22.06.09 – Finalisé

ALLOCUTION D’OUVERTURE

MONSIEUR LLUÍS MARIA DE PUIG

PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE

PARTIE DE SESSION DE JUIN 2009

(Strasbourg, 11h30, 22 juin 2009)


Chers collègues, chers amis,

Je suis heureux de vous souhaiter la bienvenue à Strasbourg pour une partie de session très dense.

Un des plus grands succès du Conseil de l’Europe est d’avoir réuni sous le même toit tous les pays du continent. Mais cette joie est toujours ternie par le fait que la phrase ne s’arrête jamais là, qu’il faut toujours y ajouter une seule et regrettable exception, le Belarus. Cette exception a de bonnes raisons d’exister : c’est que nous, en tant que communauté de valeurs, ne pouvons pas faire d’exception à ce qui nous unit, à nos normes et idéaux. Et jusqu’à présent les efforts que le Belarus avait fait pour se rapprocher de notre organisation n’étaient pas suffisants. Mais cette semaine nous allons nous interroger : est-ce que nos efforts l’étaient ? Est-ce que la raison d’être de notre organisation n’est pas justement l’effort d’encrer les notions de démocratie, droits de l’homme et état de droit là où ils sont en carence ?

Est-ce que notre grande force n’est pas justement l’habilité de briser les réticences et d’ouvrir de nouveaux horizons ?

Espérons donc que demain cette Assemblée adoptera une résolution qui demande de rétablir le statut l’invité spécial au parlement de Bélarus. Ce n’est qu’un premier pas et il sera assorti de conditions très strictes avant même de penser à un deuxième. Mais c’est une main tendue – aux autorités, et aussi à l’opposition qui auront tous les deux l’occasion de participer à nos travaux. J’ose être optimiste que cette ouverture portera ses fruits.

Ce vendredi notre Assemblée devrait adopter une résolution qui crée un nouveau statut - «partenaire pour la démocratie» - pour certains pays voisins du Conseil de l’Europe. En plus des parlements qui bénéficient d’un statut d’observateur, nous avons déjà d’excellents relations avec les parlements algérien, kazakh, marocain et tunisien, ainsi qu’avec le Conseil législatif palestinien. Il était grand temps de formaliser ces relations afin de leur donner un cadre clair et encore plus de substance.

D’ailleurs, ces derniers mois je me suis rendu en visite officielle dans les trois pays du Maghreb – au Maroc en février, en Algérie en mai et en Tunisie début juin - et je peux vous assurer que l’intérêt pour ce nouveau statut est énorme. Je suis donc sûr que de nombreux pays deviendront nos « partenaires pour la démocratie ».Je viens également de participer, avec le Comité des Présidents, à la dernière session de la Commission de Venise où je j’ai pu constater à quel point des pays du monde entier sont intéressés à profiter de notre savoir-faire en matière de démocratie et droits de l’homme.

Certains pourraient demander si l’ambition du Conseil de l’Europe à long terme est de continuer à s’élargir, quitte à devoir se renommer ? Ma reponse serait « non » : en tant que structure et champ d’action notre organisations restera centrée sur l’Europe. Mais je pense que la vraie question n’est pas là. Il me semble que nous ne nous rendons pas toujours suffisamment compte à quel point les normes juridiques et la culture démocratique que notre organisation a crées sont un point de référence pour le reste de la communauté internationale.

La notion d’Europe, pour le Conseil de l’Europe, ne devrait pas être juste une notion géographique, mais un label de qualité démocratique.

Paradoxalement, là où cette qualité démocratique est en carence, on demande plus d’Europe, alors que là où l’Europe est une réalité politique dotée de ses propres institutions, on tend à l’ignorer. Prenons, d’un côté, l’exemple de l’Arménie, un pays qui va nous occuper pendant cette partie de session, où la Moldova dont la situation postélectorale et pré-électorale, à cause de nouvelles élections anticipées, nous inquiète aussi. Dans les deux cas, les pays souffrent d’une situation politique qui ne correspond pas à toutes nos normes et valeurs et où des élections tâchées de violence sont devenus l’expression de ces déficiences. Les opposants dans la rue, dont certains au risque de leur vie, ont demandé que les pays sa rapprochent à l’Europe.

En même temps, les récentes élections européennes ont été marquées par un taux d’abstention record, signe d’indifférence et résignation. Un terreau fertile pour les partis populistes ou d’extrême droite prônant le nationalisme et la xénophobie.

Ceci nous montre tous les efforts que nous devons encore déployer – ensemble – pour que l’Europe en tant qu’idéal corresponde à l’Europe en tant que réalité. Je compte d’ailleurs prendre contact avec le nouveau Parlement Européen et la nouvelle Commission Européenne dès que possible et je ferai tout pour que la bonne coopération que nous avons eue avec les institutions sortantes de l’Union Européenne se renforce davantage.

Le capital précieux que nous détenons est encore plus valable dans une période de crise, dans un monde où ceux qui nient l’Holocauste cultivent leurs propres armes de destruction massive ; où ceux qui nient le réchauffement climatique le précipitent en polluant l’atmosphère ; où ceux qui ruinent les gens ordinaires avec des schémas financiers absurdes se paient des fins de mois qui pourraient nourrir des populations entières.

Chers amis,

Jusqu’ici, je vous parlais de l’Europe en tant que valeur et idéal pour les autres. Mais le temps est venu aussi de voir ce que cette valeur et cet idéal signifient pour nous-mêmes, qui faisons partie du Conseil de l’Europe. Cette réflexion devrait se faire en regardant en arrière et puisant de la force dans les 60 années d’existence de notre organisation, mais surtout, en regardant devant nous et essayant d’assurer un avenir digne pour le Conseil de l’Europe et ses 800 millions de citoyens. Ce regard vers l’avenir s’est concentré ces derniers mois dans les débats sur l’élection du futur Secrétaire Général du Conseil de l’Europe. Un poste-clé qui, nous en sommes tous convaincus, devrait être occupé par une personnalité forte, avec une vision politique qui soit à la hauteur des défis devant nos sociétés et notre organisation et qui ait des capacités individuelles qui lui permettent de mettre cette vision en œuvre.

Comme vous le savez, lors du processus de sélection des divergences importantes sont apparues entre les deux organes statutaires du Conseil de l’Europe – le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire. Certains ont vu dans les débats entre les deux des luttes partisanes, où chaque côté défend ses propres intérêts corporatifs. Je déplore une telle vision et surtout une telle démarche corporative qui ait pu guider certains.

La vraie question qui nous anime, c’est celle de notre propre conscience morale – si nous voulons être la conscience morale de l’Europe, et de notre propre fonctionnement démocratique – si nous voulons être la référence démocratique de l’Europe.

Le Conseil de l’Europe a été créé à l’instar d’une société démocratique réelle, avec ses trois pouvoirs – exécutif, législatif et judiciaire – chacun doté de ses propres compétences et opérant de façon indépendante.

On ne peut pas dire que le Conseil de l’Europe est uniquement une organisation intergouvernementale ; elle est tout aussi interparlementaire et est dotée d’une Cour supranationale, unique au monde.

L’Assemblée parlementaire, même si elle ne dispose pas de pouvoirs législatifs comme dans les parlements nationaux, est l’émanation de la volonté du peuple. Elle est aussi unique dans la mesure où elle représente les parlements nationaux mais en même temps exprime une sorte de conscience collective qui va au-delà des clivages nationaux et des allégeances idéologiques. Quelle meilleure expression de cette conscience collective que le fait que la Résolution que nous avons adoptées en avril sur le processus d’élection du Secrétaire Général, ainsi que la position commune que la Commission permanente a prise à Ljubljana, étaient quasi unanimes, sans distinction de nationalité ni de groupe politique.

Je ne vais pas entrer dans les détails des divergences avec le Comités des Ministres, je préférerais mettre en avant ce qui nous unit, ce qui devrait nous unir : le souci de choisir le meilleur candidat ; le souci qu’il soit élu avec le plus grand soutien politique possible ; le souci de préserver et améliorer le dialogue au sein de l’organisation; le souci de préserver et renforcer nos propres mécanismes de fonctionnement démocratiques.

L’opposition de l’Assemblée à la procédure d’élection qui a été suivie est donc une opposition basée sur des principes et valeurs et non pas, comme certains ont voulu faire croire, sur des préférences de candidats. L’Assemblée observe des élections dans beaucoup de ses Etats membres pour s’assurer qu’elles correspondent à des normés démocratiques. Elle a été donc très troublée de constater au cours du processus de sélection une procédure qu’elle a jugée irrégulière, car non-respectant des normes essentielles. Voici les éléments principaux auwquels les parlementaires se sont opposés :

•       que les règles du jeu changent en cours d’élection, en ajoutant de nouveau critères ;

•       que les critères dits « Juncker » ait été utilisés de façon subjective pour exclure des candidats ;

•       qu’une sélection des candidats se soit faite avant la consultation obligée avec l’Assemblée prévue selon la procédure ;

•       qu’aucune explication ne soit donnée sur les raisons de sélection de tel ou tel candidat et d’exclusion des autres ;

•       que les parlementaires doivent faire face à un non-choix politique, puisque les deux candidats restants sont du même bord politique ;

De l’avis de l’Assemblé, il s’agit donc d’un non-respect de procédure; ce qui est à autant un problème juridique qu’un problème éthique et moral. En plus, toutes les demandes de l’Assemblée de réviser la procédure – exprimées dans la résolution adoptée au mois d’avril et la prise de position adoptée à Ljubljana – ont été rejetées par le Comité des Ministres.

Je vous assure que personne à l’Assemblée ne veut une crise institutionnelle, au contraire. Mais nous avons dû faire face à un dilemme très difficile : ne pas élire dans l’immédiat un nouveau Secrétaire Général ou admettre une procédure d’élection qui ne corresponde pas à nos principes et valeurs. Depuis le début donc l’Assemblée, et moi en tant que Président, nous sommes efforcés à régler les problèmes dans le souci de dialogue et respect mutuel. Je pense que cette démarche a porté ses fruits. Je tiens à rendre hommage à deux Présidents du Comité des Ministres successifs, l’espagnol Miguel Angel Moratinos et le Président actuel, le Slovène Samuel Zbogar, qui ont engagé un vrai dialogue avec l’Assemblée.

Pendant la session d’avril M. Moratinos a longuement discuté avec le Comité des Présidents ; ensuite à Ljubljana, lors de la Commission permanente, M. Zbogar a répondu à toutes les questions des parlementaires et a écouté attentivement tout ce que nous avions à dire pendant le débat d’actualité sur le processus d’élection du Secrétaire Général. Il a ensuite organisé une réunion entre le Bureau du Comité des Ministres et le Comité des Présidents de l’Assemblée à Bruxelles le 18 juin qui s’est déroulée dans une atmosphère constructive. Mais les divergences sont toujours là

Chers amis,

La décision comment résoudre la question de l’élection du Secrétaire Général repose maintenant sur nous. Je suis convaincu que nous l’assumerons avec tout le sens de responsabilité et de souci pour l’avenir du Conseil de l’Europe qui nous ont guidés jusqu’à présent. L’attitude de l’Assemblée sera toujours celle du dialogue, de la coopération, de la recherche d’un accord. Chaque problème a une solution ; nous avons plein de propositions constructives et espérons que notre main tendue ne restera pas dans l’air.

Je vous en remercie.