AS (2011) CR 12
Edition DVD
SESSION ORDINAIRE DE 2011
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(Deuxième partie)
COMPTE RENDU
de la douzième séance
Mardi 12 avril 2011 à 10 heures
Dans ce compte rendu :
1. Les discours prononcés en français sont reproduits in extenso.
2. Les interventions dans une autre langue sont résumées à partir de l’interprétation et sont précédées d’un astérisque.
3. Les interventions en allemand et en italien, in extenso, dans ces langues, sont distribuées séparément.
Le sommaire de la séance se trouve à la fin du compte rendu.
La séance est ouverte à 10 heures, sous la présidence de M. Çavuşoğlu, Président de l’Assemblée.
1. Ouverture de la séance
LE PRÉSIDENT* – La séance est ouverte.
Au nom de l’Assemblée, je veux condamner dans les termes les plus fermes ceux qui ont commis un attentat terroriste hier dans le métro à Minsk. L’explosion a coûté la vie à onze personnes et de nombreuses autres ont été blessées. Cet acte barbare viole tous les principes de notre Assemblée. Je tiens à exprimer ici toute notre sympathie et notre solidarité aux victimes et à leurs familles. Nous espérons que les blessés se remettront rapidement.
En mémoire des victimes, je vous propose d’observer une minute de silence.
Mmes et MM. les parlementaires se lèvent et observent une minute de silence.
2. Election de juges à la Cour européenne des droits de l’homme
au titre de la Norvège et de la Suisse
LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle l’élection de deux juges à la Cour européenne des droits de l’homme au titre de la Norvège et de la Suisse.
La liste des candidats et leurs notices biographiques figurent dans le Doc 12527. Le vote aura lieu dans la rotonde derrière la Présidence.
À 13 heures, je suspendrai le scrutin. Il reprendra à 15 heures et sera clos à 17 heures. Le dépouillement aura lieu aussitôt après dans les conditions habituelles, sous le contrôle de deux scrutateurs que nous allons désigner par tirage au sort : Mme Zohrabyan et M. Baghdasaryan sont désignés. Je leur rappelle qu’ils devront se trouver dans la rotonde derrière la Présidence à 17 heures.
Le scrutin est ouvert. Nous poursuivons nos travaux pendant ce temps.
3. La dimension religieuse du dialogue interculturel
LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle la discussion du rapport sur la dimension religieuse du dialogue interculturel, présenté par Mme Brasseur, au nom de la commission de la culture, de la science et de l’éducation (Doc. 12553), ainsi que de l’avis présenté par M. Toshev, au nom de la commission des questions politiques (Doc. 12576). Après avoir écouté Mme la rapporteure, nous aurons le plaisir d’entendre : Sa Béatitude le Patriarche Daniel de Roumanie ; Son Eminence le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, Cité du Vatican ; M. le professeur Mehmet Görmez, président de la direction des affaires religieuses de la République de Turquie ; M. Berel Lazar, Grand Rabbin de Russie ; M. le Prélat Bernhard Felmberg, représentant plénipotentiaire du Conseil de l’Eglise protestante en Allemagne auprès de la République fédérale d'Allemagne et de l'Union européenne.
Nous devrons interrompre la liste des orateurs vers 13 heures et nous reprendrons le débat cet après-midi vers 16 heures. Il sera suivi d’un vote sur le projet de recommandation.
Je vous rappelle que l’Assemblée a décidé, au cours de sa séance d’hier matin, de limiter le temps de parole des orateurs à trois minutes.
Mme Brasseur, vous disposez d’un temps de parole total de treize minutes, que vous pouvez répartir à votre convenance entre la présentation de votre rapport et la réponse aux orateurs. Vous avez la parole.
Mme BRASSEUR (Luxembourg), rapporteure de la commission de la culture, de la science et de l’éducation – « Retrouvons ce qui nous unit, savourons ce qui nous distingue, évitons ce qui nous sépare ». Cette citation de Boutros Boutros Ghali de 2002 résume la teneur du rapport sur la dimension religieuse du dialogue interculturel que j’ai l’honneur de présenter.
Le débat que nous menons aujourd’hui en présence des hauts représentants de différents cultes, que je tiens à remercier de leur contribution, est une initiative de notre Président M. Mevlüt Çavuşoğlu. Notre commission a organisé une audition avec des représentants des religions le 18 février 2011 en présence d’une juge à la Cour européenne des droits de l’homme, du représentant du Comité des Ministres responsable du domaine de la culture, de la directrice de la direction générale de la culture ainsi que du président de la Fédération humaniste européenne.
Le rapport, qui est loin d’être exhaustif, a été enrichi par des travaux du professeur Pierre Messner, qui a contribué à développer le chapitre sur la situation des religions en Europe. Un autre chapitre traite de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et, pour préparer mon rapport, je me suis basée sur de nombreuses publications qui ont été éditées. Je vous renvoie donc aux annexes pour les références y relatives.
Cela étant tous ces travaux ont comme point de départ l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme qui, dans de nombreux discours et prises de décision, semble, malheureusement, être oublié ou refoulé. Le citer ici serait superfétatoire ; disons simplement que, en fait, si le texte de l’article 9 de la Convention était respecté par tous, nous n’aurions plus à en débattre.
Permettez-moi, en guise d’introduction, de faire référence à la définition de la religion.
Le premier auteur à l’avoir définie est Cicéron. Je pourrais également citer une autre définition, celle d’Emile Durkheim, qui date de 1912 : « La religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale appelée Eglise tous ceux qui y adhèrent. » Je partage cependant l’avis de tous ceux qui pensent que l’on ne peut et que l’on ne doit pas définir la religion, car il s’agit d’une approche très personnelle et très individuelle pour chaque croyant.
Cette quête personnelle et individuelle de spiritualité a, malheureusement, au cours des siècles, été récupérée et instrumentalisée pour des raisons de pouvoir, de puissance, de dominance et d’enrichissement, et a mené à des tensions, des conflits, des atrocités, voire des actes de barbarie.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une recrudescence des manifestations d’intolérance, de rejet et de violence ; la cohésion sociale risque d’en pâtir. Il est urgent d’établir un nouveau paradigme du vivre ensemble. Chacun doit non seulement accepter l’existence de sensibilités diverses, religieuses ou non, mais aussi les respecter. Feindre l’indifférence est inapproprié ; se sentir menacé est une erreur.
La responsabilité des autorités publiques est engagée – donc, notre responsabilité est engagée –, tout comme celle des autorités religieuses et des responsables des mouvements des non-croyants. Ainsi, nous devrons à l’avenir mettre en exergue non pas ce qui nous sépare mais ce qui nous unit. Voilà, en fait, le principal message de mon rapport.
Ce sont les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe qui doivent constituer la base de ce qui nous unit. Aucune religion, aucun courant de pensée ne peut s’y substituer et encore moins se placer au-dessus de ces valeurs fondamentales. Aussi est-il indispensable que les diverses églises et communautés religieuses défendent la Convention européenne des droits de l’homme, et affirment l’égale dignité de toutes les personnes ainsi que leur adhésion sans réserve aux principes démocratiques et aux droits de l’homme.
Je me réfère à cet effet au paragraphe 18 de mon rapport : « L’importance que, historiquement et sociologiquement, les religions ont en Europe leur donne un rôle et une responsabilité tout à fait particuliers dans la promotion et le développement d’une culture de compréhension et de tolérance. Toutes les autorités religieuses devraient condamner ouvertement et sans réserve l’intolérance, la discrimination, la haine et la violence : la religion et la foi – de même que les convictions laïques – ne sauraient ni admettre ni justifier des comportements dictés par le mépris de l’autre et nous devons tous œuvrer pour les éradiquer. »
De nombreux textes de communautés religieuses abondent dans le même sens. Je peux, à titre d’exemple, citer la Déclaration islamique universelle des droits de l’homme de 1981 qui, dans son article 12 sur le droit à la liberté de croyance, de pensée et des paroles, dispose, au paragraphe e. : « Personne ne doit mépriser ni ridiculiser les convictions religieuses d’autres individus ni encourager l’hostilité publique à leur encontre. Le respect des sentiments religieux des autres est une obligation pour tous les musulmans. » Et l’article 13 portant sur le droit à la liberté religieuse indique : « Toute personne a droit à la liberté de conscience et de culte conformément à ses convictions religieuses. »
La question se pose, monsieur le Président, de savoir si le Conseil de l’Europe doit s’engager dans le dialogue interreligieux ou interconvictionnel. Il faut souligner, une fois encore, que l’autorité publique ne peut et ne doit pas s’immiscer dans des discussions théologiques et de croyance. En cela, je rejoins les décisions que nous avons prises antérieurement et me fonde sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Je suis cependant d’avis, étant donné qu’il s’agit de défendre ensemble les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe, qu’il importe d’établir une plate-forme commune réunissant les représentants des églises, des mouvements de non-croyants, c’est-à-dire une plate-forme interconvictionnelle, ensemble, avec les autorités publiques.
S’il est indispensable de créer une plate-forme au niveau institutionnel international, il est important également de favoriser les échanges sur le plan régional et local. Je demande donc aux membres de l’Assemblée qu’ils veillent à ce que des espaces de rencontre soient créés dans leurs pays respectifs.
Le rôle de l’éducation doit également être souligné, une fois de plus. Nous insistons sur l’importance de la formation des enseignants en général et des cadres religieux en particulier. Chaque enseignant, toutes matières et branches confondues, devrait, au cours de sa formation, suivre un module sur le fait religieux, ainsi que sur les principes de base des religions monothéistes. Cela lui permettrait de mieux connaître et de mieux comprendre ses élèves dans leur diversité.
Les institutions religieuses ont par ailleurs l’importante responsabilité de former leurs cadres. Nous respectons leur autonomie mais nous leur demandons de réfléchir à la manière appropriée de former les cadres religieux à la connaissance et à la compréhension des autres religions, à l’ouverture au dialogue avec les autres communautés, au respect des droits fondamentaux et de l’Etat de droit, comme assise commune à ce dialogue et à cette collaboration.
Pour conclure, je souligne que l’actualité nous a rappelé de manière brutale notre impuissance face aux forces de la nature. Nous devons apprendre à être plus humbles et à respecter l’autre. Nos convictions ne sont pas les seules valables. Nous ne devons pas imposer notre manière de voir aux autres. Nous devons contribuer à construire une société dans laquelle chaque individu trouve sa place selon ses aspirations et ses convictions. Dans cette société, chacun aura non seulement le droit mais aussi la possibilité réelle de vivre selon ses convictions en respectant l’Etat de droit et ceux qui ont une autre approche, religieuse ou pas. Soyons plus humbles pour construire une société non seulement du « vivre ensemble », mais du « bien vivre ensemble ».
LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Toshev, rapporteur pour avis de la commission des questions politiques.
M. TOSHEV (Bulgarie), rapporteur pour avis de la commission des questions politiques* – Le dialogue interculturel est au cœur même des principes du Conseil de l'Europe puisque l’Europe est une communauté interculturelle de nations indépendantes. Malgré leurs différences, les citoyens européens sont voués à partager un avenir commun. L’Europe est unie par des valeurs communes, telles que le respect mutuel, la protection des droits de l’homme, la démocratie, la tolérance et la reconnaissance des différences entre les individus. Afin de construire une véritable communauté européenne, le dialogue entre les peuples doit revêtir une dimension religieuse.
Les religions, en Europe, ont joué un rôle tout au long de son histoire, non pas seulement pour mettre en place un système de valeurs, mais aussi pour renforcer l’interaction entre les différentes cultures. C’est ce qui a permis de créer un environnement propice au multiculturalisme.
Pour certains, la religion n’est qu’une tradition, alors que pour d’autres elle constitue l’essence même de leur vie. L’intégrité, la foi, l’espérance et la justice sont indissociables pour eux.
La communauté juive bulgare a été sauvée grâce à la participation de l’église orthodoxe bulgare en 1943, au cours de l’holocauste, soit un témoignage exemplaire de la solidarité entre les religions lorsque les valeurs prennent le pas sur les clivages.
Les religions jouent un rôle important pour promouvoir nos valeurs communes et sont de ce fait indispensables aux sociétés européennes. Elles doivent prendre une part active au dialogue concernant les libertés religieuses, la citoyenneté démocratique, la lutte contre le racisme, l’intolérance et la xénophobie. Dans une société pluraliste, on attend des croyants qu’ils respectent le même principe de liberté de croyance que celui dont ils bénéficient eux-mêmes.
La commission des questions politiques a pris acte du rapport de Mme Brasseur sur la dimension religieuse du dialogue interculturel, sujet sur lequel l’Assemblée s’est d’ores et déjà prononcée. La commission des questions politiques approuve les grandes orientations du rapport mais estime que certains points mériteraient d’être mis davantage en conformité avec des dispositions précédemment adoptées.
LE PRÉSIDENT* – Les religions sont fondées sur la tolérance, la compassion et le respect de la dignité humaine. Elles jouent un rôle inestimable pour promouvoir la compréhension entre les personnes, la solidarité et la cohésion sociale. En outre, elles favorisent la promotion des valeurs fondamentales qui fondent nos sociétés et qui sont essentielles au dialogue interculturel.
Nous avons invité aujourd’hui cinq personnalités religieuses dont les positions en faveur du dialogue interculturel sont connues.
Votre Béatitude, Patriarche Daniel de Roumanie, vous avez étudié la théologie en Roumanie, en France et en Allemagne. Vous incarnez la multiculturalité et nous sommes certains que votre allocution sera passionnante.
Monseigneur Tauran, vous jouez un rôle essentiel à Rome et au sein des organisations internationales en ce qui concerne le dialogue interculturel. Votre expérience de diplomate nous sera très utile.
Monsieur le Grand Rabbin, vous êtes arrivé à la tête de la communauté juive de Russie au début des années 1990, au moment où le pays se transformait radicalement, évoluant vers la démocratie et le pluralisme. Votre expérience personnelle nous sera également très précieuse.
Professeur Görmez, vous représentez les autorités religieuses turques. La Turquie est le pays où vit le plus grand nombre de musulmans en Europe. La religion musulmane y coexiste avec bien d’autres religions et identités culturelles. Votre expérience de la gestion de cette diversité nous intéresse au plus haut point.
Enfin, monsieur le Prélat Felmberg, vous êtes non seulement un dignitaire religieux mais également un diplomate, puisque vous représentez le Conseil de l’Eglise protestante en Allemagne auprès de l’Union européenne. Vous aurez certainement beaucoup de choses à nous apprendre sur les meilleures pratiques pour gérer la dimension multireligieuse de l’Europe des 47 Etats.
Votre Béatitude, Patriarche Daniel de Roumanie, vous avez à présent la parole.
SA BÉATITUDE LE PATRIARCHE DANIEL DE ROUMANIE – Après votre élection à la présidence de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, monsieur le Président, vous avez placé le dialogue interreligieux au centre de votre mandat. C’est ainsi qu’il a été décidé de réunir à Strasbourg, lors de la session de printemps de l’Assemblée, plusieurs personnalités religieuses européennes afin qu’elles expriment leurs points de vue sur le paysage religieux de l’Europe et du monde et sur les moyens d’aboutir à une meilleure entente et reconnaissance entre les religions. Cela s’inscrit dans les travaux du Conseil de l’Europe sur la dimension religieuse du dialogue interculturel, sans doute sa dimension la plus profonde. Nous tenons à vous remercier, monsieur le Président, ainsi que toutes les personnes qui ont permis cette rencontre.
Tous les efforts du Conseil de l’Europe afin de promouvoir la réflexion commune sur la dimension religieuse du dialogue interculturel en Europe méritent notre attention et notre reconnaissance. Le Conseil de l’Europe constate aujourd’hui que la diversité culturelle est devenue source de tensions et de clivages qui brisent la cohésion sociale. Par conséquent, il faut développer une nouvelle culture du vivre ensemble en partant de l’affirmation de l’égale dignité de toutes les personnes et de l’adhésion aux principes démocratiques et aux droits de l’homme.
Il est donc nécessaire de cultiver le dialogue au niveau local et régional ainsi qu’une collaboration dynamique entre les institutions publiques, les collectivités religieuses et les groupements non religieux. La commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire propose de promouvoir un partenariat pour la démocratie et les droits de l’homme entre le Conseil de l’Europe, les religions et les principales organisations humanistes.
Le projet de recommandation souligne l’importance de l’enseignement du fait religieux, qui doit devenir une opportunité de rencontre et d’écoute réciproque. Tous ces principes doivent encourager le dialogue interreligieux et interculturel.
Au fur et à mesure qu’elle se structure par le dialogue et la coopération, l’Europe prend conscience de ce qui constituait la matrice de son origine et dont on n’a pas suffisamment tenu compte dans sa construction, c’est-à-dire la dimension religieuse de sa culture. En effet, les politiques et leurs experts se sont préoccupés tour à tour des problèmes économiques, politiques, éducatifs et culturels, quelquefois militaires. Or, ces derniers temps, des tensions à caractère religieux surgissent aux portes de l’Europe entre individus ou entre communautés. Ils inquiètent par leur intensité ou leur étendue. Des événements dramatiques comme les violences contre les chrétiens en Irak, en Iran, en Egypte et ailleurs, les corans brûlés et les attentats qui s’ensuivent, imposent aux hommes politiques et aux organismes internationaux de réfléchir et de réagir afin d’éviter que de tels drames ne se reproduisent et touchent les pays européens.
Ces événements rendent encore plus urgent de trouver des solutions aux problèmes créés par l’immigration massive des populations de différentes cultures et religions en Europe, phénomène qui affaiblit la cohésion sociale dans beaucoup de pays.
Comment le migrant ou l’étranger peut-il s’intégrer dans un contexte religieux et culturel différent du sien tout en préservant son identité religieuse et culturelle d’origine ? Comment éviter en même temps l’isolement crispé et la dissolution de son identité ? Il est nécessaire de développer une culture du vivre ensemble qui permette d’éviter la transformation de la diversité en adversité, et de confondre l’identité avec l’isolement. Une éducation ouverte sur les autres est nécessaire dans la famille, dans l’école mais aussi dans la communauté religieuse ou confessionnelle qu’on fréquente, car l’éducation scolaire soutenue et contrôlée par l’Etat national n’est plus suffisante. À ce sujet, l’expérience de la diaspora orthodoxe roumaine en Italie, où vivent environ un million de Roumains, et en Espagne, où vivent aussi presque un million de Roumains, est assez encourageante. Dans un grand nombre de paroisses, la catéchèse et la transmission de la foi à la minorité roumaine se font dans un esprit œcuménique d’ouverture sur la culture de la majorité catholique italienne ou espagnole.
Cette approche en même temps pastorale et œcuménique permet une intégration sociale sans dissolution de l’identité religieuse et culturelle. Cependant, l’éducation et la formation permanentes pour une cohabitation pacifique ont besoin d’un mûrissement spirituel où la liberté individuelle ou collective est aussi unie à la responsabilité et à la solidarité sociale, de même que l’affirmation de ses propres valeurs spirituelles et culturelles ne se fait pas contre les personnes et les communautés différentes, mais avec les autres. Les pays où les différentes religions cohabitent sur le même territoire depuis des siècles en ont une profonde et riche expérience, car ils ont mieux appris comment éviter ou surmonter les conflits religieux et ethniques.
Dans cet esprit, les patriarcats orthodoxes du Moyen-Orient, de Constantinople, de la Russie et d’autres pays ont pris l’initiative de promouvoir le dialogue interreligieux au niveau des chefs des cultes et des experts dans ce domaine, pour donner des signes positifs en vue d’une éducation pour la cohabitation pacifique et la cohésion sociale. Sa Sainteté le Patriarche œcuménique Bartholomée de Constantinople y a beaucoup contribué par ses efforts. Cependant, le dialogue interreligieux au niveau national et international entre les représentants de différentes religions doit être complété par une éducation et une formation permanentes favorables au dialogue interreligieux dans les écoles publiques, dans les écoles théologiques des confessions et des religions, ainsi que dans les communautés liturgiques, afin que le dialogue ne se réalise pas par une simple directive ou recommandation venue de l’extérieur, mais qu’il devienne un état d’esprit et une pratique habituelle, pour le bien commun des cultes religieux et de la société.
Dans cette perspective, le 14 avril, par l’initiative du patriarcat roumain, aura lieu à Bucarest une rencontre des chefs de dix-huit cultes officiellement reconnus en Roumanie, afin de créer un conseil consultatif des cultes religieux dont le but n’est pas seulement d’éviter des conflits entre les différentes religions et confessions, mais aussi d’encourager le dialogue et la coopération pour le bien commun de la société roumaine, confrontée à la crise économique, à la migration et à d’autres problèmes sociaux. Ce dialogue est possible aussi parce que, depuis des décennies, dans nos écoles de théologie orthodoxe de Roumanie, on enseigne l’histoire des religions et l’œcuménisme, sans avoir peur de perdre l’identité orthodoxe à travers le dialogue et la coopération avec les autres cultes au niveau national ou international.
En même temps, par le dialogue interreligieux, nous devons apprendre comment faire face à des problèmes nouveaux de la société, comme la liberté dépourvue de responsabilité, la sécularisation ou la crise de la famille par exemple. En ce sens, la liberté religieuse doit s’affirmer aussi dans la coresponsabilité sociale et la coopération œcuménique en faveur de la dignité humaine et du bien commun. À ce sujet, il ne suffit pas d’affirmer théologiquement la dignité de la personne humaine créée à l’image de Dieu le créateur du ciel et de la terre, car il faut aussi la défendre dans des contextes de violence, d’oppression, de pauvreté, d’injustice, d’humiliation et de marginalisation.
Pour défendre en tout temps et en tout lieu la dignité humaine, les droits de l’homme, la liberté d’expression, la démocratie, l’Etat de droit et d’autres valeurs qui constituent la plate-forme du dialogue aujourd’hui, il est nécessaire d’avoir de fortes convictions et de cultiver une spiritualité profonde, semblable à celle des prophètes de la Bible, à celle des pères de l’Eglise indivise ou à celle des grands combattants pour la justice dans la société humaine. Les valeurs qu’on cultive dans la société sécularisée actuelle visent d’une manière exclusive la réalité terrestre, la vie de l’homme dans sa relation avec l’Etat et avec ses concitoyens, alors que la foi religieuse voit l’homme d’abord dans sa relation avec le dieu créateur du ciel et de la terre, car la création ou la nature est un don de Dieu à l’humanité pour être connu, cultivé et devenir moyen de communion entre les personnes, les nations et les générations à venir.
Entre le culte religieux et la culture humaine, il y a un lien très profond. Le culte signifie « cultiver la relation de l’homme ou de la communauté humaine avec le créateur divin », alors que la culture signifie « cultiver la relation de l’homme avec la création de Dieu ». Par conséquent, dans l’histoire de la majorité des peuples, le culte était la base ou la source de la culture nationale. La Bible ou les livres de culte ont beaucoup contribué à la formation de la culture nationale ou régionale, culture de la reconnaissance et de la responsabilité, car, sans la terre, l’eau, l’air et la lumière créés par Dieu, l’homme ne peut pas vivre. Toute crise écologique, économique ou sociale nous appelle donc à la responsabilité, à corriger des erreurs et à réviser notre relation avec Dieu, la société et la nature. Les problèmes communs nous appellent à une réflexion commune et à une action commune pour le bien commun.
En dépit des différences de religion et de culture, d’approche et de motivation devant la souffrance et l’humiliation de la dignité humaine, les Eglises, les religions, les Etats, les organisations internationales et les individus ont de plus en plus une responsabilité commune pour la vie humaine et pour la protection de la nature et de l’environnement. Par conséquent, notre liberté spirituelle authentique se mesure à l’intensité de notre charité ou solidarité à l’égard des personnes et des peuples qui se trouvent en difficulté.
En guise de conclusion, nous voulons proposer cinq repères pour le dialogue interreligieux et interculturel.
Premier repère : la dimension religieuse du dialogue culturel est fondamentale pour l’Europe, car la religion a été la matrice majeure de son identité. C’est pour cette raison que toute crise profonde de l’Europe a toujours été plutôt une crise d’identité spirituelle qu’une crise d’identité culturelle. C’est le communisme athée qui, prétendant être le système politique le plus « scientifique » et le plus progressiste, même « l’avenir lumineux de toutes les nations » comme on disait alors, a livré le plus acharné combat contre l’identité spirituelle de l’Europe. Après sa chute, les peuples libérés ont tout d’abord éprouvé dans leurs vies cette vérité fondamentale : la liberté est un grand don de Dieu et la religion authentique porte en elle les germes de la résurrection en tant que victoire de la vérité sur le mensonge et de la vie sur les ténèbres de la mort spirituelle et physique.
Deuxième repère : les valeurs proposées par le Conseil de l’Europe en tant que plate-forme du dialogue interreligieux, c’est-à-dire la dignité humaine, les droits de l’homme, la démocratie, l’Etat de droit, la liberté d’expression et d’autres, sont, à l’origine, des valeurs européennes dérivées de la tradition judéo-chrétienne, ensuite séparées d’elle pour être perçues comme des valeurs universelles. Du point de vue religieux, il faut donner à ces valeurs une profonde motivation théologique pour qu’elles soient cultivées dans la vie d’une société où la foi joue un rôle important. Ainsi la dignité humaine a une valeur infinie et éternelle parce que l’homme a été créé à l’image de Dieu infini et éternel, pour une existence éternelle, et que Dieu est l’ami et l’avocat de l’humanité.
Troisième repère : l’éducation et la formation permanente peuvent jouer un grand rôle dans le développement du dialogue interreligieux, avec l’enseignement du fait religieux et une ouverture sur les autres religions qui n’implique pas de perdre sa propre identité. La famille, l’école, la communauté ecclésiale ou religieuse et les médias peuvent y contribuer grandement, surtout si l’Etat national offre des conditions favorables au dialogue interreligieux et interculturel.
Quatrième repère : le dialogue interreligieux et interculturel ne peut pas devenir une idéologie politique imposée. Il peut plutôt proposer à la société une sagesse de vie, un état d’esprit et une culture du vivre ensemble dans le respect réciproque de la dignité humaine, par l’union de la vie spirituelle avec l’action sociale.
Cinquième repère : le dialogue interreligieux et interculturel appelle Etats et religions à la coresponsabilité et à la coopération pour le bien commun de tous les pays de l’Europe et de leurs relations avec les autres continents.
Une nouvelle culture du vivre ensemble doit plutôt être une culture de saines relations humaines. Son succès dépendra principalement de sa spiritualité non objectivable, qui est don de Dieu, reçu et cultivé par les êtres humains dans leur relation à Dieu et au monde.
LE PRÉSIDENT* – Je vous remercie beaucoup, Votre Béatitude, pour cette allocution tout à fait passionnante.
Je donne à présent la parole à Son Eminence le Cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, de la Cité du Vatican.
S.E. LE CARDINAL JEAN-LOUIS TAURAN, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, Cité du Vatican – Monsieur le Président, Béatitude, Excellences, mesdames et messieurs, l’Eglise catholique et la culture sont de vieux compagnons de route. Jésus en s’incarnant a assumé toutes les dimensions de la personne humaine, y compris la dimension culturelle. Dans sa constitution Gaudium et Spes, le Concile Vatican II définit la culture en ces termes : « le mot « culture » désigne tout ce par quoi l’homme anime et développe toutes les multiples capacités de son esprit et de son corps ; s’efforce de soumettre l’univers par la connaissance et le travail ; humanise la vie sociale, aussi bien la vie familiale que l’ensemble de la vie civile, grâce au progrès des mœurs et des institutions ; traduit, communique […] enfin dans ses œuvres, au cours des temps, les grandes expériences spirituelles et les aspirations majeures de l’homme, afin qu’elles servent au progrès d’un grand nombre et même de tout le genre humain ».
Effectivement, les croyants ont une manière de se servir des choses, de travailler, de s’exprimer, de pratiquer leur religion et d’enrichir les sciences et les arts qui apporte à la communauté humaine toute entière une réponse aux grandes interrogations qui tourmentent l’homme de toujours, celles qu’Emmanuel Kant formulait ainsi : « Que puis-je connaître, que dois-je faire, que puis-je espérer ? »
Le pape Jean-Paul II, lors de sa visite à l’université de Coïmbra, au Portugal, au mois de mai 1982, observait : « Dans le passé, quand on cherchait à définir l’homme, on faisait presque toujours référence à la raison ou à la liberté ou au langage. Les récents progrès de l’anthropologie culturelle et philosophique montrent que l’on peut obtenir une définition non moins précise de la réalité humaine, en se référant à la culture. Celle-ci caractérise l’homme et le distingue des autres êtres, non moins clairement, par la raison, la liberté et le langage. » Lors de sa visite à l’Unesco, le 2 juin 1980, le même pape n’hésitait pas à conclure ainsi son discours : « Oui, l’avenir de l’homme dépend de la culture ! »
En ce début de millénaire où la transmission des valeurs est si difficile à réaliser, les tâches de la foi chrétienne dans la culture paraissent plus que jamais évidentes. Il ne s’agit pas de dicter aux hommes ce qu’ils ont à faire, il s’agit de leur rappeler qu’ils sont les gérants des ressources matérielles et morales de ce monde pour le bénéfice de tous, et que s’impose donc à eux le devoir de les entretenir et de les cultiver pour les générations futures.
Il leur appartient aussi de faire en sorte que leurs contemporains ne soient jamais privés des sources de lumière ou des propositions de sens capables de les éclairer et de les soutenir face aux expérimentations sur l’humain, à l’avortement, à l’euthanasie, à la banalisation de la sexualité, à la dictature du paraître. Oui, les chrétiens ont à se faire complices de tout ce qui, dans la culture, va encore, va toujours, va déjà dans le sens de l’humain et de l’humanisation. C’est aussi cela aimer ses frères en humanité. Enfin, ils ont à témoigner de la singularité chrétienne, à avoir le courage de la différence.
Tous ensemble les croyants auront à cœur de sensibiliser les législateurs comme les enseignants à l’opportunité de toujours respecter la personne qui recherche la vérité face à l’énigme de sa condition, d’éduquer au sens critique qui permet de choisir entre le vrai et le faux, d’apprécier et de diffuser les grandes traditions culturelles ouvertes à la transcendance qui expriment si bien notre aspiration à la liberté et à la vérité.
De même il est important, en particulier, que les jeunes soient égaux dans le dialogue interculturel et interreligieux : ils doivent avoir la même possibilité d’accéder à la connaissance de leur propre religion et de pouvoir connaître la religion des autres. Ayons toujours la préoccupation de les informer sur les autres manières de penser et de croire et ainsi de dissiper les peurs. Nous nous enrichirons des manières de penser des uns et des autres, en partageant le meilleur de nos traditions spirituelles. Il s’agit non pas de faire des concessions à la vérité, mais de connaître l’autre, de l’écouter, de repérer ce que nous avons en commun et de mettre ce savoir faire – ce savoir vivre – à la disposition de tous.
Il y a, vous le savez mieux que quiconque dans cette enceinte, un humanisme européen d’origine chrétienne. Certes, on ne doit pas sous-estimer la présence des juifs, l’apport de la philosophie arabe, les questionnements des Lumières, mais c’est le christianisme qui est à l’origine de grandes institutions européennes : l’école, l’université, les hôpitaux… Cet humanisme européen a pu rendre possible, le débat entre la raison et la foi, cet humanisme ouvert à la transcendance qui, encore aujourd’hui, malgré le sécularisme et le relativisme ambiants, permet aux chrétiens et aux croyants en général, de rappeler la priorité de l’éthique sur les idéologies du moment, le primat de la personne sur les choses, la supériorité de l’esprit sur la matière.
Me vient à la mémoire ce que Paul Valéry observait dans une conférence qu’il donna à l’université de Zurich à la fin de l’année 1922 : « Il y a l’Europe, là où les influences de Rome sur l’administration, de la Grèce sur la pensée, du Christianisme sur la vie intérieure, se font sentir toutes les trois ».
En Europe, aucune religion ne peut prétendre s’imposer par la ruse ou la force. En Europe on dialogue. En Europe, la religion non seulement s’hérite, mais de plus en plus se choisit. Parce que les religions sont aussi des cultures, l’Europe demeure encore aujourd’hui un creuset du vivre ensemble dont Strasbourg est le laboratoire et le symbole.
Voila pourquoi il est opportun que ne manquent jamais ces espaces d’écoute et de partage, comme celui qui nous rassemble ce matin. Ils nous permettent de connaître le vrai visage des religions. Je souhaite que le Conseil de l’Europe ait toujours le courage de prendre les décisions concrètes nécessaires pour promouvoir et, si besoin, défendre la liberté de religion, pour dénoncer toute forme de persécution, de violence et de discrimination pour des motifs religieux, aussi bien en Europe que dans le monde.
Comme croyants, un immense chantier nous attend. Il s’offre à nous pour travailler ensemble, dans le cadre du dialogue œcuménique, du dialogue interreligieux, comme avec tous ceux qui cheminent vers l’absolu. Faisons en sorte que jamais, plus jamais, le nom de Dieu ne soit invoqué pour justifier discriminations et violences.
Je laisserai le soin de conclure mon propos au cardinal Joseph Ratzinger. Dans son discours de réception à l’Académie des sciences morales et politiques de l’Institut de France, le 6 novembre 1992, le futur pape affirmait : « Il n’appartient pas à l’Eglise d’être un Etat ou une partie de l’Etat, mais d’être une communauté basée sur des convictions… Il lui faut, avec la liberté qui lui est propre, s’adresser à la liberté de tous, de façon que les forces morales de l’Histoire restent les forces du présent et que ressurgissent toujours neuve cette évidence des valeurs sans laquelle la liberté commune n’est pas possible. » Comment pourrais-je mieux finir ?
LE PRÉSIDENT* – Je vous remercie, Votre Eminence, pour votre intervention.
Je salue le professeur Mehmet Görmez, président de la direction des affaires religieuses de la République de Turquie et je lui donne la parole.
M. MEHMET GÖRMEZ président de la direction des affaires religieuses de la République de Turquie* — Monsieur le Président, Excellences, dignitaires religieux, mesdames, messieurs, je commencerai en vous saluant. C’est un honneur pour moi d’être ici et d’avoir la possibilité de participer à ce dialogue interculturel dont nous avons besoin pour un avenir plus pacifique.
Je remercie Dieu, le tout puissant, qui nous a guidés vers la justice, la compassion et qui nous a donné la possibilité de vivre ensemble dans la paix. C’est lui qui nous a enseigné la fraternité, la paix, la justice, l’honnêteté, la patience, le courage et le pardon. Je bénis tous les prophètes : Abraham, Moïse, Jésus et Mahomet.
Nous avons hérité de ces dignitaires, les valeurs telles que l’amour, la justice et l’ordre. Nous avons appris que cette partie de la sagesse est commune à toutes nos cultures et religions.
Chers amis, comme vous le savez, pour reconnaître la contribution de la religion et des institutions religieuses au dialogue interculturel et au renforcement de la multiculturalité, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté un livre blanc qui nous invite à vivre tous dans la dignité. Devant ce document, je suis heureux et plein d’espoir. Il montre qu’il existe des échanges de points de vue entre cinq grandes traditions religieuses. Cela va contribuer à façonner le continent européen et le monde.
Il est très important que ce rapport arrive précisément à un moment où bon nombre d’hommes politiques déclarent que la multiculturalité a été un échec. Il ne faut pas oublier que les problèmes que nous connaissons actuellement dans l’Union européenne et les défis que rencontre ce dialogue ne sont pas liés uniquement à la religion. Le politique a aussi son rôle à jouer. Il doit aller au-delà de ses limites. C’est un fait qu’on ne peut oublier. Lorsque les hommes politiques seront décidés à inaugurer un véritable dialogue interculturel, il pourra y avoir une contribution de la société.
La crise que l’humanité connaît n’est pas simplement économique, politique et culturelle. Elle a également une dimension métaphysique. On ne connaît pas suffisamment les religions. Il existe des abus. On ne reconnaît pas cet aspect de la crise.
N’oublions pas que la religion s’adresse directement à la conscience de l’individu et le prépare à agir sincèrement, avec compassion et à se tourner vers autrui. Grâce à cette préparation, la religion façonne les âmes pour l’ouverture à la diversité.
Les religions ont une approche différente de la diversité culturelle, mais elles peuvent significativement contribuer à l'ouverture dans notre société. Permettez-moi de dire que l’islam loue cette diversité, qui figure au cœur de ses valeurs. Les institutions ne sont pas seules à avoir le pouvoir religieux ; cela relève du libre choix des communautés. C’est dans ce cadre que s’inscrit la diversité, telle qu’on l’a connue dans l’histoire. Cet enseignement peut encore nous guider aujourd’hui pour vivre ensemble.
Tous les prophètes, d’Adam à Mahomet, rappellent l’importance de la vie, à l’inverse du nihilisme, du fatalisme et du pessimisme. C’est un appel à l’humilité contre l’arrogance, un appel à la justice pour lutter contre l’exploitation et l’oppression, à vivre ensemble dans la dignité, à lutter contre la discrimination et les inégalités, à partager et non à opposer les personnes, à favoriser la vie de famille. C’est aussi le message des dix commandements de Moïse, du sermon sur la montagne de Jésus et celui de Mahomet. Le même message est toujours martelé.
Vivre ensemble et égaux dans la dignité est précisément le message essentiel de l’islam. Ce message, nous l’avons porté durant des siècles, moyennant quoi la civilisation musulmane a vu fleurir des sociétés multiculturelles et multireligieuses, bien plus que d’autres qui ne partageaient pas ces signes de diversité.
Aujourd’hui, les musulmans doivent se souvenir de cet enseignement pour l’introduire dans leur vie face à la confusion imposée par la modernité. Si l’on fait état d’un seul patrimoine culturel européen, comme c’est le cas dans de nombreux documents de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe, alors, il faut reconnaître la contribution significative de l’islam. Une façon de le reconnaître est de se libérer de la vision qui ignore la participation de l’islam. On parle de la Grèce antique ou du Moyen Age mais on oublie l’islam. Pour bénéficier de l’apport de la religion au dialogue interculturel, il faut avoir une vision multiculturelle, laquelle ne sera pas concrétisée par des interventions externes pour façonner les systèmes religieux. Au contraire, les individus et les groupes doivent pouvoir choisir librement, s’exprimer conformément à leurs dynamiques internes. Il n’y a pas d’autre façon de déterminer cette participation active à la société.
Lorsqu’on voit comment l’islam ou d’autres religions sont présentées, on se pose les questions suivantes. Avec un cœur sincère, qui peut accepter que l’on caricature ou que l’on moque sa religion ? Suffit-il d’en condamner les auteurs ? Peut-on accepter que cela soit exploité pour inciter à la haine et à la terreur ? Messieurs les parlementaires, c’est le devoir moral des dignitaires religieux comme des responsables politiques de ne pas sacrifier l’Europe civilisée et de s’opposer à ce discours hégémonique.
Il faut donc poursuivre notre mission, développer les sociétés pour que nous vivions mieux ensemble. Dans cet espoir, je me tourne vers Dieu pour qu’il nous bénisse afin que nous puissions vivre ensemble dans la dignité. Je souhaite plein succès à vos travaux pour promouvoir ces valeurs fondamentales.
LE PRÉSIDENT* – Je vous remercie, professeur Görmez, pour votre intervention.
J’ai le plaisir d’accueillir le Grand Rabbin Berel Lazar, Grand Rabbin de Russie, auquel je donne la parole.
M. BEREL LAZAR, Grand Rabbin de Russie* – Monsieur le Président, nous vous sommes reconnaissants de nous permettre d’exposer nos idées concernant la situation en Europe, les problèmes qui se posent et la façon dont les responsables religieux peuvent contribuer à les résoudre. Vous savez mieux que d’autres que l’Europe unie n’est pas seulement une scène politique et une arène économique, mais qu’elle est aussi un enjeu de compréhension intellectuelle et religieuse. Ce n’est qu’ainsi que nous parviendrons à une Europe unie composée de peuples vivant dans l’harmonie et la paix.
On dit souvent que le multiculturalisme a échoué en Europe. Après avoir passé toute ma vie en Europe, je puis dire que si cela a échoué, l’Europe a échoué, car la grandeur et le fondement de l’Europe ont toujours été la compréhension mutuelle, l’ouverture du dialogue en dépit de toutes les différences séparant les peuples en matière linguistique, culturelle et de tradition.
Je félicite le Secrétaire Général, M. Jagland, d’avoir adressé hier à l’Europe tout entière un message dans lequel nous devons nous retrouver. Nous sommes tous sur le même bateau. Si quelqu’un perce un trou, aussi petit soit-il, l’embarcation sombrera. Personne ne souhaite accuser qui que ce soit et désigner l’auteur des difficultés. Certains disent que l’extrémisme religieux est la source de la violence ; d’autres reprochent à certaines forces d’empêcher la religion de s’exprimer, générant ressentiment et frustration. Hier encore, en France, une femme revêtue du niqab a provoqué une vive tension à la suite de l’interdiction du port du voile. Pourquoi vouloir nous forcer à vivre contre nos croyances ?
D’autres disent que nous devons vivre dans la liberté et l’égalité, nous respecter les uns, les autres. Cela me rappelle une histoire. Un jeune couple vient trouver un rabbin. Le mari dit : « Ma femme fait ceci et cela ». Le rabbin lui répond : « Vous avez tout à fait raison ». Puis la femme prend la parole : « Mon mari fait ceci et cela, c’est insupportable ». Le rabbin répond : « Vous avez parfaitement raison ». La femme du rabbin intervient alors en ces termes : « Mon cher mari, comment pouvez-vous considérer que le mari et la femme ont tous les deux raison ? ». Le rabbin lui dit : « Eh bien, toi aussi, tu as raison ».
J’ai donc à la fois de bonnes et de mauvaises nouvelles pour nous tous. Voilà 2 000 ans de cela, le Talmud observait déjà qu’il n’existait pas deux personnes identiques au monde. Dans le même temps, certains affirmaient le contraire en disant que toutes les créatures ont été créées pour se multiplier, que seuls Adam et Eve étaient uniques.
Pourquoi Dieu n’a-t-il créé qu’Adam et Eve ? Tout simplement pour que personne ne puisse dire que son grand-père ou sa grand-mère étaient meilleurs que les autres. Il s’agit là d’un enseignement intéressant pour nous tous : quelles que soient nos différences, nous faisons partie de la même famille, nous venons tous d’Adam et Eve.
Certains débats du Conseil de l'Europe sont relatifs à la nécessité d’apporter la paix dans le monde. Si nous étions tous d’accord et tous identiques, tout le monde vivrait dans la paix et l’harmonie et ce serait en fait une vie très monotone. Notre raison d’être est d’apporter la paix en dépit de nos différences, de nos divisions, car nous vivons sur un même continent, l’Europe. Nous devons donc absolument trouver le moyen de nous comprendre.
J’ai pu constater que, quelles que soient les personnes que nous rencontrons, il n’existe que deux écoles de pensée. La première regroupe des personnes qui affirment que la façon dont ils vivent est la bonne et que si des émigrants veulent vivre dans leur pays, ils devront accepter leur vérité et leurs règles. Cette idéologie a amené sur ce continent l’holocauste et la mort de dizaines de millions de personnes qui ont été tuées parce qu’elles ne la respectaient pas ; on ne pensait pas qu’il était possible de vivre dans la même maison en ayant des avis différents, des croyances différentes.
Pour la seconde école, il faut vivre et laisser vivre, faire ce que l’on veut et laisser son voisin mener la vie qu’il souhaite, sans porter de jugement.
Ces deux écoles sont dangereuses. Il nous faut trouver une voie intermédiaire qui nous permette de vivre ensemble une vie meilleure.
La Torah et la Bible nous disent que le prosélytisme n’est pas la bonne voie ; chacune a sa propre croyance, toutes les rivières vont à la mer, chacun à sa pierre à apporter à l’édifice. Dieu a voulu ces différences ; c’est ainsi qu’il nous a créés.
Cependant lorsque Dieu a donné la Torah au peuple juif, il a dit qu’il fallait diffuser les différents messages adressés à Adam, à ses enfants, à Abraham, à nos ancêtres, à tous les peuples du monde. On ne peut pas simplement s’occuper de sa congrégation ; si je m’intéresse à ce monde créé par Dieu, il faut veiller à ce que chacun d’entre nous comprenne qu’il est important de vivre ensemble, que des valeurs morales doivent nous unir.
Il est remarquable que tous les dirigeants religieux soient aujourd’hui réunis dans l’harmonie mais cela n’est pas suffisant. Nous nous respectons et nous nous aimons, mais nous devons aussi travailler et agir ensemble. Alors que pouvons-nous faire ?
Le vendredi 15 avril, nous allons célébrer les 110 ans du rabbi Loubavitch qui enseignait des idées magnifiques, dont je me demande pourquoi elles n’ont pas été mises à profit pour nous aider. Il avait en effet suggéré que, dès la petite enfance, dans chaque classe, il convenait de commencer la journée par un moment de silence. De la même façon que nous nous sommes levés tout à l’heure à la mémoire des victimes du dernier attentat, songeant à nos responsabilités vis-à-vis de Dieu pour faire un monde meilleur, si tous les enfants commençaient leur journée par un moment de silence, en pensant à leur famille, leurs proches et à la responsabilité qui leur incombe de faire de ce monde un monde meilleur pour nous tous, nous parviendrions à une vie meilleure.
En Russie, quand nous avons pu enfin pratiquer notre religion, il y a vingt ans, nous avons subi beaucoup de méfiance à notre égard. Aujourd’hui, les différents dirigeants religieux de Russie se respectent, l’antisémitisme est même, de façon surprenante, à son niveau le plus bas d’abord, parce qu’il existe une coopération entre dirigeants religieux ; ensuite parce que le Gouvernement commence à interférer dans les affaires religieuses afin de veiller à ce qu’aucune autorité religieuse ne propage des idées de haine et de violence ; enfin parce que les communautés religieuses de Russie s’ouvrent : nos temples, synagogues, mosquées et églises sont ouverts à tous.
C’est ainsi que nous irons vers un avenir plus radieux où chacun, en Europe, pourra vivre dans la paix, l’amour et l’harmonie.
LE PRÉSIDENT* – Je vous remercie, monsieur le Grand Rabbin, pour votre allocution très stimulante.
J’ai le plaisir d’accueillir le Prélat Bernhard Felmberg, représentant plénipotentiaire du Conseil de l’Eglise protestante d’Allemagne auprès de la République fédérale d’Allemagne et de l’Union européenne.
PRÉLAT BERNHARD FELMBERG, représentant plénipotentiaire du Conseil de l’Eglise protestante d’Allemagne* – Mesdames, messieurs les parlementaires, mes frères, mesdames, messieurs, la religion a été et continue d’être un fil d’or dans le tissu de nos sociétés. Les religions ont en général apporté une contribution positive mais parfois, hélas ! elle fut négative. En tant que responsables politiques ou en tant qu’hommes d’église, nous avons le devoir d’œuvrer en faveur du renforcement de ce qui est bon et d’empêcher ce qui est mauvais.
Les sociétés européennes sont de plus en plus ouvertes et pluralistes, et les occasions se multiplient de rencontres entre les différentes religions, même si certaines sont encore considérées comme exotiques. Plus une religion est jeune, plus elle semble liée à une culture étrangère et moins la coopération, voire le dialogue sont aisés. Une dimension religieuse s’attache au dialogue interculturel, mais également une dimension culturelle au dialogue interreligieux.
J’aborderai quatre sujets : la religion est un aspect parmi d’autres de la personnalité de l’homme, mais peut constituer une part très forte de cette personnalité ; depuis des siècles, l’Europe est marquée non seulement par le pluralisme religieux, mais aussi par la diversité des systèmes juridiques qui régissent les relations entre les religions et les Etats ; la vie des Eglises, des communautés religieuses dépend non seulement de la garantie du droit fondamental qu’est la liberté de religion, mais aussi de la défense de sa dimension individuelle et collective ; les Eglises, les religions apportent une contribution précieuse aux sociétés par leur engagement social, voire sociétal, et en promouvant une culture de compréhension mutuelle.
Je vais développer ces quatre points.
La religion fait partie de l’identité : je suis protestant, mais aussi Allemand ou Européen ; je suis au surplus supporter d’un club de football. Les personnalités sont riches de plusieurs facettes.
À Berlin, on appelait les membres de la principale minorité « les Turcs ». Après le 11 septembre, nous les avons appelés « des musulmans ». Choisir une appellation appelle à la prudence et nécessite de se demander si le terme retenu est pertinent au vu du contexte, car les discriminations sont souvent fonction du choix des termes utilisés. La religion est importante, mais elle ne forme pas l’ensemble de la personnalité d’un individu, pas même d’un homme d’église. Nous avons tout intérêt à porter l’accent sur ce qui nous unit plutôt que sur ce qui nous sépare. Pour autant, ne nions pas la diversité et le pluralisme. « Unis dans la diversité » n’est-elle pas la devise de l’Union européenne ? C’est notre force et cela vaut particulièrement s’agissant des religions et des systèmes juridiques qui régissent les relations de l’Eglise et de l’Etat.
Ce propos est aujourd’hui dûment accepté par le droit européen. L’article 21 de la Charte des droits fondamentaux reconnaît ainsi la diversité culturelle, religieuse et linguistique de l’Europe. L’article 17 du Traité de Lisbonne restreint les compétences de l’Union et reconnaît les spécificités nationales. Récemment, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a révisé une décision de première instance relative aux symboles religieux, en l’occurrence des crucifix dans les écoles publiques italiennes, mettant en lumière la marge discrétionnaire des Etats. J’appuie un tel jugement, car nous devons vivre dans des sociétés ouvertes aux religions et non promouvoir la défiance et l’interdit. En Italie, les élèves peuvent porter le foulard islamique ou la kippa juive, les protestants construire des temples et professer librement leur foi. Le fait qu’une Eglise qui réunit la majorité soit plus visible que d’autres ne constitue pas en soi une discrimination. Le pluralisme doit être respecté. Nous devons faire la part des droits des majorités comme des minorités, à la lumière des réalités. C’est ainsi que les minorités doivent pouvoir être vues et entendues.
Bien avant de défendre les droits politiques, les gens ont lutté pour la liberté de croire ou de ne pas croire, car la religion se situe au centre de l’existence de tout être humain. En effet, la religion interprète le monde, ses origines, son avenir ; elle explique le pourquoi de la vie, de la mort, de la souffrance, de l’espoir. Elle nous enseigne également à accepter nos devoirs et nos responsabilités qui transcendent l’intérêt individuel. L’Etat n’a pas plus noble mission que de protéger ces droits. Toutefois, au cours des siècles, on a eu tendance à opter pour une religion et à la défendre au détriment des autres et contre l’hérésie. C’était la solution de facilité, qui n’est, en général, pas la meilleure. L’Etat a des devoirs envers la religion, mais non une religion particulière. L’Etat ne peut non plus ignorer les réalités fondamentales et se doit d’être neutre à l’égard « des » religions. C’est ce que nous appelons la neutralité bienveillante de l’Etat. Il doit promouvoir le dialogue et en tirer ce qu’il y a de positif, de pacifique et de profitable.
De par leur engagement dans la société et en favorisant la compréhension mutuelle, les religions doivent apporter leur contribution, car elles ont des devoirs envers l’Etat et la société. L’Evangile des juifs nous dit que le peuple de Dieu est appelé à rechercher la paix, la prospérité de la cité, même en exil. C’est encore plus vrai dans une société libre.
Nous nous engageons sur le plan social en faveur des pauvres et des nécessiteux, de la veuve et de l’orphelin, de l’étranger et de l’exilé, mais, ce faisant, il nous appartient de faire évoluer les conditions qui autorisent que certains soient pauvres ou exclus, victimes de l’injustice ou de discriminations.
Le partenariat doit être ouvert. L’article 17 du Traité du Lisbonne établit un dialogue régulier, transparent et ouvert entre l’Union européenne et les églises, les religions et les communautés non confessionnelles.
Il faut qu’il y ait un véritable dialogue interreligieux, mais ce n’est pas seulement la tâche des Eglises. Ce dialogue avec les entités publiques est l’occasion d’un échange, d’une coopération. En fait, il y a de nombreux fora de dialogue très différents. Ainsi, nous avons des contacts avec l’Union européenne, le G8, les Parlements du monde et l’Alliance des civilisations. Pour que ces dialogues aboutissent, nous devons concentrer nos forces plutôt que les éparpiller en différentes enceintes.
Les religions méritent une place centrale dans nos sociétés, mesdames et messieurs, monsieur le Président. Ma propre Eglise, l’Eglise protestante allemande, compte 25 millions de fidèles et emploie un demi-million de personnes, essentiellement dans le domaine social. Grâce aux recettes fiscales dont elle bénéficie, elle peut investir 800 millions d’euros dans les bonnes œuvres. En outre, elle obtient des dons de ses membres, ce qui porte les sommes gérées à plus d’un milliard.
Nous fournissons 600 000 places d’accueil de jour, dans des crèches, des foyers, des hospices, touchant ainsi toutes les générations, des plus jeunes aux plus âgés. Plus de 150 000 jeunes participent à nos groupes de jeunes et, souvent, notre action se fait au bénéfice de membres d’autres confessions, notamment dans le cadre des projets d’intégration, de conseil aux demandeurs d’asile ou encore d’assistance juridique aux réfugiés. À Berlin, nous allons même jusqu’à engager des musulmans au sein d’une église chrétienne pour que ceux-ci nous aident à secourir ceux que nous aidons. Nous consacrons également des dizaines de milliers d’euros à l’aide au développement.
J’ai longuement parlé de mon Eglise. L’action de l’Eglise catholique est du même ordre. Les juifs ont également des œuvres sociales très importantes, même si les sommes sont peut-être un peu moindres en Europe. Il faut maintenant que les autres confessions s’engagent également ; j’en appelle en particulier aux communautés musulmanes pour qu’elles créent des structures identiques aux nôtres pour l’action sociale, et soient ainsi plus visibles au sein de nos sociétés.
Cela m’amène au dernier point : la dimension interreligieuse.
Nous devons encourager la tolérance et le respect à tous les niveaux. En Allemagne, les protestants, les catholiques et les orthodoxes organisent chaque année une semaine interculturelle soutenue par les syndicats, des conseils municipaux, des organisations de migrants et des acteurs de la société civile. C’est un exemple parmi d’autres de ce qui est possible lorsque l'on veut travailler ensemble.
Les chemins de la coopération sont, il est vrai, parsemés d’embûches. Les religions n’ont pas toutes la même conception de la société et de la place de l’individu, outre les différences doctrinaires. J’ai déjà dit qu’il n’y avait pas seulement une dimension religieuse au dialogue interculturel mais aussi une dimension culturelle au dialogue interreligieux. Le dialogue au sens premier du mot, c’est l’échange, l’existence d’échanges qui aient un sens. Evidemment, si le clergé ou les représentants religieux ne parlent pas ou parlent mal la langue du pays, cela pose des problèmes. Le dialogue, c’est bien, encore faut-il que toutes les parties établissent les conditions nécessaires au dialogue.
En résumé, les religions font partie de notre identité individuelle et collective. L’Etat doit défendre la liberté religieuse de manière à ce que toutes les religions puissent être librement pratiquées. Dans la plupart des cas, cela signifie que les religions pourront apporter une contribution positive à nos sociétés dans leur ensemble, par le biais tant de leur engagement volontaire, bénévole, que par le dialogue.
J’espère que vous accepterez nos contributions et que tout le monde se mobilisera pour apporter cette contribution particulière.
LE PRÉSIDENT* – Merci infiniment, monsieur le Prélat Felmberg de cet exposé fort intéressant.
Mes chers collègues, je vous rappelle que le scrutin pour l’élection de deux juges à la Cour européenne des droits de l'homme au titre de la Norvège et de la Suisse est en cours. À 13 heures, je suspendrai le scrutin qui reprendra à 15 heures. Il sera clos à 17 heures.
J’invite ceux d’entre vous qui n’ont pas encore voté à le faire.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Leigh, au nom du Groupe démocrate européen.
M. LEIGH (Royaume-Uni)* – Monsieur le Président, je pense me faire le porte-parole de tous nos collègues en disant combien, jusqu’à présent, ce débat est source d’inspiration. Il nous rappelle aux grandes valeurs de la religion. Je suis certain que rien de ce que nous avons entendu aujourd’hui ne pourrait susciter le moindre désaccord, pas plus d’ailleurs que rien de ce qui figure dans ce rapport.
Pour commencer mon propos, je veux souligner que, actuellement, le principal problème en Europe ne tient pas à la diversité des religions ni aux avis fermement tenus par les uns ou les autres, mais bien plutôt à l’indifférence qui se propage au sein de la population.
L’autre problème que l’on peut détecter dans la nature absolument non polémique de ce rapport est un élément que je tiens à relever avec une grande clarté : tout type de discours de haine à l’encontre d’une religion quelle qu’elle soit est toujours totalement erroné. Ce qui semble parfois à l’un un argument fort devient une insulte pour l’autre donc une sorte d’effet de « refroidissement » du discours qui s’exerce parce que l’on ne veut offenser personne – ce que l’on appelle « le politiquement correct ».
Nous avons adopté une loi au Royaume-Uni qui traite des voyous, du fait qu’il est interdit d’avoir des comportements belliqueux ou insultants, d’adopter certains comportements… Par exemple, lors d’un débat théologique dans un bed and breakfast, quelqu’un a formulé des remarques désobligeantes sur Mahomet, sur les vêtements portés par les musulmans : il a été traduit en justice. De même, un homme d’église qui évoquait ce que disait la Bible à propos de l’homosexualité a également été poursuivi en justice. Dans une autre affaire, une personne qui disait que la scientologie était très dangereuse a également été poursuivie, car, là encore, on estimait qu’elle avait usé de paroles insultantes et désobligeantes.
Pour ma part, j’appuie totalement les propos tenus ce matin par le Patriarche, à savoir que la liberté, c’est un don de Dieu. Catholique pour ma part, je pense que la chrétienté se doit de rester au cœur de la culture européenne, mais il n’est pas pour autant question de ne pas défendre le droit de ceux avec qui nous ne sommes pas d’accord de pouvoir s’exprimer librement, comme le disait Voltaire. Même si quelqu’un a absolument tort à nos yeux, il faut lui permettre de s’exprimer. C’est cela, la liberté. Si nous nous comportions tous de cette façon, je pense que nous aurions au moins accompli quelque chose dans le sens du débat d’aujourd’hui.
LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Memecan, au nom de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe.
M. MEMECAN (Turquie)* – Je félicite Mme la rapporteure pour l’approche positive qui fut la sienne sur ce sujet sensible et la remercier d’avoir mis l’accent sur l’humilité dans ses propos liminaires.
Les être humains essaient d’apprendre à vivre ensemble depuis la nuit des temps et, comme le disait Mme Brasseur, nous avons aujourd'hui encore grand besoin de créer une nouvelle culture du vivre-ensemble, car nous n’avons toujours pas appris à vivre ensemble et il y a toujours des abus et des victimes de ces abus. Il faudrait donc saisir toutes les occasions afin d’empêcher les gens de tomber dans ce piège d’abuser des croyances pour provoquer le chaos.
La xénophobie, l’antisémitisme et la christianophobie illustrent ce type de comportement. Le rapport nous encourage à les écarter absolument et à vivre ensemble dans le respect mutuel. À cet égard, les déclarations constructives et pacifiques des représentants religieux constituent un apport important dans la lutte contre la haine. Je veux donc remercier les dignitaires religieux présents aujourd’hui d’avoir accepté de participer à nos débats et d’avoir prononcé des paroles qui seront pour nous de véritables sources d’inspiration.
Les organisations professionnelles non confessionnelles permettent d’unir les individus au-delà des différences religieuses. Les droits de l’homme universels restent la référence. Nous devons apprendre à respecter les différences et enseigner ce respect à nos enfants. L’unité dans la diversité, voilà ce que nous devons mettre en avant.
En matière d’échanges culturels, il me semble important de partager entre nous les bonnes pratiques. La rapporteure le recommande à juste titre, s’agissant des jeunes notamment.
LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Petrenco, au nom du Groupe pour la gauche unitaire européenne.
M. PETRENCO (Moldova)* – Mes chers collègues, c’est pour moi un très grand honneur de m’exprimer aujourd’hui au nom du Groupe pour la gauche unitaire européenne. Je veux avant tout féliciter la rapporteure pour son remarquable travail et revenir plus particulièrement sur certains points.
Afin de créer une nouvelle culture du vivre ensemble, comme nous y invite le rapport, nous devons avant tout défendre le principe du multiculturalisme en Europe, que certains remettent malheureusement en question. Selon eux, un système fondé sur ce principe n’est pas viable. Leur critique, en attaquant la paix civile, porte un rude coup à l’ensemble de l’édifice européen. Nous ne pouvons donc que condamner les récentes déclarations de dirigeants français et allemands sur l’échec du multiculturalisme en Europe, déclarations qui constituent un véritable retour en arrière en appelant au repli sur soi et en stigmatisant les étrangers.
En réalité, ce qui a échoué en Europe, ce sont les politiques menées par certains gouvernements, qui ont évité d’affronter les véritables défis et qui n’ont pas garanti la coexistence pacifique entre les communautés tout en veillant aux libertés fondamentales et aux droits des citoyens.
Toute société repose sur la coexistence pacifique de ses différentes composantes, y compris les composantes laïques. Dans plusieurs pays, certaines religions ont tenté dernièrement de s’ingérer dans les affaires de la vie civile, ce qui a évidemment suscité de nouveaux affrontements. Les religions doivent savoir qu’elles ont des limites à leur pratique, à savoir le respect des libertés fondamentales des citoyens. Personne n’a le droit d’attenter au droit à la liberté de conscience et de conviction d’autrui. Il est donc important que les différentes religions veillent à apaiser les tensions plutôt qu’à les alimenter.
Pour conclure, ce rapport marquera sans nul doute un pas important vers la construction du modèle que nous appelons tous de nos vœux en Europe.
LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Santini, au nom du Groupe du Parti populaire européen.
M. SANTINI (Italie)* – « Unis dans la diversité » : aucune autre formule ne semble mieux convenir à notre débat de ce matin. C’est pourquoi elle ne peut que recueillir un très vaste consensus. Nous avons tous des convictions religieuses différentes et pourtant nous pouvons vivre ensemble en bonne intelligence.
La Convention européenne des droits de l’homme reconnaît la liberté de pensée et la liberté de culte. Si chacun considère l’autre avec respect, ces libertés fondamentales peuvent s’exercer sans restriction. La liberté de chacun finit là où commence celle de l’autre ; à condition de le comprendre, la coexistence pacifiques des religions est possible. Il faudrait alors adopter une nouvelle formule : Le respect dans la diversité.
Si chacun joue le jeu, il est possible de vivre ensemble sereinement. Les hommes de foi doivent dialoguer entre eux, certes, mais aussi avec les agnostiques et avec les athées. Hélas, la multiculturalité est souvent attaquée et, au lieu de rapprocher les communautés, on enracine les différences.
Le préambule de la Constitution européenne devait inclure le principe de racines chrétiennes communes, puis on a parlé de racines judéo-chrétiennes et, après de multiples controverses sur le choix des termes, on a fini par aboutir à une désignation qui ne satisfait personne. Aucune religion ne prévaut sur les autres. L’Etat laïque doit toutefois reconnaître le droit à l’expression religieuse et la place de la religion majoritaire.
Dans mon pays, récemment, une affaire a fait grand bruit, celle d’une institutrice qui demandait le retrait des crucifix dans les salles de classe, alors que l’Etat italien reconnaît le droit à l’exposition de ce symbole religieux. La Grande Chambre de la Cour de Strasbourg a reconnu, à juste titre selon moi, que même dans un Etat laïque, les signes religieux ont le droit de cité.
LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Connarty, au nom du Groupe socialiste.
M. CONNARTY (Royaume-Uni)* – Je salue le travail accompli par Mme Brasseur et je remercie M. Toshev pour sa contribution au débat. Les différents dignitaires religieux qui se sont exprimés ce matin et qui ont donné leur vision du dialogue interculturel ont clairement montré que nous avons l’obligation de nous respecter les uns les autres.
Toute l’utilité de ce rapport est de formuler des recommandations, que nous devons désormais appliquer. Il y est question de bigoterie et d’incompréhension, des maux que l’Europe connaît depuis des siècles. On y trouve aussi des exemples de violences basées sur les confessions. J’ai pu en voir dans mon propre pays. Il y a également des meurtres qui mélangent politique et religion ; je pense notamment à cet acteur et producteur palestinien de religion mixte, tué à Jénine en Palestine.
Nous avons des valeurs communes, reconnues par la Cour, qui jouent le rôle de phare dans la lutte contre la bigoterie. Le projet de recommandation demande aux Etats et aux organisations confessionnelles et non confessionnelle de jouer un rôle plus actif dans le dialogue interculturel. Au point 8, il appelle à développer une nouvelle culture du vivre ensemble. Les événements actuels nous montrent qu’il reste encore beaucoup à faire en la matière. Alors servons-nous de ce rapport pour faire entendre la voix de la raison.
LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Mignon.
M. MIGNON (France) – Je tiens tout d’abord à saluer l’initiative de notre président, qui a permis qu’un tel débat ait lieu ici. Je félicite également notre rapporteure, Mme Anne Brasseur, pour son rapport équilibré sur une question ô combien difficile, qui met en exergue les difficultés du vivre ensemble dans nos démocraties.
André Malraux aurait prophétisé que le XXIe siècle serait religieux ou ne serait pas. Peu importe sa véracité, la profondeur de l’expression s’impose. Dans un siècle où le matérialisme paraît avoir suppléé toutes les autres croyances, le retour au religieux semble répondre à des quêtes identitaires, des quêtes de sens que les valeurs démocratiques de nos sociétés n’incarnent plus, ou alors seulement à défaut d’une espérance plus forte. Si la recherche d’un réconfort spirituel est à saluer, elle ne peut se faire au détriment ni des croyants, quelles que soient leurs religions, ni des valeurs démocratiques. Au contraire, celles-ci sont le socle sur lequel toutes les religions peuvent prospérer, à condition que leur prosélytisme ne soit pas contraire au respect et à la dignité de l’autre.
La rapporteure n’a pas souhaité développer les concepts de laïcité et de sécularisation de l’Etat. Néanmoins, son rapport met en exergue le rôle de l’Etat dans les société démocratiques, sa neutralité dans les questions religieuses, neutralité qui correspond précisément à la modernité démocratique, c’est-à-dire à la séparation du séculier et du religieux.
En France, cette neutralité porte le nom de laïcité ; ailleurs celui de sécularisation. Peu importe le terme, l’essentiel est de définir précisément ses contours : l’Etat doit favoriser la pluralité des expressions religieuses dans le respect mutuel de chacune comme des non-croyants. Cette neutralité implique une absence d’ingérence dans les affaires religieuses. Aussi l’Etat ne peut-il mener directement le dialogue interculturel ; c’est aux associations cultuelles de le faire. Toutefois il peut le favoriser en assurant que chaque religion, et ses fidèles, seront respectés sur son territoire.
La proposition d’Anne Brasseur que le Conseil de l’Europe puisse faciliter les échanges interreligieux en tant que plate-forme de dialogue me semble intéressante, car notre Organisation ne saurait souffrir de partialité et apparaît bien comme le lieu favorable aux échanges entre les instances religieuses, dans un cadre respectueux des valeurs démocrates.
Le rapport traite d’un autre point fondamental, et lié avec un sujet qui viendra en discussion à cette session : l’enseignement dans les écoles publiques du fait religieux. L’apprentissage des valeurs démocratiques, de la tolérance et du respect de l’autre commence dès le plus jeune âge. Dans une société qui reconnaît la diversité culturelle, il est nécessaire d’enseigner le fait religieux comme marque de cette diversité.
Comment vivre dans la concorde sans connaître les différences qui font la richesse de nos sociétés multiculturelles ? Comment vivre dans le respect mutuel en méconnaissant les différents messages de paix au cœur des trois religions du Livre et des philosophies humanistes ? Comment vivre ensemble sans connaître les rites et les particularités de nos concitoyens ? L’éducation est le point d’articulation entre un dialogue interreligieux nourri de tolérance et l’apprentissage des valeurs démocratiques.
La diversité religieuse, dimension inhérente à nos sociétés démocratiques, est un fait. Elle n’est en rien synonyme de menace, mais une richesse dont nous devons nous réjouir.
LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Girardin.
Mme GIRARDIN (France) – Je salue à mon tour le travail remarquable accompli par la rapporteure.
Alexis de Tocqueville, dans De la démocratie en Amérique, avait déjà mis en exergue l’utilité sociale de la religion dans une société démocratique. Loin d’être inutile, l’enseignement religieux participait selon lui au fondement même de l’Etat de droit et de l’esprit démocratique, et l’éducation religieuse était nécessaire à l’élaboration d’une morale soucieuse du respect des lois dans un régime démocratique. Si le penseur de la démocratie a pu évoquer des risques d’ atomisation du corps social, ils ne reposaient en rien sur le fait religieux, mais au contraire sur le développement du fort sentiment individualiste qui est le corollaire de la baisse du sentiment religieux et qui conduit à préférer ses propres intérêts à ceux de la cité.
Or, dans une société multiculturelle, le sentiment d’appartenance religieux conduit certains à s’identifier davantage à leur communauté qu’à l’ensemble de la société. Le philosophe canadien Will Kymlicka a ainsi, dans La citoyenneté multiculturelle, mis en évidence une théorie libérale du droit des minorités, y compris religieuses. Il cherche à démontrer que la démocratie libérale peut reconnaître des droits aux minorités sans pour autant mettre en péril la cohésion sociale. C’est l’impératif de justice sociale et d’égalité entre minorités qui évitera la tyrannie d’une des composantes et qui assurera une citoyenneté active.
Son analyse se fonde sur la notion d’ identité publique de John Rawls, qui s’analyse comme une participation citoyenne dans un espace public neutre. Dans cette théorie libérale, le dialogue doit primer, même avec les communautés qui seraient rétives au libéralisme, mot entendu ici dans son sens philosophique de primat de la liberté individuelle sur les identités collectives.
Cette approche libérale de la démocratie et du droit des minorités revient à ce que prône le Conseil de l’Europe. Nous adhérons à ces valeurs. Néanmoins, la liberté religieuse au sens large – droit de choisir sa religion, d’en changer, respect des autres croyants – ne saurait être un droit absolu. L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme le tempère en mettant en avant la sauvegarde de l’ordre public et la protection des droits et liberté d’autrui. La liberté religieuse ne saurait signifier un ordre public religieux. Ses manifestations doivent se limiter au respect des croyances ou non croyances des autres citoyens. La cohésion sociale est à ce prix : la liberté doit être bornée dans l’espace public.
L’atomisation du corps social résulte aujourd’hui davantage de dérives identitaires fondées sur la religion que de l’absence de sentiment religieux. L’approche libérale de la dimension culturelle du dialogue interreligieux n’implique donc pas de s’abstenir de lutter contre les dérives sectaires et fondamentalistes de tout mouvement religieux ou laïque qui menacerait la cohésion sociale.
LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Lipiński.
M. LIPIŃSKI (Pologne) – Monsieur le Président, mes chers collègues, je dois d’abord remercier Mme Brasseur, pour son rapport équilibré sur un sujet aussi complexe que celui de la dimension religieuse du dialogue interculturel, ainsi que M. Toshev. Cette complexité procède de la diversité des cultures présentes sur notre continent, même si notre héritage commun, qui s’appelle précisément l’Europe, reste le même.
Depuis deux mille ans, l’Europe repose sur un socle que l’on pourrait désigner comme judéo-chrétien. Les valeurs les plus fondamentales aux yeux du Conseil de l’Europe, telles la tolérance, les droits de l’homme et le respect de l’autre, renvoient directement au précepte biblique de l’amour d’autrui et à l’injonction chrétienne : « Faites à autrui tout ce que vous voudriez qu’il fasse pour vous. » Que l’on soit croyant ou non, que l’on soit chrétien, juif, musulman, indifférent, agnostique ou athée, il est impossible d’éviter la référence aux valeurs religieuses ou aux valeurs trouvant leur origine dans la religion. Quelqu’un a ainsi déclaré que, sans chrétienté en Europe, il n’y aurait eu ni Voltaire ni Nietzsche.
Il n’est donc pas surprenant qu’un dialogue interreligieux très vivant se soit noué depuis des années, un dialogue œcuménique entre chrétiens de différentes confessions mais aussi entre chrétiens et juifs ; entre chrétiens et musulmans. Le pape Jean-Paul II, en ce qui concerne l’Eglise catholique, en était un fervent partisan, et son successeur le pape Benoît XVI poursuit et approfondit ces échanges.
À mon avis, notre discussion d’aujourd’hui et tous les efforts du Conseil de l’Europe constituent une tentative importante d’élargissement du cadre de ce dialogue, au niveau laïque, à tous ceux qui partagent nos valeurs.
Le rapport qui nous est présenté souligne le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion : « la liberté pour chacun d’avoir [ou non] une religion et de manifester sa religion individuellement et en privé, ou de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi ».
En tant que Conseil de l’Europe, nous nous occupons de la protection des droits de ceux qui sont faibles et nous faisons beaucoup d’efforts pour que toute minorité et toute personne soient protégées contre l’intolérance et la haine, mais il faut veiller à ce que la protection des minorités ne devienne pas l’oppression de la majorité. L’affaire Lautsi versus Italie, relative à la présence de crucifix à l’école, qui vient d’être définitivement résolue, résultait d’une tentative d’empêcher la liberté de manifester sa religion en public.
Dans sa déclaration sur la liberté religieuse du 21 janvier 2011, le Comité des Ministres a affirmé qu’« il ne peut y avoir de société démocratique fondée sur la compréhension et la tolérance sans respect de la liberté de pensée, de conscience et de religion ». Je suis persuadé que chacun et chacune, dans cette salle, partage cette conviction. Je suis persuadé que cette conviction, dont le rapport de Mme Brasseur est l’expression, peut grandement nous aider à fonder l’Europe de nos rêves, où tous les habitants pourront se sentir à leur aise.
LE PRÉSIDENT* – La parole est à M. Badré.
M. BADRÉ (France) – Monsieur le Président, mes chers collègues, l’excellent rapport de notre collègue Anne Brasseur souligne l’importance du fait religieux dans nos sociétés contemporaines et son influence sur la cohésion. Je remercie les hautes personnalités religieuses qui viennent de s’exprimer devant nous : elles nous ont fait vivre un nouveau moment fondateur de notre Assemblée. La religion est l’une des plus fortes manifestations d’une diversité culturelle que nous devons absolument protéger à l’heure de la mondialisation.
Nous sommes nombreux à considérer que la démocratie suppose la séparation entre le politique et le religieux. C’est précisément dans ce contexte – même si elle relève de la sphère privée – que la pratique religieuse emporte toutes ses conséquences sur notre capacité à construire une société vraiment humaine.
Le religieux ne peut être en contradiction ni avec la modernité démocratique ni avec les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe, grâce auxquelles nous entendons donner un caractère durablement humain à nos sociétés. La liberté de conscience et le droit de pratiquer sa religion sont bien des fondamentaux pour notre Conseil. En outre, le spirituel offre une dimension transcendante d’espérance dont nous avons bien besoin.
C’est dans cet esprit que je salue les termes choisis par notre rapporteure, qui fonde très justement notre réflexion sur le principe d’universalité des droits de l’homme.
Nos systèmes éducatifs ne peuvent ignorer le religieux. Il est nécessaire d’éveiller à l’altérité et de faire mieux comprendre, par tous, des références qui contribuent à déterminer notre quotidien commun. L’enseignement du phénomène religieux, de ses fondements et de ses représentations consolide nos valeurs et donne son plein sens à la notion, elle aussi essentielle, de respect de l’autre, de respect de tout homme. Il va sans dire, cependant, que cet enseignement doit répondre à une parfaite exigence de neutralité.
Nos Etats doivent, pour leur part, faciliter l’émergence d’un véritable dialogue interreligieux. Il ne s’agit pas d’en faire la clé de nos problèmes sociaux ou identitaires et encore moins d’en créer ainsi de nouveaux. Le dialogue interreligieux doit d’abord servir à renforcer la compréhension entre les tenants de dogmes et de traditions différentes. Ces échanges, écoutes et partages peuvent aider le politique au moment d’agir. Alors, ils offriront les meilleures armes pour lutter contre toute relativisation des droits de l’homme et, pour reprendre l’expression du cardinal Tauran, ils dissiperont toutes les peurs.
M. Vera Jardim, Vice-Président de l'Assemblée, remplace M. Çavuşoğlu au fauteuil présidentiel.
LE PRÉSIDENT – La parole est à Mme Boldi.
Mme BOLDI (Italie)* – Monsieur le Président, messieurs les dignitaires religieux, chers collègues, je tiens, avant tout, à remercier Mme Brasseur de son travail, effectué avec beaucoup de conscience et de passion, et pour son rapport très équilibré. La coexistence des religions est l’un des principaux problèmes que rencontrent les sociétés multiculturelles. L’Europe, en particulier à cause des phénomènes migratoires, doit trouver des solutions.
Certains citoyens européens ont pensé que la question pouvait être traitée en étant en justice. Nous avons déjà évoqué l’affaire Lautsi versus Italie, relative à la présence des crucifix dans les écoles italiennes. Il aura fallu deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme pour y mettre un terme.
Ce n’est pas parce qu’ils sont laïques que les Etats européens sont à l’abri des problèmes liés au pluralisme religieux, qui se posent en matière d’enseignement et d’éducation, notamment d’éducation à la politique et au droit. Cela renforce ma conviction : la laïcité doit aboutir à la constitution d’un noyau commun de principes éthiques partagés. Nous y appelons de nos vœux.
La religion est une composante fondamentale de l’identité. Nous devons en être conscients lorsque nous étudions des mesures de nature à favoriser le vivre ensemble. Le dialogue est fondamental pour que des partisans de doctrines différentes puissent collaborer en vue de résoudre les problèmes communs. De même il est essentiel à l’acceptation de la diversité et à l’élaboration de valeurs susceptibles de recueillir l’assentiment de tous.
On ne peut cependant passer sous silence le fait que les rapports de la religion musulmane avec la police et la justice sont plus compliqués. Pourquoi donc ? Cette religion présente une forte dimension politique et juridique. Ainsi elle considère le rapport juridique comme un devoir envers Dieu. Cette façon de voir est très éloignée de l’esprit européen.
Il est donc difficile de passer de la théorie à la pratique du dialogue. Pour cela, il faudrait que le dialogue interreligieux se noue entre des personnes qui, malgré leurs convictions différentes, ne craignent pas la confrontation des points de vue. Aucun dialogue authentique ne peut être fondé sur la renonciation à son identité. Pour prendre un exemple banal que tout le monde comprendra, ce n’est pas en renonçant, alors même que les musulmans ne le demandent pas, à créer une crèche à Noël que l’on facilite l’intégration, contrairement à ce que peuvent penser certaines maîtresses d’école italiennes peu au fait des vertus du dialogue interreligieux.
Ce qui peut nous unir, c’est le respect de la vie, le respect de la dignité de l’homme et de la femme, le respect de la famille, la justice sociale, la défense de l’environnement. Un système multiculturel suppose un engagement fort de tous les responsables religieux, qui sont des guides pour leurs communautés respectives et dont l’enseignement doit être équilibré.
Comme le préconise le rapport, nous devons absolument attacher une grande importance à la formation des éducateurs et à l’école. C’est à ce niveau que seront jetées les bases d’un dialogue fructueux.
LE PRÉSIDENT – La parole est à Mme Durrieu.
Mme DURRIEU (France) – Je remercie tout d’abord Mme la rapporteure pour son excellent travail.
Nous nous posons beaucoup de questions et, comme vous, je sens monter l’angoisse collective. Dans mon pays, la France, le débat est engagé – plus ou moins bien, mais il l’est – autour de l’islam. L’islam est une réalité. Est-il pour autant une menace identitaire ? Quels sont les rapports de cette religion et des autres avec la république laïque ? Comment trouver le dénominateur commun qui nous permette de vivre ensemble ? Vouloir, pouvoir vivre ensemble : telle est la grande question de cette matinée. Je reprends la formule de l’historien : y parvenir sera un acte volontaire et conscient.
Si la liberté de conscience et son exercice sont possibles, ce ne sera pas un problème religieux. Si le respect de l’autre est acquis, ce ne sera pas un problème social. Ce ne sera pas non plus un problème économique. C’est, en revanche, un réel problème culturel, dont la solution réside dans le respect des droits de l’homme, mais ceux-ci sont-ils compatibles avec les dogmes religieux ? Non, si j’en crois l’histoire, voire l’actualité et les guerres de religion. Oui, si nous bâtissons un monde et des Etats tolérants et laïques. Non, si les textes de ces religions prescrivent une morale et des règles contraires aux droits de l’homme. J’ai ici une pensée pour ces femmes excisées, pour ces femmes lapidées. La réponse est oui ou non selon la façon dont les droits de l’homme inscrits dans la Convention européenne sont transposés ou interprétés dans le droit canon, la Charia, le Talmud.
Une société laïque – c’est une forte expression qui peut avoir d’autres traductions – a ses principes, ses valeurs, ses relais que sont la famille, l’école, les communautés religieuses, les associations, l’Etat. Une société laïque a ses objectifs, ses idéaux. L'un de ceux-là est de savoir former un individu libre et responsable, à mi-chemin entre la raison et la foi. Il s’agit de former des individus dignes, capables de bâtir et de maîtriser leur citoyenneté, forme achevée de la laïcité. En Europe, un certain chemin reste encore à parcourir, sinon pour définir cette citoyenneté, du moins pour l’affirmer et probablement pour la conquérir.
LE PRÉSIDENT – La parole est à Mme Marland-Militello.
Mme MARLAND-MILITELLO (France) – Monsieur le Président, mes chers collègues, je tiens ici à saluer le travail remarquable de la rapporteure Mme Anne Brasseur. En particulier, je soutiens fortement sa recommandation de créer « un espace de dialogue, une table de travail entre le Conseil de l’Europe et de hauts représentants de religions et d’organisations non confessionnelles. »
Il ne s’agit plus de proclamer des vœux pieux d’entente mais de construire un système stable, régulier, formellement reconnu, de travail concret entre des représentants de diverses sensibilités. Y associer croyants et non-croyants me paraît fondamental si l’on veut réunir l’ensemble de la société sur cette problématique. Cela reprend d’ailleurs le concept de laïcité auquel la France est très attachée.
Son premier principe consiste en la liberté de croire ou de ne pas croire dans un espace public neutre. La laïcité à la française, c’est la non-ingérence du politique dans le religieux ; la laïcité, c’est la non-ingérence du religieux dans le politique ; la laïcité, c’est tout simplement la possibilité pour les cultes de se côtoyer dans un espace public neutre ; enfin, la laïcité, c’est le droit pour les religions de coexister et leur volonté de se respecter.
Qu’il me soit permis d’illustrer cela avec l’expérience à la fois sublime et douloureuse de ma propre famille. À la fois turque et arménienne, de religion orthodoxe, ma famille a pu échapper, à Istanbul, à une mort certaine, lors de la déportation de la population arménienne, grâce à une famille turque musulmane, qui l’a sauvée de la folie meurtrière. Dans un moment où les violences interethniques et religieuses avaient atteint leur paroxysme, la voix de l’humanité continuait à parler indépendamment des appartenances religieuses. Le dialogue interreligieux est donc possible si, en temps de guerre, le message irénique transcende les appels des fanatiques qui instrumentalisent la religion. La culture religieuse, le fait religieux, lorsqu’il n’est pas instrumentalisé, n’est-il pas le premier terreau sur lequel poussent les germes de la démocratie ? La religion, ce lien qui nous relie à l’au-delà, n’est-elle pas le premier enracinement des valeurs iréniques relatives à l’Etat de droit que nous défendons ?
Ce que nous défendons ici, c’est un respect mutuel dans un véritable esprit de fraternité entre les religions. C’est pourquoi le Conseil de l’Europe paraît être l’institution la mieux placée pour favoriser le dialogue interreligieux en dehors du cadre étatique des Etats membres et pour permettre la promotion de l’humanisme.
LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Slutsky.
M. SLUTSKY (Fédération de Russie)* – Monsieur le Président, chers collègues, le grand rabbin Berel Lazar a prononcé des paroles très importantes, unificatrices pour les membres de cette assemblée parlementaire. Nous devons arriver à la paix, peu importent les différences entre nous.
Ces dix dernières années, le paysage socioculturel européen s’est modifié de manière significative. Les derniers événements au Maghreb ont donné un nouvel élan au monde. Les dirigeants des pays européens se sont attelés à la résolution de nombreux problèmes socioculturels en Europe. Néanmoins, nous sommes confrontés à des défaillances du dialogue interculturel et nous avons l’obligation de trouver des solutions, sans que cela affaiblisse nos valeurs communes.
J’appelle votre attention sur une excellente recommandation d’Anne Brasseur : la création d’un espace de dialogue. C’est un nouveau format de travail. Il faut mettre l’accent sur la diversité des peuples et des Etats membres du Conseil de l'Europe. Cet espace de travail doit être le plus démocratique possible. Il convient aussi de s’inspirer de toute l’expérience accumulée par nos pays pendant de nombreuses années et de prendre en compte les spécificités locales.
Chaque pays a accumulé une expérience très positive. En Russie il existe une très grande variété confessionnelle et culturelle. Une plate-forme rassemblant les différentes confessions a été créée l’année dernière. Son but est d’apporter un soutien à la paix et au dialogue interculturel. Pour autant je ne prétends pas qu’en Russie tous les problèmes sont résolus. Il y a encore beaucoup à faire. La plate-forme de l’Assemblée parlementaire nous permettra d’édifier une véritable société culturelle interconfessionnelle. Je remercie encore une fois Anne Brasseur pour son excellent rapport. Nous espérons que ce travail va se poursuivre.
LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Rochebloine.
M. ROCHEBLOINE (France) – Monsieur le Président, mesdames, messieurs, la démarche de notre collègue Anne Brasseur repose sur une idée – on peut même dire, sur une espérance – que je partage fondamentalement : dans nos sociétés marquées par les comportements agressifs, l’intolérance, les conflits inutiles, il faut promouvoir sans se lasser le dialogue, encourager les rencontres entre les personnes et les institutions qui représentent les différentes sensibilités philosophiques ou religieuses. Si le dialogue entre les cultures est une composante nécessaire de la paix, encore faut-il choisir le bon point de départ et la bonne méthode.
À cet égard, certaines affirmations m’inspirent de fortes réserves.
Telle est d’abord, la prétention de faire du dialogue entre les religions une sous-catégorie du dialogue entre les cultures. Que l’on adhère ou que l’on n’adhère pas à une conviction religieuse, on doit reconnaître un fait : la dimension religieuse de l’homme comporte une dimension culturelle, s’exprime dans certains cadres culturels, mais ne s’y réduit pas. Elle est la traduction d’une aspiration qui englobe toute la personnalité. En cela, elle se distingue de la démarche humaniste évoquée par le rapport. Cela ne signifie pas pour autant que la loi civile doive la considérer comme meilleure ou supérieure. L’Etat n’a pas à entrer dans ces catégories. Il doit simplement respecter a priori, lui aussi, la spécificité de chaque attitude.
Par ailleurs, il est du droit et du devoir de la puissance publique de dissuader et, éventuellement, de réprimer les comportements contraires aux libertés et à la paix publique des communautés religieuses et de leurs membres. C’est tout le sens du débat français sur le voile intégral. Toutefois la puissance publique exerce sa compétence au prix d’une appréciation a posteriori de ces comportements au regard des diverses lois de police auxquelles, par hypothèse, ils auraient pu contrevenir. La puissance publique ne doit pas se déterminer en postulant que la liberté religieuse, liberté fondamentale de la personne, est une liberté seconde par rapport à des conceptions sociales qui dominent, à un moment de l’histoire, l’ordre contingent du politique. Or telle est bien la doctrine avouée du projet de recommandation qui nous est soumis.
Je n’accepte d’ailleurs pas l’idée que, pour telle ou telle communauté religieuse, la jouissance d’un statut juridique de liberté soit subordonnée à l’acceptation de « valeurs fondamentales communes » élaborées par la société politique. Cela peut vouloir dire deux choses : soit que ces valeurs sont d’ordre religieux, ce qui est absurde, soit que le droit d’une communauté religieuse à jouir de la liberté de pratiquer sa foi est lié à sa subordination à l’ordre politique. Cela suppose, et l’idée apparaît ailleurs encore, que la puissance politique puisse être un prescripteur d’attitudes religieuses. Ce n’est pas acceptable ; ce n’est pas réaliste.
Il convient au contraire de veiller à pratiquer une saine séparation des responsabilités, ce qui n’exclut pour autant ni la connaissance réciproque ni le dialogue. Ce dialogue peut d’ailleurs être poursuivi à tous les niveaux où il est souhaitable, pourvu que chacun respecte les compétences de l’autre. L’instance de concertation mise en place en 2002 par le gouvernement de Lionel Jospin et maintenue par les gouvernements successifs depuis, est un bon exemple de dialogue au niveau de la cité. Il existe également, dans plusieurs endroits, des lieux de rencontre interconfessionnels dont les élus s’emploient à faciliter la tâche parce qu’ils concourent à la paix et à la compréhension mutuelle. Néanmoins s’ils peuvent être des soutiens, voire des incitateurs, les pouvoirs publics ne doivent pas être les meneurs de telles initiatives, faute de quoi elles perdent dynamisme et crédibilité.
LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Giaretta.
M. GIARETTA (Italie)* – Mes chers collègues, nous vivons une journée très importante dans la vie de l’Assemblée parlementaire compte tenu du caractère précieux des témoignages que nous avons entendus et de la qualité du rapport de Mme Brasseur.
La liberté religieuse, sous toutes ses dimensions, fait partie des libertés principales de l’homme. Par certains aspects, elle est même la liberté primordiale, puisqu’elle inclut le droit inaliénable de tout être humain à donner un sens profond à sa vie et lui permet de vivre sa foi, y compris en communauté.
La dialogue interreligieux a toujours été un moteur fondamental de la coexistence entre les peuples et les cultures. Nous devons le rappeler aujourd’hui face aux défis lancés par la mondialisation. Nous devons le rappeler aussi au regard de l’actualité en Europe. L’Europe est une et plurielle. Elle est la somme de rencontres heureuses. Cependant l’Europe a vécu dans l’obscurantisme lorsque la liberté religieuse a été rognée, lorsque la capacité de dialogue et de tolérance a été asservie à la religion ou à la volonté de puissance des Etats et des pouvoirs temporels.
L’Europe a connu ses meilleures années lorsque s’est produite une rencontre féconde de cultures et de croyances. L’héritage de la Grève antique est parvenu dans l’Occident chrétien grâce à la sagesse musulmane. Quand ce fil a été rompu, les idées ont décliné. La portée révolutionnaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le grand acquis du XVIIIe siècle fondé sur les principes de liberté, d’égalité et de fraternité, a été bouleversé par la période de la Terreur.
Dans le contexte qui est le nôtre, un hommage tout particulier doit être rendu à notre rapporteure, qui a réalisé un travail remarquable. Grâce à elle, nous avons compris le rôle fondamental des religions pour l’intégration des cultures. Il faut donc encourager le dialogue interreligieux, y compris dans sa dimension civile car les religions ont, en raison de leur mémoire et de leur expérience du passé, des responsabilités particulières. Elles nous offrent aussi des possibilités de mieux gérer notre destin. Il convient en particulier de tirer profit de cette ressource essentielle pour les relations humaines.
LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme Christoffersen.
Mme CHRISTOFFERSEN (Norvège)* – Monsieur le Président, mes chers collègues, hier, notre Secrétaire Général lançait un avertissement à l’encontre du développement de sociétés parallèles et de l’alimentation de la polémique par des groupes religieux. Il invitait à la création d’un socle commun pour nos sociétés multiculturelles et appelait à la création d’un véritable leadership politique. Autant de sujets sur lesquels porte le rapport, qui souligne ce qui nous unit et demande un renforcement du dialogue à tous les niveaux, y compris européen.
Ce matin, en revanche, je n’ai pas entendu de dignitaires femmes prendre la parole. Je n’ai pas non plus entendu parler de philosophie et d’éthique humaniste. L’Eglise d’Etat norvégienne a été souvent critiquée au Conseil de l’Europe, mais au moins compte-t-elle des dignitaires femmes, à tous les niveaux. Le mois dernier, une femme a été nommée à la tête de notre épiscopat. Je vous mets donc en garde contre un dialogue interculturel qui laisserait de côté la moitié de la population.
La liberté de parole est un droit de l’homme. En brûlant le Coran, le pasteur Terry Jones a violé ce droit, mais cela ne doit pas justifier le meurtre de soldats non armés en Afghanistan. Ces événements illustrent ce que la haine et le manque de respect peuvent engendrer. Nous avons vu de tristes exemples de dignitaires religieux étrangers abusant de leur position pour semer la crainte parmi des réfugiés. Nous avons vu certains leaders charismatiques légitimer la violence comme instrument politique. Les jeunes à la recherche d’une identité sont très perméables à une telle propagande. Nous avons besoin de dirigeants responsables.
Dans ma ville qui compte 23 % d’immigrés, un forum de dialogue interreligieux a été créé à l’initiative d’un iman et d’un prêtre. Appuyés par la municipalité et la police, ils ont organisé des séminaires sur le droit norvégien auxquels a été conviée une vingtaine de représentants religieux. Les participants célèbrent les fêtes chrétiennes et musulmanes, transmettent le message de la paix, de l’amour et de l’amitié tel qu’il figure dans le Coran et la Bible. Ils se rencontrent pour le moment à l’église, mais la nouvelle mosquée sera bientôt un nouveau lieu de rencontre. Ces rencontres sont d’ailleurs très populaires. Le message est le suivant : lorsque la religion entretient le conflit, elle n’est pas dans le vrai. Il faut suivre les bons exemples donnés par d’autres.
LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Umakhanov.
M. UMAKHANOV (Fédération de Russie)* – Le rapport qui nous est présenté revêt une importance majeure et suscite un intérêt mérité dans nos pays, comme le démontre la participation au débat des représentants des grandes confessions venus de la Roumanie, de la Russie, de la Turquie, de l’Allemagne et du Vatican.
Nous nous félicitons de l’approche retenue par Mme Brasseur, qui s’est acquittée avec sérieux de sa tâche entreprise en 2005. Une recommandation particulièrement importante vise à créer un espace de dialogue, une table de travail entre le Conseil de l’Europe et les représentants des religions et des organisations non confessionnelle. Dans la Fédération de Russie, il existe des espaces de dialogue réunissant des représentants du pouvoir et des religions, en particulier le Conseil pour l’interaction avec les associations religieuses, qui dépend du Président de la Russie et auquel participent pratiquement toutes les confessions enregistrées dans notre pays.
Le Conseil d’Etat de la Fédération de Russie et les dirigeants du pouvoir exécutif participaient à la dernière réunion ; il s’agissait avant tout de discuter de l’éducation morale des jeunes.
Pour ce qui est du rôle de l’Etat dans la diffusion d’une connaissance équilibrée des religions, je dois préciser que, depuis 2010, dans des écoles de la Fédération de Russie, un enseignement des bases de la culture religieuse et de l’éthique laïque est dispensé à titre expérimental avec le concours de toutes les parties intéressées.
Nous pensons que nous devons également mettre l’accent sur une coopération de la CEI avec l’Unesco, celle-ci ayant accumulé une très grande expérience en matière interculturelle.
Une autre recommandation du rapport est d’accroître les moyens alloués au projet sur les cités interculturelles. Cela me fait penser à une ville très ancienne de la Russie, Derbent, devenue, au cours des siècles, un symbole de la diversité ethnique culturelle et religieuse, de la tolérance et de la compréhension mutuelle. Le Grand Rabbin de Russie, Berel Lazar, a d’ailleurs participé à l’inauguration de la nouvelle synagogue de Derbent.
Enfin, nous devons absolument exploiter les nouvelles technologies. Si vous êtes d’accord avec la proposition tendant à créer une plate-forme, la Fédération de Russie sera très heureuse d’y participer.
LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Frécon.
M. FRÉCON (France) – Monsieur le Président, mes chers collègues, la réapparition du fait religieux dans la sphère publique est l’une des caractéristiques marquantes de nos sociétés en ce début de siècle. La perte de foi dans les idées matérialistes du XXe siècle, la crainte d’une dilution des racines dans ce grand mouvement qu’est la mondialisation et la peur de l’avenir, tant au plan social qu’écologique, contribuent à renforcer ce retour à la spiritualité chez nos concitoyens. Dans le paysage religieux européen de 2011, je note l’émergence de religions jusque-là majoritaires sur d’autres continents, l’islam et le bouddhisme, mais aussi le mouvement évangéliste venu d’outre-Atlantique.
L’extension du champ religieux doit, dans le même temps, être analysée sous l’angle de la consolidation des valeurs démocratiques d’un bout à l’autre du continent européen. Le renforcement de la liberté d’expression a permis aux différentes idées religieuses de se développer sans contrainte majeure, tant au sein des Etats laïques stricto sensu que dans les pays de tradition concordataire. Le fait religieux a repris une place importante dans la sphère publique.
Cette connexion doit être mise en avant lorsque nous nous attardons sur la place des spiritualités dans nos sociétés. Je salue, à cet égard, la pertinence du rapport de notre collègue Anne Brasseur qui souligne combien les droits de l’homme doivent constituer le dénominateur commun de toutes ces idéologies. Les Etats ne peuvent mettre en place avec elles un partenariat dynamique que si l’adhésion aux principes démocratiques et la reconnaissance d’une égale dignité de toutes les personnes font figure de priorité.
Je note que le projet de recommandation insiste sur la nécessité pour nos Etats d’accompagner la mise en place d’un dialogue interreligieux, via notamment une réflexion à mener sur l’enseignement du fait religieux dans les systèmes scolaires nationaux. Je serais tenté de dire qu’il s’agit là de la seule contribution intellectuelle possible pour nos gouvernements à ce dialogue interreligieux. L’Etat ne saurait être un acteur du dialogue interreligieux à part entière ; il ne peut, à cet égard, interférer dans le domaine théologique.
Par ailleurs, le dialogue interreligieux ne peut être considéré comme la condition sine qua non au maintien de la cohésion de nos sociétés. Il n’est que l’une des facettes du dialogue interculturel. En outre, si ce dialogue peut contribuer à la prise de décisions politiques, il ne saurait déterminer celles-ci. Le rôle des autorités religieuses est essentiellement moral ou philosophique, il n’est en aucun cas politique. La démocratie se caractérise notamment par le respect scrupuleux de cette séparation entre les églises et les représentants des peuples.
Je vous remercie à nouveau madame Brasseur.
LE PRÉSIDENT – Mes chers collègues, je vous rappelle que le scrutin pour l’élection de deux juges à la Cour européenne des droits de l’homme au titre de la Norvège et de la Suisse est en cours. À 13 heures, je suspendrai le scrutin qui reprendra à 15 heures. Il sera clos à 17 heures.
J’invite ceux d’entre vous qui n’ont pas encore voté à le faire.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Béteille.
M. BÉTEILLE (France) – Monsieur le Président, messieurs les représentants des religions, mes chers collègues, j’aborde ce débat avec une infinie humilité tellement nous touchons à des valeurs qui nous dépassent très largement et qui nous parlent au plus profond de nos consciences.
C’est dire que le rapport dont a été chargée Mme Brasseur est d’une extrême difficulté. Si elle est arrivée à des conclusions très consensuelles, elles ne doivent pas faire illusion sur le paradoxe qui existe à vouloir concilier des valeurs qui sont celles du Conseil de l'Europe d’une part, et celles des religions d’autre part. En effet, on ne peut pas demander à une religion d’accepter une valeur qui serait en contradiction avec ses propres dogmes et convictions. Par conséquent, nous nous heurtons à une véritable difficulté qui ne peut pas être surmontée.
Ce qui est encourageant, ce sont les discours que nous avons entendus ce matin. Les représentants des religions ici présents ont insisté sur la valeur tolérance à l’égard des différentes religions, ce qui a d’ailleurs rendu possible ce dialogue souhaité par Mme Brasseur.
Néanmoins nous savons tous que cette tolérance n’est pas partagée par le tout le monde. Nous avons encore en mémoire ce qui s’est passé pendant des années en Irlande du Nord et ce qui se passe toujours en Irak ou en Egypte.
Les solutions ne peuvent pas venir d’une contrainte quelconque ; elles ne sortiront que du dialogue. Je rejoins là les conclusions d’Anne Brasseur : nous devons arriver à promouvoir ce dialogue afin qu’il puisse s’étendre au-delà des représentants que nous avons entendus ce matin.
LE PRÉSIDENT – La parole est à Mme Andersen.
Mme ANDERSEN (Norvège)* – Je vous remercie, messieurs, pour vos contributions qui furent extrêmement intéressantes. Je me félicite de votre présence, car nous avons grandement besoin d’un dialogue.
En tant que politique, j’ai besoin d’apprendre beaucoup sur les différentes religions et croyances afin d’être en mesure de gérer les différentes décisions auxquelles je dois participer pour trouver des solutions aux conflits. C’est pourquoi il est nécessaire que tout le monde participe au dialogue.
Pourquoi Dieu aurait-il réservé aux hommes seuls le droit de participer au dialogue ? La moitié de l’humanité est pourtant bien composée de femmes et les droits de l’homme s’appliquent à tous : aux hommes et aux femmes, quelles que soient leur origine ethnique, ou leur orientation sexuelle. C’est un défi que nous devons relever et, à ce titre, je vous suis reconnaissante d’avoir souligné cette difficulté, d’autant que vous avez une responsabilité considérable et jouez un rôle central dans la vie de tant de personnes qui vous écoutent et suivent vos orientations. C’est pourquoi traiter de la question de l’égalité est important, un dialogue supposant la participation de toutes les parties. Or, si les droits humains sont universels, les différentes convictions religieuses, me semble-t-il, sont quelque peu conservatrices s’agissant de l’égalité des droits des hommes et des femmes et sur le fait d’inclure les femmes dans le dialogue.
J’ajoute que les droits humains entrent parfois en conflit avec les croyances religieuses et l’égalité des droits. Il convient alors de trancher. L’égalité des droits pour tous au sein de la société est primordiale et il me semble possible que les différentes confessions religieuses fassent que cette égalité devienne une réalité.
LE PRÉSIDENT – M. Gardetto étant absent de l’hémicycle, la parole est à Mme Zohrabyan.
Mme ZOHRABYAN (Arménie) – Honorable Président, chers membres de l’Assemblée, le problème soulevé par Anne Brasseur est l’un des problèmes actuels les plus brûlants. Le dialogue interculturel entre les peuples est aujourd’hui mis en danger par l’intolérance, la haine religieuse et l’hostilité, dont les conséquences funestes aujourd’hui, le seront encore plus demain. Aujourd’hui plus que jamais, il est impératif de créer des conditions nécessaires pour garantir le respect de la liberté de pensée, de conscience, de religion et de pluralité religieuse.
Je partage l’avis de la rapporteure quand elle indique que l’intolérance religieuse aboutit à la violence, au refus et, j’ajoute, au vandalisme, qui empêchent toute tentative de dialogue entre les peuples. La conclusion de Mme Brasseur est très claire : les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe peuvent et doivent être le ciment qui nous unit sur la voie du dénouement de ce problème global. Toutefois il me semble qu’il nous faut observer différemment les problèmes d’intolérance religieuse, de non-respect des cultures, dont les conséquences sont souvent funestes et tragiques. Quand l’intolérance religieuse ou politique envers les cultures des autres nations aboutit au vandalisme, quand leurs auteurs ne sont pas punis, je ne comprends pas comment développer le respect de la pluralité religieuse, l’héritage et la diversité culturels.
Dès 1998, l’Azerbaïdjan officiel s’est mis à détruire le cimetière arménien historique de Djulfa dans la région de Nakhijévan. En 2005, ce cimetière ancien, qui représentait une valeur culturelle exceptionnelle, a été démoli et réduit à une base militaire par les soldats azéris. Pendant sept ans les vandales azéris ont non seulement démoli les khaschkars – les stèles en croix exceptionnelles du cimetière historique de Djougha – mais aussi le monastère Saint-Aménapkitch datant du XIIe siècle, la chapelle Pomblose, l’église Saint-Astvatsatsin et d’autres monuments culturels. En 2006, le Parlement européen a condamné les démolitions des cimetières médiévaux arméniens et des khatchkars historiques de Nakhijévan. Même le journaliste azerbaïdjanais Idrak Abassov, après sa visite à Nakhijévan, a confirmé la destruction du cimetière de Djoulfa.
Chers collègues, je vous rappelle qu’une mission d’observation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe devait visiter Djugha et le Haut-Karabakh aux mois d’août et septembre 2007, mais la visite n’a pas eu lieu à cause du chantage des Azerbaïdjanais. Les missions d’observation de l’Unesco, de l’Icomos – le conseil international des monuments et des sites – n’ont pas eu lieu non plus. Et aujourd’hui nous discutons d’un rapport dont l’objectif est de trouver et de proposer des mécanismes effectifs en faveur de la tolérance et le dialogue interculturel.
Je veux soulever à nouveau la question de l’envoi d’une mission d’observation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à Djugha, pour que mes collègues constatent sur place ce que les Azéris ont fait avec ce merveilleux héritage culturel d’un peuple, avec quelle férocité ils ont démoli les khatchkars arméniens qui faisaient partie du patrimoine mondial. Il est de notre devoir de condamner les vandales, parce que le génocide peut aussi être culturel. J’ai avec moi des images documentaires témoignant de la façon dont les soldats azéris, armés de marteaux lourds, ont mis en miettes les khatchkars exceptionnels de Djugha et je peux vous fournir ce film. J’espère qu’après l’avoir regardé, plusieurs d’entre vous seront d’accord pour demander d’envoyer une mission d’observation à Djugha.
Les autorités turques restaurent l’église Sainte-Croix d’Akhatamar, pour se donner une image démocratique, mais en même temps elles refusent de placer une croix sur la coupole. Comment peut-on parler de tolérance quand l’Azerbaïdjan menace d’abattre les avions civils en direction du Haut-Karabakh ?
Mon propos vient compléter, je pense, les préoccupations de Mme Brasseur.
LE PRÉSIDENT – La parole est à Lord Boswell.
Lord BOSWELL (Royaume-Uni)* – Dans une société libre, les gouvernements ne peuvent dicter aux personnes ce qu’elles doivent croire, ne peuvent imposer tel ou tel dogme, ni imposer de ne pas croire.
Notre héritage découle largement de notre passé religieux et les diverses communautés religieuses qui composent nos sociétés méritent le respect comme elles doivent en témoigner à celles qui pensent différemment. Nous rendons hommage à la diversité, nous la prônons, nous accueillons l’autre et nous voulons que l’autre, lorsqu’il s’installe chez nous, ait conscience de la possibilité d’un avenir. Les personnes ayant d’autres croyances ont une responsabilité et doivent respecter l’opinion et la croyance de la majorité du pays où elles s’installent. Le multiculturalisme et nos cultures nationales doivent cohabiter.
Au Royaume-Uni, les différentes religions coexistent, les leaders peuvent s’entendre, mais le dialogue ne saurait être limité aux responsables religieux ; il doit être étendu à l’ensemble des fidèles. En elle-même, cette interaction ne peut cependant tordre le coup aux préjugés, aux différences et instaurer une culture du respect et de la tolérance. Nous n’y parviendrons pas non plus en nous contentant de quelques cours sur les religions dans les programmes scolaires. Les jeunes qui partagent les moyens de transport, les terrains de sport, apprennent le respect de l’autre. Il est plus facile de favoriser cette compréhension dès le plus jeune âge. Dès lors que l’on a respecté quelqu’un quand on était jeune, il est difficile de le haïr une fois devenu adulte.
LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Mota Amaral.
M. MOTA AMARAL (Portugal)* – L’élargissement du Conseil de l’Europe suite à la chute du mur de Berlin a montré la grande diversité culturelle qui prévaut en Europe. Dans les pays d’Europe occidentale, pour des raisons historiques diverses, certaines très négatives, les sociétés étaient relativement homogènes. Puis différentes communautés de diverses parties du monde sont venues s’installer, renforçant la diversité. Aujourd’hui, les sociétés européennes évoluent vers un modèle pluriethnique et multiculturel.
Les Etats doivent être séparés de la religion, mais ils doivent toutes les respecter, car la religion a une dimension sociale que l’on ne peut ignorer. Il serait, au contraire, mauvais pour la société d’ignorer la contribution positive que la religion peut apporter dans cette quête du bonheur. Elle peut aussi servir de base pour la paix, la justice et le respect de l’autre. Les valeurs clés du Conseil de l’Europe qui reposent sur la dignité de chaque être humain sont un message de la chrétienté, un message que l’on retrouve dans toutes les religions dont les communautés sont présentes sur le continent européen.
Dans un monde aujourd’hui complexe, nous devons nous rassembler et trouver les moyens de coexister en harmonie et dans la paix. À cet égard, il faut reconnaître la contribution que la religion peut utilement apporter. Dans chaque pays, et en Europe de façon générale, l’Etat peut contribuer à donner cette place à la religion.
LE PRÉSIDENT – La parole est à Mme Blondin.
Mme BLONDIN (France) – Monsieur le Président, mes chers collègues, le rapport équilibré de notre collègue Anne Brasseur relève à juste titre que des tensions croissantes se font jour au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe, ce qui fragilise la cohésion sociale de chacun de nos Etats.
J’approuve l’espace de dialogue recommandé par ce rapport. Ce dialogue doit avoir pour finalité de mettre en exergue les valeurs communes aux différents groupes, religieux ou non, autrement dit, madame Andersen, de fédérer autour des valeurs que tous les hommes et toutes les femmes ont en partage. S’il ne s’agit que de permettre à chacun d’exprimer son point de vue sans rechercher le consensus, la démarche restera stérile. J’ajoute aussi que ce dialogue ne peut aboutir que s’il s’épanouit dans un climat favorable. Pour nous assurer de l’efficacité de ce dialogue, des efforts doivent être faits dans deux directions.
D’une part, il faut que la liberté de conscience et la liberté de religion soient pleinement assurées dans l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe. Comment le dialogue pourrait-il être authentique s’il rassemble des athées, des agnostiques, des chrétiens, des juifs ou des musulmans, dont certains se sentent bâillonnés, persécutés dans leurs propres pays ? Un travail doit donc être mené par le Conseil de l’Europe pour s’assurer que les obstacles à la liberté de conscience et à la liberté de religion soient levés dans tous les Etats membres.
D’autre part, comme le souligne le rapport, l’école est un lieu important de structuration sociale. En ce sens, il faudrait que les systèmes éducatifs permettent davantage le dialogue, certes entre les élèves et leurs professeurs, mais également entre les élèves eux mêmes. Si une réflexion approfondie doit également être engagée à l’école, il faut qu’elle le soit sur l’enseignement du fait religieux à l’école, autrement dit, des éléments de culture générale, et non un enseignement religieux. Comme le soulignait Régis Debray dans un rapport remis en 2002 sur l’enseignement du fait religieux dans l’école laïque française : « Cet enseignement peut permettre de retrouver une mémoire collective en apportant à travers l’universalité du sacré un fond de valeurs fédératrices qui viendraient tempérer l’éclatement des repères comme la diversité, sans précédent pour nous, des appartenances religieuses dans un pays – il s’agissait de la France – d’émigration heureusement ouvert sur le grand large. »
LE PRÉSIDENT – La parole est à Mme Greff.
Mme GREFF (France) – Monsieur le Président, mes chers collègues, je tiens à dire un grand merci à Mme Brasseur pour son excellent rapport et à vous remercier également, monsieur le rapporteur pour avis, pour votre contribution.
La démocratie dans son essence même ne peut souffrir le dogmatisme, car elle consiste en l’affrontement symbolique entre nos différences, nos divergences partisanes, religieuses, politiques, et par une arme pacifique que l’on appelle le dialogue. N’oublions jamais que le dialogue est la force et la richesse de l’homme. Le XXIe siècle doit être le siècle du bien vivre ensemble avec une volonté de vivre et de connaître la richesse de nos diversités culturelles.
Or pas une semaine ne se passe sans que des exactions ne soient commises au nom de la religion, au nom d’une identité religieuse qui ne saurait être plurielle. Cette « obligeante tolérance » s’adresse tant aux pouvoirs publics qu’aux communautés religieuses elles-mêmes. Tout discours dogmatique est ainsi en quelque sorte condamné à périr sur l’autel de l’esprit démocratique. La dimension religieuse du dialogue interculturel est à ce prix.
Marcel Gauchet, dans son livre La religion dans la démocratie, énonçait à juste titre que nous sommes devenus métaphysiquement démocrates, précisant par là que le discours dogmatique inhérent aux religions ne saurait perdurer dans un espace démocratique dans lequel l’Etat est, par définition, devenu séculier et non plus religieux.
La séparation historique des églises et de l’Etat a créé un phénomène irréversible de conversion à la pluralité. Cette conversion à l’esprit démocratique implique donc tolérance et respect par la majorité des minorités religieuses, ou non religieuses d’ailleurs, qui composent le corps social. Cette spécificité de la démocratie interdit toutes formes de sectarisme et de fondamentalisme religieux.
L’enseignement du fait religieux à l’école doit, à mon sens, être encouragé ainsi que le préconise le rapport, en ce qu’il permet de montrer la diversité religieuse.
Je tiens néanmoins à souligner que la loi française de 2005 sur l’interdiction du port de signes religieux par les élèves et les éducateurs relève de cette logique de tolérance et d’apprentissage de la diversité religieuse. Par contre, tout ce qui pourrait s’apparenter à un prosélytisme agressif est contraire à la liberté d’expression telle qu’elle est définie dans l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales. À ce titre, il convient de préciser que la Cour européenne des droits de l’homme a validé la conventionalité de la loi française dans de nombreuses affaires, au motif que la loi poursuivait le but légitime de la protection des droits et libertés d’autrui et de l’ordre public. La Cour a rappelé le rôle de l’Etat comme organisateur neutre et impartial de l’exercice des divers cultes, religions et croyances.
La dimension religieuse du dialogue interculturel met en évidence combien il est difficile de dialoguer avec certains groupes qui ne se seraient pas encore totalement convertis à l’esprit démocratique du fait d’une pratique prétendument religieuse, qui ne peut prendre en compte l’existence de l’autre. Tel est malheureusement le cas pour les femmes avec le niqab. Notre rôle, en tant qu’institution gardienne des valeurs cardinales de la démocratie, est d’insuffler cet esprit démocratique.
Le risque est de confondre religion et identité. La religion, ou l’absence de religion, est une composante de l’identité. Elle ne saurait la résumer.
LE PRÉSIDENT – La parole est à Mme Hägg.
M. HÄGG (Suède)* – Nous sommes ici en Europe et je constate, par exemple, qu’en France, se produisent des agressions sur la base de l’appartenance religieuse. Je n’oublie pas non plus ce qui s’est passé au Danemark suite aux caricatures de Mahomet. Dans de nombreux pays européens, nous avons des exemples de politiques qui doivent traiter de la question de la position de l’islam en Europe, pendant que des mouvements populistes exploitent l’anxiété des uns et des autres. Le moment est venu pour les forces démocratiques de s’atteler à cette question si l’on veut prévenir les attaques ciblant les musulmans.
Il convient de réaliser l’objectif politique d’union. Il faut absolument que les forces politiques s’unissent pour défendre le droit de tous à croire ce qu’ils ou elles souhaitent et lutter contre l’oppression. En effet les extrémismes de tous bords ont une longue expérience en matière d’oppression à l’égard des femmes.
LE PRÉSIDENT – La parole est à Mme Schuster qui sera le dernier orateur à intervenir ce matin dans le débat.
Mme SCHUSTER (Allemagne)* – Je tiens, à mon tour, à remercier Mme Brasseur pour son excellent travail. Le nombre d’orateurs inscrits dans le débat témoigne de l’intérêt que revêt cette question aujourd’hui dans les Etats membres. La liberté de culte est un droit de l’homme universel et constitue donc l’un des piliers de l’Etat de droit laïque. Toutes les convictions religieuses et non religieuses doivent pouvoir cohabiter pacifiquement. La liberté de culte repose sur l’égale dignité de toutes les personnes, ce qui suppose aussi la liberté de changer de religion ou de ne pas en avoir du tout.
Dans son rapport, Mme Brasseur met à juste titre l’accent sur la formation et le dialogue. Dans une société multiculturelle, il est en effet important de faire preuve de tolérance et de respect. Toutefois, tolérance n’est pas synonyme d'indifférence. Dans un Etat laïque, des enseignements sur les différentes religions sont nécessaires. Le système éducatif joue un rôle important ; la formation des enseignants est donc essentielle. Il faut pouvoir développer la compréhension des cultures et des croyances sur la base des valeurs de la démocratie et des droits de l’homme.
En Allemagne, je soutiens l’introduction dans les écoles d’enseignements portant sur la religion musulmane. Pour cela, la formation des personnels enseignants est donc nécessaire. Le gouvernement doit dégager à cette fin des financements spéciaux et organiser dans les écoles l’intervention en langue allemande de représentants religieux. Bien entendu, les 4,3 millions de musulmans allemands doivent avoir la possibilité de bénéficier de cet enseignement, dans la perspective d’une intégration réussie. Je remercie, pour conclure, les hauts dignitaires religieux présents aujourd’hui pour leur contribution à ce débat.
LE PRÉSIDENT – Je dois maintenant interrompre la liste des orateurs. Je remercie moi aussi une nouvelle fois nos illustres invités pour leur participation et pour leur attention tout au long de ce débat.
Le débat reprendra cet après-midi vers 16 heures.
4. Prochaine séance publique
LE PRÉSIDENT – La prochaine séance publique aura lieu cet après-midi, à 15 heures, avec l’ordre du jour adopté précédemment par l’Assemblée.
La séance est levée.
La séance est levée à 13 heures.
SOMMAIRE
1. Ouverture de la séance
2. Election de juges à la Cour européenne des droits de l’homme au titre de la Norvège et de la Suisse
3. La dimension religieuse du dialogue interculturel
Présentation par Mme Brasseur du rapport de la commission de la culture, de la science et de l’éducation (Doc. 12553)
Présentation par M. Toshev du rapport pour avis de la commission des questions politiques (Doc. 12576)
Intervention de Sa Béatitude le Patriarche de Roumanie
Intervention de Son Eminence le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, Cité du Vatican
Intervention de M. le professeur Mehmet Görmez, président de la direction des affaires religieuses de la République de Turquie
Intervention de M. Berei Lazar, Grand Rabbin de Russie
Intervention de M. le prélat Bernhard Felmberg, représentant plénipotentiaire du conseil de l’Eglise protestante en Allemagne, auprès de la République fédérale d’Allemagne et du Conseil de l’Europe
Orateurs : M. Leigh, Mme, Memecan, MM. Petrenco, Santini, Connarty, Mignon, Mme Girardin, MM. Lipiński, Badré, Mmes Boldi, Durrieu, Marland-Militello, MM. Slutsky, Rochebloine, Giaretta, Mme Christoffersen, MM. Umakhanov, Frécon, Béteille, Mmes Andersen, Zohrabyan , Lord Boswell, M. Mora Amaral, Mmes Blondin, Greff, Hägg, Schuster
4. Prochaine séance publique
ANNEXE I
Liste des représentants ou suppléants ayant signé le registre de présence, conformément à l'article 11.2 du Règlement. Sont indiqués en minuscules les noms des suppléants ayant remplacé les représentants absents. Les noms de ceux qui étaient absents ou excusés sont suivis d'un astérisque.
Ruhi AÇIKGÖZ
Francis AGIUS/Joseph Fenech Adami
Pedro AGRAMUNT FONT DE MORA*
Arben AHMETAJ*
Miloš ALIGRUDIĆ
Karin ANDERSEN
Florin Serghei ANGHEL*
Miguel ARIAS CAÑETE*
Khadija ARIB*
Mörđur ÁRNASON
Sirpa ASKO-SELJAVAARA*
Francisco ASSIS*
Lokman AYVA
Alexander BABAKOV*
Daniel BACQUELAINE
Viorel Riceard BADEA
Denis BADRÉ
Gagik BAGHDASARYAN
Doris BARNETT
Meritxell BATET LAMAÑA/Blanca Fernández-Capel Baños
Marieluise BECK*
Alexander van der BELLEN*
Anna BELOUSOVOVÁ
Marie-Louise BEMELMANS-VIDEC
Ryszard BENDER*
Deborah BERGAMINI*
Andris BĒRZINŠ
Oksana BILOZIR
Brian BINLEY
Rosa Delia BLANCO TERÁN*
Roland BLUM
Olena BONDARENKO
Louis BONTES/ Hans Franken
Anne BRASSEUR
Márton BRAUN*
Federico BRICOLO/Rossana Boldi
Han TEN BROEKE
Patrizia BUGNANO*
André BUGNON/Maximilian Reimann
Sylvia CANEL*
Mevlüt ÇAVUŞOĞLU/Yüksel Özden
Erol Aslan CEBECİ
Mikael CEDERBRATT
Otto CHALOUPKA/Pavel Lebeda
Igor CHERNYSHENKO/Ivan Savvidi
Vannino CHITI/Vladimiro Crisafulli
Christopher CHOPE
Pia CHRISTMAS-MØLLER*
Lise CHRISTOFFERSEN
Desislav CHUKOLOV*
Boriss CILEVIČS
Ingrida CIRCENE
James CLAPPISON
Ann COFFEY/Michael Connarty
Georges COLOMBIER
Agustín CONDE BAJÉN
Titus CORLĂŢEAN
Lena DĄBKOWSKA-CICHOCKA
Per DALGAARD
Cristian DAVID*
Joseph DEBONO GRECH
Giovanna DEBONO/Joseph Falzon
Armand DE DECKER
Arcadio DÍAZ TEJERA
Karl DONABAUER/Franz Eduard Kühnel
Miljenko DORIĆ
Gianpaolo DOZZO*
Daphné DUMERY/ Dirk Van Der Maelen
Earl of Alexander DUNDEE*
Josette DURRIEU
Baroness Diana ECCLES/Tim Boswell
József ÉKES*
Lydie ERR*
Arsen FADZAEV/Sergey Markov
Frank FAHEY*
Piero FASSINO*
Nikolay FEDOROV
Valeriy FEDOROV/Vladimir Zhidkikh
Relu FENECHIU*
Mirjana FERIĆ-VAC
Daniela FILIPIOVÁ*
Axel E. FISCHER*
Jana FISCHEROVÁ
Paul FLYNN
Stanislav FOŘT
Pernille FRAHM
Dario FRANCESCHINI*
Erich Georg FRITZ*
Martin FRONC
György FRUNDA
Guiorgui GABASHVILI*
Alena GAJDŮŠKOVÁ
Jean-Charles GARDETTO
Tamás GAUDI NAGY*
Gisèle GAUTIER/Laurent Béteille
Sophia GIANNAKA/Nikolaos Dendias
Paolo GIARETTA
Michael GLOS*
Obrad GOJKOVIĆ
Svetlana GORYACHEVA
Martin GRAF*
Sylvi GRAHAM/Ingjerd Schou
Claude GREFF
Francis GRIGNON/Maryvonne Blondin
Patrick DE GROOTE
Andreas GROSS
Arlette GROSSKOST/Christine Marin
Dzhema GROZDANOVA
Attila GRUBER*
Ana GUŢU
Sam GYIMAH
Carina HÄGG
Sabir HAJIYEV/Sevinj Fataliyeva
Mike HANCOCK
Davit HARUTYUNYAN
Håkon HAUGLI
Norbert HAUPERT
Olha HERASYM'YUK
Andres HERKEL
Serhiy HOLOVATY
Jim HOOD
Joachim HÖRSTER*
Anette HÜBINGER*
Andrej HUNKO
Sinikka HURSKAINEN
Ali HUSEYNLI/Sahiba Gafarova
Rafael HUSEYNOV*
Shpëtim IDRIZI/Kastriot Islami
Željko IVANJI
Igor IVANOVSKI*
Tadeusz IWIŃSKI
Denis JACQUAT/Frédéric Reiss
Michael Aastrup JENSEN*
Mogens JENSEN*
Mats JOHANSSON
Birkir Jón JÓNSSON
Armand JUNG
Antti KAIKKONEN/Jaakko Laakso
Stanisław KALEMBA/Bożenna Bukiewicz
Ferenc KALMÁR
Karol KARSKI/Zbigniew Girzyński
Michail KATRINIS
Jan KAŹMIERCZAK
Cecilia KEAVENEY*
Birgen KELEŞ
Haluk KOÇ*
Albrecht KONEČNÝ
Konstantin KOSACHEV
Tiny KOX
Václav KUBATA/Rom Kostřica
Pavol KUBOVIČ
Jean-Pierre KUCHEIDA/Annick Girardin
Ertuğrul KUMCUOĞLU
Dalia KUODYTĖ/Egidijus Vareikis
Athina KYRIAKIDOU*
Markku LAUKKANEN*
Sophie LAVAGNA/Bernard Marquet
Darja LAVTIŽAR-BEBLER/Ljubo Germič
Jean-Paul LECOQ*
Harald LEIBRECHT*
Yuliya LIOVOCHKINA*
Dariusz LIPIŃSKI
François LONCLE
Younal LOUTFI
Marian LUPU/Stella Jantuan
Philippe MAHOUX/Ludo Sannen
Theo MAISSEN
Gennaro MALGIERI*
Pietro MARCENARO
Dick MARTY
Jean-Pierre MASSERET/Jean-Claude Frécon
Frano MATUŠIĆ
Alan MEALE
Ermira MEHMETI DEVAJA*
Silver MEIKAR/Aleksei Lotman
Evangelos MEIMARAKIS
Ivan MELNIKOV/Sergey Egorov
Assunta MELONI
Nursuna MEMECAN
José MENDES BOTA
Ana Catarina MENDONÇA MENDES*
Dragoljub MIĆUNOVIĆ
Jean-Claude MIGNON
Dangutė MIKUTIENĖ
Akaki MINASHVILI
Krasimir MINCHEV
Andrey MOLCHANOV/Alexey Ivanovich Aleksandrov
Patrick MORIAU
Juan MOSCOSO DEL PRADO HERNÁNDEZ*
Lilja MÓSESDÓTTIR
João Bosco MOTA AMARAL
Alejandro MUÑOZ ALONSO
Felix MÜRI/Francine John-Calame
Philippe NACHBAR/Muriel Marland-Militello
Adrian NĂSTASE*
Gebhard NEGELE
Pasquale NESSA
Fritz NEUGEBAUER*
Baroness Emma NICHOLSON/Jeffrey Donaldson
Cora VAN NIEUWENHUIZEN/Tineke Strik
Tomislav NIKOLIĆ*
Aleksandar NIKOLOSKI*
Mirosława NYKIEL
Carina OHLSSON/Ingela Nylund Watz
Jim O'KEEFFE/ Joseph O'Reilly
Sandra OSBORNE
Brian O'SHEA/ Maureen O'Sullivan
Elsa PAPADIMITRIOU
Vassiliki PAPANDREOU/ Georges Charalambopoulos
Valery PARFENOV*
Ganira PASHAYEVA*
Peter PELEGRINI
Lajla PERNASKA*
Claire PERRY/ Donald Anderson
Marijana PETIR/Karmela Caparin
Johannes PFLUG*
Viktor PLESKACHEVSKIY
Alexander POCHINOK
Ivan POPESCU
Marietta de POURBAIX-LUNDIN
Christos POURGOURIDES*
Cezar Florin PREDA*
John PRESCOTT
Jakob PRESEČNIK/Zmago Jelinčič Plemeniti
Gabino PUCHE RODRÍGUEZ-ACOSTA
Milorad PUPOVAC*
Valeriy PYSARENKO*
Carmen QUINTANILLA BARBA
Valentina RADULOVIĆ-ŠĆEPANOVIĆ
Mailis REPS
Maria Pilar RIBA FONT*
Andrea RIGONI*
François ROCHEBLOINE
Luisa ROSEIRA*
Maria de Belém ROSEIRA
Amadeu ROSSELL TARRADELLAS/Joan Torres Puig
René ROUQUET/ Marietta Karamanli
Marlene RUPPRECHT*
Ilir RUSMALI*
Armen RUSTAMYAN
Branko RUŽIĆ/Elvira Kovács
Volodymyr RYBAK*
Rovshan RZAYEV
Joan SABATÉ BORRÁS
Džavid ŠABOVIĆ/Ervin Spahić
Giacomo SANTINI
Giuseppe SARO
Manuel SARRAZIN*
Kimmo SASI*
Marina SCHUSTER
Samad SEYIDOV
Jim SHERIDAN
Mykola SHERSHUN/Oleksiy Plotnikov
Ladislav SKOPAL/Dana Váhalová
Leonid SLUTSKY
Anna SOBECKA/Andrzej Cwierz
Serhiy SOBOLEV
Maria STAVROSITU*
Arūnė STIRBLYTĖ/Birutė Vėsaitė
Yanaki STOILOV
Fiorenzo STOLFI
Christoph STRÄSSER
Karin STRENZ
Michał STULIGROSZ
Doris STUMP/Liliane Maury Pasquier
Valeriy SUDARENKOV
Björn von SYDOW
Petro SYMONENKO*
Vilmos SZABÓ*
Melinda SZÉKYNÉ SZTRÉMI*
Chiora TAKTAKISHVILI
Guiorgui TARGAMADZÉ*
Mehmet TEKELİOĞLU
Vyacheslav TIMCHENKO
Dragan TODOROVIĆ
Lord John E. TOMLINSON
Latchezar TOSHEV
Petré TSISKARISHVILI*
Mihai TUDOSE/Tudor Panţiru
Tuğrul TÜRKEŞ
Özlem TÜRKÖNE
Tomáš ÚLEHLA/Tomáš Jirsa
Ilyas UMAKHANOV
Mustafa ÜNAL
Giuseppe VALENTINO/Oreste Tofani
Miltiadis VARVITSIOTIS
José VERA JARDIM
Stefaan VERCAMER
Peter VERLIČ*
Luigi VITALI*
Luca VOLONTÈ
Vladimir VORONIN/Grigore Petrenco
Konstantinos VRETTOS
Klaas de VRIES*
Nataša VUČKOVIĆ
Dmitry VYATKIN
Piotr WACH*
Johann WADEPHUL*
Robert WALTER/Edward Leigh
Katrin WERNER
Renate WOHLWEND/Leander Schädler
Michał WOJTCZAK/Stanisław Huskowski
Karin S. WOLDSETH/Geir Pollestad
Gisela WURM
Jordi XUCLÀ i COSTA*
Karl ZELLER/Giulana Carlino
Kostiantyn ZHEVAHO*
Emanuelis ZINGERIS/Arminas Lydeka
Guennady ZIUGANOV*
Naira ZOHRABYAN
Siège vacant, Bosnie-Herzégovine*
Siège vacant, Bosnie-Herzégovine*
Siège vacant, Bosnie-Herzégovine*
Siège vacant, Bosnie-Herzégovine*
Siège vacant, Bosnie-Herzégovine*
Siège vacant, Chypre*
Siège vacant, Moldova/Valeriu Ghiletchi
Siège vacant, Moldova
EGALEMENT PRÉSENTS
Représentants et Suppléants non autorisés à voter :
Johannes HÜBNER
Kerstin LUNDGREN
Observateurs:
Humberto AGUILAR CORONADO
Aldo GIORDANO
Rosario GREEN MACÍAS
Hervé Pierre GUILLOT
José Luis JAIME CORREA
Alfonso Abraham SÁNCHEZ ANAYA
Francisco Arturo VEGA DE LA MADRID
Martha Leticia SOSA GOVEA
ANNEXE II
Liste des représentants ou suppléants qui ont participé au vote pour l’élection de juges à la Cour européenne des droits de l’homme au titre de la Norvège et de la Suisse
Ruhi AÇIKGÖZ
Francis AGIUS/Joseph Fenech Adami
Miloš ALIGRUDIĆ
Mörđur ÁRNASON
Lokman AYVA
Denis BADRÉ
Gagik BAGHDASARYAN
Doris BARNETT
Marie-Louise BEMELMANS-VIDEC
Roland BLUM
André BUGNON/Maximilian Reimann
Mevlüt ÇAVUŞOĞLU/Yüksel Özden
Erol Aslan CEBECİ
Christopher CHOPE
Lise CHRISTOFFERSEN
Boriss CILEVIČS
Ingrida CIRCENE
James CLAPPISON
Ann COFFEY/Michael Connarty
Georges COLOMBIER
Titus CORLĂŢEAN
Per DALGAARD
Joseph DEBONO GRECH
Giovanna DEBONO/Joseph Falzon
Karl DONABAUER/Franz Eduard Kühnel
Miljenko DORIĆ
Daphné DUMERY/ Dirk Van Der Maelen
Baroness Diana ECCLES/Tim Boswell
Nikolay FEDOROV
Valeriy FEDOROV/Vladimir Zhidkikh
Paul FLYNN
Pernille FRAHM
Alena GAJDŮŠKOVÁ
Gisèle GAUTIER/Laurent Béteille
Sylvi GRAHAM/Ingjerd Schou
Claude GREFF
Francis GRIGNON/Maryvonne Blondin
Patrick DE GROOTE
Arlette GROSSKOST/Christine Marin
Ana GUŢU
Carina HÄGG
Håkon HAUGLI
Norbert HAUPERT
Olha HERASYM'YUK
Andres HERKEL
Serhiy HOLOVATY
Sinikka HURSKAINEN
Tadeusz IWIŃSKI
Denis JACQUAT/Frédéric Reiss
Armand JUNG
Michail KATRINIS
Jan KAŹMIERCZAK
Birgen KELEŞ
Albrecht KONEČNÝ
Konstantin KOSACHEV
Tiny KOX
Václav KUBATA/Rom Kostřica
Jean-Pierre KUCHEIDA/Annick Girardin
Ertuğrul KUMCUOĞLU
Dalia KUODYTĖ/Egidijus Vareikis
Younal LOUTFI
Philippe MAHOUX/Ludo Sannen
Theo MAISSEN
Dick MARTY
Jean-Pierre MASSERET/Jean-Claude Frécon
Silver MEIKAR/Aleksei Lotman
Ivan MELNIKOV/Sergey Egorov
Nursuna MEMECAN
José MENDES BOTA
Dragoljub MIĆUNOVIĆ
Jean-Claude MIGNON
Dangutė MIKUTIENĖ
Patrick MORIAU
Felix MÜRI/Francine John-Calame
Gebhard NEGELE
Cora VAN NIEUWENHUIZEN/Tineke Strik
Brian O'SHEA/ Maureen O'Sullivan
Elsa PAPADIMITRIOU
Vassiliki PAPANDREOU/ Georges Charalambopoulos
Alexander POCHINOK
Ivan POPESCU
Marietta de POURBAIX-LUNDIN
Milorad PUPOVAC/Gvozden Srećko Flego
Mailis REPS
Amadeu ROSSELL TARRADELLAS/Joan Torres Puig
Marina SCHUSTER
Leonid SLUTSKY
Arūnė STIRBLYTĖ/Birutė Vėsaitė
Yanaki STOILOV
Doris STUMP/Liliane Maury Pasquier
Valeriy SUDARENKOV
Björn von SYDOW
Vyacheslav TIMCHENKO
Lord John E. TOMLINSON
Latchezar TOSHEV
Mihai TUDOSE/Tudor Panţiru
Tuğrul TÜRKEŞ
Özlem TÜRKÖNE
Mustafa ÜNAL
Stefaan VERCAMER
Vladimir VORONIN/Grigore Petrenco
Konstantinos VRETTOS
Klaas de VRIES
Robert WALTER/Edward Leigh
Katrin WERNER
Renate WOHLWEND/Leander Schädler
Gisela WURM
Emanuelis ZINGERIS/Arminas Lydeka
Naira ZOHRABYAN