FR18CR32ADD1

AS (2018) CR 32
Addendum 1

Edition provisoire

SESSION ORDINAIRE DE 2018

________________

(Quatrième partie)

COMPTE RENDU

de la trente-deuxième séance

Mercredi 10 octobre 2018 à 10 heures

ADDENDUM 1

Réglementer le financement étranger de l’islam en Europe
afin de prévenir la radicalisation et l’islamophobie

Radicalisation des migrants
et des communautés de diasporas en Europe
(Débat conjoint)

Les interventions suivantes ont été communiquées au service de la séance pour publication au compte rendu par cinq membres inscrits sur la liste des orateurs et présents en séance mais qui n’ont pu être appelés à les prononcer faute de temps.

M. AMRAOUI (Maroc, partenaire pour la démocratie) – Le Maroc, pays partenaire pour la démocratie, compte une diaspora importante en Europe, une partie de cette diaspora de deuxième et troisième génération peut être victime de radicalisation surtout avec le développement en Europe de véritables réseaux extrémistes.

La radicalisation de ces jeunes passe en Europe, dans les pays où ils sont nés et élevés, par une marginalisation culturelle et professionnelle et parfois par un racisme latent et nocif. Ils ont le sentiment d’être victimes de ségrégation, de subir une montée de l’islamophobie et, bien sûr, de connaître un conflit de générations avec leurs parents, généralement autoritaires et patriarcaux.

Ces jeunes sont émotionnellement seuls et totalement déstabilisés. Ils n’appartiennent ni à leur pays d’origine et d’extraction, ni à leur pays d’adoption et de naissance, et représentent un champ fertile pour la radicalisation religieuse.

Le royaume du Maroc est reconnu pour sa tolérance religieuse exemplaire et, depuis longtemps, pour le combat contre le terrorisme qu’il mène sur son propre sol avec fermeté et acharnement et l’aide apportée aux pays européens amis.

L’approche marocaine proactive en matière de lutte antiterroriste, partant du fait que le volet répressif à lui seul ne saurait suffire pour contrecarrer ce fléau, contribue ainsi aux efforts de la communauté internationale en mettant sur pied une stratégie multidimensionnelle qui englobe le volet juridique, la formation, l’encadrement religieux et le volet socio-économique.

Les mouvements extrémistes ont pris la religion en otage à des fins politiques, c’est pour cela que l’encadrement religieux doit passer par le renforcement de la sécurité spirituelle afin de déconstruire le discours extrémiste, tant au plan national qu’au plan extérieur, et d’inculquer un Islam tolérant et ouvert.

Cette expérience est partagée par plusieurs partenaires européens et africains.

Plusieurs programmes culturels spécifiques dédiés à cette diaspora sont mis en place, ciblant particulièrement les plus jeunes. Ils représentent une alternative à d’autres formes d’encadrement et tentent de combler le vide culturel que peuvent vivre ces jeunes.

Je terminerai en rappelant l’extrême importance d’une bonne collaboration entre les différents services de sécurité des deux côtés. L’appui du Maroc dans ce domaine est reconnu à tous les niveaux. Le directeur du Bureau central des investigations judiciaires marocain a souligné la nécessité pour le Maroc d’accéder en tant que membre de plein droit aux bases de données d’Europol. Et c’est ainsi que le Parlement européen a adopté une résolution en août dernier recommandant que l’Union européenne signe un accord avec le Maroc pour l’échange de données personnelles.

M. CAZEAU (France) – Les propositions de nos rapporteurs, auxquelles je souscris, rejoignent plusieurs des propositions de la récente commission d’enquête sur l’évolution de la menace terroriste que j’ai présidée au Sénat français. Nous avons notamment des conclusions convergentes sur la nécessité de disposer de contre-discours, en particulier sur Internet et les réseaux sociaux.

La grande majorité des musulmans restent dans une dynamique d’intégration au système de valeurs majoritaire en Europe et rejettent par conséquent les discours islamistes – c’est le cas en France. Pour autant, la vague du terrorisme islamiste, la montée de l’antisémitisme chez certains musulmans et le séparatisme prôné par les salafistes, dont la visibilité est grandissante dans l’espace public, ont donné à l’islamisme une actualité inédite.

Les idéologies islamistes se sont développées à partir de plusieurs centres idéologiques, en particulier les Frères musulmans en Égypte et le wahhabisme en Arabie saoudite. Ces islamismes sont aujourd’hui des idéologies mondialisées qui se sont diffusées dans les territoires où sont présents des musulmans, dont l’Europe.

Parmi les supports de cette expansion idéologique, les livres aujourd’hui encore, comme les médias, occupent une place importante et jouent un rôle non négligeable dans la diffusion du salafisme.

Mais aujourd’hui, Internet et les réseaux sociaux ont pris le relais, avec une puissance impressionnante. Le discours salafiste y est largement dominant et cherche à démontrer une prétendue décadence occidentale, qu’il conviendrait de contrer par le respect d’une tradition magnifiée. Les Frères musulmans, quant à eux, cherchent plutôt à exacerber l’identité musulmane et à obtenir des adaptations de leurs revendications religieuses et communautaires à la laïcité.

Selon une étude récente publiée en France, l’analyse de l’audience sur Internet et les réseaux sociaux démontre le très fort impact de cette idéologie religieuse. Les oulémas saoudiens, suivis par des dizaines de millions de personnes, sont des «stars» de Facebook et de Twitter, loin devant les Frères musulmans et encore plus loin des représentants d’un islam européen. Les réseaux sociaux en français sont le lieu d’une répartition des tâches: les salafistes y ont le quasi-monopole du discours religieux, tandis que les Frères musulmans sont plus spécialisés dans les discours victimaires, identitaires ou revendicatifs. Les salafistes ont plus d’audience sur les réseaux sociaux, mais les Frères musulmans sont plus présents dans les médias.

C’est pourquoi nous avons besoin de faire émerger des interlocuteurs de confiance au sein des communautés musulmanes de nos pays européens.

Mme DURANTON (France) – Trois éléments conjugués apporteraient des réponses efficaces: l’encadrement du financement étranger de l’islam en Europe, le renforcement de la transparence et le lancement d’une large consultation des communautés musulmanes. Ne pas interdire tout financement étranger de l’islam est opportun: ce serait se priver d’un levier essentiel pour mieux organiser un islam européen en favorisant l’émergence d’interlocuteurs représentatifs.

En France, la réflexion a progressé dans cette voie au cours des derniers mois. Les autorités ont lancé des assises territoriales sur la représentation de l’islam, le financement de ses lieux de culte et la formation des imams et aumôniers, et des pistes de réformes devraient être annoncées d’ici à la fin de cette année.

Un récent rapport sur l’islamisme a également formulé plusieurs propositions. Le financement de l’islam pourrait être rendu plus transparent par la création d’une institution spécifique gérée en France par des Français en fonction des intérêts des musulmans de France. Nous avons également besoin d’un discours religieux musulman en français alternatif à celui qui domine actuellement les réseaux sociaux, c’est-à-dire le discours salafiste. Il est essentiel que ce discours alternatif soit élaboré par les musulmans eux-mêmes, car la solution ne saurait venir que d’eux.

Selon ce rapport, un tel discours alternatif doit s’accompagner d’une meilleure promotion du discours républicain. L’État a besoin de repenser sa communication relative aux valeurs républicaines, sur les réseaux sociaux en premier lieu. Cette orientation nécessite de mieux former les enseignants et les cadres de l’éducation nationale à la laïcité et aux manifestations de l’extrémisme religieux pour mieux adapter leurs réponses. La connaissance du contexte idéologique, politique et social de l’islamisme devrait aussi être améliorée pour faciliter l’élaboration d’un contre-discours et mieux intervenir dans certains quartiers où la prégnance du fait religieux est forte.

Ces efforts nationaux doivent s’accompagner d’une action diplomatique déterminée qui pourrait influer, par exemple, sur l’organisation du pèlerinage de La Mecque ou prendre la forme d’une coopération religieuse avec le Maghreb et les pays du Golfe, tant il paraît illusoire de vouloir lutter contre le discours islamiste sans l’Arabie saoudite à un moment où ce pays se trouve à un tournant de son histoire.

Ce ne sont là que des propositions – et certaines, telle la relance de l’apprentissage de l’arabe, sont controversées. Néanmoins, elles ont le mérite de vouloir dépasser les échecs successifs qui ont marqué les tentatives de mieux organiser le culte musulman.

Mme TRISSE (France) – L’islam est la deuxième religion monothéiste sur le continent européen. Elle est devenue partie intégrante du patrimoine culturel des populations vivant dans les États membres du Conseil de l’Europe. En outre, conformément aux dispositions de la convention européenne des droits de l’homme, il est du devoir des pouvoirs publics de garantir que les personnes de confession musulmane puissent, comme toutes celles ayant d’autres convictions religieuses, vivre leur foi en totale liberté.

Par-delà ces rappels, force est de reconnaître que la multiplication ces dernières années des attentats commis par des terroristes islamistes a montré que l’Islam n’était pas épargné par les dérives que d’autres religions ont connu par le passé, à commencer par l’intégrisme et la radicalisation. Si l’Islam ne saurait se réduire à ces phénomènes, on ne peut néanmoins s’en désintéresser au risque de faire monter l’intolérance à l’égard des musulmans, dont la très grande majorité souhaitent vivre en harmonie avec les communautés nationales et religieuses qui les côtoient.

Depuis les attentats de 2015 et 2016, les autorités françaises se sont activement penchées sur ces deux volets.

En effet, la mission d’information du Sénat sur l’organisation, la place et le financement de l’islam en France a publié un rapport très documenté en juillet 2016. Ce rapport, tout en appelant à davantage de transparence et à des aménagements procéduraux pour les financements étrangers de l’Islam, s’est attaché à démonter certaines idées reçues, dont la prospérité aurait pu alimenter l’islamophobie.

S’agissant de l’expansion du phénomène de radicalisation, qui ne se réduit pas aux diasporas et aux migrants, la plupart des autorités nationales ont adopté des plans d’action et de prévention en la matière.

En France, le Gouvernement a ainsi adopté, le 9 mai 2016, un premier plan de 80 mesures. Il a été actualisé le 23 février 2018 par un second volet de 60 mesures destinées à mieux identifier, signaler et prendre en charge les signes avant-coureurs d’une rupture avec les principes qui fondent la démocratie, l’État de droit et le respect des autres.

Ce nouveau plan a tiré les leçons des échecs passés tout en actant que le phénomène de radicalisation, complexe et évolutif, est actuellement mal maîtrisé. Il met donc l’accent sur la recherche scientifique appliquée et le partage des connaissances avec les pays confrontés à la même problématique. C’est sans doute la méthode qu’il convient de suivre pour traiter plus efficacement ce défi collectif.

M. WASERMAN (France) – Je souhaite d’abord saluer le travail de qualité réalisé par notre collègue sur un sujet que l’on sait particulièrement sensible.

Il est indéniable, en effet, que la question du financement étranger de l’islam en Europe a pris une place importante dans le débat public européen depuis quelques années, et à mon sens, cela est dû à la conjonction de trois facteurs: la complexité du sujet d’abord, qui résulte notamment de visions différentes en Europe sur la question du rapport de l’État au fait religieux; le manque de transparence de ces circuits de financement ensuite, qui est mis en évidence dans le rapport et, enfin, l’actualité du sujet pouvant ouvrir la porte à des controverses, mais aussi faire émerger de belles initiatives.

En ce sens, je tiens à dire tout mon soutien aux différentes recommandations formulées par notre collègue qui visent, dans leur ensemble, tout à la fois à gagner en transparence sur les circuits de financement étranger de l’islam, à préserver notre cadre juridique démocratique en matière de liberté et d’égalité des cultes, et à mieux combattre les phénomènes de radicalisation et l’islamophobie.

En particulier, je souhaite insister sur une des recommandations qui traite d’une initiative propre à l’Université de Strasbourg.

En effet, mes chers collègues, je rappelle que notre Assemblée siège à Strasbourg, une ville où s’applique le droit local d’Alsace-Moselle hérité de l’histoire avec le Concordat. Par conséquent, le rapport aux cultes y est différent de ce qu’il est dans le reste du territoire français, notamment en termes de financement par l’État, avec des financements directs de sa part.

Aussi, dans cette culture concordataire, l’Université joue un rôle important avec de nombreuses filières universitaires de théologie, en particulier avec deux facultés de théologie catholique et protestante et des diplômes universitaires de haut niveau en la matière.

Dans cette logique, et parce que la religion musulmane ne fait pas partie du système concordataire, l’Université de Strasbourg a lancé cette initiative de création d’une Chaire de théologie musulmane dans le but d’apporter une véritable dimension universitaire de haut niveau à la formation des imams. Il s’agit d’un projet émergent que nous suivons avec intérêt pour progresser dans un domaine dans lequel nous avons besoin de regarder d’une façon nouvelle la juste place des religions dans notre société. C’est en cela, et avec cet esprit novateur, que le rapport de notre collègue est pertinent.