15.03.2013

Discours de Monsieur Jean-Claude Mignon,

Président de l’Assemblée parlementaire,

devant l’Assemblée nationale de la Serbie

(Mardi 12 mars 2013, 10h00)

Chers Collègues,

C’est un immense honneur pour moi de m’exprimer aujourd’hui devant vous, dans un pays qui m’est proche de par son histoire et, je suis ravi de le déclarer, de par son présent. Car, votre présent est résolument européen, malgré les temps difficiles que vous avez traversés, tant au long de votre histoire qu’au cours de ces vingt dernières années.

Les conflits dans les Balkans, dont les souvenirs restent toujours très vifs dans nos mémoires, nous ont rappelé les pages les plus sombres de l’histoire européenne. Toutefois, ceci a été suffisamment répété, et je souhaite plutôt parler de l’avenir. De l’avenir d’une communauté des Etats européens partageant les mêmes valeurs et dont les citoyens vivent dans un espace de droit et de prospérité, et dont votre pays et votre région doivent faire partie.

Les bases d’une telle communauté ont été posées en 1949, quand le Conseil de l’Europe a été créé. Son objectif premier a été d’empêcher que les horreurs de la deuxième guerre mondiale ne se reproduisent. Cet objectif n’a pas changé - notre priorité est toujours la paix, car la guerre est, par définition, la négation totale de toutes les valeurs sur lesquelles le Conseil de l’Europe est basé.

Pour atteindre cet objectif, le Conseil de l’Europe utilise le « soft power » (pouvoir doux), pour contribuer à la construction des sociétés pour lesquelles la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit sont essentiels. Nous agissons au quotidien pour que les Etats qui respectent ces principes ne soient jamais en guerre l’un contre l’autre, ni n’utilisent la force contre leurs propres citoyens.

Je pense que nous sommes tous d’accord là-dessus. Toutefois, pour traduire en réalité ces principes, il s’agit d’un processus long qui ne s’arrête jamais, pour aucun d’entre nous. Il est vrai que certains pays ont de l’avance sur d’autres, mais personne n’est parfait, nous devons tous nous aider mutuellement et apprendre les uns des autres. Pour moi, c’est en ceci que consiste la philosophie du Conseil de l’Europe.

Dans cet esprit, je souhaite vous féliciter pour les grands progrès que vous avez accomplis en mettant en œuvre les engagements et obligations que vous avez pris en intégrant le Conseil de l’Europe. Vous avez effectué des changements profonds dans le fonctionnement de vos institutions démocratiques, qu’il s’agisse de la réforme du système électoral, celle du système judiciaire, de la décentralisation, des droits des minorités, ou de la ratification d’un grand nombre de conventions européennes. A cet égard, je souhaite souligner l’importance de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), qui nécessite toujours des ratifications supplémentaires pour entrer en vigueur. Vu l’engagement de votre parlement pour la cause des femmes, il serait symbolique d’ajouter la ratification de la Serbie à cette Convention dès que possible.

Pendant ma visite, j’aurai le grand honneur de rencontrer des représentants, tant du pouvoir législatif que du pouvoir exécutif, dont la légitimité est issue des élections de mai 2012, qui ont été largement reconnues comme libres et équitables. Et je pense que c’est cette légitimité qui vous a permis d’effectuer les progrès démocratiques que j’ai mentionnés.

Bien entendu, le processus de réforme n’est pas facile et il reste encore beaucoup à accomplir. Dans ce contexte, je me retourne toujours vers notre Commission de suivi dont la tâche est d’assister, et j’insiste sur ce mot, les pays sous « monitoring » à respecter leurs engagements. Vous connaissez probablement mieux que moi les domaines dans lesquels il vous faut encore intensifier les efforts – solidifier le système judiciaire pour qu’il devienne véritablement indépendant et efficace, renforcer la liberté des médias, intensifier la lutte contre la corruption et contre les discriminations.

Nos co-rapporteurs – M. Harutyunyan et M. Saar – font un travail formidable et je souhaite vous remercier pour votre coopération avec eux.

Naturellement, les avancées sur vos obligations et engagements contribuent à vous rapprocher de notre sœur cadette, devenue grande maintenant, l’Union européenne. Naturellement, nous comprenons et soutenons les ambitions de chaque Etat européen qui aspire à devenir membre de l’Union. C’est pour cela que nos deux institutions travaillent étroitement ensemble et j’ai personnellement fait du renforcement de la coopération entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne l’une des priorités de mon mandat.

Je soutiens pleinement votre objectif d’obtenir une date pour l’ouverture des négociations d’adhésion à l’Union européenne, si possible avant la fin de la présidence irlandaise. Je sais que certains progrès sont encore demandés par l’Union afin que cet objectif puisse être atteint et le Conseil de l’Europe est prêt à faire tout ce qui est en son pouvoir pour vous assister à réaliser ces progrès et vous conseiller.

Certaines conditions sont également liées aux conflits qui ont marqué votre pays et votre région. Je pense que vous avez pris la bonne voie en regardant cette période tragique avec objectivité, comme en témoignent l’arrestation par vos autorités des personnes accusées de crimes de guerre et leur extradition au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), la ratification par votre pays de la Convention européenne sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, ainsi que vos efforts en matière de protection de témoins.

Dans ce contexte, je vous demande de faire confiance à la justice internationale, même en sachant que certaines décisions récentes du TPIY ont provoqué un vif émoi dans votre pays. Les décisions de justice doivent être respectées par tous – c’est la base de l’état de droit.

La situation autour du Kosovo1 reste un problème épineux, très sensible pour vous, qu’il faut toutefois résoudre pour pérenniser la paix et la réconciliation dans la région et permettre un jour l’intégration de la totalité des Etats de cette région à l’Union européenne et au Conseil de l’Europe.

Comme vous le savez, je viens devant vous deux mois à peine après l’adoption de notre résolution sur « la situation au Kosovo* et le rôle du Conseil de l’Europe », préparé par notre très compétent et respecté collègue Björn von Sidow, ainsi qu’après la décision prise par le Bureau de l’Assemblée, jeudi dernier à Paris, sur la mise en œuvre du paragraphe 13.3 de cette résolution.

Vous savez qu’en dépit de la reconnaissance du Kosovo* par 34 de nos 47 Etats membres comme Etat souverain et indépendant, le Conseil de l’Europe continue d’appliquer, à l’égard du Kosovo*, une politique de neutralité du statut.

Toutefois, comme nous l’avons rappelé dans notre résolution, toutes les personnes vivant au Kosovo* doivent bénéficier d’une bonne gouvernance, de la démocratie, de la prééminence du droit et des mêmes droits que les autres personnes vivant en Europe.

C’est pour cela que nous avons appelé dans notre résolution le Conseil de l’Europe à renforcer son action concernant la promotion de nos principes fondamentaux, en étendant la portée des programmes de coopération et en permettant aux autorités compétentes au Kosovo* d’être directement impliquées dans la mise en œuvre des activités et des programmes du Conseil de l’Europe.

Nous avons également décidé que l’Assemblée intensifie et élargisse son propre dialogue avec les représentants des forces politiques élues à l’Assemblée du Kosovo*.

Dans ce contexte, le Bureau de l’Assemblée vient d’approuver la proposition d’accorder aux représentants des forces politiques élus à l’Assemblée du Kosovo* le droit de participer aux réunions de nos commissions, à l’exception de deux d’entre elles (Commission de Suivi et Commission du Règlement), ainsi que celui de suivre les sessions plénières de l’Assemblée sans être autorisés à prendre la parole, ni à voter.

Deux membres de votre délégation ont participé à cette réunion du Bureau et, si vous le souhaitez, je suis prêt à discuter de cette question lors de notre échange de vues.

En tout cas, sachez que nous saluons et apprécions l’approche constructive de votre gouvernement concernant le dialogue entre Belgrade et Pristina, et notamment les rencontres devenues régulières au plus haut niveau à Bruxelles.

Malgré la résolution que vous avez adoptée en janvier dernier, affirmant que la Serbie ne reconnaît pas l’indépendance du Kosovo*, je me réjouis de la déclaration récente de votre Vice-Ministre pour l’intégration européenne, Mme Suzana Grubjesic, devant la Commission des affaires étrangères du Parlement Européen, qu’ « il n’y a pas d’alternative au dialogue entre Belgrade et Pristina ». Je considère cette déclaration comme un signe positif pour l’avenir, car je suis persuadé qu’un dialogue mené de bonne foi permettra, à terme, de résoudre mêmes les problèmes les plus difficiles.

Chers collègues,

Je voudrais également profiter de l’honneur qui m’est fait de pouvoir m’exprimer devant vous pour vous rendre compte de ma première année de présidence. L’APCE étant composée de représentants des Parlements nationaux, il est légitime, et même indispensable, que je rende compte à ceux-ci de ce qui a été fait par le Président de cette Assemblée qui est l’émanation de 47 parlements nationaux et qui représente 800 millions d’Européens.

Lorsque j’ai été élu le 23 janvier 2012, j’avais affiché trois priorités :

- Mettre en place avec l’Union européenne une relation de coopération confiante, de complémentarité, en mettant fin à une concurrence stérile.

- Apporter ma contribution à la résolution des conflits gelés.

- Rendre l’APCE plus pertinente, plus participative.

S’agissant de l’Union européenne, j’ai rencontré à plusieurs reprises le Président du Parlement européen, Martin Schulz, ainsi que les présidents de groupes politiques, les présidents de commissions et les parlementaires directement intéressés par nos travaux. Le Président Schulz devrait venir s’exprimer devant l’APCE en juin. Parallèlement, je me suis rapproché de la Commission européenne, et en particulier de Štefan Füle, en charge de la politique de voisinage et de l’élargissement.

Le Commissaire Füle est venu s’exprimer, à mon invitation, devant l’APCE en janvier et nous sommes convenus de nous rencontrer tous les deux mois, alternativement à Bruxelles et à Strasbourg.

Nous souhaitons nous concentrer sur des sujets d’intérêt commun, beaucoup d’États relevant de la politique de voisinage de l’Union européenne étant aussi membres du Conseil de l’Europe.

Notre priorité absolue doit être d’atteindre les objectifs que nous nous sommes assignés, à savoir un continent européen unifié et partageant les mêmes valeurs, la démocratie, l’État de droit et les droits de l’Homme. En conséquence, même si je n’ai jamais caché que je regrettais que l’Union européenne ait créé l’Agence des droits fondamentaux ou son Représentant spécial pour les droits de l’Homme et ne fasse pas plutôt appel aux organes du Conseil de l’Europe, ainsi notre Commissaire aux droits de l’Homme, je prends acte des réalités et j’ai entrepris les démarches nécessaires pour travailler avec ces organes de l’Union européenne. J’ai ainsi eu, à la fin de 2012, une rencontre très positive avec le Représentant spécial pour les droits de l’Homme de l’Union, M. Stavros Lambridinis, et j’ai bon espoir que notre collaboration soit fructueuse.

Ma deuxième priorité était d’apporter ma contribution à la résolution des conflits dits gelés.

Je commence par la Transnistrie. Je me suis rendu à deux reprises en Moldavie et dans cette région. Mon objectif est d’engager un dialogue entre des représentants du Parlement moldave et du Soviet Suprême de Transnistrie. J’ai également l’intention d’aborder ce sujet tant avec l’Ukraine, qui détient la présidence de l’OSCE, qu’avec la Russie. Dans deux semaines, je me rendrai à Kiev pour discuter de ce problème avec le Ministre des affaires étrangères de l’Ukraine, en vue d’une approche concertée ; et je visiterai Moscou en avril prochain.

Sur le Haut-Karabagh, je m’efforce également de faciliter un dialogue entre les parlementaires des deux États concernés, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, et ce alors que les deux pays sont appelés à prendre prochainement la présidence du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.

C’est dans cette logique que je vais me rendre à Baku à la fin du mois de mai, juste avant d’aller à Erevan, pour y participer aux réunions traditionnelles du Bureau et de la Commission permanente. J’espère beaucoup que je serais accompagné à Baku par des parlementaires arméniens et que les représentants azéris prendront part aux réunions à Erevan.

Au-delà de ces conflits spécifiques, je voudrais surtout proclamer ma haine de la guerre et de son inévitable cortège de morts, de victimes civiles, de personnes déplacées, de familles séparées… Le Conseil de l’Europe a été créé en 1949 pour que l’on puisse dire « plus jamais ça » !

De manière générale, alors que nous assistons, du fait de la crise économique, à la montée de l’intolérance, des extrémismes de tout poil, de la xénophobie et de la recherche de boucs émissaires sur notre continent, alors que la tentation est de prêcher le chacun pour soi et le retour au nationalisme, je suis convaincu au plus profond de mon être qu’il ne nous faut pas moins d’Europe, mais plus d’Europe. Une Europe plus solidaire, une Europe fière de ses valeurs, une Europe forte et ouverte sur son voisinage.

Un seul exemple pour illustrer mon propos. J’ai eu l’occasion, au début du mois de janvier, de visiter des camps de rétention de migrants en situation irrégulière en Grèce. Au-delà de l’indicible horreur que j’ai ressentie en voyant ces femmes et ces enfants détenus dans d’ignobles conditions, j’ai surtout ressenti presque physiquement le besoin d’une Europe plus solidaire. Il va en effet de soi qu’aucun Etat ne peut faire face à lui seul à une arrivée massive de réfugiés et de migrants de divers pays en crise ou en guerre ; c’est un problème auquel ont été confrontés votre pays et votre région et que vous connaissez, malheureusement, beaucoup mieux que moi.

C’est pour cela que j’appelle tous les États du continent européen à faire preuve de solidarité pour faire face aux conséquences de ces situations tragiques, passées et présentes, et quels que soient les pays concernés.

Je souhaite une Assemblée parlementaire plus pertinente et plus participative.

Brièvement, j’ai tout d’abord toujours défendu l’idée d’une action commune des organes du Conseil de l’Europe, afin de rendre nos actions plus efficaces et plus visibles. C’est dans cette perspective que je me suis rendu par exemple en Tunisie avec le Président du Comité des ministres, le Ministre des affaires étrangères albanais, et le Président de la Commission de Venise.

Je me suis également efforcé d’améliorer, avec succès, me semble-t-il, les relations avec le Comité des Ministres.

Enfin, nous nous targuons d’être la maison de la démocratie. Le moins que nous puissions faire est de mettre en pratique ce que nous prêchons. C’est la raison pour laquelle j’ai entrepris de mieux associer les membres de l’APCE au fonctionnement de leur Assemblée.

J’ai ainsi associé les Présidents de Commissions au Comité présidentiel et à la préparation de l’ordre du jour ; de même, ai-je décidé d’organiser une rencontre lors de chaque partie de session avec les Présidents de délégations nationales.

Le lien avec les Parlements nationaux est en effet fondamental pour l’APCE et c’est la raison pour laquelle je tiens, en conclusion, à vous renouveler mes remerciements pour votre invitation et pour votre attention.


1 Toute référence au Kosovo mentionnée dans ce texte, que ce soit à son territoire, ses institutions ou sa population, doit se comprendre en pleine conformité avec la Résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies et sans préjuger du statut du Kosovo.