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AS (2016) CR 11

SESSION ORDINAIRE DE 2016

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(Deuxième partie)

COMPTE RENDU

de la onzième séance

Lundi 18 avril 2016 à 15 heures

Dans ce compte rendu:

1.       Les discours prononcés en français sont reproduits in extenso.

2.       Les interventions dans une autre langue sont résumées à partir de l’interprétation et sont précédées d’un astérisque.

3.       Le texte des amendements est disponible au comptoir de la distribution et sur le site internet de l’Assemblée.
Seuls sont publiés dans le compte rendu les amendements et les sous-amendements oraux.

4.       Les interventions en allemand et en italien, in extenso dans ces langues, sont distribuées séparément.

5.       Les corrections doivent être adressées au bureau 1035 au plus tard 24 heures après la distribution du compte rendu.

Le sommaire de la séance se trouve à la fin du compte rendu.

La séance est ouverte à 15 h 5 sous la présidence de M. Agramunt, Président de l’Assemblée.

LE PRÉSIDENT* – La séance est ouverte.

1. Rapport annuel d’activité 2015 du Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe

LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle le discours de M. Muižnieks, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, sur son rapport annuel d’activité 201).

Monsieur le Commissaire, nous vous souhaitons la bienvenue dans notre hémicycle – que vous connaissez désormais fort bien. Vous participez en effet régulièrement à nos débats, ainsi qu’à nos réunions de commissions, ce dont nos membres vous savent gré. Vos conseils et vos analyses nous inspirent souvent lors de la préparation de nos missions et rapports. Aussi sommes-nous impatients de vous entendre et d’échanger avec vous sur les principales menaces et les principaux défis en matière de droits de l’homme sur le continent.

M. MUIŽNIEKS, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe* – Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs, c’est un plaisir et un honneur de vous présenter mon quatrième rapport annuel. L’année 2015 a été placée sous le sceau de la peur et même de la terreur en Europe et, plus que jamais, par conséquent, il a fallu veiller au respect des droits de l’homme.

La peur et l’insécurité ont été évidemment alimentées par les migrations. La situation à Lesbos, en particulier, puisque cette petite île a accueilli quelque 500 000 personnes en 2015, est dramatique, de même que dans les Balkans occidentaux où des milliers de personnes sont bloquées dans des conditions affreuses. La Turquie, quant à elle, est devenue l’année dernière le pays accueillant le plus de réfugiés dans le monde.

De nombreux Etats membres prennent toutefois des mesures qui menacent les droits des personnes concernées: on élève des barrières, on criminalise ces gens – les accusant d’entrer clandestinement sur le territoire –, on les met en prison, on fixe des quotas… Bref, on adopte un ensemble de dispositions visant à rendre l’Europe moins séduisante pour les migrants. De la même façon, on réduit leurs prestations sociales, on saisit leurs biens, on limite le regroupement familial, on ne leur donne qu’un abri temporaire. Ce sont autant de décisions qui rendront l’intégration de ces personnes beaucoup plus difficile à l’avenir et qui, du reste, auront un faible impact sur les flux migratoires. En effet, au fond, ce qui jette les gens sur les routes, ce n’est pas l’espoir de trouver un eldorado chez nous, mais le fait que la situation est devenue chez eux intolérable.

L’année dernière, pour faire le point sur ces questions, je me suis rendu en Belgique, en Bulgarie, à Chypre, en Allemagne, en Hongrie et en Espagne, entre autres. J’ai également agi comme tiers intervenant dans des affaires concernant les migrations à la Cour européenne des droits de l’homme, notamment en raison des refoulements de migrants de l’Espagne vers le Maroc, ou encore de l’Autriche vers la Hongrie. J’ai publié plusieurs rapports et communications sur le sujet, lancé deux campagnes sur les réseaux sociaux et donné des conférences. Bientôt, j’adresserai aux Etats membres un certain nombre de préconisations en matière de politiques d’intégration.

Je continuerai à aider les Etats membres à prendre des mesures respectueuses des droits de l’homme, je continuerai à sensibiliser au fait que les mesures prises actuellement posent problème au regard des droits de l’homme, et je continuerai à promouvoir des solutions constructives et respectueuses de l’Etat de droit.

L’autre grand sujet, l’an dernier, fut celui des attentats et du retour des terroristes, qui ont suscité beaucoup de peur et de crainte. Bien entendu, les Etats membres ont le droit de se défendre contre les terroristes, mais dans le respect de l’Etat de droit et des droits de l’homme.

Je me suis penché sur la situation dans plusieurs pays, dont la France. Je rentre d’ailleurs à l’instant d’un voyage en Turquie et en Ukraine, où j’ai précisément évoqué la question du respect des principes de l’Etat de droit et des droits de l’homme dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Bien entendu, la tendance est actuellement de donner de plus en plus de pouvoirs aux services de sécurité, mais il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.

Il faut consulter les experts en matière de droits de l’homme pour déterminer si les mesures envisagées sont compatibles avec les droits de l’homme. Bien entendu, il est sans doute légitime, face à la menace, de donner plus de pouvoirs aux services de sécurité; encore faut-il que s’exerce sur eux un contrôle démocratique renforcé. Me fondant sur les meilleures pratiques existant en Europe dans ce domaine, j’ai moi-même, dans un texte que j’ai publié, fourni un certain nombre d’indications et ouvert des pistes de réflexion.

La situation des défenseurs des droits de l’homme s’est globalement détériorée. C’est pour moi un motif de profonde inquiétude, d’autant que la tendance est à l’aggravation. Je me suis ainsi beaucoup intéressé à l’Azerbaïdjan, où de nombreux défenseurs des droits de l’homme, mais aussi des journalistes et des juristes, ont été emprisonnés. Un certain nombre de personnes ont fini par être graciées, ou leurs peines ont été commuées, mais le simple fait que des gens puissent se retrouver derrière les barreaux pour s’être exprimés sur tel ou tel sujet est intolérable. Tous ces délits d’opinion doivent être abrogés, et les personnes concernées libérées.

Je suis donc allé en Azerbaïdjan, disais-je, et je suis intervenu à la Cour de Strasbourg dans le cadre de six affaires qui concernaient ce pays. Il ne s’agit cependant pas du cas de quelques individus, c’est un véritable problème systémique pour l’ensemble du pays. Evidemment, je travaille aussi avec d’autres instances compétentes en matière de droits de l’homme.

Un autre pays suscite des préoccupations: la Russie, évidemment, où de nombreuses ONG ont suspendu leurs travaux compte tenu des dernières lois adoptées, notamment celle relative aux agents étrangers. Je me suis penché sur l’application de cette loi par les tribunaux russes et j’ai tenté plusieurs fois d’aller en Russie l’an dernier, mais les autorités russes n’ont pas voulu me rencontrer et n’ont en rien facilité mon travail. En dépit de cela, j’ai rencontré des défenseurs russes des droits de l’homme, mais ici, à Strasbourg. Je me suis notamment beaucoup investi pour que soit élucidé le meurtre de Natalia Estemirova, dans le Caucase.

Cela dit, il n’y a pas que la Russie: des problèmes existent aux quatre coins de notre continent. Ils concernent notamment les militants des droits des femmes, de ces femmes qui luttent contre la violence dont le genre féminin est victime. Cela fait aussi partie des grands thèmes de mon action, et je continuerai à être très vigilant.

Un autre grand sujet, pour moi, est la liberté des médias et la sécurité des journalistes. La situation, l’an dernier, était particulièrement difficile en Crimée, dans l’est de l’Ukraine et en Turquie. De nombreux journalistes sont harcelés et sous pression. Plus généralement, le climat, en Europe, n’est pas toujours favorable aux journalistes. Je travaille avec la nouvelle plateforme du Conseil de l’Europe dont l’objectif est précisément d’améliorer leur sort. La liberté des médias a évidemment été aussi au centre de mes activités en Bulgarie, en Serbie et à Saint-Marin l’année dernière. J’ai participé à des conférences sur le sujet et, chaque fois, j’ai rappelé les menaces que la surveillance de masse faisait peser, notamment, sur les journalistes.

J’ai aussi eu de nombreux contacts avec vous, membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. De nombreuses manifestations ont eu lieu ici, à Strasbourg, mais aussi dans différents Etats membres. À chacune de ces rencontres, j’ai beaucoup appris à votre contact. Toutes ces rencontres sont très précieuses et complètent utilement mes visites sur le terrain. En 2015, j’ai ainsi rencontré des parlementaires espagnols, italiens et français, notamment lors des semaines de session de l’Assemblée parlementaire. J’ai aussi rencontré les parlementaires en Norvège, à Saint-Marin, en Hongrie et en Allemagne, notamment. Bien entendu, j’espère que cette coopération se poursuivra.

LE PRÉSIDENT* – Merci, Monsieur le Commissaire aux droits de l’homme, d’avoir pris le temps d’exposer devant nous vos préoccupations et vos activités. Permettez-moi de vous assurer du plein soutien de l’Assemblée.

Chers collègues, je tiens à vous rappeler que le temps qui est imparti à chacun d’entre vous pour interroger M. le Commissaire aux droits de l’homme est de 30 secondes, et que vos interventions doivent avoir un caractère interrogatif.

Nous commençons par les porte-parole des groupes.

M. KORODI (Roumanie), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen* – Monsieur le Commissaire, vous venez de nous présenter le résultat de travaux très complexes.

J’aimerais, au nom de mon groupe, évoquer une question importante, sur laquelle il faudra sans doute continuer de travailler cette année: celle de l’équilibre qui doit être trouvé entre la sécurité, d’une part, et le respect des droits de l’homme, de l’autre. À l’heure actuelle, les procédures suivies en matière de sécurité par les Etats membres peuvent tout à fait donner de bons résultats sans porter atteinte aux droits de l’homme.

Il ne saurait, en outre, y avoir de droits de l’homme sans droits des minorités. À cet égard, il faut se pencher sur la question de la Géorgie, mais aussi, plus généralement, sur la situation des communautés minoritaires dans les pays membres. La tolérance, le respect des droits des minorités et leur participation à la vie de la nation semblent se détériorer.

M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME* – J’ai examiné l’an dernier à de nombreuses reprises, dans maints contextes, la question des minorités. Je songe notamment à la situation des Roms, mais aussi à celle d’autres minorités. L’impact de la crise des migrations sur les relations traditionnelles entre majorité et minorités est important. Dans certains pays où la question est très délicate, notamment dans les Balkans, où la question des relations interethniques était plus ou moins réglée ces dernières années, les nouveaux afflux migratoires ont créé quelques perturbations, et l’on essaie de mettre en œuvre un certain nombre de lois qui, semble-t-il, portent atteinte aux minorités traditionnelles, ouvrant une sorte de spirale d’intolérance dont les minorités sont les premières à souffrir.

J’essaie d’accorder à cette question toute l’attention qu’elle mérite. J’ai eu un excellent échange de vues avec le comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales ainsi qu’avec le haut-commissaire de l’OSCE pour les minorités nationales. La question est donc bien une priorité absolue pour moi.

Mme STRIK (Pays-Bas), porte-parole du Groupe socialiste* – Je veux vous remercier, Monsieur le Commissaire, pour tout le travail que vous avez accompli en faveur des réfugiés. Vous l’avez dit: les Etats ont tendance à limiter les regroupements familiaux, et les femmes sont parfois bloquées dans des situations difficiles, notamment les mineures non accompagnées, qui sont vulnérables et risquent d’être exploitées. Comment le respect de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme peut-il s’accommoder de telles situations? Que pouvons-nous, que pouvez-vous faire pour essayer d’accélérer les regroupements familiaux? Retenons déjà une définition plus large de la famille. L’intégration ne peut commencer que lorsque c’est l’ensemble de la famille qui est réuni et se trouve en sécurité.

M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME* – La Cour européenne des droits de l’homme a élaboré une jurisprudence en matière de droit à une vie familiale, mais également au titre de la Charte sociale. Cette jurisprudence, quoique importante, n’est pas suffisamment prise en compte.

Pour moi, le regroupement familial n’est pas seulement lié à la migration: il y va aussi de l’intégration, comme je l’ai dit. C’est un moyen de structurer les flux désordonnés et chaotiques de réfugiés. Bien souvent, un membre de la famille arrive alors que les autres membres se trouvent encore ailleurs. Il est évident que ces derniers vont ensuite s’efforcer de rejoindre celui qui se trouve déjà en sécurité. Pourquoi donc ne pas faciliter ce processus plutôt que d’essayer de l’entraver? Ce serait précisément un moyen d’instaurer un certain ordre, un certain équilibre dans les processus migratoires. C’est aussi, comme je le disais, la condition d’une intégration réussie. Comment peut-on s’attendre à ce que les gens s’intègrent s’ils ne savent pas quel est le sort de leur conjoint, de leurs enfants? C’est bien entendu pour eux la priorité absolue.

J’ai évoqué cette question dans bien des contextes, dans le cadre des politiques relatives aux réfugiés. Nous essayons également de donner des orientations en matière de regroupement familial. C’est sans nul doute l’une des questions essentielles au sujet des migrations.

Nous avons examiné non seulement la jurisprudence, mais également les meilleures pratiques. Comme je l’ai dit dans mes remarques liminaires, je crains que certains pays ne se soient engagés dans une direction tout à fait erronée en entravant totalement le regroupement familial. Cela ne fera que porter atteinte aux efforts que l’on déploie pour restructurer le flux. On ne peut pas, de toute façon, endiguer celui-ci. Il faut donc essayer de le structurer, de mieux l’accompagner que nous ne le faisons pour le moment.

Mme ZELIENKOVÁ (République tchèque), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe* – Monsieur le Commissaire, je tiens tout d’abord à vous remercier de votre travail fantastique et de tous les efforts que vous faites, en particulier concernant l’Ukraine et les différentes crises que nous traversons actuellement.

Ma question porte sur Nadiia Savchenko. Avez-vous fait quelque chose, ou envisagez-vous d’entreprendre quoi que ce soit pour essayer de lui sauver la vie?

M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME* – J’ai soulevé le problème de Mme Savchenko et d’autres Ukrainiens incarcérés en Russie dès 2014.

Selon moi, toutes les personnes qui ont été arrêtées lors du conflit dans l’est de l’Ukraine devraient voir leur sort réglé dans le cadre des négociations de Minsk. Il s’agit aussi de promouvoir la libération de toutes les personnes accusées de ceci ou de cela, tels que Ahtem Chiygoz. Je poursuivrai mes efforts en ce sens.

Un certain nombre de signaux encourageants m’ont été envoyés. Je pourrai peut-être retourner en Russie après les prochaines élections législatives, mais on m’en empêche depuis 18 mois, hélas!

M. PRITCHARD (Royaume-Uni), porte-parole du Groupe des conservateurs européens* – Monsieur le Commissaire, je vous remercie de votre rapport et de votre visite au Royaume-Uni.

Je reprends au bond ce que vient de dire l’oratrice précédente: dans votre rapport, vous parlez de l’Ukraine, de Mme Savchenko et d’autres, mais vous n’avez pas cité ce dernier nom dans votre intervention. Je le note, simplement, il ne s’agit nullement d’une critique.

La situation de Mme Savchenko est en effet particulièrement grave, car celle-ci est derrière les barreaux et fait la grève de la faim. Que pourriez-vous faire pour elle dans l’attente d’une nouvelle visite en Russie?

M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME* – Très sincèrement, je ne peux pas faire grand-chose. L’Assemblée parlementaire et le Comité des Ministres ont à plusieurs reprises soulevé le cas de Mme Savchenko. Mon mandat de défenseur des droits de l’homme est assez clair et défini: je dois rencontrer mes homologues dans des contextes variés, mais je ne suis pas censé m’occuper de cas individuels. Mme Savchenko est-elle un défenseur des droits de l’homme? La question peut être posée. Cela étant dit, j’espère qu’elle-même et d’autres seront libérés prochainement.

Lorsque je rencontrerai des représentants des autorités russes, je citerai leur nom, évidemment. Cependant, l’outil dont je dispose est celui de la parole, et je ne peux l’utiliser qu’à condition d’avoir un interlocuteur. Je m’efforce de rétablir des liens avec la Russie, mais voilà 18 mois malheureusement que les ponts sont rompus.

Mme KATRIVANOU (Grèce), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne* – Je vous remercie de votre travail, monsieur le Commissaire, et je vous remercie de nous répondre.

Selon vous, l’accord entre l’Union européenne et la Turquie est-il conforme à la Convention européenne des droits de l’homme, aux acquis communautaires, mais aussi à la Convention de Genève? Il y a également le problème des limitations géographiques. Que pensez-vous du fait que l’on considère la Turquie comme un pays tiers sûr alors qu’elle n’a pas ratifié le protocole de New York et que certains rapports, émanant d’autres organisations, établissent qu’il ne s’agit en aucun cas d’un pays tiers sûr? Quelles sont vos activités, vos réflexions à cet égard? Qu’envisagez-vous de faire sur ce point?

M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME* – Je me suis exprimé à maintes reprises à propos de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie lorsqu’il était en cours de négociation et après sa signature. Les préoccupations que j’avais exprimées à l’époque restent d’actualité.

Je suis préoccupé par le bien-fondé juridique d’une disposition qui vise à renvoyer des individus dont le cas n’a pas été bien évalué et qui est appliquée de manière collective, ce qui constitue d’ailleurs une violation de l’accord. Je suis préoccupé par le fait que seuls les Syriens soient évoqués dans cet accord, et aucun autre des groupes qui devraient être protégés. Je suis préoccupé du fait que des personnes vulnérables – et devant, à ce titre, être protégées – soient détenues, aussi bien en Grèce qu’ailleurs, y compris en Turquie lors de leur retour. Il est clair qu’il faut que ces personnes puissent se retrouver en lieu sûr.

Pour ma part, je n’ai pas pu évaluer cet aspect de la situation. Je me suis rendu en Turquie pendant neuf jours et, au cours de cette visite, nous nous sommes penchés sur la liberté des médias, la situation des populations et de la justice dans le sud-est du pays.

Le concept de «limitations géographiques», utilisé par la Turquie, pose effectivement problème. Il est vrai aussi, toutefois, que la Turquie a été très généreuse en matière d’accueil de réfugiés ou de personnes déplacées et qu’elle a besoin de notre aide. Il faut donc travailler étroitement, tous ensemble, pour veiller à ce que ceux qui en ont besoin bénéficient d’une protection en Turquie. Il faut également essayer d’alléger le fardeau qui pèse sur la Turquie du fait qu’elle reçoit des millions de personnes. Ce pays est, de loin, celui qui a accueilli le plus de réfugiés en Europe – on y trouve même, sans doute, plus de personnes ayant besoin de protection que dans tous les autres pays membres du Conseil de l’Europe réunis.

Quand je critique l’accord entre l’Union européenne et la Turquie, je vise plutôt l’Union européenne que la Turquie. Il faut encourager la Turquie à résoudre les problèmes pratiques qu’elle peut rencontrer, par exemple en ce qui concerne les abris. L’Union européenne ne devrait pas encourager de telles pratiques, purement pragmatiques et non fondées sur le droit dans les pays voisins.

LE PRÉSIDENT* – Si vous en êtes d’accord, monsieur le Commissaire, pour les orateurs suivants, nous écouterons les questions par séries de trois.

M. ROUQUET (France) – Monsieur le Commissaire aux droits de l’homme, la plupart des Etats européens sont aujourd’hui confrontés à la douloureuse question du terrorisme, et obligés de trouver un délicat équilibre entre le renforcement de la sécurité et la préservation de l’Etat de droit et de la démocratie. Pourriez-vous dresser un bilan de ce qui s’est fait dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, afin que nous puissions ainsi définir les meilleures pratiques et nous en inspirer?

M. GHILETCHI (République de Moldova)* – Monsieur le Commissaire, des enfants sont retirés à leurs parents sur la base d’injonctions administratives provisoires et non pas de décisions de tribunaux, ce qui va à l’encontre de la résolution adoptée par notre Assemblée l’an dernier.

Quel est votre avis sur cette pratique qui a cours dans certains de nos Etats membres, notamment en Norvège où les services sociaux ont retiré cinq enfants à des familles roumaines? Cette situation a soulevé une vague de protestations, samedi dernier, dans 22 pays.

Mme PASHAYEVA (Azerbaïdjan)* – Notre délégation a parlé des provocations de l’Arménie à l’encontre de l’Azerbaïdjan. Depuis le premier jour, mon pays a strictement mis en œuvre toutes les injonctions du droit international. Aussi avons-nous été choqués de constater que les soldats arméniens qui sont entrés en Azerbaïdjan y ont pratiqué la torture et la mutilation – de nombreuses photos le prouvent.

Quelle est votre position, en tant que Commissaire aux droits de l’homme, sur ces crimes commis par les forces armées arméniennes?

M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME* – Monsieur Rouquet, l’équilibre entre sécurité et droits de l’homme est une question récurrente qu’il faut bien sûr aborder dans tout pays confronté à des menaces ou des attaques terroristes.

J’ai évoqué ma préoccupation quant à la proportionnalité des mesures appliquées en France, en Turquie, mais aussi dans d’autres pays. Ainsi, en France, j’ai pu constater que de très nombreuses perquisitions ont été effectuées pour, finalement, peu de pratiques criminelles avérées. La question de la proportionnalité me semble donc se poser très fortement. J’ai également pu noter un renforcement du pouvoir exécutif au détriment du pouvoir judiciaire.

À mon avis, la meilleure façon de procéder est d’œuvrer dans le cadre de structures de défense des droits de l’homme. En effet, ce sont ces organisations qui détiennent la possibilité de parler des droits de l’homme quand tous se taisent. En la matière, les associations françaises sont remarquables. Certaines ont été auditionnées devant le Parlement et dans d’autres enceintes, ce dont je me réjouis.

Des Etats membres ont une grande expérience de la lutte contre le terrorisme tout en défendant les droits de l’homme. En Irlande du Nord, par exemple, de nombreuses années d’expérience ont permis d’établir un équilibre entre sécurité et terrorisme. De fait, certains pays ont plus d’expérience que d’autres en la matière.

En ce qui concerne le retrait des enfants de leur famille – dirai-je pour élargir la question, Monsieur Ghiletchi –, la plus grande vigilance s’impose. Il faut songer à l’intérêt supérieur de l’enfant. Presque toujours, pour un enfant, ce qui prime est de rester avec ses parents. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles, et même extrêmes, lorsque l’enfant court de graves dangers du fait du comportement des parents, qu’on peut envisager de le retirer, provisoirement, à ces derniers. Il faut alors intervenir pour soutenir les familles, afin que les liens soient maintenus. Le retrait d’un enfant à sa famille doit donc être le dernier recours.

Pour ce qui est du conflit du Haut-Karabakh et des allégations de violations des droits de l’homme, je souscris à vos préoccupations. Lorsqu’un conflit éclate, les civils souffrent – et les droits de l’homme aussi, malheureusement. Je déplore toute perte de vie et je rends hommage à ceux qui sont tombés dans ce conflit. J’invite les parties en présence à s’engager dans une désescalade, à s’abstenir de toute violence, à travailler en étroite coopération avec la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge, et à respecter le droit humanitaire.

Une question mérite toute notre attention: nous devons diligenter les enquêtes sur les cas de personnes disparues, car plus le temps passe et plus ces enquêtes deviennent difficiles. En effet, nous avons alors de plus en plus de mal à retrouver des témoins ou, si on les retrouve, ils ont oublié ce qui s’est passé.

J’ai reçu moi aussi les témoignages dont vous parlez. Les allégations sont très graves. Il m’est toutefois très difficile de leur donner une suite, parce que les observateurs internationaux étaient très peu nombreux sur le terrain dans cette zone de conflit. Mais je comprends vos préoccupations. Je resterai en contact avec tous les acteurs et verrai ce qu’il est possible de faire.

LE PRÉSIDENT* – M. Ariev, inscrit dans le débat, n’est pas présent dans l’hémicycle.

Mme BRASSEUR (Luxembourg)* – Monsieur le Commissaire, je tiens à vous remercier personnellement pour la qualité de nos relations au cours des deux années durant lesquelles nous avons eu à travailler ensemble – deux années pendant lesquelles, hélas, l’espace des libertés s’est restreint dans de nombreux pays.

Que faire pour que l’Assemblée et vous-même puissiez travailler plus efficacement contre les tendances qui sapent les fondements démocratiques de nos pays? Ce doit être l’une de nos priorités, puisqu’il nous revient de nous préoccuper des droits de l’ensemble des 800 millions d’Européens.

Mme HUOVINEN (Finlande)* – Monsieur le Commissaire, vous venez de brosser un tableau plutôt sombre de la situation des défenseurs des droits de l’homme. À juste titre, vous leur demandez de rester sur le champ de bataille. Mais, hélas, nombre de défenseurs des migrants et des autres minorités sont tenus de garder le silence pour se protéger, eux et leur famille.

En avons-nous fait assez? Notre législation est-elle suffisamment efficace pour empêcher les discours de haine?

Mme AHMED-SHEIKH (Royaume-Uni)* – Monsieur le Commissaire, vous vous êtes penché, avec raison, sur les aspects contestables de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie. Mais l’accès que vous avez aux institutions de l’Union européenne est-il suffisant pour faire bouger les choses?

M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME* – Je commencerai par répondre à cette dernière question.

Je vais continuer à parler des migrations lors de mes différents déplacements. J’irai en Croatie et en Grèce dans les prochaines semaines et les prochains mois. Je verrai donc sur le terrain comment cet accord s’applique. Je me suis aussi rendu neuf jours en Turquie récemment, et je pense y retourner dans le cadre du suivi de mon rapport. Les questions d’asile et de migrations figureront, bien évidemment, en tête de liste.

En ce qui concerne Bruxelles, j’ai de bons contacts avec le Parlement européen et je dispose d’un accès suffisant aux échelons opérationnels de la Commission européenne. Mes contacts avec l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne sont également bons. Le collège des commissaires est plus difficile d’accès. Je ne suis pas certain qu’ils soient très sensibles à ce que j’ai à dire. Ils lisent certainement les journaux, mais j’aimerais pouvoir discuter davantage avec eux.

En avons-nous fait assez pour lutter contre les discours de haine? Certainement pas. Le défi est même de plus en plus important. Nous constatons, un peu partout, une progression considérable de l’extrême droite, dont les thèses sont de plus en plus acceptées dans nos sociétés. C’est particulièrement le cas face à la crise des migrants et des réfugiés. Beaucoup reste donc à faire. Là où il n’existe pas encore de lois, il convient d’en faire adopter, mais la priorité absolue reste l’application des lois existantes.

En ce domaine aussi, nous devons compter sur les défenseurs des droits de l’homme. Trop souvent, les citoyens ne savent pas à qui s’adresser lorsque leurs droits sont bafoués. Nous avons d’autant plus besoin de ces défenseurs que, souvent, les victimes ne font pas confiance à la justice et aux forces de l’ordre. Dès lors, à qui s’adresser, sinon aux défenseurs des droits de l’homme? C’est vers ces militants que les gens se tournent en cas de difficulté; c’est d’eux qu’ils espèrent une solution.

Madame Brasseur, je souhaite vous remercier pour la qualité des relations de travail que nous avons su mettre en œuvre. J’espère que les choses se passeront tout aussi bien avec votre successeur, M. Agramunt.

Le potentiel de notre organisation est très important. Nous avons des connaissances et un savoir-faire considérables, ainsi que le plus grand réseau régional d’organisations de défense des droits de l’homme. Cependant, sur notre continent, les problèmes persistent; la situation se dégrade et l’avenir s’annonce assez sombre.

Que faire? Nous devons être créatifs dans nos collaborations. Nous devons trouver une nouvelle façon de mobiliser les parlementaires, mais aussi et surtout la société civile. Nous devons apprendre à mieux communiquer sur ces questions et de façon plus immédiate, notamment avec les jeunes, grâce aux nouveaux médias. Je suis d’ailleurs très heureux que le Conseil de l’Europe soit présent sur les médias sociaux: il y a quatre ans, personne ne connaissait Twitter ou Facebook dans cette Assemblée. Or, si vous voulez toucher les jeunes, il faut être présent sur les réseaux sociaux. Soyons donc créatifs! N’hésitons pas, le cas échéant, à demander aux tribunaux de forcer les Etats membres à respecter la loi, tout en veillant à ce qu’ils appliquent les décisions de la Cour. Il ne faut pas les lâcher, il faut s’acharner tant que les arrêts ne se traduisent pas dans la pratique.

Avec nos partenaires de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et de l’Organisation des Nations Unies nous devons multiplier les efforts, et ne pas rivaliser les uns avec autres. Peu importe qui obtient le résultat, il ne s’agit pas de jalouser le voisin. Par exemple, un grand nombre d’organisations internationales sont présentes en Ukraine: les choses se passent bien, car elles ont des activités complémentaires. Il doit en être ainsi partout ailleurs pour être efficace.

M. SCHWABE (Allemagne)* – Monsieur le Commissaire, je vous remercie pour toute votre action l’année dernière. Vous avez fixé des jalons importants.

Ma question porte sur les organisations de défense des droits de l’homme: y a-t-il des lois, récemment adoptées qui seraient particulièrement délétères pour les droits de l’homme? De plus, avez-vous aujourd’hui des retours d’expérience concernant les personnes récemment expulsées en Turquie?

Mme BESELIA (Géorgie)* – En Géorgie, des succès ont été enregistrés en matière de droits de l’homme depuis trois ans; cependant les violations des droits de nos citoyens est sans doute le principal problème dans les territoires occupés. Quel est votre avis sur la question?

M. CSENGER-ZALÁN (Hongrie)* – Ces dernières années, fort peu de progrès ont été accomplis quant aux conflits que connaissent certaines régions du Conseil de l’Europe: il est pratiquement impossible d’y appliquer les normes en matière de droits de l’homme. Il y a encore quelques semaines, nous avons vu combien un conflit gelé peut se réchauffer. Monsieur le Commissaire, comment évaluez-vous votre rôle en la matière et les moyens dont vous disposez pour faire face au problème?

M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME* – Pour les organisations non gouvernementales, la situation en Russie et en Azerbaïdjan est particulièrement préoccupante en termes de cadre législatif.

En Russie, les effets de la loi sur les agents étrangers sont extrêmement dommageables pour le travail des organisations non gouvernementales. Des documents l’attestent. Nous avons analysé la mise en œuvre et l’application de cette loi: nos pires craintes se sont malheureusement confirmées.

En Azerbaïdjan, un des problèmes qui se posent aux défenseurs des droits de l’homme, qui ont pu être emprisonnés ou détenus, est qu’ils travaillent pratiquement au bord du gouffre d’un point de vue légal. Etant ainsi poussés à certaines extrémités, ils sont poursuivis pour des crimes ou délits qui n’en constitueraient pas dans d’autres pays.

En Turquie, j’ai rencontré nombre de défenseurs des droits de l’homme soumis à d’immenses pressions administratives, politiques ou médiatiques. J’ai été particulièrement frappé par le nombre de cas de poursuites en justice pour diffamation du président ou de ses proches: plusieurs centaines de personnes font face à des inculpations. Le maire d’Ankara m’a raconté que d’innombrables cas de personnes poursuivies restent en suspens, cela pour avoir simplement repris des tweets ou des messages sur Facebook, ce qui en principe ne peut être puni.

Quant aux personnes renvoyées en Turquie, je n’ai pas traité cette question, ayant d’autres points à l’ordre du jour lors de ma dernière visite. Cependant la détention de personnes qui ne sont pas entendues de façon normale avant leur renvoi est préoccupante.

J’étais en Géorgie en novembre, et j’ai pu contacter les différents interlocuteurs qui travaillent dans les zones d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. Mais la visite n’a pas été possible. J’ai donc l’intention de persévérer car les populations qui y vivent méritent d’être protégées. Le Conseil de l’Europe leur doit toute son attention.

Je me suis rendu à Donetsk il y a un mois. Ce n’est pas un endroit sûr. Un représentant des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies a été d’ailleurs été kidnappé par les prétendues autorités locales, et il est très difficile d’y faire un travail sur les droits de l’homme. Je n’ai pu aller en Abkhazie et Ossétie du sud, mais je me suis brièvement rendu en Transnistrie. Le bilan est donc très mitigé.

Toutes ces populations méritent toute notre attention. Je suis particulièrement préoccupé par le Donbass, la partie orientale de l’Ukraine. Il ne s’agit pas d’une petite tranche de terre avec quelques milliers de personnes. C’est un immense territoire de plus en plus isolé.

Nous avons vu le cours que peuvent prendre les choses. Il faut tout faire pour avoir accès à ces zones et y travailler. A Donetsk, pour ce second voyage, j’espérais vraiment obtenir des réunions de plus haut niveau et avoir accès à certains endroits, ce qui n’a donc pas été possible. J’ai été profondément déçu. Mais j’essaierai à nouveau, et ce jusqu’à la fin de mon mandat.

M. HANŽEK (Slovénie)* – Au cours des dix dernières années, de nombreux pays européens ont participé à la destruction de pays du Moyen-Orient. L’une des conséquences de ce comportement peu éthique – et même illégal – et de ces destructions, est cet exode de masse auquel l’Europe est aujourd’hui confrontée. La plupart des pays européens refusent d’accueillir des personnes privées de foyer de par leur faute. Fait pire encore, l’Europe sélectionne les réfugiés et permet tacitement qu’ils soient l’objet de violences. Que pensez-vous de cette situation vraiment honteuse pour l’Europe?

Mme ZOHRABYAN (Arménie) – Au début du mois d’avril, en totale violation de la Convention de Genève, l’Azerbaïdjan a déclenché une agression contre le Haut-Karabakh en utilisant son armée régulière et son artillerie lourde. Les troupes azéries ont bombardé les civils et tué des soldats arméniens. Dans le village de Talish, les soldats azerbaïdjanais ont torturé, mutilé et tué des membres de la famille Khalapyan. Vos commentaires sur ces violations intolérables du droit international seraient très appréciés.

Mme MATEU (Andorre) – Je vous remercie, Monsieur le Commissaire, pour ce rapport tout aussi intéressant qu’effrayant. En 2015, avez-vous dit, les droits de l’homme ont été bafoués à de nombreuses reprises dans des Etats membres du Conseil de l’Europe. Vous nous demandez de ne pas baisser les bras, mais sans baguette magique que pouvons-nous faire concrètement pour changer les choses?

M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME* – Les défenseurs des droits de l’homme et les médias libres jouent un rôle indispensable et capital pour la démocratie. Si les gens ne peuvent dénoncer des exactions et obtenir justice, le système s’écroule. Il nous faut donc, partout où les défenseurs des droits de l’homme sont harcelés et où les médias périclitent, réagir très vite.

Sans liberté des médias, il ne peut y avoir ni liberté religieuse, ni élections libres. Si les journalistes ne peuvent mener d’enquêtes sur les dysfonctionnements de la société et des gouvernements, il ne peut y avoir non plus d’Etat de droit ou de démocratie.

Comme je l’ai déjà dit, je suis très préoccupé par la situation au Haut-Karabakh. Il est temps que la communauté internationale se saisisse de ce problème et que les parties se réunissent à nouveau autour d’une table. Dans l’immédiat, nous ne pouvons que tenter d’atténuer les souffrances des populations avec la Croix-Rouge internationale.

Quant au rôle joué par les pays européens dans la situation de certains pays du Moyen-Orient, il s’agit d’une question qui dépasse les limites de mon mandat. En Syrie, toutefois, il me semble que c’est le régime lui-même qui a détruit le pays. Il est vrai, cependant, que nous n’avons pas toujours bien pesé les difficultés que nos interventions pouvaient ici ou là engendrer. Leur coût humain a été négligé et les réfugiés qui tentent aujourd’hui de gagner l’Europe en paient les frais. Pour le reste, il m’est malheureusement difficile d’intervenir dans un territoire situé en dehors des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe. J’essaie déjà d’y assurer un minimum de garanties, ce qui n’est déjà pas une mince affaire!

Mme CHRISTOFFERSEN (Norvège)* – Les mesures unilatérales prises par certains pays européens telles que les restrictions en matière de prestations sociales ou de regroupement familial, entravent, dites-vous, l’intégration sans avoir d’impact sur l’ampleur des arrivées. Quels types de mesures recommanderiez-vous à titre de solution de rechange?

Mme KERESTECİOĞLU DEMİR (Turquie)* – Monsieur le Commissaire, vous avez déclaré, dans un communiqué de presse, que les autorités turques vous avaient rassuré sur les agissements des forces de police en zones kurdes et sur les enquêtes ouvertes après les événements survenus pendant les couvre-feux.

Avez-vous pu vous rendre dans des villes kurdes? Que comptez-vous faire pour mettre un terme aux violations des droits de l’homme en Turquie?

M. LUIS (Espagne)* – Nous connaissons, Monsieur le Commissaire, votre engagement vis-à-vis des libertés individuelles et des droits de l’homme. L’Union européenne a conclu un accord avec la République de Cuba. Pourriez-vous vous engager à évaluer la situation de ce pays en matière de libertés fondamentales?

M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME* – Permettez-moi d’indiquer, à nouveau, que mon mandat se limite aux 47 Etats membres du Conseil de l’Europe. Il m’est donc très difficile de m’engager en dehors de cet espace. Je peux néanmoins souligner l’importance des droits de l’homme dans les relations des Etats européens avec les autres Etats, et je suis avec intérêt à cet égard l’évolution politique de Cuba.

En ce qui concerne la Turquie, il est clair que l’impunité des services de sécurité turcs constitue un problème ancien, déjà dénoncé par mon prédécesseur. La situation reste préoccupante. Le ministre de l’Intérieur turc m’a affirmé qu’à l’heure actuelle neuf procédures sont engagées contre des responsables de la sécurité pour différents types de délits, notamment avoir traîné un corps derrière un véhicule ou avoir fait circuler des photos de femmes nues sur les réseaux sociaux. Mais le nombre de procédures engagées reste trop faible. J’ai cependant demandé au ministre de redoubler d’effort et de rendre publiques les sanctions qui seront prises à l’encontre de ces neuf personnes. Un enquêteur civil indépendant se penche par ailleurs sur des actes racistes et sur les slogans qui circulent dans les médias sociaux.

Quant à savoir ce que je pourrais proposer pour remplacer les mesures de restriction mises en place dans les pays européens à l’égard des migrants, nous publierons très bientôt un document de référence sur les politiques en matière d’intégration. Il faut partir de l’hypothèse que les réfugiés viennent chez nous de manière temporaire, pour trouver une protection pendant quelque temps. Il faut donc leur offrir la sécurité et un statut avec la perspective, le cas échéant, de demander la naturalisation à terme.

Une analyse erronée prévoyait que les gens viendraient uniquement pour quelque temps et rentreraient chez eux. C’est pourquoi on leur a accordé un statut temporaire, les privant de droits pleins et entiers, entravant, de fait, l’intégration, laquelle passe aussi par l’éducation inclusive en ouvrant les écoles à tous. J’ai déjà évoqué le sujet s’agissant des Roms et des enfants souffrant de handicap: il me semble également très actuel s’agissant des réfugiés et des migrants.

De telles mesures nécessitent des investissements, par exemple pour former les enseignants, agrandir les installations scolaires afin de faire place aux nouveaux arrivants et de mieux les intégrer dans nos sociétés.

Le regroupement familial est un sujet compliqué. Souvent, les familles sont très larges et les chiffres grimperaient si l’on autorisait quiconque ayant un membre de la famille hors d’Europe à demander le regroupement. Mais il convient d’être réaliste: les gens font tout pour rejoindre leur famille, éventuellement en ayant recours à des passeurs clandestins, tant il est vrai qu’ils veulent retrouver leurs proches.

Aussi faut-il se pencher sur cette question et mesurer la possibilité d’une solution valable qui ne donne pas lieu à une explosion des chiffres, mais qui, au contraire, atténue quelque peu les pressions et permettent à ces personnes d’être en sûreté, de commencer une vie nouvelle. Ce serait la seule façon pour elles de s’insérer à leur nouvelle société, mais elles ne le feront que si elles ont à leurs côtés leur conjoint et leurs enfants. Très bientôt, nous publierons une note conceptuelle sur l’ensemble de ces questions.

Je vous remercie de vos questions fort intéressantes, de votre intérêt et de votre soutien. J’espère vous revoir aussi bien ici que dans vos pays respectifs.

Il me reste deux années de mandat. C’est à la fois long et court, surtout en cette période extrêmement sombre pour les droits de l’homme en Europe. Bien des sujets sont en bien mauvaise voie, et nous devons agir ensemble. Aussi, je vous invite instamment à être à mes côtés pour protéger les plus vulnérables et pour maintenir nos acquis en matière de droits de l’homme. Ce n’est qu’ensemble que nous y parviendrons.

LE PRÉSIDENT* – Mes chers collègues, il nous faut maintenant mettre fin à cette séquence des questions à M. Muižnieks.

Ceux qui n’ont pu s’exprimer pourront adresser leurs questions par écrit. Je suis convaincu que le Commissaire aux droits de l’homme y répondra.

Monsieur le Commissaire, je vous remercie infiniment de votre présentation ainsi que des réponses que vous avez bien voulu apporter aux questions de nos collègues.

2. L’affaire des «Panama papers» et le besoin de justice sociale et fiscale
et de confiance dans notre système démocratique
(Débat d’actualité)

LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour appelle notre débat d’actualité sur «L’affaire des “Panama papers” et le besoin de justice sociale et fiscale et de confiance dans notre système démocratique».

Ce matin, le temps de parole de chaque intervenant a été fixé à 3 minutes.

La parole est à M. Schennach, du Groupe socialiste, premier orateur désigné par le Bureau, qui dispose, lui, de 10 minutes.

M. SCHENNACH (Autriche)* – Lorsqu’il a présenté son projet de résolution devant l’Assemblée parlementaire en 2012, M. Dirk Van der Maelen a déclaré que les systèmes fiscaux solides étaient les piliers du système financier d’un Etat. Or, depuis l’adoption par l’Assemblée de ce rapport où M. Dirk Van der Maelen demandait que l’on définisse une politique adaptée en matière fiscale, c’est tout le contraire qui s’est produit. Les zones offshore, les paradis fiscaux ont connu un véritable essor: c’est un fait que les «Panamas papers», comme on les nomme, mettent clairement en exergue.

Je n’évoquerai pas aujourd’hui de noms de présidents, de familles ou de membres de gouvernement, je ne citerai pas non plus de noms de banques: je veux mettre en avant la criminalité que ce système cache. Il s’agit en l’occurrence d’argent qui manque dans les caisses des Etats pour soigner les populations, pour former des enfants dans les écoles, pour assurer les retraites des personnes âgées, pour maintenir les infrastructures.

Il ne s’agit pas ici de petits délits: 8 % de la finance mondiale, soit 7,3 trillons de dollars, sont cachés dans des paradis fiscaux, somme dont 80 %, soit 6 trillons de dollars, comme M. Zucman l’indique dans son enquête de 2012, n’ont jamais fait l’objet de la moindre imposition. C’est ainsi que 10 % du capital européen se cachent dans des paradis fiscaux. Plus préoccupant encore, 30 % de l’argent des pays du continent africain ainsi que 50 % de l’argent russe sont cachés offshore.

L’histoire de la lutte contre les paradis fiscaux et des financements offshore est ancienne. En 2009 déjà, les autorités américaines se sont rendu compte que 83 des 100 plus grandes entreprises mondiales dissimulaient au moins une partie de leurs capitaux dans des sociétés offshore. Dès 1995, l’OCDE avait adopté des lignes directrices et dressé une liste noire. Sept ans après, 47 pays en relevaient, et, en 2011, l’ONG Tax Justice Network créait un finance secrecy index répertoriant 71 Etats. Est ensuite paru le livre révélant où la richesse de nos Etats-providence pouvait se cacher.

Le Sommet du G20 de 2011 est parvenu à un accord en matière fiscale. Il s’agissait de procéder à un échange automatique des données pour prévenir la dissimulation d’actifs. Où en sommes-nous aujourd’hui, sachant que les parlementaires ont demandé en 2012 une harmonisation des impositions sur les sociétés, une assiette homogénéisée pour les entreprises multinationales et un échange automatique, et non volontaire, des données en matière fiscale?

Par exemple, dans quel pays Amazon paie-t-il ses impôts? Les contrats sont faits au Luxembourg, l’argent vient d’Irlande et c’est à Cologne que les produits sont emballés; on divise, subdivise et on cache au mieux!

Les «Panama papers» soulèvent en fait une question centrale: d’où vient l’argent? Ce qui est certain, c’est qu’il s’agit d’argent que les propriétaires ne souhaitent pas voir imposer. Mais il s’agit aussi, parfois, d’argent blanchi, d’argent sale, d’argent provenant de la corruption politique. Et dans tous les cas, cet argent fait l’objet d’une évasion fiscale, d’une fraude.

Les «Panama papers» citent 500 banques européennes et leurs filiales, des avocats, des juristes, ainsi que 214 000 boîtes aux lettres – contre 130 000 en 2012 –, dont 15 000 appartiennent à des banques européennes. On relève ainsi, pour les seuls Pays-Bas, 46 000 entreprises n’ayant aucun employé. Tout cet argent fait défaut aux Etats pour mener à bien leurs politiques.

La directrice de l’ONG Tax Justice Network disait qu’aucune des réformes entreprises pour lutter contre la fraude fiscale n’aurait pu avoir lieu sans la pression exercée par la société civile et la rue. Il est donc essentiel de maintenir cette pression, notamment pour exiger plus de transparence s’agissant des noms des dirigeants et des fiduciaires.

Pour les pays européens, ce sont 100 milliards de fonds qui échappent au fisc. Or la moitié de cette somme suffirait à couvrir le déficit des Etats membres de l’Union européenne. Il convient donc de nettoyer ce marécage fiscal en respectant les recommandations de 2012, notamment en établissant un rapport monographique pays par pays. Nous devons arrêter ce dumping fiscal qu’est le profit shifting, l’assécher.

Dès lors que l’on est membre d’une communauté, on ne saurait priver la collectivité des fonds fiscaux qui lui reviennent. Nous devons donc lutter contre la fraude fiscale et prendre toutes les mesures qui s’imposent. Il faut, par exemple, fermer les banques qui n’en sont pas et faire savoir aux conseillers, notaires et avocats qu’ils ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent, notamment ce qui est contraire aux droits des hommes et des Etats.

Nous devons donc nous servir des informations des «Panama papers», non pas pour pointer du doigt tel ou tel président, telle ou telle famille, mais pour défendre un principe et mettre un terme à ce système qui prive les Etats de fonds pour la mise en œuvre de politiques sociales.

LE PRÉSIDENT* – Nous en venons aux interventions des porte-parole des groupes.

M. Van der MAELEN (Belgique), porte-parole du Groupe socialiste* – Quelqu’un dans cet hémicycle connaît-il Mme Aida May Biggs? Non, bien entendu. Cette dame vit au Panama, a 93 ans et est la directrice de 17 539 sociétés offshore – les activités allant de la banque au transport de fret. Or avant que le scandale des «Panama papers» n’éclate, cette dame ignorait qu’elle était la directrice de toutes ces sociétés!

Mes chers collègues, si, par hasard, et je dis bien par hasard, l’une de nos administrations fiscales pouvait être au fait de l’une de ces constructions offshore, son enquête aboutirait au nom de Mme May Biggs mais jamais au nom du véritable bénéficiaire des comptes.

Grâce aux révélations des «Panama papers», nous connaissons tous ceux qui se cachent derrière Mme May Biggs. Les inspecteurs des impôts peuvent donc désormais mener leurs enquêtes pour déterminer s’il s’agit d’évitement fiscal ou d’évasion fiscale, s’il s’agit d’activités légales ou illégales. Cependant, nous ne pouvons pas dépendre des enquêtes de journalistes; c’est la raison pour laquelle il est urgent d’agir.

Le scandale des «Panama papers» pointe du doigt ces avocats et juristes qui offrent des services flexibles sans se demander si leurs clients font de l’évasion fiscale ou simplement de l’optimisation fiscale, si leurs activités sont légales ou non, s’il s’agit d’escrocs ou pas. En fait, ces banques panaméennes ignorent totalement la législation européenne.

Quelles mesures pouvons-nous prendre? J’en ai déjà proposé en 2012 et je vais vous en rappeler quatre: les noms des propriétaires des entreprises doivent être publics; des sanctions doivent être prises à l’encontre des paradis fiscaux; d’autres doivent être appliquées aux intermédiaires dans le secteur des services financiers, qu’il s’agisse de banques, d’avocats, de comptables ou autres; enfin, il convient d’instaurer une obligation pour toutes les banques d’établir des rapports sur toutes les transactions financières qui ont des implications fiscales.

M. PASQUIER (Monaco), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe *– L’affaire des «Panama papers» est en cours et ne représente que la partie émergée de l’iceberg, soit à peine un tiers du total. Il ne fait aucun doute que nous allons en apprendre encore beaucoup.

La première question que s’est posée l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE) a été de savoir comment cette information nous est parvenue: par le vol ou la fuite d’informations. Dès lors leurs auteurs n’ont-ils pas des intentions cachées? Nous l’ignorons mais, pour autant, nous n’avons pas à tuer le messager et ce qui a été dévoilé doit être examiné dans un contexte de chômage élevé, de déficits publics importants, d’inégalités croissantes, et alors que l’opinion publique a le sentiment que ces procédés financiers sont le fait de quelques privilégiés.

Quel est l’état du droit? Dans de nombreux pays, il n’est pas du tout illégal d’avoir une société offshore dans la mesure où l’on en déclare l’existence. Aussi nombre de personnes innocentes peuvent-elles être montrées du doigt. Si l’évasion fiscale est condamnable, l’optimisation fiscale est pour sa part légitime pour peu qu’elle soit légale. Cela ne signifie pas, certes, que le Panama ait raison: il n’a d’ailleurs pas signé l’accord de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) contre l’évasion fiscale; pas plus, du reste, que les Etats-Unis. Or de nombreux Américains bénéficient de cette opacité – il y a donc bien (en français) deux poids, deux mesures.

(Reprenant en anglais) Il faut vraiment que tout le monde soit traité sur un pied d’égalité. Une plateforme commune doit permettre un arbitrage entre deux juridictions contradictoires issues de deux législations elles-mêmes contraires. Aucun produit fiscal ne doit permettre aux contribuables de frauder. Tant que nous n’aurons pas établi une telle législation, nous ne saurons pas où nous allons. A cause de l’affaire des «Panama papers», nos opinions publiques vont avoir de plus en plus de soupçons vis-à-vis de leurs élites politiques et économiques – et qui peut les en blâmer?

Lord BLENCATHRA (Royaume-Uni), porte-parole du Groupe des conservateurs européens* – Les entreprises comme Google, Apple, Amazon enregistrent leurs sociétés dans des juridictions à faible fiscalité, comme le Luxembourg, pour payer moins d’impôts que là où elles vendent leurs biens. Tout ce que j’achète sur Amazon à Londres est ainsi fourni par Amazon Luxembourg. Ce déplacement du profit est tout à fait légal au vu du droit international. Si nous trouvons que c’est condamnable – et c’est le cas de la plupart d’entre nous – il faut modifier la législation internationale, tâche à laquelle s’emploie l’OCDE. Reste que si seuls les pays membres de l’OCDE ou les pays membres du G20 définissent une nouvelle législation, les entreprises trouveront un autre endroit où elle ne sera pas applicable.

J’en viens plus précisément aux juridictions offshore où sont créées des sociétés coquilles qui cachent leur réel bénéficiaire et qui sont utilisées pour éviter le paiement d’impôts, voire pour cacher des fonds criminels. Au reste, on ne devrait plus employer le mot «offshore», valable pour le contexte d’il y a trente ans; aujourd’hui, il n’est rien, ni à Panama, ni dans les territoires outre-mer du Royaume-Uni, ou à Amsterdam, au Luxembourg, au Liechtenstein, à Francfort, à Londres, à Shanghai qu’on ne fasse onshore… Les plus grandes juridictions offshore sont en fait le Delaware et le Nevada, aux Etats-Unis. Le professeur Sharman, de l’Université de Sydney, a en effet estimé que certains Etats des Etats-Unis étaient les mieux placés pour y installer de fausses entreprises qui cachent un financement provenant du terrorisme ou de la drogue.

Il s’agit donc d’établir la pleine transparence sur la propriété des entreprises; sauf que, malheureusement, croire cela possible est bien naïf – aucun pays de l’OCDE ne voudra garantir une telle transparence, quand bien même le Royaume-Uni s’y engagerait, lui. Le Delaware a ainsi clairement signifié qu’il ne modifierait pas une seule virgule de sa législation en la matière, quoi que puisse dire Obama lors des conférences internationales. Ainsi, si aucun Américain n’est compromis dans l’affaire des «Panama papers», c’est parce que le système est encore plus avantageux aux Etats-Unis.

Enfin, les responsables politiques refusent de reconnaître le recours utile, légitime aux juridictions offshore pour lever des fonds destinés aux investissements: or c’est le cas de 95 % des fonds offshore. Ainsi, quand le groupe Volkswagen – ou d’autres entreprises internationales de ce type – souhaite lever des fonds pour construire de nouvelles entreprises, par exemple au Brésil, il crée un fonds particulier sur la base d’une juridiction neutre en termes fiscaux, afin d’obtenir le concours d’investisseurs de Singapour, Shanghai, Francfort, Londres... Or il est légitime d’utiliser de la sorte les fonds offshore.

M. JÓNASSON (Islande), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne* – Les révélations des «Panama papers» ne sont pas une surprise dans la mesure où nous étions tous conscients de l’existence d’un monde financier qui se voulait caché mais dont nous nous doutions bien de l’endroit où il se trouvait. L’OCDE s’en est préoccupé et a permis le succès d’efforts concertés visant à éliminer les paradis fiscaux et les transactions financières occultes. En Europe, étaient entourés de ce secret la Suisse, le Luxembourg, des îles britanniques et la City de Londres. Mais ce qui a été surprenant et même choquant, c’est l’énormité de ces pratiques: à l’occasion de l’affaire des «Panama papers» quelque 11,5 millions de documents ont été dévoilés à partir des registres d’une seule société – Monsac Fonseca – et ce n’est, d’autres l’ont dit, que la partie émergée de l’iceberg. Ces révélations sont importantes en ce qu’elles montrent le système secret qui facilite crimes et corruption.

Bien sûr, les motivations des individus ici incriminés ne doivent pas être généralisées. En Islande, les fuites ont eu de grandes répercussions puisque le Premier ministre était personnellement impliqué et qu’il a dû démissionner ainsi que d’autres ministres. Or notre ancien premier ministre est loin d’être un criminel: il est même pourvu de belles qualités. Il assure en tout cas que les transactions qu’il a effectuées étaient légales d’après le droit local en vigueur – reste à savoir de quel territoire il est question…

Le scandale des «Panama papers» a révolté l’opinion publique, un petit nombre de millionnaires ne contribuant pas à notre système d’Etat-providence. Voilà qui fait écho aux discours de tous les néo-libéraux du XXe siècle – qui demandaient des coupes claires dans les dépenses publiques et exigeaient qu’on paie de moins en moins d’impôts –, et qui explique la révolte de l’opinion, révolte qui est un signe de bonne santé démocratique.

Enfin, je m’exprime au nom des partis dont des membres constituent le Groupe pour la gauche unitaire européenne qui exige davantage de révélations, de transparence, de responsabilisation et certainement pas moins de moralité en politique et dans le monde des affaires.

Mme SCHOU (Norvège), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen* – La force d’un système démocratique se mesure à la confiance. Les «Panama papers» ont conduit à une chute dramatique de la confiance des populations en leurs leaders élus démocratiquement. Il est important que le résultat de la crise soit finalement plus de confiance, grâce à la transparence à et une meilleure coopération internationale.

Les journalistes et la société civile jouent un rôle critique en matière de confiance entre électeurs et élus. Sans les médias et les ONG, nous ne serions pas là où nous sommes aujourd’hui en matière d’échanges d’informations bancaires et fiscales. Environ 80 pays ont souscrit aux normes de reporting de l’OCDE, qui contribuent au secret bancaire et à l’élaboration desquelles le Gouvernement norvégien a participé activement. À partir de 2017, nous bénéficierons de la fin de ce secret bancaire, nous serons informés de l’action des contribuables norvégiens et de leurs fonds à l’étranger, mais cette démarche doit rallier encore plus de pays.

Si le secret bancaire pose de graves problèmes, c’est tout particulièrement vrai pour les pays en développement. Les flux illégaux de capitaux sapent le développement économique, et les pays les plus pauvres sont les plus frappés. Les flux illégaux qui privent certains d’entre eux de capitaux sont parfois plus importants encore que les flux entrants d’aide internationale! Le Gouvernement norvégien fait tout son possible pour que la question soit évoquée au niveau international. En coopération avec les autres pays scandinaves, nous avons demandé qu’elle soit inscrite à l’ordre du jour de la Banque mondiale. Au mois de mars, celle-ci a publié un premier rapport avec un projet de plan d’action. C’est déjà un bon départ.

J’aimerais, pour conclure, revenir au mot «confiance». En tant que parlementaires, nous devons commencer par nous-mêmes. Nous devons suivre les règles de nos parlements sur les déclarations d’intérêts, et, lorsqu’il n’y en a pas, eh bien, il est temps d’en édicter! Et si les règles ne sont pas suffisamment bonnes, il est temps de les améliorer. Ce n’est ainsi que la semaine dernière que le Parlement norvégien a décidé de supprimer le seuil pour l’enregistrement des intérêts financiers. Tous les élus norvégiens doivent déclarer tous leurs actifs. Nous espérons que cette publicité renforcera la confiance des Norvégiens en leurs représentants et dirigeants.

Mme DALLOZ (France) – L’affaire des «Panama papers» démontre combien la lutte contre les paradis fiscaux et la mise en place d’une transparence dans le domaine fiscal sont encore loin d’être acquises, mais deviennent nécessaires.

Les «Panama papers» sont un scandale mondial, mais celui-ci prend une consonance particulière en Europe, alors que la crise a contraint plusieurs gouvernements à imposer des politiques d’austérité courageuses mais difficiles et qu’économiquement la zone euro reste encore fragile, en particulier avec un chômage des jeunes très important. Au-delà de stars du football ou de chefs de gouvernement, la présence d’entreprises européennes sur ces listes doit nous interpeler. Elle soulève en effet la question de la transparence et de la mise en place du reporting fiscal public en Europe. Comme dans beaucoup d’autres domaines, seule une action concertée permettrait de mieux contrôler les fonds des entreprises et leur destination sans créer de discrimination entre les entreprises selon leur pays d’origine.

En France, nous avons eu ce débat en décembre dernier à l’Assemblée nationale et, bien que membre de l’opposition, j’ai soutenu un amendement du gouvernement visant à éviter que la mise en place anticipée, par rapport aux autres pays européens, de ces mesures de transparence n’expose la compétitivité des 8 000 entreprises françaises concernées à un risque. En effet, il convient de rappeler que le projet de reporting public ne concerne pas que les multinationales et que les informations fournies peuvent être utilisées par des concurrents et entraîner le dévoilement de stratégies d’entreprises.

La Commission européenne a pris position, par la voix du commissaire français, en faveur de ce dispositif, et le Parlement européen s’est déjà prononcé favorablement sur cette question. Cependant, la Commission doit encore mettre au point une directive commune, que l’ensemble des pays concernés devra appliquer de concert. Seule cette méthode permettra une véritable transparence.

Alors que certains pays ont fait des efforts réels pour lever le secret bancaire et permettre des échanges d’informations, comme nos voisins suisses, la situation concernant les places offshore est encore délicate. Comment ne pas s’étonner alors que la place financière la plus importante de l’Europe, la City, représente également un des centres les plus actifs du système financier offshore mondial?

Il s’agit de condamner non pas la constitution de sociétés offshore, qui n’est pas illégale en soi, mais l’utilisation de celles-ci pour faciliter l’évasion fiscale. Les «Panama papers» en sont un exemple criant. Le statut particulier des dépendances de la Couronne britannique comme Jersey, qui les exempte de tout contrôle et de toute levée du secret bancaire, ne me paraît plus adapté à l’actuelle nécessité éthique de transparence, mais je pourrais citer d’autres exemples en Europe et ailleurs.

En agissant efficacement pour favoriser une transparence réelle et donc des systèmes fiscaux cohérents et juste, nous adresserons à nos citoyens un message essentiel: pour avoir des droits en démocratie, il convient aussi de respecter ses devoirs, dont le paiement de l’impôt.

Mme HUOVINEN (Finlande)* – Monsieur le Président, chers collègues, 1 % des personnes les plus riches du monde ont le même montant de richesses que le reste de la population mondiale. D’après Oxfam, 62 personnes sont propriétaires d’autant de richesses que le reste de la population. Et, en 2008, alors que nous avons été frappés par la crise financière et sociale, ces 62 personnes ont vu leurs revenus augmenter de 42 %! Franchement, ils nous ruinent tous. Lors des dernières élections, le Gouvernement finlandais a lancé un programme pour lutter contre l’évasion fiscale grâce à des actions clés. L’objectif est de faire en sorte que les contribuables paient leurs impôts. Le suivi des impôts, les échanges d’informations entre administrations fiscales, la transparence, les achats publics, les questions fiscales liées au développement des entreprises, la lutte contre les paradis fiscaux exigent que des actions soient engagées sur le plan national mais aussi sur le plan international. Les entreprises qui jouent à ces jeux affaiblissent l’avenir de nos sociétés et de nos Etats-providence.

J’ai demandé qu’une campagne européenne soit lancée pour renforcer la transparence des systèmes fiscaux. La Commission européenne a publié une proposition de réglementation visant à réduire l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale excessive. Le moment est opportun. Le système de l’OCDE est important, certes, mais il n’est pas suffisant. En particulier, un certain nombre de pays ne font pas de rapport – il faut que cela devienne obligatoire – et beaucoup de multinationales se trouvent hors du champ de cette mesure. C’est d’autant plus important que l’évasion fiscale de ces pays crée un trou de 70 milliards d’euros dans le budget européen, montant qui pourrait financer des services publics pour nos concitoyens. Espérons que les «Panama papers» soient le début de la fin des paradis fiscaux!

Mme RODRÍGUEZ RAMOS (Espagne) – Monsieur le Président, cher collègues, voilà un an que la tragédie de Lampedusa a eu lieu. Près de 800 personnes, dont des femmes et des enfants, sont mortes noyées et les trafiquants ont blanchi l’argent qu’ils avaient reçu dans des paradis fiscaux. On dit qu’il s’agit de régions où l’on fait des affaires de manière non transparente, mais en réalité ce sont des paradis fiscaux et des lieux de blanchiment d’argent. Cet argent provient soit d’activités criminelles soit de la fraude fiscale lorsqu’il est généré par des activités légales. Cela sape le fondement même de nos démocraties.

Les «Panama papers» apparaissent comme un nouveau scandale aux yeux de l’opinion publique. Ils impliquent des chefs de gouvernement, des ministres dans mon pays. Ce sont ces gouvernements qui ne cessent de faire des coupes claires dans les finances publiques, dans les régimes de pensions au motif que les deniers de l’Etat seraient réduits qui ont placé leur argent dans les paradis fiscaux. Le dommage infligé à nos sociétés est donc immense.

Nous savons comment fonctionnent ces paradis fiscaux et quels instruments ils utilisent. Nous pouvons par conséquent très bien éviter qu’ils ne soient utilisés. Il n’est plus temps de pousser des cris d’orfraie; il faut à présent d’agir, notamment par la mise en place d’un système international d’échange d’informations qui mette fin au secret bancaire et qui impose à ces paradis fiscaux de très lourdes sanctions d’isolement financier.

Le moment est venu d’interdire à ces cabinets commerciaux de disposer de la personnalité juridique et morale. Les entités bancaires présentes dans les pays européens ouvrent des filiales dans ces pays précisément pour contourner la réglementation européenne. Le moment est également venu d’imposer la transparence des données des entreprises multinationales, afin que toutes leurs opérations soient dévoilées. Cette transparence ne doit pas s’appliquer uniquement dans une liste de pays, comme le propose la Commission européenne aujourd’hui; des rapports doivent être établis pays par pays dans chacun de nos Etats. En effet, si nous ne le faisons pas, et si nous n’agissons pas tout de suite, chers collègues, nous creuserons un énorme fossé entre les citoyens lambda, qui souffrent de cette situation, et nous, qui sommes pourtant chargés de les représenter. Ne soyons pas complices de ces fraudeurs.

M. van de VEN (Pays-Bas)* – Je vous remercie, Monsieur le Président, de me permettre de m’exprimer devant les membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe au nom du Parti populaire pour la liberté et la démocratie, mon parti aux Pays-Bas.

J’aimerais féliciter la présidence du choix de mettre à l’ordre du jour les «Panama papers». Cela montre que le Conseil de l’Europe est une institution bel et bien vivante.

Concernant les «Panama papers» en tant que tel, j’établis pour ma part une distinction claire entre l’évitement fiscal et l’évasion fiscale.

Je prends clairement parti contre toute évasion fiscale. La fraude fiscale est inacceptable. Il faut remettre en question l’évasion au niveau non seulement national mais aussi international, y compris au Panama.

En revanche, l’évitement fiscal est une pratique très différente dont l’objectif est d’optimiser la gestion d’avoirs au regard du paiement de taxes aux autorités fiscales nationales, quand l’évasion fiscale constitue une fraude vis-à-vis de ces autorités.

Les entrepreneurs actifs, les individus riches ne sauraient se voir traités comme la vache à lait des hobbies politiques. Les gouvernements doivent être droits, comporter peu de membres, être efficaces.

Monsieur le Président, on parle aujourd’hui des «Panama papers», mais il aurait pu s’agir des «Virgin Islands’papers» ou des «Guernesey papers», par exemple.

Les documents se réfèrent à un contexte clair. Ils émanent de structures qui permettent l’évitement fiscal et qui ont été créées dans le passé sur le fondement de véritables craintes: crainte du communisme, crainte de voir des Etats dictatoriaux s’emparer de l’argent de personnes privées. Cela renvoie à tout à fait autre chose que le blanchiment d’argent ou les trafics en tout genre. Sur le plan historique, ces fonds ont été créés dans un monde qui n’était pas transparent. Les Etats n’étaient alors pas concernés par les problèmes d’évasion fiscale.

Ayant pris connaissance de l’existence des «Panama papers», le peuple appelle à ce que sa voix soit entendue; vox populi, vox dei. Du fait de la publication de ces informations, les gouvernements font l’objet d’un examen minutieux de la part de nos citoyens. Il est indispensable que le Conseil de l’Europe agisse et pousse chaque Etat membre à la transparence pour des motifs fiscaux.

Aujourd’hui, nos citoyens ne tolèrent plus les structures internationales opaques qui permettent d’éviter de payer des impôts. Il faut cependant également entendre les craintes hélas justifiées, parfois, des entrepreneurs honnêtes quant au respect de leur vie privée.

M. POZZO DI BORGO (France) – L’irruption du scandale des «Panama papers» illustre deux phénomènes majeurs. L’un est plutôt une opportunité de se réjouir, l’autre une occasion de poursuivre un combat ancien.

La bonne chose, c’est que grâce à l’action de la presse, il est possible de mettre au jour des pratiques frauduleuses, de faire en sorte que rien de ce qui relève de la morale publique ne soit plus dissimulable à la justice, aux citoyens et à ceux qui les dirigent. Cet épisode des «Panama papers» aura ainsi consacré l’émergence d’un contre-pouvoir des lanceurs d’alerte, d’une presse d’investigation à la dimension planétaire.

Nous ne pouvons que nous féliciter des progrès de cette transparence forcée, qui doit d’ailleurs savoir se discipliner elle-même pour se transformer non pas en outil de lynchage médiatique mais en une contribution aux progrès de la justice, de la transparence et de l’équité. Le Panama, ainsi placé sous les feux de l’actualité, n’est pas le seul endroit au monde où l’argent qui fuit le fisc peut trouver refuge. Nos amis anglais sont mécontents, mais Londres est tout de même un paradis fiscal légal. Aux Etats-Unis, trois Etats – le Nevada, contrôlé par la mafia de Chicago, le Delaware et le Wyoming – permettent d’ouvrir une société en masquant le nom du réel bénéficiaire. Aux Etats-Unis toujours, il semblerait que 1 400 milliards de dollars échappent annuellement au fisc, et il s’agit non pas de l’argent des mafias, très nombreuses entres les mafias mexicaines et les mafias américaines, mais d’argent légal. Voilà un paradoxe savoureux quand on connaît par ailleurs l’impact, qui s’avère particulièrement dur sur les banques européennes, de l’extraterritorialité des lois américaines… Il invite à s’interroger sur l’action des Etats-Unis dans le lancement des «Panama papers». En tout cas, nous en avons profité.

Au-delà de la légitimité de l’outil qui a permis de rendre publique cette information, concentrons-nous sur ce que celle-ci a révélé: pour l’essentiel, une pratique universelle d’évasion fiscale, organisée et sophistiquée qui concerne tant des personnalités de renom, issues de tous les univers – politique, sportif –que des anonymes fortunés. Même si toutes ces pratiques ne sont pas illégales, elles ne peuvent qu’apparaître immorales et choquantes pour le citoyen ordinaire, en particulier dans une période de crise aigüe.

Face à ces pratiques, la tentation sera grande en effet pour beaucoup de se réfugier – et on le constate malheureusement en Europe – dans les votes populistes. Voilà pourquoi le soupçon généralisé peut être un grave danger.

Il est à cet égard heureux que l’Union européenne trouve quant à elle dans cette mise au jour des fraudes organisées une légitimité nouvelle aux initiatives qu’elle prend contre l’évasion fiscale ou les mesures d’optimisation fiscale.

Il y a dans cet épisode des «Panama papers» une opportunité à saisir pour la transparence et l’exemplarité.

M. KANDELAKI (Géorgie)* – J’aimerais tout d’abord remercier les auteurs de cette enquête très courageuse que nous appelons tous «Panama papers». Le secret des avoirs en tant que tel n’est pas illégal, mais le secret sur les avoirs des responsables politiques est incompatible avec le principe de la transparence des avoirs des fonctionnaires et des responsables politiques en poste. Sans parler de blanchiment d’argent, ces «Panama papers» nous ont rappelé un autre problème pour nos démocraties: la provenance des financements politiques.

Dans quelle mesure les hommes politiques sont-ils responsables? Sont-ils plus engagés vis -à-vis de leurs financeurs cachés dans ces paradis fiscaux qu’à l’égard de leurs électeurs?

M. Ivanichvili, ancien Premier ministre de mon pays, possède également un passeport français, mais il l’a caché pour frauder le fisc français. Il fait partie de ceux dont le nom a été révélé par les «Panama papers», et il est pourtant considéré comme étant le véritable inspirateur du Gouvernement Géorgien!

Voilà comment cet argent douteux peut menacer dans ses fondements les systèmes démocratiques, car dans un système démocratique, les responsables politiques doivent représenter leurs électeurs, non pas des oligarques ou des financeurs. Le Premier ministre géorgien, qui va s’adresser à l’Assemblée parlementaire cette semaine, est l’ancien banquier personnel de M Ivanichvili. D’autres ministres obtiennent des prêts à un taux quasiment nul de la part de cette banque de M. Ivanichvili. Nous savons que ces prêts sont ensuite couverts par des fonds qui dépassent de loin les revenus qu’ils déclarent.

M. Kvirikashvili, qui s’adressera à l’Assemblée jeudi, possède beaucoup plus d’argent que celui qu’il déclare, ce qui est parfaitement illégal, nous le savons bien.

Nous devons donc continuer à suivre cette question, qui est très importante et entre dans les missions clés de notre Assemblée du Conseil de l’Europe qui doit se préoccuper des menaces qui pèsent lourdement sur l’ordre démocratique, tels que les financements illicites et l’argent sale en politique.

M. SHAHGELDYAN (Arménie)* – L’argent placé dans les zones offshore est, plus que jamais, source de scandale financier. Chaque pays rencontre des problèmes de deux types, interne et externe.

Pour lutter contre l’économie grise, il convient de combattre de telles approches dans le financement de la vie politique.

Si la société internationale souhaite que le secteur des affaires devienne plus transparent et lisible, il faut accroître la transparence du fonctionnement financier des zones où sévissent les sociétés offshore. Mais les efforts séparés de chaque pays seront toujours moins efficaces qu’une approche coordonnée de grands groupes d’Etats ou d’organisations internationales. La communauté internationale doit trouver une solution équilibrée pour, d’une part, accroître le niveau de transparence du fonctionnement et le seuil de responsabilisation des entreprises dans les zones offshore et, d’autre part, maintenir la liberté des affaires et les règles du jeu du marché international. Chaque pays peut et doit s’investir en ce sens.

Un autre point mérite notre attention: la possibilité d’utilisation de cet argent offshore dans des affaires ayant une portée géostratégique, notamment dans le financement de guerres régionales. Car il s’agit là de situations très dangereuses.

L’information concernant les affaires du Président d’Azerbaïdjan est inséparable de l’utilisation excessive qui est faite de cet argent pour financer la militarisation hors budget et l’agression contre la république du Haut-Karabakh, pour mettre en œuvre la «diplomatie de caviar», pour être extrêmement riche sans payer d’impôts dans son pays. Et pendant ce temps-là, en Azerbaïdjan les réfugiés n’ont pas de logements. Mais où passe l’argent destiné à ces réfugiés? Dans les zones offshore!

Les propos du collègue qui a ouvert le débat sont très importants. Tous les pays sont touchés en interne comme à l’international, du point de vue tant commercial que géostratégique.

M. VALEN (Norvège)* – Chers collègues, en septembre dernier, lorsque, ici, à l’Assemblée, nous avons discuté du rapport de l’OCDE, nous avons vu que dans les pays membres de cette organisation, le revenu provenant du travail diminue de plus en plus. Malgré tous nos progrès, notre efficacité, notre technologie, dans les richesses qui sont créées, la part de ceux qui travaillent est de plus en plus réduite. Or les systèmes de sécurité sociale en Europe et le rêve américain ne sont possibles que grâce à un système fiscal qui redistribue la richesse. À cause des paradis fiscaux, une partie importante du contrat social de nos pays s’effrite. Tout cela menace la stabilité sociale de l’Europe. Les personnes ordinaires ont du mal à joindre les deux bouts alors qu’une petite élite se réserve la plus grosse part du gâteau.

Les «Panama papers» révèlent que le problème se pose dans toutes les démocraties du monde. Cela ne concerne pas simplement un fraudeur ici ou là, c’est une menace systémique contre nos démocraties et notre système de protection sociale.

Ces paradis fiscaux offrent des opportunités à la corruption, au vol, et les conséquences de leur existence sont gigantesques. Quand des bombes à fragmentation sont lancées sur des civils en Syrie, l’argent de la vente de ces armes est caché dans les paradis fiscaux. Quand des jeunes filles sont vendues comme esclaves, c’est la même chose. Cette évasion fiscale illégale concerne en particulier les pays africains. Il faut donc des législations internationales strictes, mais il faut aussi arrêter de légitimer certains pays. Lorsque des fonds souverains, y compris norvégiens, y investissent, il devient difficile de les critiquer.

En tant que parlementaires, nous devons balayer devant notre porte. Tout de suite.

M. DOWNE (Canada, observateur)* – Je vous remercie, Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les parlementaires, de me donner la possibilité d’intervenir devant votre Assemblée. Au sujet des «Panama papers», le Canada n’a pas été choqué par cette fuite, c’en est une parmi d’autres. Voilà neuf ans qu’une banque au Liechtenstein a fait l’objet de fuites: plus de cent Canadiens y avaient déposé leur argent, et dans 21 % des cas, cela constituait une évasion fiscale. Trois cent cinquante Canadiens sont cités dans les «Panama papers». Cela étant, le Canada fait bien la différence entre l’évitement fiscal et l’évasion fiscale.

Cette année, mon pays a annoncé que 340 millions d’euros seraient alloués à la lutte contre l’évasion fiscale. 1,7 milliard d’euros devraient ainsi être récupérés dans les prochaines années, ce qui révèle l’ampleur du problème pour les Canadiens. Il existe un véritable trou des fonds nécessaires au financement de nos projets: ces fonds sont à l’étranger, car des Canadiens ont préféré y placer leur argent pour payer moins d’impôts.

Nous comprenons que les citoyens veulent payer moins d’impôts, mais la taxation est le prix à payer pour une société civilisée, comme l’a dit un Américain voilà quelques années. Nous voulons tous payer moins d’impôts, mais nous devons tous participer au financement de nos pays. Chaque pays ici présent perd des millions, voire des milliards. Il faut faire de notre mieux pour fermer ces paradis fiscaux et ces entreprises qui encouragent la fuite des capitaux, qu’il s’agisse d’avocats, de juristes ou autres. C’est ce que veulent les citoyens, et il vaut mieux le faire tôt que tard. Je soutiens les observations du premier orateur qui, en présentant ce sujet, a dit qu’il fallait agir. Le Canada agit, nous avons prévu des fonds dans nos budgets; nous espérons que nous ne serons pas les seuls.

LE PRÉSIDENT* – Il nous faut maintenant interrompre la liste des orateurs.

Les orateurs inscrits qui, présents pendant le débat, n’ont pu s’exprimer, peuvent transmettre, dans les 4 heures, leur intervention dactylographiée au service de la Séance, pour publication au compte rendu. Cette transmission doit être effectuée, dans la mesure du possible, par voie électronique.

Je vous rappelle qu’à l’issue d’un débat d’actualité, l’Assemblée n’est pas appelée à voter. Mais le Bureau peut, à un stade ultérieur, proposer que la question traitée soit renvoyée à la commission compétente.

3. Prochaine séance publique

M. le PRÉSIDENT – La prochaine séance publique aura lieu demain matin, à 10 heures, avec l’ordre du jour adopté ce matin par l’Assemblée.

La séance est levée à 17 h 5.

SOMMAIRE

1. Rapport annuel d’activité 2015 du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe

Intervention de M. Muižnieks

Questions: M. Korodi, Mmes Strik, Zelienková, M. Pritchard, Mme Katrivanou, MM. Rouquet, Ghiletchi, Mmes Pashayeva, Brasseur, Huovinen, Ahmed-Sheikh, M. Schwabe, Mme Beselia, MM. Csenger-Zalán, Hanžek, Mmes Zohrabyan, Mateu, Christoffersen, Kerestecioğlu Demir, M. Luis

2. L’affaire des «Panama papers» et le besoin de justice sociale et fiscale et de confiance dans notre système démocratique (Débat d’actualité)

Orateurs: MM. Schennach, Van der Maelen, Pasquier, Lord Blencathra, M. Jónasson, Mmes Schou, Dalloz, Huovinen, Rodriguez Ramos, MM. van de Ven, Pozzo di Borgo, Kandelaki, Shahgeldyan, Valen, Downe

3. Prochaine séance publique

Annexe I

Liste des représentants ou suppléants ayant signé le registre de présence, conformément à l’article 12.2 du Règlement. Sont indiqués en minuscules les noms des suppléants ayant remplacé les représentants absents. Les noms de ceux qui étaient absents ou excusés sont suivis d’un astérisque

Pedro AGRAMUNT

Tasmina AHMED-SHEIKH

Brigitte ALLAIN/Anne-Yvonne Le Dain

Jean-Charles ALLAVENA*

Werner AMON*

Luise

AMTSBERG*

Lord Donald ANDERSON/Lord George Foulkes

Paride ANDREOLI/Gerardo Giovagnoli

Ingrid ANTIČEVIĆ MARINOVIĆ*

Sirkka-Liisa ANTTILA*

Ben-Oni ARDELEAN*

Iwona ARENT

Volodymyr ARIEV

Anna ASCANI/Tamara Blazina

Mehmet BABAOĞLU*

Theodora BAKOYANNIS*

David BAKRADZE/Giorgi Kandelaki

Gérard BAPT/Jean-Claude Frécon

Doris BARNETT*

José Manuel BARREIRO/Teófilo De Luis

Meritxell BATET/ Soraya Rodríguez Ramos

Deniz BAYKAL

Guto BEBB/Lord Richard Balfe

Marieluise BECK

Ondřej BENEŠIK*

Levan BERDZENISHVILI/Eka Beselia

Deborah BERGAMINI*

Sali BERISHA/Oerd Bylykbashi

Włodzimierz BERNACKI

Anna Maria BERNINI/Claudio Fazzone

Maria Teresa BERTUZZI/ Francesco Maria Amoruso

Andris BĒRZINŠ/Boriss Cilevičs

Jokin BILDARRATZ

Gülsün BİLGEHAN

Tobias BILLSTRÖM

Oleksandr BILOVOL

Ľuboš BLAHA*

Philippe BLANCHART/Dirk Van Der Maelen

Maryvonne BLONDIN

Tilde BORK*

Mladen BOSIĆ*

Anne BRASSEUR

Piet De BRUYN/Hendrik Daems

Margareta BUDNER*

Valentina BULIGA

Dawn BUTLER

Nunzia CATALFO*

Elena CENTEMERO

José CEPEDA

Irakli CHIKOVANI

Vannino CHITI/Francesco Verducci

Anastasia CHRISTODOULOPOULOU

Lise CHRISTOFFERSEN

Paolo CORSINI

David CRAUSBY

Yves CRUCHTEN*

Zsolt CSENGER-ZALÁN

Katalin CSÖBÖR

Geraint DAVIES/Liam Byrne

Joseph DEBONO GRECH*

Renata DESKOSKA*

Alain DESTEXHE

Manlio DI STEFANO*

Şaban DİŞLİ

Sergio DIVINA

Aleksandra DJUROVIĆ*

Namik DOKLE

Francesc Xavier DOMENECH/Ángela Ballester

Jeffrey DONALDSON*

Elvira DROBINSKI-WEIß*

Daphné DUMERY/Petra De Sutter

Alexander [The Earl of] DUNDEE*

Nicole DURANTON/Jacques Legendre

Josette DURRIEU

Mustafa DZHEMILIEV/Andrii Lopushanskyi

Mikuláš DZURINDA*

Lady Diana ECCLES*

Franz Leonhard EẞL

Markar ESEYAN*

Nigel EVANS*

Samvel FARMANYAN*

Joseph FENECH ADAMI*

Cătălin Daniel FENECHIU*

Doris FIALA

Daniela FILIPIOVÁ/Ivana Dobešová

Ute FINCKH-KRÄMER*

Axel E. FISCHER

Bernard FOURNIER/Frédéric Reiss

Béatrice FRESKO-ROLFO

Pierre-Alain FRIDEZ

Martin FRONC*

Sahiba GAFAROVA*

Sir Roger GALE

Adele GAMBARO

Xavier GARCÍA ALBIOL

José Ramón GARCÍA HERNÁNDEZ*

Karl GARÐARSSON

Iryna GERASHCHENKO*

Tina GHASEMI*

Valeriu GHILETCHI

Mihai GHIMPU*

Francesco Maria GIRO

Pavol GOGA*

Carlos Alberto GONÇALVES

Oleksii GONCHARENKO

Rainer GOPP

Alina Ștefania GORGHIU*

Sylvie GOY-CHAVENT/Marie-Christine Dalloz

François GROSDIDIER/André Schneider

Dzhema GROZDANOVA

Gergely GULYÁS*

Emine Nur GÜNAY*

Valgerður GUNNARSDÓTTIR*

Jonas GUNNARSSON*

Antonio GUTIÉRREZ

Maria GUZENINA/Susanna Huovinen

Márton GYÖNGYÖSI*

Sabir HAJIYEV

Andrzej HALICKI/Killion Munyama

Hamid HAMID*

Alfred HEER

Gabriela HEINRICH

Michael HENNRICH*

Martin HENRIKSEN/Christian Langballe

Françoise HETTO-GAASCH*

John HOWELL*

Anette HÜBINGER*

Johannes HÜBNER*

Andrej HUNKO

Rafael HUSEYNOV

Ekmeleddin Mehmet İHSANOĞLU

Florin IORDACHE*

Denis JACQUAT

Gediminas JAKAVONIS

Sandra JAKELIĆ*

Gordan JANDROKOVIĆ

Tedo JAPARIDZE*

Andrzej JAWORSKI*

Michael Aastrup JENSEN*

Mogens JENSEN

Frank J. JENSSEN

Florina-Ruxandra JIPA/Viorel Riceard Badea

Ögmundur JÓNASSON

Aleksandar JOVIČIĆ*

Anne KALMARI*

Erkan KANDEMIR*

Marietta KARAMANLI/Pascale Crozon

Niklas KARLSSON/Eva-Lena Jansson

Nina KASIMATI

Vasiliki KATRIVANOU

Ioanneta KAVVADIA

Filiz KERESTECİOĞLU DEMİR

İlhan KESİCİ

Danail KIRILOV*

Bogdan KLICH*

Manana KOBAKHIDZE*

Haluk KOÇ

Željko KOMŠIĆ*

Ksenija KORENJAK KRAMAR/Matjaž Hanžek

Attila KORODI

Alev KORUN/ Barbara Rosenkranz

Rom KOSTŘICA*

Elvira KOVÁCS*

Tiny KOX

Borjana KRIŠTO*

Florian KRONBICHLER*

Eerik-Niiles KROSS*

Talip KÜÇÜKCAN

Ertuğrul KÜRKÇÜ

Athina KYRIAKIDOU

Yuliya L OVOCHKINA*

Inese LAIZĀNE

Pierre-Yves LE BORGN’

Jean-Yves LE DÉAUT/Yves Pozzo Di Borgo

Luís LEITE RAMOS

Valentina LESKAJ

Terry LEYDEN*

Inese LĪBIŅA-EGNERE

Ian LIDDELL-GRAINGER*

Georgii LOGVYNSKYI

Filippo LOMBARDI*

François LONCLE*

George LOUCAIDES/Stella Kyriakides

Philippe MAHOUX

Marit MAIJ*

Muslum MAMMADOV*

Thierry MARIANI*

Soňa MARKOVÁ/Pavel Holík

Milica MARKOVIĆ*

Duarte MARQUES

Alberto MARTINS*

Meritxell MATEU

Liliane MAURY PASQUIER/Manuel Tornare

Michael McNAMARA/Seán Crowe

Sir Alan MEALE

Ermira MEHMETI DEVAJA*

Evangelos MEIMARAKIS*

Ana Catarina MENDES*

Jasen MESIĆ*

Attila MESTERHÁZY*

Jean-Claude MIGNON

Marianne MIKKO

Anouchka van MILTENBURG*

Orhan MİROĞLU*

Olivia MITCHELL*

Arkadiusz MULARCZYK

Thomas MÜLLER/Jean-Pierre Grin

Oľga NACHTMANNOVÁ*

Hermine NAGHDALYAN/Naira Karapetyan

Marian NEACȘU/Titus Corlăţean

Andrei NEGUTA

Zsolt NÉMETH*

Miroslav NENUTIL

Michele NICOLETTI

Aleksandar NIKOLOSKI*

Johan NISSINEN

Julia OBERMEIER*

Marija OBRADOVIĆ*

Žarko OBRADOVIĆ*

Judith OEHRI

Carina OHLSSON/Azadeh Rojhan Gustafsson

Suat ÖNAL

Ria OOMEN-RUIJTEN*

Joseph O’REILLY*

Tom PACKALÉN*

Judith PALLARÉS

Ganira PASHAYEVA

Florin Costin PÂSLARU*

Jaana PELKONEN

Agnieszka POMASKA*

Cezar Florin PREDA

John PRESCOTT

Mark PRITCHARD

Lia QUARTAPELLE PROCOPIO*

Carmen QUINTANILLA

Kerstin RADOMSKI*

Mailis REPS*

Andrea RIGONI

François ROCHEBLOINE

Melisa RODRÍGUEZ HERNÁNDEZ*

Helena ROSETA*

René ROUQUET

Alex SALMOND*

Vincenzo SANTANGELO/Giuseppe Galati

Milena SANTERINI

Nadiia SAVCHENKO/Sergiy Vlasenko

Deborah SCHEMBRI*

Stefan SCHENNACH

Paul SCHNABEL*

Ingjerd SCHOU

Koos SCHOUWENAAR*

Nico SCHRIJVER / Mart Van De Ven

Frank SCHWABE

Predrag SEKULIĆ*

Aleksandar SENIĆ*

Senad ŠEPIĆ

Samad SEYIDOV*

Paula SHERRIFF*

Bernd SIEBERT*

Adão SILVA*

Valeri SIMEONOV*

Andrej ŠIRCELJ

Arturas SKARDŽIUS/Egidijus Vareikis

Jan ŠKOBERNE

Serhiy SOBOLEV

Olena SOTNYK

Lorella STEFANELLI

Yanaki STOILOV*

Karin STRENZ

Ionuț-Marian STROE*

Dominik TARCZYŃSKI*

Damien THIÉRY

Antoni TRENCHEV*

Krzysztof TRUSKOLASKI

Goran TUPONJA*

İbrahim Mustafa TURHAN*

Nada TURINA-ĐURIĆ*

Konstantinos TZAVARAS*

Leyla Şahin USTA

Dana VÁHALOVÁ

Snorre Serigstad VALEN

Petrit VASILI

Imre VEJKEY*

Stefaan VERCAMER

Birutė VĖSAITĖ

Nikolaj VILLUMSEN/Rasmus Nordqvist

Vladimir VORONIN*

Viktor VOVK

Nataša VUČKOVIĆ*

Draginja VUKSANOVIĆ/Marija Maja Catović

Karl-Georg WELLMANN*

Katrin WERNER*

Jacek WILK*

Andrzej WOJTYŁA

Morten WOLD

Gisela WURM

Jordi XUCLÀ

Serap YAŞAR

Leonid YEMETS*

Tobias ZECH

Kristýna ZELIENKOVÁ

Marie-Jo ZIMMERMANN

Emanuelis ZINGERIS

Naira ZOHRABYAN

Levon ZOURABIAN/ Mher Shahgeldyan

Siège vacant, Chypre*

EGALEMENT PRÉSENTS

Représentants et Suppléants non autorisés à voter

Lord David BLENCATHRA

Hans Fredrik GRØVAN

Bernard PASQUIER

Tineke STRIK

Observateurs

Percy DOWNE

Ulises RAMÍREZ NÚÑEZ

Partners for democracy

Partenaires pour la démocratie

Abdelali HAMIDINE

Mohamed YATIM