27.04.09 – REVISE

DISCOURS DE MONSIEUR LLUÍS MARIA DE PUIG,

PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE,

A L’ OCCASION DU 60EME ANNIVERSAIRE DU CONSEIL DE L’EUROPE

(Strasbourg, 27 avril 2009, 12h45, hemicycle)


Chers collègues, chers amis,

Comme Paul-Henri Spaak le disait dans le film que nous venons de voir, peut-être fallait-il un brin de folie à ces grands hommes qui, il y a 60 ans, à l’issue de la guerre la plus meurtrière de l’histoire de l’humanité, ont juré de faire disparaître ce cauchemar et de lui substituer un beau rêve – celui d’une Europe unie.

Ils ne se sont pas arrêtés à la rêverie, mais ont tout mis en ouvre pour transformer le rêve en réalité. D’autres ont pris la relève et petit à petit, brique par brique, ils ont construit ce que nous avons l’habitude d’appeler maintenant la grande maison européenne.

Cette maison, qui abrite la grande famille européenne, c’est le Conseil de l’Europe.

En célébrant son 60-ème anniversaire, pouvons-nous dire le cœur net que le rêve est devenu réalité ?

Nous avons de bonnes raisons de répondre par l’affirmative. Rassembler tous les pays d’un continent, aux histoires, cultures, langues et expériences aussi diverses que possible autour d’idéaux et principes communs : c’est le projet politique le plus courageux et sophistiqué que l’histoire ait jamais connu.

Le rôle que le Conseil de l’Europe joue non seulement en Europe, mais aussi à l’échelle mondiale, est surtout celui de démontrer que la sécurité et le bien-être des gens ne sont pas juste une question de défense et de marché. La viabilité de l’organisation pendant ces 60 années est la preuve que les piliers de toute société au visage humain sont la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit. Par son action, le Conseil de l’Europe a ébranlé les théories qui dominaient la vie politique pendant des siècles, à savoir qu’il y avait des peuples, des cultures et des conditions socio-économiques qui étaient prédestinés à la démocratie et d’autres qui ne l’étaient pas. Aux essais d’exporter, d’implanter la démocratie ou même de l’imposer par des bombes, comme on l’a vu en Iraq, notre organisation a opposé une force tranquille mais puissante. Tous les jours, il cultive la démocratie à travers le continent par les méthodes du dialogue, la participation et la coopération. Il inspire aussi d’autres pays du monde qui croient en ces mêmes principes.

Le Conseil de l’Europe, c’est surtout une force morale. Elle s’exerce de multiples façons mais dans le même but : par les jugements de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui cette année fête ses 50 ans ; par le Comité des Ministres qui représente les gouvernements ; par l’institution de Commissaire aux Droits de l’Homme ; par la Commission de Venise ou le Centre de Jeunesse pour n’en citer que quelques-uns ; et, bien sûr, par cette Assemblée qui représente la voix de 800 millions d’Européens par la biais de leurs élus.

Le Conseil de l’Europe, c’est aussi un concentré de matière grise : une richesse inestimable de normes juridiques, d’expériences et de bonnes pratiques de 47 Etats membres. Cette richesse est mise généreusement au service de ces citoyens et de tous les autres pays qui souhaitent partager nos standards.

Le Conseil de l’Europe, c’est aussi un détecteur de nouvelles tendances et générateur de nouvelles idées. Il est à la tête de la réflexion sur des sujets aussi divers que cruciaux comme la bioéthique, la cybercriminalité, la traite des êtres humains, la corruption…

L’union fait la force ; de ce point de vue, être à 47 est en soi-même un bel accomplissement.

Pendant des années, les objectifs devant notre organisation étaient clairs peut-être précisément à cause de cette forte composante quantitative : Maintenant nous faisons face à une nouvelle étape où nous devrons nous poser des questions d’ordre de plus en plus qualitatif.

La démocratie n’est pas un concept figé, gravé dans le marbre. Elle évolue avec la société, or nous vivons précisément un moment où la société est en plein bouleversement.

Le doute est une des forces motrices de la démocratie. Et la vie de tous les jours nous pose des questions dont les réponses ne sont pas simples. Quelle sera la démocratie de demain – locale ou centralisée, participative ou représentative ? Deviendra-t-elle une démocratie électronique ? Comment trouver le juste équilibre entre règulations nationales et supranationales ? Comment gérer la prétendue démocratie qui se transforme en sa propre négation soit par le haut (des autorités qui inventent leurs propres règles de jeu), soit par le bas (les « casseurs », ceux qui s’opposent aux injustices en démolissant tout autour d’eux ?) Comment garantir la sécurité des citoyens contre les attaques terroristes fanatiques, ou comment garantir leur prospérité contre les dérives du système financier, sans pour autant tomber dans la régulation excessive qui sape la liberté individuelle et porte atteinte aux droits fondamentaux ? Comment considérer les nouvelles formes d’organisation sociétale engendrées par Internet ?

En plus de toutes ces questions qui attendent nos réponses, la réalité de tous les jours en Europe ne fait pas toujours rêver.

Même si la guerre ne s’est plus reproduite pendant ces 60 ans à la même échelle, notre continent a traversé 40 ans de guerre froide et a été par la suite le théâtre de guerres brûlantes, dans les Balkans et encore l’année dernière entre deux de nos Etats membres, la Géorgie et la Russie. Des conflits dits « gelés », mais qui sont plutôt des volcans dormants, cachent des risques graves d’éruption à plusieurs endroits en Europe. La démocratie reste hésitante et fragile dans des sociétés marquées par des décennies de totalitarisme. Et les dérives, mêmes dans des démocraties matures, secouent nos sociétés.

Notre travail n’est donc pas achevé. La démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit sont des valeurs puissantes, mais aussi fragiles. Elles demandent qu’on s’en occupe, qu’on s’en soucie et qu’on les protège. Ceci restera la mission principale de notre organisation.

Chers amis,

Souvenez-vous que ce que le mot « mondialisation » a été au début associé aux deux guerres du 20-ème siècle, qui ont pris un caractère mondial. Heureusement, la mondialisation a depuis emprunté un autre chemin, celui du rapprochement et de l’abolition des frontières par le biais des les échanges commerciales, culturelles et humaines, et surtout grâce au développement fulgurant des télécommunications.

Le Conseil de l’Europe s’est inscrit dans cette tendance naturelle de l’histoire humaine récente et c’est peut-être ce qui a garanti une partie de son succès.

Mais les défis ont pris eux-aussi un caractère global et c’est ce qui caractérisera désormais l’action du Conseil de l’Europe.

Le terrorisme international est devenu un nouveau défi global. C’est une des façons dont s’expriment la haine, le racisme, la xénophobie et le fanatisme religieux. Et aussi l’intolérance et la discrimination subsistent dans la vie ordinaire de tous les jours.

Le réchauffement climatique est un autre grand défi. Non seulement il menace la survie de populations entières, mais il comporte le risque de cataclysmes sociaux à cause des déplacements massifs de populations attendus à l’échelle mondiale.

Chers amis,

Je n’ai pas l’intention de dresser un tableau pessimiste mais seulement de souligner autant de bonnes raisons pour que le Conseil de l’Europe poursuive sa mission.

Notre premier devoir, c’est de ne pas oublier le slogan des pionniers de l’intégration européenne « plus jamais ». Personne n’est jamais à l’abri de nouvelles dérives et c’est pourquoi nous devons rester vigilants pour ne laisser jamais se reproduire les fléaux que les fondateurs de notre organisation ont voulu éradiquer.

Nous devons aussi rester fidèles à nos principes et valeurs. En même temps, nous devons essayer de trouver des idées novatrices pour les appliquer là où la culture démocratique avance plus lentement.

Nous devrions en même temps réfléchir à de nouveaux mécanismes qui permettront à l’organisation de mieux s’affirmer dans ces pays membres et sur la scène internationale. Il s’agit, quand il le faut, de faire observer ses décisions là où elles se confrontent à l’indifférence ou au manque de volonté politique. Au même temps, nous devons préserver notre caractéristique essentielle, la liberté intellectuelle qui va au-delà des intérêts politiques et nationaux.

Avec le Conseil de l’Europe, nous possédons un pouvoir dont nous ne sommes pas toujours pleinement conscients. Il y a 60 ans, les fondateurs avaient le pouvoir de leurs rêves. Aujourd’hui, notre pouvoir est bien réel, c’est le pouvoir de tous les pays d’un continent unis ensemble. Ne le gaspillons pas, utilisons-le à sa juste mesure.

Chers amis, 60 ans ne sont qu’un court passage dans l’histoire de l’humanité, mais ils représentent presque une vie humaine entière. Quelle sera la vie de ces hommes et ces femmes qui feront partie de l’histoire future de l’Europe ? C’est justement le défi que nous devrions poser aujourd’hui, en célébrant notre passé mais en essayant aussi de prendre un nouveau départ. Le chemin que nous suivrons devra être guidé par notre sens de responsabilité pour les générations futures.

Je vous remercie.