23.06.08

ALLOCUTION D’OUVERTURE

MONSIEUR LLUĺS MARIA DE PUIG

PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE

PARTIE DE SESSION DE JUIN 2008

(Strasbourg, Lundi 23 juin 2008, 11h30)


Mesdames et Messieurs, chers collègues et amis,

L’ouverture de chaque partie de session constitue toujours une occasion de nous poser la question : qu’est-ce qui a changé autour de nous, et dans le monde ?

Même si un changement radical n’est pas perceptible en l’espace de deux mois, nous nous sommes enfin rendus compte que d’ici quelques décennies nous vivrons dans un monde totalement méconnu. Un monde où les ressources à partir desquelles s’est bâtie la civilisation humaine, seront presque inexistantes.

Il est encore dur même d’imaginer ce monde – et pourtant ce sera celui de nos enfants, et même des plus jeunes d’entre nous. Le temps est donc venu de nous rendre compte que tout notre développement ultérieur, en tant qu’humanité et en tant que société, ne dépendra que de nous-mêmes.

De notre capacité d’innover et de créer de nouvelles richesses - mais aussi de notre sagesse et habilité de les distribuer de façon plus juste et plus équitable, afin d’éviter de nouveaux fossés entre riches et pauvres et de là, de nouveaux conflits dévastateurs.

La flambée du prix du pétrole ; l’augmentation du coût de la vie qui devient insupportable pour un nombre croissant de personnes ; l’ombre de la récession économique qui menace ce monde interdépendant ; les catastrophes naturelles à répétition qui nous font réaliser à quel point nous sommes fragiles: autant de préoccupations graves auxquelles, avouons-le, nous n’avons pas de réponses adéquates, ni à court, ni à long terme.

On a souvent tendance à dissocier les questions d’économie, agriculture et environnement des objectifs fondamentaux de notre organisation. Il ne s’agit pas de changer d’orientation ; il s’agit tout simplement d’admettre à quel point tout ce qui touche à la vie humaine et au fonctionnement de nos sociétés est lié aux droits de l’homme.

Il s’agit d’élargir notre horizon et traiter les questions dans leur complexité, justement pour pouvoir mieux défendre les droits de l’homme.

Car le droit d’avoir de quoi se nourrir, s’habiller et se loger, c’est un droit essentiel de la personne. Le droit de pouvoir travailler pour gagner sa vie et bénéficier d’une protection sociale digne est un droit de l’homme. Et le droit de vivre dans un environnement sain est aussi un droit de l’homme, comme je l’ai affirmé à l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement, en souhaitant l’élaboration d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme.

Le Conseil de l’Europe constitue une plate-forme idéale pour nous permettre d’avancer ensemble, autour des valeurs qui nous unissent et des préoccupations que nous partageons. Le mois dernier, à la Haye, le Mouvement européen a fêté le 60ème anniversaire du processus qui a lancé la construction européenne et dont le premier résultat concret fut la création du Conseil de l’Europe.

J’ai rappelé à cette occasion aux responsables de l’Union Européenne que l’Europe, c’est l’ensemble des pays européens. Certains de ces pays ne feront peut-être jamais partie de l’Union Européenne, mais chez nous ils œuvrent tous ensemble, sur un pied d’égalité.

Nous, les parlementaires, avons une responsabilité particulière, puisque nous exprimons la voix du peuple. Je voudrais mentionner dans ce contexte la Conférence Européenne des présidents de parlement qui s’est tenue ici à Strasbourg les 22 et 23 mai 2008 et qui nous a fourni un vrai éventail de bonnes idées et de recommandations dans deux domaines essentiels : les relations avec la société civile et la contribution que les parlements peuvent apporter pour consolider nos valeurs dans l’ensemble du continent européen.

Il n’est d’ailleurs pas surprenant que le modèle du Conseil de l’Europe devienne de plus en plus attrayant pour d’autres parties du monde. En premier lieu, nous devons poursuivre et développer la coopération dans le bassin méditerranéen, qui est le berceau de la civilisation européenne.

La nature de notre organisation la rends parfaitement adaptée à cette tâche, car notre plus grande force est le dialogue et le partage des idées et des valeurs.

Le parlementarisme international est en plein essor – j’aurai d’ailleurs le plaisir, ce mercredi à 13 heures, de vous présenter ma dernière publication, une recherche sur toutes les assemblées parlementaires internationales qui existent dans le monde. Un grand nombre d’entre elles œuvrent dans la même direction que nous, pour la défense des droits de l’homme, de la démocratie pluraliste et de l’Etat de droit. Pendant mon mandat, je compte donc intensifier les relations avec certaines de ces assemblées. A titre d’exemple, je viens de rentrer d’une visite au Parlement latino-américain avec lequel nous avons décidé de coopérer plus étroitement et de tisser davantage de liens.

Chers collègues,

Si nous voulons mettre notre expérience au service des autres, nous devons être irréprochables envers nous-mêmes, de point de vue de nos propres valeurs. Certes, l’Europe des 47 Etats que nous représentons est en soi-même un succès énorme. Mais de nombreuses préoccupations subsistent dans plusieurs Etats-membres.

Je commencerai par l’Europe de Sud-Est. Alors que le Kosovo essaie d’affirmer une identité étatique, le plus récemment par l’entrée en vigueur d’une constitution, l’Europe reste tout aussi divisée sur la question.

J’espère sincèrement qu’en Serbie, le dilemme entre un futur européen et un passé sombre va être résolu dans le meilleur intérêt des citoyens de ce pays, qui ne méritent pas l’isolation. Je suis très heureux que nous ayons la possibilité d’en dialoguer ce jeudi avec le Président Tadic.

Un débat d’urgence a été demandé sur les développements récents concernant le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie. Il est normal dans toute démocratie d’avoir des idées et visions différentes. L’essentiel, c’est de régler les différends par des moyens démocratiques et conformes aux valeurs du Conseil de l’Europe. J’espère que les institutions turques assumeront leurs responsabilités. Mais nous avons aussi une responsabilité, celle de donner à la Turquie une perspective européenne claire et sans équivoque.

De graves préoccupations subsistent dans le Caucase, aussi bien à la suite des élections présidentielles en Arménie qu’à la veille des élections présidentielles en Azerbaïdjan. J’aurai l’occasion de visiter ces deux pays au mois de juillet. Je tâcherai de visiter dès que possible également la Géorgie, où la situation politique interne n’est nullement facilitée par les menaces sur sa sécurité et souveraineté nationales en Abkhazie et Ossétie du Sud.

Chers collègues, en même temps, j’aimerais également exprimer mon vif espoir à l’égard de Chypre. J’espère que l’île deviendra un exemple de réunification pacifique, au nom du futur prospère de tous ses habitants. Chers amis des deux communautés, vous pouvez compter entièrement sur notre soutien.

Finalement, la Russie, un pays dont nous attendons beaucoup. Je suis très encouragé par les déclarations du nouveau Président russe, M. Medvedev, qui s’est engagé à construire « une société libre » en Russie et en faveur d’au nouveau accord entre la Russie, l’Union Européen et les Etats-Unis.

Chers amis,

Dès mon premier jour à cette présidence, j’ai partagé avec vous mon souhait d’une Europe plus humaine. Une Europe à l’écoute de ses citoyens et ouverte sur le reste du monde. J’ai peur que cette Europe peine à se concrétiser et même, dans certains domaines, recule. Certes, le libéralisme économique reste le moteur de la croissance et de la prospérité. Mais nous devons être vigilants pour que les lois des marchés restent toujours compatibles avec les droits de l’homme, avec les droits sociaux et civiques.

Un des exemples les plus frappants est celui de la hausse de la production des biocarburants, très rentable, mais qui provoque la famine dans des régions entières du monde. Mais il ne faut pas aller toujours aussi loin de chez nous pour nous inquiéter : prenons l’exemple de la récente directive européenne qui, tout en fixant la durée du travail à 48 heures, laisse la possibilité d’aller jusqu’à 65 heures!

Nous devons être tout aussi vigilants lorsque des préoccupations d’ordre sécuritaire peuvent aller à l’encontre de droits fondamentaux de la personne. Il se peut qu’une soi-disant «sécurité » provoque de graves tensions dans la société et engendre, au contraire, une plus grande insécurité. Le débat en cours sur l’immigration en Europe et surtout l’adoption en mai dernier en Italie d’un paquet législatif sur la sécurité soulève de sérieuses questions. Sommes-nous vraiment prêts à appliquer les mêmes poids et mesures à nous-mêmes et aux autres ?

Je suis très préoccupé par le fait que les difficultés que je viens de citer et bien d’autres, plutôt que de nous mobiliser et unir, servent de raison à un nombre considérable de citoyens pour remettre en question la future construction européenne. On l’a vu avec le « non » français et néerlandais au projet de constitution européenne, on vient de le revoir avec le « non » irlandais au projet de traité de Lisbonne. Nous ne pouvons plus continuer sur cette voie. Le dialogue et l’échange d’idées sont une nécessité vitale, car nous devons trouver des réponses communes.

J’espère donc que nous profiterons pleinement de cette opportunité unique de nous retrouver tous ensemble ici à Strasbourg quatre fois par an. Je vous souhaite des débats fructueux et constructifs. J’espère aussi que nous emmènerons au retour dans nos pays plein d’idées qui nous permettront d’avancer, chacun chez soi et tous ensemble.