pour son rapport sur les vols secrets de la CIA et sur les prisons secrètes, mais tous ceux qui l’ont critiqué ont finalement dû lui demander pardon et reconnaître qu’il avait raison.

Il faut réfléchir aux points que vient de mentionner mon ami et compatriote Conde Bajén : pendant douze ans, qu’ont donc fait les démocrates, les militants et les défenseurs des droits de l’homme, c’est-à-dire nous tous, réunis ici ? Qu’avons-nous fait, alors que de tels faits se déroulaient dans notre maison sans que personne ne dise mot ?

Un procureur a écrit un livre, un parlementaire a rédigé un rapport mais je pose la question suivante : le Conseil de l'Europe sera-t-il à la hauteur de ces travaux ?

Nous sommes une assemblée politique. Nous sommes tous ici des hommes et des femmes politiques, élus par leur peuple. Il ne s’agit pas ici de rendre un verdict : en tant que sénateur, je veux être responsable, mais je ne suis pas un juge et il n’est pas nécessaire que l’on me fournisse des preuves. Il existe des indices rationnels et toute personne douée de bon sens saura les lire.

Je crois que ce que nous avons désormais sur la table est largement suffisant pour prendre la décision d’ouvrir une enquête indépendante. À 47 pays plus nos observateurs, nous pouvons la conduire ou alors avons-nous reçu des ordres d’un quelconque pouvoir militaire, économique ou religieux ? Non, nous n’avons reçu d’ordres de personne et en tant que parlementaires nous sommes libres. Nous ne sommes soumis à aucun mandat impératif. Ce qu’il faut faire ici, c’est garantir la poursuite de cette enquête.

J’ai écouté notre collègue albanais et je dois dire que cette volonté de poursuivre cette enquête, il nous faut l’avoir pour défendre l’Etat de droit. Merci pour votre travail !

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Türköne

Mme TÜRKÖNE (Turquie)* – Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, ce rapport, qui a produit des réactions diverses est devenue une question prioritaire dans la région.

Toute allégation à l’encontre de personnes démocratiquement élues dans cette région ne peut qu’être délicate. Le Premier ministre qui est au cœur de ces allégations a dit que ces accusations étaient sans fondement, qu’elles obéissaient à un motif politique et qu’elles avaient pour but de porter préjudice au Kosovo. Les autorités albanaises ont également dit que les enquêtes conduites par la Cour avaient conclu à un manque de preuves.

En l’absence d’une réelle transparence, des allégations graves resteront sans réponse, jetant une ombre néfaste sur les prochaines négociations avec la Serbie. L’enquête est donc de la plus haute importance !

J’ai apprécié le commentaire du Kosovo, qui promet une pleine coopération et qui assure que ses institutions seront à la disposition de toute enquête nationale ou internationale susceptible de clarifier les choses et de clore le dossier une fois pour toutes !

Cette approche confirmerait les efforts consentis depuis 1999 par le Kosovo qui a cherché à renforcer ses institutions démocratiques et à faire respecter l’Etat de droit. J’en veux pour preuve les élections récentes du 12 décembre, qui ont prouvé la maturité démocratique du peuple kosovar et de ses orientations euroatlantiques.

Le projet de résolution est rédigé sur le ton d’une inculpation : certains paragraphes portent des accusations personnelles, présentées comme des jugements définitifs, alors que la résolution devrait présenter son but même par le biais de textes et de formules plus générales. Il ne faudrait accuser ni nations, ni groupes ethniques, mais avoir pour objectif d’identifier la vérité, de rechercher les personnes responsables de tels crimes. Le projet de résolution devrait également être exempt de toute phrase jetant le doute sur certaines missions et sur la mission internationale.

Le rapport demande une enquête nationale et internationale. L’EULEX s’est proposé pour la conduire et toutes les parties sont invitées à le soutenir dans sa tâche. Dans ce processus, le Conseil de l'Europe devrait également jouer un rôle : une commission d’enquête indépendante pourrait être constituée, qui travaillerait en étroite coopération avec les organisations internationales.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Hancock.

M. HANCOCK (Royaume-Uni)* – Monsieur le Président, je suis heureux de vous voir à la présidence et de voir ainsi un nouveau visage à la tribune.

Je voudrais dire à mes collègues de l’Assemblée que nous sommes aujourd’hui confrontés à un choix : soit nous acceptons ce rapport comme un geste de prima donna politique qui pense qu’elle peut rédiger des rapports dans le but de satisfaire son ego, soit nous décidons que le rapporteur a écouté le cri de personnes décédées et enfouies dans des tombes inconnues.

C’est un choix difficile parce qu’il a des implications en-dehors de cet hémicycle. Or, je défie quiconque de nier que le Kosovo est la création d’un certain nombre de pays qui ont fait une guerre et qui ont créé cet Etat. Nous sommes là aujourd’hui pour ramasser les morceaux !

Tout à l’heure, M. Marty a parlé de façon très éloquente. Il a posé la question de savoir pourquoi rien n’avait été fait. La réponse, Monsieur Marty, est la suivante : les pays qui se sont précipités sur place ont voulu nier les faits rapportés par leurs troupes et leurs services de renseignement. Ils ont voulu nier que de tels actes pouvaient être perpétrés. Que se serait-il produit si ces enquêtes européennes avaient abouti ? On aurait vu que cet Etat ne pouvait pas voir le jour, et que, dès sa création, il était défaillant.

La réponse très simple est donc que nous devons, que nous avons l’obligation de faire justice. Peu importe jusqu’où cela suppose de monter dans la hiérarchie, peu importe que ce soit le Premier ministre ou le plus simple exécutant qui ait été responsable, il faut qu’il n’y ait aucune impunité.

Cela étant, il y a au moins une chose que nous avons apprise : il n’est pas possible pour l’Europe d’accepter ces Etats défaillants. Si l’on en accepte un à un endroit, on devra en accepter partout, alors que les gangsters n’ont pas de place dans une société civilisée ! Ils ne doivent pas avoir la responsabilité de diriger des pays.

Je vous en conjure donc : faisons aujourd’hui ce qu’il faut faire. Appuyons cette résolution, mais surtout n’oublions pas ce message et transmettons-le dans nos pays respectifs : pourquoi nous sommes-nous bouché les yeux et les oreilles, pourquoi sommes-nous restés muets et avons-nous laissé les faits se dérouler pendant plus d’une décennie ? C’est impardonnable, mais nous avons au moins, aujourd’hui, la possibilité de faire ce qu’il importe de faire, c’est-à-dire, la chose juste.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Volozhinskaya.

Mme VOLOZHINSKAYA (Fédération de Russie)* – J’aimerais tout d’abord remercier le rapporteur pour le travail qu’il a réalisé. Je soutiens entièrement le projet de résolution et je condamne ce trafic révoltant d’organes humains. Je voudrais en profiter pour réaffirmer la nécessité de lutter contre ces trafics illicites.

C’est le manque d’organes et de tissus qui permet à ces trafics ignobles de prospérer. C’est pourquoi j’aimerais appeler votre attention sur la nécessité d’améliorer les conditions des dons licites d’organes, étant entendu qu’à ce jour, il n’existe ni conventions internationales, ni outils contraignants en la matière. Les instruments existants et les déclarations qui ont pu être faites sur ces sujets restent insuffisants.

Les faits décrits dans le rapport démontrent la nécessité d’améliorer la coopération sur les dons d’organes entre les Etats, afin d’éviter que de tels trafics ne se répètent. À cette fin, il convient d’étudier les principes fondamentaux touchant aux dons d’organes et aux greffes, d’améliorer le fonctionnement des systèmes des banques d’organes et de créer un service paneuropéen unique. On disposerait ainsi d’une banque de données unique des demandeurs d’organes, ce qui permettrait un partage des informations entre les structures destinées à échanger des organes, mais également entre structures qui luttent contre le trafic illicite. Enfin, il convient de mettre un terme au tourisme chirurgical des demandeurs d’organes et à la commercialisation des organes.

De la situation au Kosovo, nous pouvons tirer une leçon : améliorer la qualité, la quantité et la sécurité du don d’organes pour lutter contre les trafics illicites.

LE PRÉSIDENT* – Effectivement !

La parole est à Mme Konečná.

Mme KONEČNÁ (République tchèque)* – Plus de dix ans après les bombardements en Yougoslavie, je note avec satisfaction que l’on nous présente des recommandations et des analyses honnêtes qui abordent les vrais problèmes et cherchent les moyens de les résoudre.

Je ne peux m’empêcher de rappeler que, dès 2008, j’avais demandé au Conseil de l’Europe de déployer rapidement des observateurs au Kosovo. En tant que parlementaire tchèque, j’avais demandé en 2008 – alors que la République tchèque présidait l’Union européenne – au ministre des Affaires étrangères de mon pays, Karel Schwartzenberg, d’utiliser ses bonnes relations avec les différentes structures au Kosovo, l’Union européenne et les Etats-Unis pour élucider la disparition de 562 enfants, femmes et hommes serbes. Tous mes efforts sont restés vains et ce pour une raison simple : bien des hommes politiques ont préféré accuser les Serbes des événements passés, ne serait-ce que pour justifier le bombardement barbare de la Yougoslavie, quitte à couvrir les crimes de l’armée de libération du Kosovo. Il en fut de même après la publication de l’ouvrage de la procureure Carla Del Ponte.

Le rapport et le projet de résolution sur le traitement horrible réservé aux personnes emprisonnées par l’armée de libération représentent donc un pas en avant.

J’appuie la résolution, à une réserve près. Le texte indique qu’une fois que les organisations internationales ont pris le contrôle du Kosovo, leur objectif a été la stabilité à tout prix. Cette approche pragmatique n’a pas permis d’ouvrir une enquête sur le traitement des prisonniers et le rapport indique que les comportements criminels se sont poursuivis pendant quelque temps encore.

Je vous propose par conséquent d’inclure dans le projet de résolution une demande à l’OTAN pour qu’elle mène une enquête afin de déterminer si les forces d’occupation sont responsables de cet oubli, voire de la poursuite de traitements inhumains de la part de l’armée de libération du Kosovo à l’encontre de ses prisonniers.

L’approche de l’OTAN discrédite les organisations internationales et a gravement compliqué la situation au Kosovo et dans les Balkans en général.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Aligrudić.

M. ALIGRUDIĆ (Serbie)* – J’aimerais tout d’abord féliciter le rapporteur pour son courage. Il aura fallu en effet bien du courage pour parler publiquement du crime organisé qui s’est déroulé au Kosovo. Qui plus est, ces atrocités ont été commises par ceux-là mêmes qui recevaient – et qui reçoivent encore – le plein soutien de la communauté internationale, favorable au projet « Kosovo indépendant ».

Ces personnes et ces organisations ont été les exécutants finaux et se sont retrouvées hors d’atteinte de la MINUK et des procureurs. Elles ont été protégées dans le passé et continuent de l’être aujourd’hui. Elles ne sont pas tenues pour responsables des crimes qu’elles ont commis à l’occasion de la sécession. Lorsqu’il s’agit des droits de l’homme et du crime organisé, il n’y a pas de place, dit-on, pour la politique. Malheureusement, ce n’est pas toujours vrai.

Cette politique a consisté à voler à la Serbie sa province du sud, à laisser se perpétrer des actes criminels à l’encontre des civils et à fermer les yeux sur de nombreuses violations des droits de l’homme. Nous devons aujourd’hui en parler publiquement. Je comprends pourquoi le rapporteur n’a pu utiliser le même langage, il ne lui incombe pas de le faire. Mais, nous, qui commentons ce rapport, pouvons plus facilement dire certaines choses. C’est la toute première fois qu’un débat public s’ouvre dans une organisation sur les atrocités subies par les Serbes au Kosovo. Oui, un grand nombre de représentants qui ont travaillé pour les organisations internationales au Kosovo étaient au courant et ont préféré se taire.

Cela fait plus de dix ans que les familles des personnes disparues ne savent tout simplement pas ce qui est advenu à leurs proches. Cette décennie a été une décennie de lutte pour connaître et faire connaître la vérité. Il est de notre devoir de les aider. C’est également un devoir que nous avons vis-à-vis de nous-mêmes, compte tenu des principes politiques auxquels nous croyons tous. C’est pourquoi certains d’entre nous ont signé la motion qui nous permet de discuter de ce rapport.

Le rapport de M. Marty est honnête, franc et fondé sur des faits. Il n’est pas procureur devant un tribunal pénal, mais un collègue député qui a été désigné par nous pour rédiger un rapport, ni plus ni moins. Toutefois, nous espérons que de vrais procureurs feront leur travail, en dépit du fait qu’il est déjà bien tard. Je vous demande de soutenir cet excellent rapport et de le voter à l’unanimité, comme il le fut en commission, ce qui constituerait un message fort adressé aux peuples européens. J’espère que l’Assemblée continuera de suivre cette question et que nous serons tenus informés, car il est important de faire toute la vérité et que les coupables soient punis.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Marković.

Mme MARKOVIĆ (Bosnie-Herzégovine) – Monsieur le Président, chers collègues, permettez-moi d’exprimer mes observations sur l’excellent rapport de M. Marty, intitulé « le traitement inhumain de personnes et le trafic illicite d’organes humains au Kosovo ». Je respecte beaucoup le courage et l’humanité de M. Marty.

En janvier 2008, nous avions déjà discuté du Kosovo au sein du Conseil de l’Europe mais dans le contexte du plan de M. Ahtisaari, plan qui a présidé à l’indépendance de Kosovo. Je ne peux pas ne pas me souvenir cette discussion. À l’époque, plusieurs de nos collègues avaient soutenu ce plan.

Mais qu’en est-il aujourd’hui ? À la lecture du présent rapport, on constate que le Kosovo est une région très problématique, en plein cœur de l’Europe. Ceux qui se sont penchés sur le sujet savent que cette province de la Serbie a été source de nombreux problèmes dans ce pays et sont conscients qu’elle posera les mêmes problèmes à l’Europe. Les choses les plus effroyables s’y sont produites comme le trafic d’organes humains, la criminalité organisée, le prélèvement d’organes sur des prisonniers, des crimes de guerre contre les Serbes et des Kosovars albanais, l’organisation de lieux de détention secrets où des meurtres ont été commis, le trafic de l’héroïne et d’autres narcotiques…

Je pense que tout ce qui est décrit dans ce rapport est exact. Mais la question qui se pose est de savoir ce que l’on fait après le rapport. Avec tout le respect que je dois à M. Marty, eu égard à son excellent travail, je dois cependant dire que nombre de faits qu’il rapporte étaient déjà connus. La question cruciale est donc la suivante : sommes-nous décidés à procéder à un examen approfondi dans le but de punir les crimes de guerre, de combattre le crime organisé et de rendre justice aux victimes ?

Au-delà de la simple information, l’adoption du projet de résolution montrera notre volonté de désigner le Kosovo comme étant une région très problématique, qui n’a pas à être a priori privilégiée. Cela montrera aussi que l’Europe a les moyens de réprimer ce qui doit l’être. Ce serait mieux pour l’Europe et pour nous tous. J’ai compris que c’était le message du rapport de M. Marty.

Je voudrais ajouter une chose. Dans la mesure où je viens de Bosnie-Herzégovine, je suis obligée de dire que les crimes de l’UÇK de Hashim Thaci ne se limitent pas seulement au Kosovo. Pendant la guerre en Bosnie-Herzégovine, en 1992, il s’est passé un crime effroyable. Cette année-là, sur la route de Bosanski Brod, ont mystérieusement disparu quatre autobus où se trouvaient des voyageurs, qui étaient des réfugiés se rendant vers l’Europe occidentale. En 2004, dans le village Sijekovac, près de Brod, on a mis à jour un charnier où l’on a retrouvé 59 cadavres, dont 23 étaient ceux d’enfants. Après la découverte de ce charnier, quelqu’un a avoué avoir participé à ce massacre et a révélé qu’on avait prélevé des organes à ces femmes et à ces enfants. Ces organes avaient été transportés dans des lieux où était organisé le trafic illicite d’organes humains. C’est un crime terrible. L’association des familles des personnes disparues…

LE PRÉSIDENT* – Votre temps de parole est écoulé, Madame.

Mme MARKOVIĆ (Bosnie-Herzégovine) – Quelques secondes encore… L’association des familles des personnes disparues possède toutes les preuves que les bourreaux de ce massacre étaient des exécuteurs de l’UÇK.

LE PRÉSIDENT* – Madame Marković, s’il vous plaît.

Mme MARKOVIĆ (Bosnie-Herzégovine) – S’il vous plaît, encore une phrase.

LE PRÉSIDENT* – Non, non.

(Coupant le micro de Mme Marković) L’orateur suivant est M. Rusmali.

M. RUSMALI (Albanie)* – Ce projet de résolution est un appel sérieux à enquêter sur toutes les allégations concernant les traitements inhumains de personnes et le trafic d’organes au Kosovo. Dans un sens plus large, c’est aussi un appel à la protection de la vie et de la dignité humaine, quelles qu’en soient les conditions, quel qu’en soit le coût. Par conséquent, c’est en soi un document respectable.

Cependant, au Kosovo et en Albanie, ce document a suscité beaucoup d’animosité et a été source de controverses. La plupart des membres de l’Assemblée le savent déjà et je n’ai pas l’intention de le dissimuler. Je voudrais simplement dire que si un document, une déclaration, un rapport, un livre ou une étude soulèvent des questions controversées, il n’est que trop facile, et trop superficiel d’en tenir pour responsables ses lecteurs. La responsabilité réside en premier lieu sur les épaules des auteurs. Comme nous allons tous sans doute aujourd’hui devenir des coauteurs de ce projet de résolution, je pense que cela vaut la peine d’essayer de l’améliorer. Attachons-nous à le rendre moins controversé, plus factuel et moins porteur de propagande.

Ce projet de résolution a besoin non de contestation mais de soutien. Par conséquent, essayons, sérieusement et ensemble, de l’améliorer. En tant que membre de la délégation albanaise, je le ferai en annonçant que l’Albanie est tout à fait favorable à une enquête. L’Albanie a facilité par le passé – et s’est déjà engagée – à offrir toute la coopération et l’assistance possibles à l’EULEX ou au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, car nous savons que ce n’est que par une enquête de ce type que l’on pourra faire toute la lumière sur l’ensemble de ces allégations.

J’invite le rapporteur à prendre note de cette attitude et les membres de l’Assemblée parlementaire à voter pour le rapport. Quelles que soient les allégations, il ne faut pas qu’elles soient utilisées pour tirer des conclusions hâtives infondées. Il ne faut pas jeter un opprobre collectif.

Ce projet de résolution a un objectif : appeler à une enquête indépendante, professionnelle et fiable sur toutes les allégations relatives à ces questions. C’est de cela qu’il s’agit. Et nous faisons tous confiance à l’EULEX pour mener une telle enquête.

Les autorités du Kosovo appuient entièrement la mission EULEX et veulent aussi une enquête complète. Je vous invite donc tous à soutenir les amendements que nous avons présentés.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Mehmeti Devaja.

Mme MEHMETI DEVAJA (« L’ex-République yougoslave de Macédoine »)* – Aujourd’hui, en commission des droits de l’homme et des questions juridiques, le rapporteur a lui-même reconnu qu’on lui avait imposé le titre du rapport. Or, c’est ce titre qui a fait « la une » des journaux ces deux derniers mois et qui, malheureusement, n’a fait qu’ajouter à la controverse déclenchée par le document, d’autant que certaines déclarations sont considérées comme contradictoires et politisées. Le logo du Conseil de l’Europe se retrouve donc apposé sur un document qui comporte des allégations très graves. On peut se demander si l’objectif du rapporteur est de rendre justice ou si son rapport est un outil politique. Malheureusement, le sentiment croissant dans la région est que c’est plutôt la seconde proposition qui est la bonne.

Il revient au Conseil de l’Europe de prouver que l’objectif du rapport est de s’assurer que les normes du Conseil de l’Europe sont bien respectées au Kosovo. Pour y parvenir, il faut que la justice soit respectée en tant que principe général et non qu’elle serve à régler des comptes.

Le rapport tend à redéfinir le conflit au Kosovo et ne fait pas la différence entre le crime en tant que fin en soi dans le conflit, et le crime en tant que produit dérivé du conflit. Je pense que le rapporteur aurait dû prendre quelques précautions en la matière. Notre objectif est que toute la lumière soit faite. Mais c’est une chose de dire la vérité, c’en est une autre de l’entendre. Le rapport demande une enquête. Une telle investigation devrait être menée par un organe international, l’EULEX, dotée d’un mandat clair.

Tant le Kosovo que l’Albanie ont déclaré leur volonté de coopérer. Le Conseil de l’Europe ne peut que s’en réjouir. Jusque là, le Conseil de l’Europe n’a fait que mettre en exergue les normes et les standards à respecter au Kosovo. Mais demander le respect des normes est insuffisant, ce rapport doit être un argument supplémentaire pour inviter le Conseil de l’Europe à modifier sa position vis-à-vis du Kosovo et à conserver sa neutralité. Il faut que nous nous rapprochions du Kosovo afin qu’il puisse adhérer à notre Organisation. C’est d’autant plus important que le Conseil de l’Europe a un rôle international à jouer en ce qui concerne le Kosovo post-conflit. Si la communauté internationale savait et n’a rien fait, que peut-on en dire ?

En 1999, la communauté internationale a lancé une intervention humanitaire au Kosovo pour empêcher un nouveau nettoyage ethnique, « une tuerie d’innocents » selon les mots de Bill Clinton. La vérité est la condition sine qua non de la réconciliation entre les différents peuples des Balkans. C’est pourquoi nous devons toujours la défendre : elle constitue, en tant que principe universel, le fondement même de nos valeurs communes.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Müri.

M. MÜRI (Suisse)* – Je remercie M. Marty pour ce rapport qui décrit des crimes qui ne peuvent nous laisser indifférents et dont nous devons exiger qu’ils soient élucidés. Il nous faut des preuves, une enquête judiciaire internationale et une véritable protection des témoins. Les reproches et les accusations doivent se fonder sur des faits avérés, et ce dans un délai raisonnable. En effet, l’enjeu est bel et bien le développement du Kosovo et de toute la région. Or de tels reproches et de telles accusations l’entravent de manière réelle pour le moment. Tant que certaines questions n’auront pas été éclaircies, il y a fort à parier que les investisseurs ne se rendront pas au Kosovo. Ce pays a besoin de stabilité, de paix et de sécurité. Les Kosovars souffrent d’être stigmatisés pour des actes commis par quelques-uns. Voilà pourquoi nous devons agir rapidement. Nous le devons à la population de cette région.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Wohlwend.

Mme WOHLWEND (Liechtenstein)* – Ce débat constitue un grand moment pour l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Nous représentons la conscience du continent européen et nous avons aujourd’hui l’occasion d’apporter notre contribution à la défense des principes de l’état de droit et de la vérité, au détriment de considérations purement politiques. La stabilité au prix de l’ignorance de graves violations des droits de l'homme permet sans doute d’instaurer le calme pendant quelque temps, mais de manière bien fragile et incertaine.

La communauté internationale devra mener une enquête approfondie pour faire toute la lumière sur les faits exposés par M. Marty. Jusqu’à présent, les enquêtes n’ont pas été très crédibles et la mission EULEX devrait être dotée de moyens renforcés pour lutter contre le crime organisé au Kosovo jusqu'au plus haut niveau, en utilisant les méthodes déjà testées avec succès ailleurs, comme le recours aux "collaborateurs de justice" et des mesures crédibles de protection des témoins. Si nous voulons la réconciliation des peuples dans cette région, nous devons punir tous les crimes qui y ont été commis de la même manière. M. Marty exige d'ailleurs que Ratko Mladić soit livré à la justice. Aujourd’hui, c’est au tour des crimes commis par l’UÇK et de ceux qui auraient abusé de cet uniforme d’être condamnés. Lorsque l’on tue un enfant, il n’y a pas de différence entre les souffrances d’une mère kosovare, d’une mère serbe ou d’une mère rom.

En soutenant ce rapport, nous enverrons un message clair et respectueux à tous les victimes des crimes dans cette région meurtrie. Je vous demande donc de soutenir sans réserve l’appel de Dick Marty en faveur d’une investigation rapide et sérieuse des faits relevés par lui.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Chernyshenko.

M. CHERNYSHENKO (Fédération de Russie)* – Comme les orateurs qui m’ont précédé, je voudrais tout d’abord exprimer ma reconnaissance à Dick Marty pour le travail exceptionnel qu’il a accompli, malgré un risque incontestable.

Je veux également souligner le rôle de Carla Del Ponte qui, pendant près de dix ans, a occupé le poste de procureur général du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Son travail pour faire toute la vérité sur les faits survenus au Kosovo a été entravé par une politique du deux poids deux mesures au niveau européen, considérant que les agissements serbes étaient forcément condamnables et les positions kosovares au contraire toujours dignes de soutien. Carla Del Ponte a su trouver la juste voie et a exposé dans son livre des faits précis, démontrant que des crimes avaient été commis sur le territoire du Kosovo. Cet ouvrage a déclenché la préparation du rapport de M. Marty, qui témoigne donc du rôle joué par Carla Del Ponte, mais aussi par tous les témoins de cette entreprise de transplantation d’organes. Près de quarante d’entre eux ont perdu la vie au cours de l’enquête sur la « Maison jaune », ce qui prouve bien que des faits suspects se sont produits à cet endroit.

Bien entendu, nous devons appuyer sans réserve le projet de résolution soumis par le rapporteur. Il est indispensable, par ailleurs, de préparer un accord international sur le règlement des questions liées à la transplantation d’organes. En Fédération de Russie, nous étudions la possibilité d’intenter des poursuites pénales contre les citoyens russes qui, selon certaines informations, auraient été impliqués dans des activités analogues dans des camps de concentration.

Une coopération internationale est indispensable pour faire toute la lumière sur ces crimes. Notre assemblée doit rester saisie de ce problème.

L’an dernier, nous avons célébré le soixante-cinquième anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie. Le procès de Nuremberg a montré que des mécanismes permettaient de juger des criminels de guerre, des anciens dirigeants d’Etats. Évidemment, l’ampleur des faits évoqués ce matin est bien différente, mais nous n’en devons pas moins mener l’enquête à son terme pour que les coupables soient punis et pour empêcher que de tels agissements puissent se reproduire sur le territoire de l’Europe libre.

M. Çavuşoğlu, Président de l’Assemblée, reprend place au fauteuil présidentiel.

LE PRÉSIDENT* – Je dois maintenant interrompre la liste des orateurs. Le débat reprendra cet après-midi, à 15 heures.

Je rappelle aux membres de l’Assemblée parlementaire que le scrutin pour l’élection d’un juge à la Cour européenne des droits de l’homme au titre du Portugal est ouvert. Ceux qui souhaitent participer au scrutin peuvent le faire jusqu’à 13 heures et, ensuite, de 15 heures à 17 heures.

4. Discours de M. Abdullah Gül, Président de la Turquie

LE PRÉSIDENT* – Nous allons maintenant avoir l’honneur d’entendre l’allocution de M. Abdullah Gül, Président de la Turquie. Il a gentiment accepté de répondre, après son allocution, à quelques questions de la salle.

Monsieur le Président, c’est un honneur et un plaisir de vous souhaiter la bienvenue dans cet hémicycle, tout particulièrement à un moment où votre pays préside le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Vous-même avez été l’un d’entre nous pendant près de dix ans, de 1992 à 2001, et vous êtes l’un des plus grands défenseurs des valeurs que nous représentons.

Après avoir quitté l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, vous avez été Premier ministre, puis ministre des Affaires étrangères, jusqu’à votre élection à la présidence de la Turquie en 2008. Nous sommes fiers que notre Assemblée ait ouvert la voie à une telle carrière politique.

Votre implication personnelle dans les affaires du monde et de l’Europe est bien connue. Au nom de l’Assemblée parlementaire, j’aimerais vous féliciter pour le prix Chatham 2010 qui vous a été décerné. Cela montre combien vos contributions à la politique internationale sont appréciées.

Se situant à la croisée des chemins entre l’Europe, le Moyen-Orient, l’Asie centrale et la rive sud de la Méditerranée, la Turquie est un facteur essentiel de stabilité et de prospérité pour le continent européen. C’est aussi une passerelle entre les différentes cultures et religions.

Etat européen moderne, la Turquie partage pleinement les principes de la démocratie, de l’Etat de droit et des droits de l’homme qui sont ceux de notre Organisation.

En tant qu’homme politique turc, vous avez consacré de nombreux efforts à la promotion des réformes démocratiques dans votre pays. Les progrès accomplis dans ce domaine sont clairement visibles. Les résultats du référendum sur le changement constitutionnel et le fort taux de participation montrent combien le peuple turc est attaché à ces droits démocratiques, à ces libertés et à un avenir européen. Je suis sûr qu’avec votre très fort soutien politique les réformes démocratiques se poursuivront dans le calme et dans l’intérêt des citoyens turcs.

Vous voulez certainement, Monsieur le Président, évoquer de nombreuses questions devant nous. C’est pourquoi nous sommes impatients d’entendre vos idées sur le présent et le futur de votre pays, ainsi que sur le rôle que le Conseil de l’Europe devrait jouer, en Europe et dans le monde.

Vous avez la parole.

M. GÜL, Président de la Turquie* – Monsieur le Président, avant de prononcer mon discours, j’exprime mes plus sincères condoléances au peuple russe, par l’entremise de ses représentants présents dans cet hémicycle. Une fois de plus, je condamne toutes les formes de terrorisme.

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, c’est un grand plaisir pour moi que d’être de nouveau dans l’enceinte du Conseil de l’Europe. J’ai été assis dans vos rangs pendant dix années. Etre membre de l’Assemblée parlementaire fut une expérience personnelle extrêmement enrichissante.

Mon engagement auprès du Conseil de l’Europe coïncide parfaitement avec les vingt années de ma carrière politique. C’est en tant que membre de l’Assemblée parlementaire que j’ai pris ici la parole pour la première fois. Ensuite, j’ai eu l’occasion d’intervenir devant l’Assemblée parlementaire en tant que Premier ministre, avant de représenter, en tant que ministre des Affaires étrangères, mon pays au Comité des Ministres. C’est maintenant la deuxième fois que je m’adresse à cette assemblée en tant que Président de la Turquie.

Monsieur Çavuşoğlu, mon concitoyen, préside à l’heure actuelle l’Assemblée parlementaire, tandis que mon pays préside le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. J’aimerais exprimer toute ma reconnaissance aux Etats membres pour la confiance qu’ils ont ainsi témoignée à mon pays.

Monsieur le Président, nous sommes réunis ici, à Strasbourg, en ce début d’année 2011, à un moment où l’Europe connaît une grave crise et est affectée par un profond pessimisme. Notre continent essaie de sortir de la crise économique extrêmement sévère qui l’a frappé, plus gravement encore que d’autres régions du monde.

L’Europe connaît un taux de chômage élevé et un fort taux d’endettement qui contraint de nombreux pays à adopter des mesures économiques extrêmement dures. Or, pendant quelque quatre siècles, grâce à ses idées, à sa révolution industrielle et à sa technologie innovante qui permettaient une croissance économique ininterrompue, l’Occident a joui d’un avantage comparatif par rapport au reste du monde.

Il y a de cela seulement dix ans, les démocraties industrielles dominaient l’économie mondiale. Elles représentaient 70 % de la richesse produite. Aujourd’hui, cette proportion est tombée à 50 %. Dans seulement dix ans, elle sera tombée, estime-t-on, à 40 %. Les richesses seront alors essentiellement produites dans le monde émergent.

Ce changement conduit à une nouvelle distribution du pouvoir au niveau international. Il est clair que le centre de gravité du monde se déplace de l’Occident vers d’autres régions du monde, en particulier l’Asie. Si cette tendance se poursuit, l’influence économique et le rôle de l’Europe se réduiront petit à petit.

Cependant, l’Europe, ce n’est pas seulement l’industrialisation, les technologies ou la puissance économique. L’Europe, c’est également le berceau de concepts tels que la démocratie, l’Etat de droit et le respect des droits de l’homme. C’est l’Europe qui a porté en son sein les révolutions démocratiques, comme l’a montré l’Histoire.

Le pouvoir relatif des différents pays, la puissance économique des différents continents ont connu des hauts et des bas au cours de l’Histoire. En revanche, les valeurs nées en Europe perdureront éternellement, elles guideront l’humanité au cours des prochains siècles. C’est pourquoi nous ne devons pas perdre de vue la force qui continue d’être celle de l’Europe.

Au XXe siècle, ayant connu – comme au cours des siècles précédents – des guerres ravageuses, l’Europe a décidé de donner à l’humanité les œuvres les plus nobles.

Notre continent a accompli des progrès immenses ces soixante dernières années. Il a construit un ordre démocratique commun fondé sur l’Etat de droit et le respect des droits de l’homme. L’Europe de l’après-guerre, c’est une maison, une communauté à laquelle chaque citoyen appartient en vertu des droits et libertés individuels dont il jouit, qui sont garantis par des gouvernements élus démocratiquement et défendus par un système judiciaire impartial et indépendant. La tolérance, l’acceptation de l’autre, le respect mutuel de la diversité : voilà notre norme commune !

Etre membre d’une telle communauté, c’est aussi accepter des obligations, se respecter les uns les autres, contribuer au développement d’une société juste où règne la cohésion sociale.

Ces réalisations démocratiques continuent d’être l’apport spécifique de l’Europe au reste du monde. L’Europe, c’est un mode de vie fondé sur des valeurs et des normes communes. Ainsi l’Europe reste-t-elle forte et conserve-t-elle sa pertinence dans le monde actuel.

L’Europe divisée avait conduit à la guerre et à l’oppression. Une Europe sans lignes de clivage, reposant sur des principes démocratiques, a, elle, conduit à la paix et à la prospérité.

Notre Organisation se trouve au cœur même de cette construction démocratique. Elle a réalisé un travail de pionnier, transformant notre continent en un espace juridique unique.

J’aimerais néanmoins souligner que l’Europe n’est pas véritablement consciente du pouvoir quelle détient et qu’elle est trop souvent perçue comme un acteur absent à l’échelle internationale.

Monsieur le Président, aujourd’hui c’est le pessimisme qui prévaut sur la vie politique en Europe. De plus en plus de manifestations d’intolérance et de discriminations se font jour dans nos sociétés. Ces dernières années, nos Etats membres sont affectés par l’affaiblissement des relations sociales, par la radicalisation des écarts entre groupes religieux, les clivages ethniques, les divisions entre communautés culturelles. Cela nuit au tissu social de nos nations.

Ces nouvelles tendances représentent un défi pour les sociétés européennes et peuvent même mettre en danger l’acquis démocratique de l’Europe.

Le racisme et la xénophobie sont l’une des principales causes d’inquiétude dans le cadre de la crise économique actuelle. Ils obligent les gouvernements et les élites politiques à prendre une position très ferme vis-à-vis des migrants. Ce sont les Roms, les gens du voyage, les musulmans, les juifs, ceux qui sont différents qui en font les frais et qui font l’expérience du rejet et de l’exclusion sociale dans nombre de nos sociétés.

De plus en plus d’électeurs votent en faveur de partis politiques qui font de l’immigration la cause principale de l’insécurité, du chômage, des crimes, de la pauvreté, des difficultés sociales.

Ces tendances devraient tous nous inquiéter parce qu’il s’agit de pathologies qui menacent la force de l’Europe dans le monde. Nous devons œuvrer de concert pour lutter contre ces problèmes et réaffirmer la place de l’Europe sur la scène internationale.

Mesdames, Messieurs les députés, le Conseil de l’Europe a beaucoup fait et continue d’agir pour promouvoir la coexistence pacifique des peuples en Europe et le respect mutuel des personnes de toutes origines, cultures ou croyances.

Nombre de vos sessions à l’Assemblée sont consacrées à cette noble tâche.

La Cour européenne des droits de l’homme a prononcé de nombreux arrêts qui défendent cet objectif. Le Comité des Ministres, le Commissaire aux droits de l’homme, le Comité européen contre le racisme et l’intolérance ont tous apporté leur contribution à une vie collective harmonieuse pour que chacun vive avec l’autre comme son égal, en toute dignité.

C’est pourquoi le Conseil de l’Europe a pour mission de relever ces nouveaux défis.

En tant que gardiens de la Convention européenne des droits de l’homme, notre mission est de défendre les valeurs qui sont la condition même de la sécurité démocratique et de la stabilité en Europe.

Monsieur le Président, j’aimerais être clair à ce sujet. Les sociétés européennes vont se diversifier de plus en plus. Comme l’indiquent les dernières tendances démographiques et notamment le vieillissement de la population, un certain niveau de migration sera nécessaire pour que la prospérité perdure dans la plupart des pays européens. Les experts tombent d’accord à ce sujet. Il faudra compenser la perte de production économique due au vieillissement de la population par une migration accrue.

Nous constatons parfois que les vagues de migration s’inversent. Par exemple, mon pays, la Turquie, connaît aujourd’hui une immigration en provenance des pays occidentaux qui l’entourent, alors qu’elle était un point de départ des migrants dans les années 1960. Le choix d’une Europe forteresse serait un choix irrationnel et une illusion. Si nos sociétés veulent se diversifier, il faut répondre aux conséquences politiques et sociales croissantes de cette diversité.

Les démocraties européennes commencent à constater ce que la démocratie américaine avait découvert, il y a de cela quelque temps déjà : séparés mais égaux n’est pas la bonne voie. Lorsqu’on divise, il n’y a pas d’égalité. Les communautés de migrants de même que celles des pays d’accueil doivent tout faire pour éviter la ségrégation, la séparation et la coexistence en parallèle.

La diversité doit être inclusive pour que les sociétés démocratiques vivent en bonne harmonie. Il faut que chacun s’attelle à intégrer de manière réussie les migrants.

Les musulmans d’Europe ont peut-être été plus touchés que d’autres par ces tendances, en particulier après les attaques terroristes du 11-Septembre à New York, Madrid, Istanbul et Londres.

Les musulmans en Europe sont très différents de par leurs différentes origines géographiques et leur héritage culturel, mais aussi par la lecture qu’ils font de leur foi. Pourtant, on perçoit mal ces différences et on considère tous les musulmans comme formant une communauté unique.

Ceux qui commettent des crimes n’ont rien à voir avec l’islam. Il faut bien comprendre que les terroristes attaquent aussi des cibles musulmanes. Leur objectif n’est pas politique. Leur objectif est d’atteindre une sorte d’utopie illégale et archaïque.

L’islam, comme toutes les autres religions, prêche la tolérance et le respect des êtres humains, quelles que soient leurs croyances et leurs religions. C’est l’abus de la croyance ou de la religion à des fins politiques qui conduit à l’intolérance et à l’exclusion.

Il en est de même pour ce qui est des minorités ethniques et des récentes vagues d’immigration en Europe. Ce sont ces différentes communautés, ces nouveaux arrivants qui font l’objet de stéréotypes dans l’opinion publique et dans les médias.

Nous devons promouvoir les droits de l’homme, la tolérance, le dialogue et la cohésion sociale pour que chacun ait confiance dans nos institutions démocratiques. Si nous y parvenons, l’Europe restera ce phare du respect des droits de l’homme de par le monde. On dit que pour assurer la liberté, le prix en est la vigilance éternelle. Or, les craintes populaires face à l’immigration ont conduit à un soutien renforcé à des partis politiques extrémistes. Je suis particulièrement préoccupé par le fait que des partis politiques moins extrémistes souhaitent néanmoins attirer aussi cet électorat en suscitant ces peurs parmi la population.

J’ai toujours défendu l’usage d’un nouveau langage politique dans notre pays et à l’étranger. Je pense que c’est le langage que l’on utilise en politique qui permet d’être constructif ou négatif. Nous pouvons soit assurer une meilleure compréhension entre les uns et les autres, soit diviser pour mieux régner. Il faut que chacun tente de répondre aux peurs de la population d’une manière convaincante et dans le strict respect de la diversité et des droits de l’homme.

Je tiens à souligner que l’Europe ne sera jamais entre de bonnes mains tant que ses responsables politiques diront qu’elle est en guerre contre les autres cultures et les autres religions. Si de tels arguments continuent d’être répandus, non seulement l’Europe sera moins tolérante et moins démocratique, mais elle deviendra également une zone plus dangereuse pour ses habitants.

Il faut tenir compte des tristes leçons du passé. N’oublions pas que le soutien populaire à l’antisémitisme s’élevait seulement à 5 % à la fin des années 1920. Avec l’effet boule de neige, cette minorité empoisonnée de 5 % d’antisémites a conduit, quelques années plus tard seulement, à l’Holocauste. Si on ne tire pas les leçons de l’Histoire, celle-ci peut se répéter. Le Conseil de l’Europe a un rôle essentiel à jouer pour répondre aux défis contemporains. C’est pourquoi je suis heureux de la constitution d’un groupe d’éminents Européens à l’initiative de la présidence turque et je remercie le Secrétaire Général, M. Thorbjørn Jagland, de sa mise en place, d’autant qu’à sa tête se trouve mon ami, M. Joschka Fischer. J’appelle votre Assemblée à contribuer à ce grand projet intitulé « Vivre ensemble ».

La démocratie et les droits de l’homme ne doivent jamais être considérés comme un acquis définitif. En tant que gardien de ces valeurs, le Conseil de l’Europe a, à mon avis, pour mission de poursuivre sa tâche. Pour le faire, il est tout aussi pertinent qu’il y a soixante ans.

Chers amis, il ne faut certes pas oublier les relations de l’Organisation avec l’Union européenne, mais l’Europe ne se réduit pas à l’Union européenne. Le Conseil de l’Europe représente 800 millions d’Européens : il est donc l’unique organisation paneuropéenne fondée sur des valeurs. Grâce à lui, ces millions d’Européens jouissent de droits fondamentaux, comme l’égalité de traitement, la liberté d’expression, l’égalité entre les sexes, la bonne gouvernance ou la transparence. Ils ont également le droit que des comptes leur soient rendus.

Le Conseil de l’Europe a transformé ces valeurs en des engagements contraignants par le biais de mécanismes de suivi. Grâce à l’Organisation, il existe aussi un espace juridique commun en Europe. On ne saurait donc sous-estimer la valeur de notre Organisation et son rôle dans la construction d’une Europe plus libre, plus sûre et plus prospère.

Afin qu’il puisse maintenir son rôle et poursuivre sa tâche, j’en appelle à tous les membres du Conseil pour qu’ils continuent leur activité notamment politique en son sein. Je sais que le Secrétaire Général de l’Organisation s’est engagé fermement dans une réforme politique permettant au Conseil d’être plus pertinent et plus visible encore. Je lui ai fait part de ma conception de l’avenir de l’Organisation lorsqu’il m’a rendu visite à Ankara. Il m’a informé ce matin qu’il ferait de nouvelles propositions. La Turquie apporte tout son soutien à ses efforts. À cette fin, la présidence turque a identifié la réforme de l’Organisation comme une de ses priorités.

La prochaine réunion du Comité des Ministres aura lieu au mois de mai à Istanbul. J’espère qu’elle sera l’occasion de finaliser certaines des réformes actuellement envisagées. La transformation la plus réussie de l’Organisation fut celle de la Cour européenne des droits de l’homme. Cette institution unique en son genre est un succès qui parle de lui-même. Il est donc paradoxal que la Cour soit aujourd’hui confrontée au plus difficile des défis. C’est pourquoi le processus de réforme entamé lors de la Conférence d’Interlaken, sous présidence suisse, doit se poursuivre. La présidence turque le fera dans le cadre d’une conférence de haut niveau qui se tiendra à Izmir, au printemps prochain.

Monsieur le Président, chers amis, tout comme l’Europe elle-même, le Conseil de l’Europe est à la croisée des chemins. Notre continent a de nombreuses raisons de s’inquiéter, mais notre foi en la démocratie doit nous permettre de relever les défis auxquels nous sommes confrontés. Les Etats européens doivent résister à toute tentation de se refermer sur eux-mêmes. L’Europe ne peut échapper à la mondialisation, qui est un processus économique et culturel rapide. Elle doit l’encadrer. Si elle parvient à l’intégrer, elle pourra alors changer l’évolution et le développement du monde. La diversité croissante de l’Europe, sa pertinence, ses valeurs partagées, les leçons qu’elle a tirées du passé, tels sont ses grands atouts.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, rappelons-nous le discours tenu par Winston Churchill au Conseil de l’Europe en 1950. Devant la menace communiste, il avait appelé à la création d’une armée unique européenne. Nos ennemis d’antan sont devenus nos nouveaux amis, nos alliés. L’Europe est bien plus sûre aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a soixante ans. Toutefois, elle doit encore surmonter des défis. Pour le faire, nous avons besoin non pas d’une armée mais d’une conscience unique européenne, pour une Europe plus libre, plus juste, plus égale et plus unie.

Le Conseil porte nos valeurs et nos aspirations : il constitue un forum sans pareil pour nourrir cette conscience. Agissons ensemble pour construire cette Europe-là.

LE PRÉSIDENT* – Je vous remercie, Monsieur le Président, de ce discours qui aura passionné les membres de l’Assemblée. Mes collègues souhaitent vous poser des questions. Il y a plus de quarante inscrits.

Je tiens à leur rappeler qu’ils ont trente secondes chacun. De plus, il s’agit bien de poser une question et non pas de faire un discours.

La parole est d’abord à M. Volontè, au nom du Groupe du Parti populaire européen.

M. VOLONTÈ (Italie)* – Monsieur le Président, nous sommes très heureux de votre venue dans cet hémicycle, vous qui avez été des nôtres durant tant d’années.

Vous avez évoqué un grand nombre de sujets, notamment le danger de voir l’Europe revenir aux années 1930. Nous sommes tous préoccupés par l’extrémisme. Toutefois, l’Europe se rappelle son histoire et ne veut pas d’un retour en arrière.

De grandes réformes constitutionnelles ont été réalisées en Turquie : comment ferez-vous pour que votre pays renforce davantage encore la liberté de religion, l’autonomie des minorités et les droits de l’homme ?

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Président.

M. GÜL, Président de la Turquie* – Comme vous l’avez souligné, la Turquie a lancé des réformes de grande ampleur visant à renforcer les normes démocratiques et juridiques turques.

Ce travail a parfois été décrit comme une révolution silencieuse. Nous avons encore beaucoup de choses à faire mais aucun pays n’est parfait en Europe, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest. Nous sommes conscients des lacunes existantes et avons l’intention de tout faire pour les combler. Nous avons confiance en nous-mêmes pour réaliser cet effort. Les réformes vont se poursuivre en Turquie dans tous les domaines, y compris ceux que vous avez évoqués.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Durrieu, au nom du Groupe socialiste.

Mme DURRIEU (France)* – Monsieur le Président, je tiens à vous saluer – nous avons été collègues – ainsi que votre pays. En tant que rapporteur sur le dialogue postsuivi, mission qui doit bientôt s’achever, je salue également les réformes que vous y avez réalisées.

La Turquie vit un moment privilégié puisque, outre votre présence ce matin, et celle du président du Comité des Ministres hier, le Président du Conseil de l’Europe est également un Turc – je rends hommage à son travail. Vous êtes la conscience du Conseil de l’Europe.

Or l’évolution démocratique d’un pays se mesure à certains moments plus qu’à d’autres. Lors du dernier référendum, une seule réponse était possible pour 26 questions. Pour les prochaines élections qui se dérouleront en juin 2011, modifierez-vous le seuil de 10 %, comme vous vous y étiez engagé en 2007 ? Je vous rappelle que la Commission de Venise l’a jugé trop élevé.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Président.

M. GÜL, Président de la Turquie* – Notre Constitution prévoit que la loi électorale ne peut être modifiée pendant une année électorale. À une époque, il était possible de le faire et nous avons connu de mauvaises expériences. Mais une révision constitutionnelle est prévue après les élections du mois de juin. Le débat est déjà lancé, un grand nombre de modifications ont déjà été apportées et chacun, partis de l’opposition et au pouvoir, est convaincu qu’il est nécessaire de réformer notre Constitution.

Sachez cependant qu’en ce qui concerne les candidats indépendants, il n’existe pas de seuil.

LE PRÉSIDENT* – Je vous rappelle, mes chers collègues, d’une part, que vous avez 30 secondes pour poser votre question et, d’autre part, qu’il ne s’agit pas de faire un commentaire.

La parole est à M. Savvidi, au nom du Groupe démocrate européen.

M. SAVVIDI (Fédération de Russie)* – Monsieur le Président, je vous remercie pour vos condoléances à l’égard de la population russe qui a été victime hier d’un attentat terroriste.

Je voudrais également, par votre intermédiaire, remercier le Gouvernement turc de la possibilité qui a été donnée cette année, après quatre-vingt-sept ans, d’accepter une liturgie dans des monastère orthodoxes de l’est de votre pays. Est-il possible de restaurer ces monastères religieux?

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Président.

M. GÜL, Président de la Turquie* – Nous respectons tous les citoyens, quelle que soit leur religion. La liberté de religion existe en Turquie, elle est essentielle pour la démocratie.

Quand, dans le passé, les questions politiques et religieuses ont été confondues, aussi bien dans le débat national qu’international, cela a donné lieu à des difficultés. Aujourd’hui, nous avons bien l’intention d’éliminer tous les obstacles à ces libertés. Cela est aussi très important pour la majorité musulmane de Turquie. Notre but est de respecter chaque citoyen et la religion qu’il pratique, qu’il soit musulman, catholique, orthodoxe ou même agnostique.

La rénovation des monastères, est une question technique que je ne souhaite pas aborder. Mais sachez que la restauration d’une église arménienne a été financée par l’Etat et que d’autres églises et des mosquées font également l’objet de travaux de restauration. La Turquie est un très grand pays qui compte un grand nombre de monuments très anciens dont certains ont besoin d’être restaurés.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Fiala, au nom de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe.

Mme FIALA (Suisse)* – Merci d’être parmi nous, Monsieur le Président. Les frontières extérieures de Schengen connaissent des difficultés. La Grèce vit actuellement une situation qu’à connue l’Italie, à savoir l’arrivée massive de réfugiés, souvent via votre pays, en provenance d’Afrique sub-saharienne, d’Afghanistan ou d’Iran. Comment la Turquie peut-t-elle contribuer à atténuer ce problème ? Combien de réfugiés traversent les frontières de la Turquie aujourd’hui ?

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Président.

M. GÜL, Président de la Turquie* – Vous évoquez un problème majeur qui n’intéresse pas seulement l’Europe. De nombreux pays sont concernés, notamment la Turquie.

Pour être objectif, il convient de préciser que ces flux ne passent pas uniquement par la Turquie, mais aussi par d’autres pays. Certains migrants arrivent même par la mer. La Turquie est attentive à ce problème puisque du fait de sa géographie, elle se trouve sur les itinéraires des migrants de l’Est et du Sud. C’est la raison pour laquelle nous avons pris un train de mesures assez strictes en coopération étroite avec des organisations régionales et internationales. Nous en discutons aussi avec les autorités grecques et bulgares, entre autres.

La Turquie ne peut pas devenir le pays d’accueil de tous les migrants. Par moments, les flux sont très importants. Toutefois, nous avons accordé récemment certains droits à des personnes se trouvant sur notre territoire, notamment en matière de protection sociale. Mais il est indispensable que les pays concernés coopèrent étroitement.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Hunko, au nom du Groupe pour la gauche unitaire européenne.

M. HUNKO (Allemagne)* – Monsieur le Président, M. Hammarberg, le Commissaire aux droits de l’homme, a parlé de la résolution du conflit kurde comme une des tâches centrales en matière de droits de l’homme en Europe.

J’ai fait partie, en octobre, d’une délégation allemande qui s’est rendue dans votre pays pour suivre le procès de 151 leaders de la société civile kurde, élus, avocats, syndicalistes, défenseurs des droits humains, intellectuels, journalistes et fonctionnaires à Diyarbakir.

Ma question est la suivante : pourquoi des dizaines de membres d’un parti politique légal se retrouvent-ils en détention provisoire pour certains, depuis deux ans, et pourquoi ne peuvent-ils pas s’entretenir dans leur langue maternelle ? Ne pensez-vous pas qu’en bloquant la voie démocratique, la spirale de la violence ne fera que se développer ?

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Président.

M. GÜL, Président de la Turquie* – Si vous avez suivi cette affaire, vous devez connaître la position de la Turquie: plus l’Etat démocratique sera développé, plus nous aurons un Etat de droit et plus les terroristes se verront isolés. Mais aucun Etat ne peut accepter que d’autres pouvoirs cherchent à agir par des canaux différents.

Ce sont des tribunaux indépendants qui jugent cette affaire et nous souhaitons qu’ils rendent leurs verdicts le plus rapidement possible. Si les accusés ne parlent pas le turc, ils ont la possibilité de s’exprimer dans une autre langue.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Omtzigt.

M. OMTZIG (Pays-Bas)* – Je vous remercie, monsieur le Président, pour vos propos très clairs et pour vos efforts incessants en vue de promouvoir les droits de l’homme en Turquie et dans le reste de l’Europe.

Vous avez mentionné les minorités musulmanes dans les pays d’Europe. Je voudrais vous demander de vous intéresser également aux minorités chrétiennes dans votre propre pays. Je pense, par exemple, à ce qui s’est passé au sujet de divers monastères. Que comptez-vous faire pour protéger ces minorités et donner suite à la Résolution que nous avons adoptée à ce sujet ?

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Président.

M. GÜL, Président de la Turquie* – Le Traité de Lausanne prévoit le respect des droits des minorités et leur protection. La Turquie a souscrit à ce traité et les minorités n’ont pas moins de droits que les autres citoyens Turcs.

Par conséquent, en tant que citoyens, tous les gens sont égaux en Turquie, quelles que soient leur foi ou leurs croyances, et chacun a le droit de pratiquer sa religion et d’en parler.

S’agissant des problèmes de propriété, un certain nombre de questions se posent. Des discussions, parfois très anciennes, portent sur certaines propriétés. Si les décisions prises par les tribunaux turcs en la matière n’apparaissent pas satisfaisantes, la partie qui s’estime lésée peut s’adresser à la Cour européenne des droits de l’homme, dont les arrêts sont contraignants pour la Turquie, qui fait donc ce qu’il faut pour y donner suite.

Je ne vois pas très bien à quel cas vous faites référence. J’ignore s’il s’agit de la propriété d’une fondation, mais je pourrais vous citer l’exemple d’une propriété qui appartenait à une minorité. Cette dernière s’est adressée à la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci a jugé que la minorité religieuse concernée était dans son droit et son bien lui a été restitué. Il faut bien examiner tous les aspects des différents cas !

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Salles.

M. SALLES (France) – Monsieur le Président, la Turquie et Israël ont toujours entretenu des relations confiantes permettant un dialogue utile et fructueux dans une région particulièrement sensible. Il semble que ces relations se soient dégradées ces dernières années. La Turquie, du fait de sa situation stratégique particulière, n’a-t-elle pas intérêt à jouer un rôle de médiateur facilitant le dialogue entre Israël et ses voisins immédiats ?

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Président.

M. GÜL, Président de la Turquie* – Notre politique étrangère va dans ce sens et, en jouant ce rôle, notre objectif n’est pas d’accroître le prestige de la Turquie, mais de contribuer à la stabilité et à la paix dans notre région.

Quand nous songeons à notre histoire, nous voyons que la Turquie a, pendant bien des siècles, joué un rôle important sur un très vaste espace géographique et dans un vaste système de coopération. La Turquie a la capacité d’apporter une contribution pour résoudre les problèmes régionaux.

Pour ce qui concerne le Moyen-Orient, les Israéliens comme les Palestiniens ont demandé à la Turquie de les aider à résoudre un certain nombre de problèmes. Ainsi, la Turquie est intervenue entre Israël et la Syrie pour inciter ces deux pays à engager des négociations directes. C’est une dimension qui s’inscrit dans notre approche globale pour le Moyen-Orient.

S’agissant de nos relations avec Israël, elles sont bien réelles comme elles le sont avec Gaza. La Turquie a également tenté d’apporter une contribution à la résolution de quelques problèmes entre Israël et des pays arabes à la demande, d’ailleurs, des parties concernées. La Turquie s’est impliquée dans toutes ces activités parce qu’on le lui avait demandé. Elle n’était ni tenue ni obligée de le faire !

Pour ce qui est de nos décisions récentes, elles relèvent moins d’un choix de la Turquie que du choix d’Israël, depuis l’affaire de l’embargo à Gaza. Les organisations internationales ont considéré que cet embargo n’était pas légal et beaucoup ont dit qu’une sanction collective ne saurait être acceptée. De nombreuses organisations humanitaires ont tenté d’aider les habitants de Gaza. À l’instar de nombreux pays, la Turquie l’a également fait avec la participation de personnes venant de 47 pays. Il s’agissait en fait d’un convoi humanitaire qui s’approchait de Gaza et qui a été attaqué par Israël dans les eaux internationales. Vous savez ce qui en a résulté !

La situation actuelle s’explique donc moins par un choix de la Turquie que par un choix d’Israël. Si Israël n’a plus confiance en la Turquie, c’est l’affaire d’Israël. Nous ne voulons pas, quant à nous, nous mêler des affaires des autres sans y être invités. Il reste que, dans le passé, de nombreuses demandes ont été adressées par le Gouvernement israélien à la Turquie pour intervenir dans la Grande région et que la Turquie y a donné suite en vue de favoriser la paix et la stabilité dans la région. En l’espèce, la Turquie n’a pas ménagé ses efforts.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Gautier.

Mme GAUTIER (France) – Monsieur le Président, au mois de janvier votre pays a été condamné par la Cour pour avoir interdit la parution de six journaux entre 2001 et 2007.

En 2010, la Cour a également condamné la Turquie pour avoir interdit le retour sur son territoire d’une universitaire américaine. Puis elle a lui a demandé de verser des indemnités à deux journaux censurés pour avoir publié des déclarations du PKK.

Vous devinez donc quelle est ma question, monsieur le Président : qu’en est-il exactement des engagements que vous avez souscrits en matière de liberté d’expression auprès du Conseil de l'Europe ?

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Président.

M. GÜL, Président de la Turquie* – J’ai écouté vos propos, mais c’est la première fois que j’entends parler de ces affaires, je n’en avais pas connaissance. Notre ambassadeur, représentant permanent au Conseil de l'Europe et donc présent ici, a l’air tout aussi surpris que moi et il m’indique qu’il n’a pas reçu ces informations. Je ne suis pas sûr qu’elles soient correctes, mais si vous pouvez me le garantir, je vous prie de me donner davantage de précisions car je n’ai connaissance ni des interdictions de journaux ni des autres évènements que vous mentionnez. Cela étant, nos diplomates pourront suivre cette affaire dont ils viennent de prendre connaissance.

Si l’expression de la liberté ne s’accompagne pas de violences, il faut accepter ce que l’on vous dit. Ce qui est dit ne plaît pas forcément à un pays, la Turquie en l’occurrence, mais s’il ne s’agit pas d’une tentative de s’adonner à la violence ou de provoquer la violence, tout peut être dit et tout peut être discuté en Turquie.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Zohrabyan.

Mme ZOHRABYAN (Arménie)* – Quand la Turquie reconnaîtra-t-elle le génocide d’un million et demi d’Arméniens commis sous l’Empire ottoman ? Ne pensez-vous pas que la Turquie doit avoir le courage d’accepter et de reconnaître le génocide arménien afin qu’elle puisse se libérer du lourd fardeau de son passé et prendre sa place parmi les pays civilisés ?

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Président.

M. GÜL, Président de la Turquie* – Nous considérons que le terme de génocide n’est pas approprié. Nous n’acceptons pas l’idée d’un génocide dans l’histoire de notre pays. Si des personnes l’affirment, nous les engageons, et de façon très ouverte, à créer une commission réunissant des spécialistes, des scientifiques, afin d’établir s’il y a eu oui ou non génocide. Nous ouvrirons toutes nos archives, militaires et civiles. Nous sommes disposés à laisser travailler une telle commission dont nous accepterions ensuite les résultats.

Je voudrais revenir à la Première Guerre mondiale. Les souffrances furent vives et nous déplorons tous les souffrances qui furent causées à l’époque. L’Empire ottoman, prédécesseur de la Turquie moderne, combattait sur quatre fronts différents. Des provocations de personnes vivant dans ces régions ont entraîné des mouvements de populations et des affrontements au cours desquels de nombreuses personnes, de toutes les parties prenantes, ont perdu la vie. Ce sont des faits que nous ne pouvons que regretter.

Mais pour parler de génocide, il faut dès l’origine une intention délibérée de tuer les personnes appartenant à une ethnie ou à une religion. Si l’on se penche sur les faits historiques, on constatera que des citoyens arméniens de l’époque étaient membres de la Haute cour de justice de l’Empire ottoman ou ambassadeurs et que toutes les églises d’Istanbul étaient ouvertes. Vous voulez qualifier ces faits de génocide mais ne pouvons l’accepter. Il faudrait ouvrir les archives, réaliser un travail sérieux d’enquête pour déterminer si cela est avéré. Je le répète, nous sommes prêts à accepter les résultats des travaux d’une commission indépendante.

Le fondateur de la République de Turquie, Mustafa Kemal Atatürk, pour ne pas réveiller l’hostilité et la haine parmi les habitants du pays, évitait d’évoquer le passé et parlait de l’avenir. À la suite des nombreux conflits que la Turquie a connus, des millions de Turcs ont quitté les Balkans pour revenir en Turquie et trois millions de Turcs ont perdu la vie. Les souffrances furent partagées.

Evoquer des faits en essayant de susciter l’hostilité entre la Turquie moderne et ses voisins n’est pas conforme à la volonté des fondateurs de la Turquie, qui voulaient établir des relations d’amitié et jeter un pont vers l’avenir.

L’affirmation à laquelle vous faites référence semble avoir été accueillie favorablement dans un grand nombre de pays. Ainsi le Parlement d’un pays peut se réunir pour affirmer qu’un génocide a été commis voilà un siècle, décréter où il a eu lieu, quand et qui en est responsable. Mais si l’on pose ces questions à ceux qui ont voté pour cette résolution, ils ne sont pas en mesure de répondre.

Si l’on tenait compte de tous les faits historiques, personne en Europe ne serait en mesure d’avoir des relations avec ses voisins. Bien sûr, nous regrettons et nous déplorons toutes les souffrances subies par le passé, mais il nous faut, tous ensemble, tourner notre regard vers l’avenir. Nous devons envisager l’avenir en amis pour que règnent la paix et l’amitié.

Par conséquent, je ne puis accepter cette allégation. Il faut en débattre et considérer les résultats de l’expertise qui sera faite.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Braun.

M. BRAUN (Hongrie)* – Le Gouvernement turc a-t-il l’intention de se saisir du problème de seize pays membres de l’Union dont les citoyens ont encore besoin d’un visa pour se rendre dans onze autres pays, y compris la Hongrie ?

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Président.

M. GÜL, Président de la Turquie* – Des plaintes, en effet, nous sont adressées. Il arrive que l’on interprète de façon excessive des textes juridiquement contraignants. Dans le cadre de nos relations bilatérales, nous essayons toujours d’évoquer avec nos interlocuteurs, notamment l’Union européenne, la nécessité de réviser ces documents et de modifier leurs dispositions. Il arrive, par exemple, qu’un homme d’affaires envoie des produits dans la foire commerciale d’un autre pays où il n’est pas autorisé à se rendre pour en faire la promotion. C’est une situation paradoxale à laquelle nous sommes parfois confrontés.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Rouquet.

M. ROUQUET (France) – Le processus de normalisation des relations entre la Turquie et l’Arménie nous a donné l’espoir d’une certaine stabilité dans cette région. Vous avez négocié et signé avec l’Arménie sans condition préalable des textes de protocole relatifs aux deux pays. Par la suite, vous avez avancé des préconditions, dont l’une sur le conflit du Haut-Karabakh ne figure pas dans les protocoles et concerne un Etat tiers : l’Azerbaïdjan.

En liant ces questions, monsieur le Président, n’avez-vous pas bloqué toute avancée dans la normalisation tant attendue ?

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Président.

M. GÜL, Président de la Turquie* – Vous avez suivi la politique étrangère de la Turquie au cours des années récentes. Nous cherchons à éviter tous les problèmes avec nos voisins. L’Arménie est un pays voisin. Pendant mille ans, nous avons coexisté de manière extrêmement pacifique, à l’exception de quelques années au cours de la Première Guerre mondiale. Hormis cette période, nous avons une culture commune, des traditions communes et une très longue tradition de coexistence.

Nous n’aimerions rien tant que normaliser nos relations avec l’Arménie. J’ai été le premier Président turc à me rendre en Arménie lorsque le président Sargsian a été élu. Je lui ai écrit une lettre dans laquelle je lui disais que nous devions faire preuve de courage et normaliser nos relations. Il m’a invité et, malgré bien des oppositions dans mon pays, je me suis rendu en Arménie. Je l’ai à son tour invité à venir en Turquie, ce qu’il a fait. Nous sommes tous deux animés d’une volonté politique de normaliser nos relations. Comme vous l’avez indiqué, nous avons signé des protocoles. Nous aimerions qu’ils soient adoptés.

J’ai cru comprendre en écoutant votre question que l’Azerbaïdjan devrait se retirer de l’Arménie, mais il faut admettre qu’une partie du territoire azerbaidjanais qui est occupé est reconnu par les Nations Unis. Je ne pense pas que l’on puisse considérer cela comme un élément accessoire. Je ne dis pas que je lie ces sujets, ne vous méprenez pas sur mon propos. Mais si l’on a une vision globale du problème, si vous me demandez si nous ne signons pas le protocole en raison une occupation du territoire azerbaïdjanais, cela me laisse à penser que vous considérez cette occupation comme accessoire, peu importante, voire légitime. Cela serait contraire aux principes des Nations Unies, puisque chacun reconnaît l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan et l’Arménie sait parfaitement que le territoire qu’elle occupe appartient à la République d’Azerbaïdjan.

Mais cela m’amène à un autre point : si nous voulons instaurer la sécurité et la coopération dans le Caucase, il faut avoir une vision globale. La Turquie, l’Arménie, la Géorgie, l’Azerbaïdjan, la Russie doivent, ensemble, faire en sorte que toute cette région devienne une région de coopération et de paix.

Aussi longtemps que des problèmes se poseront quelque part dans la région, le Caucase restera un mur entre l’Europe et l’Asie. En revanche, si l’on aboutit à une solution, le Caucase cessera d’être un mur pour devenir une passerelle, et les perspectives de développement du Caucase s’ouvriront pleinement.

Par conséquent, nous devons faire preuve de détermination pour surmonter les problèmes dans cette région. Nous sommes déterminés à le faire et nous avons la volonté d’y parvenir. Mais certains problèmes sont chroniques dans la région et il n’est pas toujours possible de les traiter rapidement. J’espère cependant qu’ils pourront être résolus et que le Caucase deviendra une vaste zone de coopération et de prospérité.

Nous assumons pleinement toutes les mesures que nous avons prises à ce jour et sommes déterminés à faire en sorte que ce processus aboutisse.

LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Türköne, pour poser la dernière question.

Mme TÜRKÖNE (Turquie)* – Excellence, nous sommes très heureux de vous saluer dans cet hémicycle aujourd’hui. Je poserai ma question dans ma langue maternelle, le turc, puisque cela est possible.

Il est parfois dit, notamment dans la presse occidentale, dans les médias américains, que la Turquie « s’écarte » du monde occidental et se tourne vers le Proche et le Moyen-Orient. C’est un débat constant. Qu’en pensez-vous ? Pouvez-vous nous dire si la Turquie a vraiment changé de position ?

LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. le Président.

M. GÜL, Président de la Turquie* – Comme vous l’avez dit, Madame, un certain nombre d’articles de presse ont, au cours de la période récente, défendu ce point de vue. La Turquie a-t-elle changé son approche ? A-t-elle changé d’attitude ?

Avant de répondre, il me faut évoquer un autre sujet. Tout à l’heure, dans mon allocution, j’ai parlé des normes démocratiques, de la primauté du droit et des droits de l’homme. Tel est le cadre général à l’aune duquel il faut juger les choses. S’il y a un manque de progrès dans ces domaines, alors, il convient de se préoccuper de l’attitude de la Turquie. En revanche, si la démocratie se consolide, si les problèmes touchant les droits de l’homme sont progressivement réglés, si les normes en matière de droits de l’homme sont améliorées et si de nouvelles mesures sont prises pour assurer l’égalité des femmes et la place des enfants, si l’évolution est favorable dans les domaines de la transparence et de la responsabilité publique, je ne pense que l’on puisse réellement se préoccuper de la modification de cette attitude ou des priorités de la Turquie.

Bien entendu, la Turquie a le droit d’entretenir des relations avec tous les pays. Du fait de sa situation géostratégique, elle se doit de se tourner vers tous les membres de la région. Devrions-nous demander au Royaume-Uni pourquoi il est actif dans tous les pays du Commonwealth, de la Malaisie à l’Australie ? Pouvons-nous le critiquer pour cela ? Allons-nous demander à la France de cesser d’exploiter ses relations historiquement riches avec certains pays africains ? Non ! De la même manière, la Turquie, dans le cadre de sa politique multilatérale, continue à entretenir des relations économiques et politiques avec tous les pays avec lesquels elle a été historiquement proche. C’est parfaitement normal.

La Turquie est un des membres fondateurs du Conseil de l’Europe. Elle attache une très grande importance aux activités du Conseil. Elle est engagée dans un processus d’adhésion à l’Union européenne. Je ne pense pas que ces préoccupations soient justifiées.

LE PRÉSIDENT* – Je vous remercie vivement, Monsieur le Président, au nom de l’Assemblée pour avoir répondu très complètement aux questions qui vous ont été posées.

4. Prochaine séance publique

LE PRÉSIDENT* – La prochaine séance publique aura lieu cet après-midi, à 15 heures, avec l’ordre du jour adopté précédemment par l’Assemblée.

La séance est levée.

La séance est levée à 13 h 5.

SOMMAIRE

1.        Election d’un juge à la Cour européenne des droits de l’homme au titre du Portugal

2.        Le traitement inhumain de personnes et le trafic illicite d’organes humains au Kosovo

Présentation par M. Dick Marty du rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme (Doc. 12462)

Orateurs : M. de Vries, Mmes Rudd, Beck, MM. Kox, Haibach, Mota Amaral, Frécon, Ivanji, Marquet, Parfenov, Mmes Lavtižar-Bebler, Greff, MM. Ružić, Gardetto, Idrizi, Shaklein, Mićunović, Conde Bajén, Díaz Tejera, Mme Türköne, M. Hancock, Mmes Volozhinskaya, Konečná, M. Aligrudić, Mme Marković, M. Rusmali, Mme Mehmeti Devaja, M. Müri, Mme Wohlwend, M. Chernyshenko

3.        Discours de M. Abdullah Gül, Président de la Turquie

Questions : M. Volontè, Mme Durrieu, M. Savvidi, Mme Fiala, MM. Hunko, Omtzigt, Salles, Mmes Gautier, Zohrabyan, MM. Braun, Rouquet, Mme Türköne

4.        Prochaine séance publique

ANNEXE I

Liste des représentants ou suppléants ayant signé le registre de présence, conformément à l'article 11.2 du Règlement. Sont indiqués en minuscules les noms des suppléants ayant remplacé les représentants absents. Les noms de ceux qui étaient absents ou excusés sont suivis d'un astérisque.

Ruhi AÇIKGÖZ

Artsruni AGHAJANYAN

Francis AGIUS      

Pedro AGRAMUNT FONT DE MORA

Arben AHMETAJ/Damian Gjiknuri

Miloš ALIGRUDIC

Karin ANDERSEN

Florin Serghei ANGHEL

Miguel ARIAS CAÑETE*

Khadija ARIB

Mördur ÁRNASON

Sirpa ASKO-SELJAVAARA/Tuulikki Ukkola

Francisco ASSIS/Sérgio Sousa Pinto

Lokman AYVA*

Michal BABÁK/ Lenka Andrýsová

Alexander BABAKOV/Sergey Markov

Daniel BACQUELAINE/Guy Coëme

Viorel Riceard BADEA

Denis BADRÉ

Doris BARNETT

Meritxell BATET LAMAÑA*

Marieluise BECK

Alexander van der BELLEN/Christoph Hagen

Anna BELOUSOVOVÁ/Tatiana Rosová

Marie-Louise BEMELMANS-VIDEC

Ryszard BENDER

Deborah BERGAMINI*

Andris BERZINŠ

Oksana BILOZIR

Brian BINLEY

Rosa Delia BLANCO TERÁN*

Roland BLUM

Olena BONDARENKO

Louis BONTES/Tineke Strik

Anne BRASSEUR

Márton BRAUN

Federico BRICOLO/Rossana Boldi

HanTEN BROEKE/Hans Franken

Patrizia BUGNANO/Roberto Mario Sergio Commercio

André BUGNON

Sylvia CANEL*

Mevlüt ÇAVUSOGLU/Yüksel Özden

Erol Aslan CEBECI

Mikael CEDERBRATT/Kerstin Lundgren

Igor CHERNYSHENKO

Vannino CHITI

Christopher CHOPE

Pia CHRISTMAS-MØLLER

Lise CHRISTOFFERSEN

Desislav CHUKOLOV*

Boriss CILEVICS

Ingrida CIRCENE

James CLAPPISON/Tim Boswell

Ann COFFEY/Donald Anderson

Georges COLOMBIER

Agustín CONDE BAJÉN

Titus CORLATEAN

Lena DABKOWSKA-CICHOCKA

Per DALGAARD*

Cristian DAVID*

Giovanna DEBONO/Joseph Fenech Adami

Joseph DEBONO GRECH

ArmandDE DECKER/ Dirk van Der Maelen

Arcadio DÍAZ TEJERA

Karl DONABAUER

Miljenko DORIC

Gianpaolo DOZZO/Giacomo Stucchi

Daphné DUMERY

Earl of Alexander DUNDEE*

Josette DURRIEU

Baroness Diana ECCLES/Ian Liddell-Grainger

József ÉKES

Lydie ERR

Arsen FADZAEV/Ivan Savvidi

Frank FAHEY*

Piero FASSINO*

Nikolay FEDOROV

Valeriy FEDOROV

Relu FENECHIU*

Mirjana FERIC-VAC

Daniela FILIPIOVÁ*

Axel E. FISCHER

Jana FISCHEROVÁ

Paul FLYNN

Stanislav FORT

Pernille FRAHM

Dario FRANCESCHINI*

Erich Georg FRITZ

Martin FRONC

György FRUNDA

Guiorgui GABASHVILI

Alena GAJDUŠKOVÁ/Katerina Konecná

Jean-Charles GARDETTO

Marco GATTI*

Tamás GAUDI NAGY

Gisèle GAUTIER

Sophia GIANNAKA/Liana Kanelli

Paolo GIARETTA/Vladimiro Crisafulli

Michael GLOS/Holger Haibach

Svetlana GORYACHEVA/ Sergey Egorov

Neven GOSOVIC/Obrad Gojkovic

Martin GRAF

Sylvi GRAHAM

Claude GREFF

Francis GRIGNON/Muriel Marland-Militello

Patrick DE GROOTE

Andreas GROSS

Arlette GROSSKOST

Dzhema GROZDANOVA

Attila GRUBER

Ana GUTU

Sam GYIMAH/Amber Rudd

Azra HADŽIAHMETOVIC

Carina HÄGG

Sabir HAJIYEV

Mike HANCOCK

Davit HARUTYUNYAN/Zaruhi Postanjyan

Håkon HAUGLI/Anette Trettebergstuen

Norbert HAUPERT

Jeanine HENNIS-PLASSCHAERT/Pieter Omtzigt

Olha HERASYM'YUK*

Andres HERKEL

Serhiy HOLOVATY

Jim HOOD

Joachim HÖRSTER

Anette HÜBINGER

Andrej HUNKO

Sinikka HURSKAINEN/Krista Kiuru

Ali HUSEYNLI*

Rafael HUSEYNOV

Shpëtim IDRIZI

Mladen IVANIC

Željko IVANJI

Igor IVANOVSKI

Tadeusz IWINSKI

Denis JACQUAT/Rudy Salles

Michael Aastrup JENSEN*

Mogens JENSEN

Mats JOHANSSON

Birkir Jón JÓNSSON

Cedomir JOVANOVIC

Armand JUNG

Antti KAIKKONEN/Juha Korkeaoja

Stanislaw KALEMBA

Ferenc KALMÁR

Karol KARSKI*

Michail KATRINIS

Jan KAZMIERCZAK

Cecilia KEAVENEY

Birgen KELES

Haluk KOÇ

Albrecht KONECNÝ

Konstantin KOSACHEV/Oleg Lebedev

Tiny KOX

Václav KUBATA

Pavol KUBOVIC

Jean-Pierre KUCHEIDA*

Ertugrul KUMCUOGLU

Dalia KUODYTE

Athina KYRIAKIDOU*

Markku LAUKKANEN

Sophie LAVAGNA/Bernard Marquet

Darja LAVTIŽAR-BEBLER

Jean-Paul LECOQ

Harald LEIBRECHT

Yuliya LIOVOCHKINA

Dariusz LIPINSKI*

François LONCLE/Christine Marin

Younal LOUTFI*

Marian LUPU*

Philippe MAHOUX

Theo MAISSEN

Gennaro MALGIERI/Giuseppe Galati

Pietro MARCENARO*

Milica MARKOVIC

Dick MARTY

Jean-Pierre MASSERET/Jean-Claude Frécon

Frano MATUŠIC

Alan MEALE

Ermira MEHMETI DEVAJA

Silver MEIKAR/Indrek Saar

Evangelos MEIMARAKIS

Ivan MELNIKOV/Sergey Sobko

Nursuna MEMECAN

José MENDES BOTA

Ana Catarina MENDONÇA MENDES

Dragoljub MICUNOVIC

Jean-Claude MIGNON

Dangute MIKUTIENE/Egidijus Vareikis

Akaki MINASHVILI

Andrey MOLCHANOV/Nikolay Shaklein

Patrick MORIAU

Juan MOSCOSO DEL PRADO HERNÁNDEZ*

Lilja MÓSESDÓTTIR

João Bosco MOTA AMARAL

Alejandro MUÑOZ ALONSO

Felix MÜRI

Philippe NACHBAR*

Adrian NASTASE

Gebhard NEGELE

Pasquale NESSA

Fritz NEUGEBAUER

Baroness Emma NICHOLSON/Charles Kennedy

Tomislav NIKOLIC

Aleksandar NIKOLOSKI

Miroslawa NYKIEL

Carina OHLSSON

Jim O'KEEFFE*

Sandra OSBORNE

Brian O'SHEA*

Elsa PAPADIMITRIOU

Vassiliki PAPANDREOU/Charoula Kefalidou

Valery PARFENOV

Ganira PASHAYEVA

Peter PELEGRINI

Lajla PERNASKA*

Claire PERRY*

Marijana PETIR/Marija Pejcinovic-Buric

Johannes PFLUG*

Viktor PLESKACHEVSKIY/Tatiana Volozhinskaya

Alexander POCHINOK

Ivan POPESCU

Marietta de POURBAIX-LUNDIN

Christos POURGOURIDES

Cezar Florin PREDA

John PRESCOTT

Jakob PRESECNIK

Gabino PUCHE RODRÍGUEZ-ACOSTA*

Lluís Maria de PUIG i OLIVE*

Milorad PUPOVAC*

Valeriy PYSARENKO/ Volodymyr Pylypenko

Carmen QUINTANILLA BARBA*

Mailis REPS/ Aleksei Lotman

Maria Pilar RIBA FONT

Andrea RIGONI*

François ROCHEBLOINE

Luisa ROSEIRA*

Maria de Belém ROSEIRA

Amadeu ROSSELL TARRADELLAS

René ROUQUET

Marlene RUPPRECHT

Ilir RUSMALI

Armen RUSTAMYAN

Branko RUŽIC

Volodymyr RYBAK*

Rovshan RZAYEV

Džavid ŠABOVIC/Ervin Spahic

Giacomo SANTINI

Giuseppe SARO*

Manuel SARRAZIN/Violavon Cramon-Taubadel

Kimmo SASI

Marina SCHUSTER

Samad SEYIDOV

Jim SHERIDAN

Mykola SHERSHUN

Ladislav SKOPAL/Dana Váhalová

Leonid SLUTSKY

Anna SOBECKA

Serhiy SOBOLEV

Maria STAVROSITU

Arune STIRBLYTE/Birute Vesaite

Yanaki STOILOV

Fiorenzo STOLFI

Christoph STRÄSSER*

Karin STRENZ

Michal STULIGROSZ*

Doris STUMP/Doris Fiala

Valeriy SUDARENKOV

Björn von SYDOW

Petro SYMONENKO/Yevhen Marmazov

Vilmos SZABÓ*

Melinda SZÉKYNÉ SZTRÉMI

Chiora TAKTAKISHVILI

Guiorgui TARGAMADZÉ*

Mehmet TEKELIOGLU

Vyacheslav TIMCHENKO

Zhivko TODOROV*

Dragan TODOROVIC/Nataša Jovanovic

Lord John E. TOMLINSON

Latchezar TOSHEV

Petré TSISKARISHVILI

Mihai TUDOSE*

Tugrul TÜRKES

Özlem TÜRKÖNE

Tomáš ÚLEHLA

Ilyas UMAKHANOV/Vladimir Zhidkikh

Mustafa ÜNAL

Giuseppe VALENTINO/ Oreste Tofani

Miltiadis VARVITSIOTIS/Nikolaos Dendias

José VERA JARDIM

Stefaan VERCAMER*

Peter VERLIC/ Andreja Rihter

Luigi VITALI

Luca VOLONTÈ

Vladimir VORONIN*

Konstantinos VRETTOS

Klaasde VRIES

Dmitry VYATKIN

Piotr WACH

Johann WADEPHUL

Robert WALTER*

Katrin WERNER*

Renate WOHLWEND

Michal WOJTCZAK*

Karin S. WOLDSETH

Gisela WURM

Jordi XUCLÀ i COSTA*

Karl ZELLER*

Kostiantyn ZHEVAHO*

Emanuelis ZINGERIS

Guennady ZIUGANOV*

Naira ZOHRABYAN

Siège vacant, Bosnie-Herzégovine*

Siège vacant, Bosnie-Herzégovine*

Siège vacant, Chypre*

Siège vacant, Moldova*

Siège vacant, Moldova/Valeriu Ghiletchi

Siège vacant, Monténégro/Valentina Radulovic-Šcepanovic

EGALEMENT PRÉSENTS

Représentants et Suppléants non autorisés à voter :

Joan CARTES IVERN

Telmo CORREIA

Joseph FALZON

Johannes HÜBNER

Franz Eduard KÜHNEL

Liliane MAURY PASQUIER

Joan TORRES PUIG

Observateurs:

Sladan ĆOSIC

Jean DORION

Percy DOWNE

Alberto ESQUER GUTIERREZ

José GONZALEZ-MORFIN

Aldo GIORDANO

Hervé Pierre GUILLOT

Michael L. MACDONALD

Massimo PACETTI

Yeidckol POLEVNSKY GURWITZ

Représentants de la communauté chypriote turque (Conformément à la Résolution 1376 (2004) de l’Assemblée parlementaire):

Mehmet ÇAĞLAR,

Ahmet ETI

ANNEXE II

Liste des représentants ou suppléants qui ont participé au vote pour l’élection d’un juge à la Cour européenne des droits de l’homme au titre du Portugal

Ruhi AÇIKGÖZ

Francis AGIUS      

Pedro AGRAMUNT FONT DE MORA

Sirpa ASKO-SELJAVAARA/Tuulikki Ukkola

Francisco ASSIS/Sérgio Sousa Pinto

Michal BABÁK/ Lenka Andrýsová

Alexander BABAKOV/Sergey Markov

Viorel Riceard BADEA

Denis BADRÉ

Doris BARNETT

Marieluise BECK

Anna BELOUSOVOVÁ/Tatiana Rosová

Marie-Louise BEMELMANS-VIDEC

Ryszard BENDER

Oksana BILOZIR

Brian BINLEY

Olena BONDARENKO

Márton BRAUN

HanTEN BROEKE/Hans Franken

Patrizia BUGNANO/Roberto Mario Sergio Commercio

André BUGNON

Erol Aslan CEBECI

Mikael CEDERBRATT

Igor CHERNYSHENKO

Christopher CHOPE

Lise CHRISTOFFERSEN

Boriss CILEVICS

Ingrida CIRCENE

James CLAPPISON/Tim Boswell

Georges COLOMBIER

Titus CORLATEAN

Giovanna DEBONO/Joseph Fenech Adami

Joseph DEBONO GRECH

Karl DONABAUER

Miljenko DORIC

Gianpaolo DOZZO/Giacomo Stucchi

Baroness Diana ECCLES/Ian Liddell-Grainger

József ÉKES

Lydie ERR

Arsen FADZAEV/Ivan Savvidi

Nikolay FEDOROV

Valeriy FEDOROV

Jana FISCHEROVÁ

Pernille FRAHM

Erich Georg FRITZ

Martin FRONC

György FRUNDA

Jean-Charles GARDETTO

Tamás GAUDI NAGY

Gisèle GAUTIER

Svetlana GORYACHEVA/Sergey Egorov

Sylvi GRAHAM

Dzhema GROZDANOVA

Attila GRUBER

Ana GUTU

Azra HADŽIAHMETOVIC

Carina HÄGG

Sabir HAJIYEV

Mike HANCOCK

Håkon HAUGLI/Anette Trettebergstuen

Norbert HAUPERT

Jeanine HENNIS-PLASSCHAERT/Pieter Omtzigt

Andres HERKEL

Željko IVANJI

Igor IVANOVSKI

Tadeusz IWINSKI

Denis JACQUAT/Rudy Salles

Mats JOHANSSON

Antti KAIKKONEN/Juha Korkeaoja

Stanislaw KALEMBA

Ferenc KALMÁR

Jan KAZMIERCZAK

Cecilia KEAVENEY

Albrecht KONECNÝ

Konstantin KOSACHEV/Oleg Lebedev

Tiny KOX

Václav KUBATA

Pavol KUBOVIC

Ertugrul KUMCUOGLU

Sophie LAVAGNA/Bernard Marquet

Yuliya LIOVOCHKINA

François LONCLE/Christine Marin

Younal LOUTFI*

Theo MAISSEN

Gennaro MALGIERI/Giuseppe Galati

Dick MARTY

Jean-Pierre MASSERET/Jean-Claude Frécon

Alan MEALE

Nursuna MEMECAN

José MENDES BOTA

Ana Catarina MENDONÇA MENDES

Jean-Claude MIGNON

Dangute MIKUTIENE/Egidijus Vareikis

Andrey MOLCHANOV/Nikolay Shaklein

João Bosco MOTA AMARAL

Alejandro MUÑOZ ALONSO

Gebhard NEGELE

Fritz NEUGEBAUER

Baroness Emma NICHOLSON/Charles Kennedy

Aleksandar NIKOLOSKI

Miroslawa NYKIEL

Carina OHLSSON

Elsa PAPADIMITRIOU

Peter PELEGRINI

Marijana PETIR/Marija Pejcinovic-Buric

Viktor PLESKACHEVSKIY/Tatiana Volozhinskaya

Ivan POPESCU

Marietta de POURBAIX-LUNDIN

Christos POURGOURIDES

Cezar Florin PREDA

Jakob PRESECNIK

Milorad PUPOVAC/ Gvozden Srecko Flego

Valeriy PYSARENKO/ Volodymyr Pylypenko

Maria Pilar RIBA FONT

Amadeu ROSSELL TARRADELLAS

René ROUQUET

Rovshan RZAYEV

Giacomo SANTINI

Manuel SARRAZIN/Violavon Cramon-Taubadel

Kimmo SASI

Marina SCHUSTER

Samad SEYIDOV

Leonid SLUTSKY

Anna SOBECKA

Serhiy SOBOLEV

Maria STAVROSITU

Arune STIRBLYTE/Birute Vesaite

Yanaki STOILOV

Valeriy SUDARENKOV

Björn von SYDOW

Melinda SZÉKYNÉ SZTRÉMI

Vyacheslav TIMCHENKO

Lord John E. TOMLINSON

Latchezar TOSHEV

Özlem TÜRKÖNE

Ilyas UMAKHANOV/Vladimir Zhidkikh

Mustafa ÜNAL

Giuseppe VALENTINO/ Oreste Tofani

Miltiadis VARVITSIOTIS/Nikolaos Dendias

Luca VOLONTÈ

Klaas de VRIES

Piotr WACH

Johann WADEPHUL

Renate WOHLWEND