(Seul le texte prononcé fait foi)

Discours de M. Adrian Nastase,
Premier Ministre de Roumanie

[Extrait des comptes-rendus des débats de l'Assemblée]

30.09.2003

Monsieur le Président, très distingués membres de l'Assemblée, mesdames, messieurs, c'est un très grand plaisir pour moi d'être dans cet hémicycle de l'Assemblée parlementaire. Permettez-moi d'abord de remercier M. Peter Schieder, le Président de l'Assemblée, ainsi que ses collègues pour l'aimable invitation qui m'a été faite de m'adresser à ce conclave de démocrates qui illustre l'essence même de l'esprit européen.

En janvier 2001, j'ai eu l'honneur de m'adresser à l'Assemblée, à cette même tribune, peu après avoir pris mes fonctions de Premier Ministre. Ce fut alors l'occasion de faire mes adieux aux collègues parlementaires du Conseil de l'Europe et de rendre hommage à l'Assemblée pour son travail remarquable au service de la démocratie et de l'Etat de droit. Aujourd'hui, j'ai l'opportunité de vous associer à une réflexion sur le passé et sur l'avenir en partant de plusieurs bilans.

Le 7 octobre prochain, la Roumanie marquera le dixième anniversaire de son adhésion au Conseil de l'Europe. Durant cette période, ce dernier s'est donné un nouveau visage en passant de 33 membres, en 1993, au Sommet de Vienne, à 45 membres aujourd'hui. La vocation paneuropéenne de cette organisation unique qui _uvre pour la promotion des valeurs et des principes de la démocratie, de l'Etat de droit et des droits de l'homme a été plus d'une fois confirmée par les développements de notre continent. L'Union européenne et l'OTAN connaissent un élargissement historique. Tout au long de ce processus, le Conseil de l'Europe a constitué un facteur d'unité autour du noyau formé par les principes et les valeurs essentielles de la démocratie. Cette vocation du Conseil s'affirmera encore à l'avenir.

Mesdames, messieurs, la présence de nos parlementaires au sein de cette Assemblée a marqué toute une génération politique en Roumanie, avec des effets incontestables sur la construction d'un État démocratique. Depuis la fin de la guerre froide, la Roumanie a participé activement aux initiatives qui ont marqué l'évolution de l'architecture européenne. Elle a également été un acteur et un sujet de transformations démocratiques associées à cette évolution. Dans la société roumaine actuelle, pleinement intégrée dans le modèle européen, le rôle et l'action du Conseil de l'Europe ont une signification toute particulière.

Promouvoir par la stabilité politique interne la stabilité démocratique au niveau régional et paneuropéen est un autre volet de l'action du Conseil de l'Europe où la Roumanie s'est insérée en partenaire digne de confiance.

Dès le début des années 90, lorsque le processus d'élargissement vers l'Est a été lancé, le Conseil de l'Europe a fait valoir sa capacité à renforcer la sécurité et la stabilité du continent par la voie du dialogue et de la réconciliation entre Etats. C'est surtout dans ce domaine que les instruments juridiques, les normes et les mécanismes du Conseil de l'Europe ont fait la preuve de leur valeur et de leur efficacité.

La Roumanie aborde actuellement une nouvelle phase de réformes institutionnelles qui ont cycliquement marqué notre passage du stade de pays en transition à celui de démocratie consolidée. C'est une réalité reflétée dans le nouveau statut de la Roumanie en Europe et dans l'espace euro-atlantique.

Le Conseil de l'Europe est un compagnon de longue route pour la Roumanie. Je le répète, il a été et reste un partenaire essentiel sur le chemin des réformes institutionnelles lancées au début des années 90. L'exemple le plus révélateur est la contribution de l'organisation de Strasbourg à l'élaboration de notre Constitution en 1991. Pendant les dix années de présence de la Roumanie au Conseil de l'Europe, l'action de nos principaux acteurs politiques et sociaux - le gouvernement, le parlement, les autorités locales, la société civile - a été animée par la logique démocratique propre au Conseil de l'Europe. Notre réforme institutionnelle qui porte notamment sur la justice, les affaires internes, la capacité administrative est indissociablement liée à l'assimilation des standards démocratiques promus par le Conseil de l'Europe.

Il ne s'agit pas seulement de réguler en fixant des normes mais surtout de créer de vrais réflexes démocratiques au niveau individuel et social. Cet automne, les citoyens roumains sont appelés à adopter par la voie référendaire le projet de révision de la Constitution, et à marquer ainsi l'adaptation de la loi fondamentale au statut de futur membre de l'Union européenne. Je tiens à remercier ici les experts de la commission de Venise pour leur contribution à cet acte fondamental si important pour l'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne.

Quant au renforcement de la capacité administrative, nous estimons que la décentralisation est nécessaire, puisqu'elle répond à l'exigence de rapprocher les citoyens du pouvoir de décision. L'expérience des autres Etats, dont la France, montre néanmoins que la réforme transversale de par sa nature n'est pas facile à mener et qu'il faut veiller, d'une part, à ce que le transfert de compétences soit associé au transfert de moyens et, d'autre part, à ne pas laisser de place à un intégrisme décentralisateur.

Les autorités roumaines ont déjà engagé une réflexion au niveau national en utilisant l'expertise du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe afin d'établir le cadre d'une politique à moyen terme en la matière.

Le rapprochement entre les institutions de l'Etat et le citoyen constitue un objectif fondamental pour notre pays. Ce processus prend une signification spéciale dans la réforme de la justice en ce qui concerne la législation, les pratiques judiciaires et administratives. Dix ans après la ratification de la Convention européenne des droits de l'homme par la Roumanie, nous assistons à un réel approfondissement du degré d'assimilation de l'acquis de la Convention tel qu'il s'exprime dans les standards européens représentés par la jurisprudence de la Cour.

Tout récemment, nous avons décidé de transférer l'institution de l'agent du gouvernement du ministère de la Justice au ministère des Affaires étrangères. Cette décision rattache la Roumanie à d'autres modèles institutionnels du genre qui octroie au ministère des Affaires étrangères la responsabilité directe de la communication avec la Cour tout en permettant au ministère de la Justice et aux autres institutions de se concentrer entièrement à l'application des arrêts de la Cour et à procéder aux réformes qui pourraient s'avérer nécessaires dans la législation et la pratique judiciaire.

Mesdames, messieurs, il y a un rapport indéniable entre l'acquis démocratique de chaque Etat membre du Conseil de l'Europe et la stabilité démocratique d'une région de l'Europe dans son ensemble. Ce constat est aussi valable pour la question des minorités.

La contribution du Conseil de l'Europe au règlement du problème des minorités au plan européen et son travail régulateur en matière des droits de l'homme sont incontestables. Beaucoup d'entre vous dans cet hémicycle sont déjà familiarisés avec les débats à l'Assemblée qui ont conduit à l'adoption du rapport Jurgens. Le Conseil de l'Europe, la commission de Venise ont eu une contribution remarquable en ce qui concerne la confirmation des standards du Conseil de l'Europe en matière de minorités, tout en se délimitant de certaines propositions conceptuelles incompatibles avec ces standards.

Il y a quelques jours j'ai reçu M. Peter Medgyessy, Premier ministre de la Hongrie, à Bucarest. A cette occasion, nous avons signé l'accord bilatéral concernant les conditions d'application de la loi hongroise sur les facilités. C'était un moment fort, important, à valeur d'exemple pour la disponibilité au dialogue et l'esprit de responsabilité qui ont prévalu des deux côtés pour parvenir à cet accord. La commission de Venise, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et le Haut commissaire pour les minorités nationales de l'OSCE ont pu juger du juste équilibre trouvé autour des questions difficiles qui font l'objet de cet accord, ce qui nous autorise à dire que ce fut un succès commun, révélateur, illustratif pour la conscience politique et démocratique européenne.

Un Commissaire européen m'a fait remarquer que cela valait bien pour tous les deux un prix Nobel. C'était un peu exagéré. Je ne manquerai pas néanmoins d'évoquer du haut de cette tribune la qualité des relations entre la Roumanie et la Hongrie car j'estime qu'elles constituent une réussite au plan européen et suis persuadé que le Premier Ministre Peter Medgyessy confirmera cette analyse devant vous, après-demain. La signature de l'accord mentionné est une victoire diplomatique importante tant pour la Roumanie que pour la Hongrie. Ensemble nous avons gagné encore un combat au profit de l'Europe.

La stabilité et la sécurité européennes sont menacées quand les droits de l'homme et des minorités le sont. Ce constat est évident si l'on regarde autour de nous les conflits et les crises ayant déchiré les Balkans et le Caucase. L'intolérance ethnique, la discrimination et la haine ont été responsables pour une grande part de cette violence. Toutes les personnes appartenant aux minorités méritent la même attention et, par conséquent, un traitement égal de la part des gouvernements dont ils sont citoyens. Le chemin de la démocratie ne peut être fondé que sur cette approche.

Comme vous le savez sans doute, quelques millions de Roumains vivent hors des frontières de la Roumanie. Très bientôt, nous allons promouvoir un projet de loi pour les soutenir, préserver et affirmer leur identité culturelle et linguistique conformément aux standards contenus dans les documents européens et internationaux en la matière.

Poursuivant en anglais (Interprétation), le Premier Ministre indique combien la contribution du Conseil de l'Europe à la mise en _uvre des critères de Copenhague est précieuse pour la Roumanie. La coopération avec le Conseil de l'Europe a permis au gouvernement roumain de réformer la justice et l'administration publique. Les relations avec l'Organisation ont aussi été de première importance pour assurer la cohésion sociale, permettre l'intégration des Roms et mieux protéger la petite enfance.

S'agissant des Roms, une solution européenne intervenant dans le cadre d'une perspective sociale serait la plus appropriée. La Roumanie approuve totalement le Conseil de l'Europe dans ce domaine. Une campagne durable est menée en Roumanie pour sensibiliser et informer la population contre la montée de la xénophobie, de l'antisémitisme et de l'intolérance.// Un médiateur a été récemment institué et joue d'ores et déjà un rôle important dans la défense des droits et libertés des citoyens et dans leur sensibilisation à ces questions.

L'objectif central de la Roumanie est de conclure en 2004 les négociations en vue d'une adhésion à l'Union européenne en 2007. Son gouvernement a suivi avec intérêt la réunion conjointe de l'Assemblée et du Parlement européen sur le thème : « Construire une Europe des valeurs ». L'Assemblée a confirmé qu'elle jouait un rôle moteur dans la promotion de cette idée et les Roumains se réjouissent de prendre part à cette réflexion, ce à tous les niveaux. Ils ont d'ailleurs contribué au débat engagé dans le cadre de la Convention et le projet de constitution européenne tient compte de leur point de vue. L'orateur estime que le travail accompli par la Convention ne doit en aucun cas être compromis, même s'il mérite certains éclaircissements : trop d'institutions et de gouvernements y ont mis du leur pour qu'une renégociation ne se révèle pas malheureuse.

Le poids politique accru de l'Union européenne doit aussi se traduire sur la scène internationale. L'Europe a en effet des responsabilités importantes à assumer pour garantir une gestion de la mondialisation selon des principes éthiques, mais aussi pour promouvoir son modèle social et économique de développement. Une Europe plus forte et parlant d'une seule voix sera à même d'apporter une contribution essentielle à la sécurité mondiale, en accord avec ses partenaires atlantiques.

M. Nastase est persuadé que le débat sur l'avenir de l'Europe exige la tenue d'un troisième sommet du Conseil, chargé de définir le rôle futur de l'Organisation. La Roumanie entend participer à la préparation de cette rencontre, convaincue que la vocation du Conseil est de jouer un rôle paneuropéen, au service de valeurs partagées. En encourageant la démocratie et le dialogue entre les cultures et les religions, il peut tenir une place accrue dans la lutte contre le terrorisme - et le soutien de la Roumanie ne lui fera pas défaut dans cette tâche.

La réforme de la Cour européenne des droits de l'homme exige également des mesures concrètes, en vue de promouvoir sur le continent une vision unitaire en matière de droits de l'homme.

Avec le Comité des ministres et l'Assemblée, le CPLRE a joué un rôle clé dans le développement de la démocratie en Europe. La Roumanie soutient son action, qui sert le principe de subsidiarité. La transparence dans la gestion des affaires publiques a beaucoup bénéficié de cette participation de la société civile.

La Roumanie se regarde comme un des piliers du système européen de valeurs et, ayant consolidé sa démocratie, elle entend contribuer au développement de l'Europe et du monde. Son nouveau statut de membre de l'OTAN et de l'Union européenne exigera qu'elle prenne des responsabilités accrues mais elle s'y est préparée en assumant la présidence de l'OSCE en 2001. Elle continuera d'encourager la vocation paneuropéenne du Conseil en favorisant le resserrement des relations bilatérales avec l'Europe de l'est, du sud-est et du Caucase. Elle appuiera les efforts des pays de l'ouest des Balkans en vue d'adhérer à l'Union européenne et elle facilitera la préparation à l'Europe en Ukraine et en Moldavie.

La Roumanie est candidate à un poste de membre non permanent du Conseil de sécurité pour la période 2004-2005. Son projet est de conforter le rôle des Nations Unies dans la coordination des efforts en faveur de la démocratie. Elle est en effet convaincue que l'Organisation est indispensable à la bonne gestion des affaires du monde. L'une des priorités du pays sera aussi de favoriser une vision commune de l'Europe et des Etats-Unis sur les problèmes de sécurité et de développement au Proche-Orient, en Méditerranée, en mer Noire et en Asie centrale. Elle s'attachera aussi à intensifier le combat contre le terrorisme et contre le crime organisé. Elle pense enfin que son expérience peut être utile aux pays en voie de développement soucieux d'échapper à la pauvreté et d'améliorer leur système d'éducation.

M. Nastase rend hommage au rôle essentiel qu'a joué le Conseil dans le développement de la démocratie roumaine. Celui-ci a été un succès que l'Organisation doit partager. En dépit des obstacles et des écueils, la Roumanie a prouvé qu'elle était devenue un pilier sur lequel peut compter la communauté des nations européennes démocratiques. Le temps semble venu au Premier ministre de rembourser cet investissement et de partager l'expérience de son pays avec les Etats encore en transition. M. Nastase avoue d'ailleurs qu'il se sent encore très proche du Conseil. Il est convaincu que l'Europe en construction doit être fondée sur des valeurs européennes communes, sur le respect des diversités et sur la solidarité. Les bouleversements et les catastrophes du passé doivent s'effacer devant une vision partagée, qui représentera une chance pour tous, et il a toujours été de la vocation du Conseil d'unir les efforts au service de cette vision généreuse.