Discours d'Edward Fenech - Adami, Premier Ministre de Malte
28 janvier 2003

M. le Président,

Je suis très heureux que cette occasion me soit donnée de m'adresser à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, compte tenu notamment du rôle actuel de Malte qui assure la présidence du Comité des Ministres. Je considère que toute Organisation saine tire profit d'une réévaluation périodique de sa mission et de ses orientations. La session d'aujourd'hui donne au Conseil l'occasion idéale de procéder à cette sorte d'auto6évaluation et de se demander: «Pourquoi sommes-nous ici et comment pouvons-nous être plus efficaces encore?»

A Malte, nous avons, nous aussi, entrepris un examen de conscience similaire car nous nous trouvons à une croisée historique des chemins. Maintenant que mon Gouvernement a conclu avec succès les négociations de l'adhésion à l'Union européenne, au Sommet de Copenhague, en décembre dernier, le peuple maltais décidera bientôt, à travers un référendum, si oui ou non l'avenir de son pays se trouve dans le ralliement à l'Union.

Notre demande d'adhésion à l'Union a été déterminée par des facteurs historiques et économiques profondément enracinés. L'adhésion de Malte à l'Union s'inscrit tout naturellement dans la continuité du passé et ne constitue pas un changement radical. En effet, elle renforcera notre engagement en faveur de ces idéaux, tels que les droits de l'homme, la démocratie et l'Etat de droit, que nous avons constamment cherché à renforcer et à défendre et qui inspirent depuis longtemps notre participation au présent Conseil.

Dans ce contexte, par conséquent, et en gardant à l'esprit la perspective imminente de l'adhésion de Malte à l'UE, je souhaite aujourd'hui mettre l'accent sur un aspect essentiel de la mission du Conseil de l'Europe comme forum dynamique de promotion de la compréhension et de la collaboration entre ses Etats membres qui appartiennent à l'UE et ceux qui n'en font pas partie. Cette considération met immédiatement en lumière une raison très claire pour laquelle l'adhésion à l'Union ne signifie pas nécessairement un moindre engagement vis-à-vis du Conseil de l'Europe. C'est tout le contraire; l'adhésion de Malte à l'Union n'entraîne aucun renoncement aux tâches volontairement entreprises il y a de nombreuses années en adhérant au Conseil mais renforce plutôt notre engagement à cet égard.

Nous entendons poursuivre notre contribution à la construction politique de ce que l'on appelle aujourd'hui la «Grande Europe», l'Europe des 44 Etats, qui se distingue de l'Europe des 15 Etats membres qui seront probablement 25 l'année prochaine...

Nous ne pouvons pas non plus oublier qu'il y a des domaines, comme les droits de l'homme et le développement socioculturel, dans lesquels l'action de l'Union ne peut, en aucun cas se substituer à celle du Conseil, même dans le cadre du cercle relativement plus restreint de ses membres.

Je souhaite formuler quelques brèves remarques concernant essentiellement les questions liées à la conception de notre Conseil comme centre naturel de coopération entre les Européens. La vision européenne vers laquelle tendent aussi bien l'Union que le Conseil n'est pas celle d'une forteresse exclusive, ni n'est alimentée par une ambition hégémonique; elle consiste plutôt à établir des tremplins selon une démarche méthodique axée sur l'instauration d'un système pacifique et progressiste de gouvernance mondiale.

Fondamentalement, l'UE et le Conseil existent pour promouvoir une forme de mondialisation qui ne menace nullement les identités différentes et évolutives de toute nation. C'est, par conséquent, l'une de nos tâches les plus urgentes de veiller à ce qu'il y ait un dialogue politique entre les membres du Conseil qui font partie de l'Union et ceux qui n'en font pas partie, dans le cadre de notre action pour contribuer ensemble, de manière cohérente, à l'éclosion d'une solidarité humaine universelle. Le Conseil de l'Europe est le contexte idéal, sinon unique, dans lequel une telle stratégie doit être élaborée.

Dans la Constitution proposée pour l'UE, que la Convention examiné actuellement, il est fait référence à la nécessité de promouvoir la coopération entre l'Union et d'autres pays qui, pour une raison ou une autre, ne peuvent pas adhérer à l'Union. Ces initiatives pourraient insuffler une force supplémentaire utile à un réseau européen élargi, notamment en termes de gestion des problèmes qui transcendent les frontières nationales.

Les rédacteurs de la Constitution proposée pour l'Union semblent notamment avoir à l'esprit des problèmes qui seraient autrement insolubles comme la gestion rationnelle des ressources de la Méditerranée. De toute évidence, ces problèmes ne peuvent qu'être traités de manière globale, dans un cadre plus large que celui de l'Union. Ils devraient peut-être occuper une place plus importante à l'ordre du jour des travaux de notre Conseil, dans la perspective d'une action de coopération entre tous nos membres et nos voisins.

Monsieur le Président,

Permettez-moi maintenant d'aborder très rapidement la dimension socioculturelle, qui est le domaine d'action privilégié du Conseil depuis sa création. On a pu constater que, dans les recommandations soumises par le Groupe de travail sur les relations externes de l'Union européenne à la Convention, toute référence à la culture faisait défaut.

Une telle omission nous semble paradoxale dans le contexte mondial d'aujourd'hui. Sans doute nous qui sommes ici rejetons-nous tous la thèse selon laquelle le choc des civilisations serait inévitable ; mais nous partageons également le point de vue que la promotion du dialogue interculturel est l'une des priorités les plus nécessaires et urgentes des relations internationales. Le dialogue joue un rôle central dans la prévention de la guerre et du terrorisme, mais aussi dans le développement de la société des savoirs multiples qui, selon nos plus éminents économistes, doit être notre idéal. Et même lorsque l'on s'en tient au niveau strictement matérialiste de la poursuite de nos intérêts économiques, les échanges culturels figurent en tête de nos objectifs prioritaires puisque, dans la réalité économique contemporaine, le savoir constitue de l'avis général une ressource essentielle à toute croissance soutenue.

La culture est au Conseil de l'Europe, depuis sa création même, ce que le libre-échange a été jusqu'à présent à l'Union européenne.

À l'évidence, il existe encore de nombreuses possibilités d'accroître la collaboration entre le Conseil et l'Union dans le domaine de la promotion du dialogue multiculturel et interreligieux, qui est indispensable à l'épanouissement de tout autre type d'échange. Le Conseil peut se targuer de posséder une vaste expérience en la matière, acquise au fil de longues années en dépit de moyens financiers toujours insuffisants.

Il en va de même pour la dimension sociale. À la Convention, l'une des questions débattues actuellement est de savoir comment refléter au mieux, dans le projet de Constitution, ce que certains appellent le « modèle social européen ». Il apparaît que le consensus se limite jusqu'à présent aux aspects ayant trait à la mise au point de repères, à l'identification des meilleures méthodes, à l'élaboration de scénarios et à d'autres mesures analogues.

Sans doute le Conseil de l'Europe, grâce à l'expérience acquise de longue date avec la Charte sociale européenne, à son assise géographique beaucoup plus large et à la politique d'intégration appliquée par le passé, pourrait-il apporter de précieuses contributions à ce débat. De nombreux défis se profilent à l'horizon, tels que l'augmentation spectaculaire des flux migratoires ou le vieillissement accéléré de la population ; ce sont autant de sujets importants pour le dialogue, au sein du Conseil de l'Europe, entre les États membres de l'Union européenne et les autres.

Troisième et dernier point, le Conseil et l'Union ont d'ores et déjà engagé des échanges constructifs bien qu'occasionnels dans le domaine des droits de l'homme. Nombreux sont ceux qui ignorent que l'intégration de la Charte des droits fondamentaux, adoptée à Nice, dans le projet de Constitution de l'Union européenne n'ouvrira la possibilité d'appeler les juridictions de l'Union qu'en cas d'abus commis par les institutions européennes elles-mêmes, ou par des États agissant en leur nom. En revanche, on réfléchit au moyen de faire adhérer l'Union européenne, comme s'il s'agissait d'un État, à la Convention européenne des droits de l'homme et à son mécanisme, la Cour, qui accomplit un immense travail ici à Strasbourg.

Or le principal défi posé par la Charte de Nice réside peut-être dans l'élargissement considérable des droits sociaux et économiques qu'elle prévoit, en des termes qui, malheureusement, semblent souvent défier tout projet d'application. À n'en pas douter, la situation générale demande de la part de tous les acteurs de l'Union et du Conseil un effort concerté pour faire en sorte que la Grande Europe dispose d'un système de protection des droits de l'homme aussi cohérent que possible.

Monsieur le Président,

Je me suis concentré jusqu'à présent sur le rôle que le Conseil pourrait jouer en tant que forum de communication entre ceux de ses États membres qui font partie de l'Union européenne et les autres, notamment parce que ce sujet figure parmi les principaux thèmes de la Présidence maltaise du Comité des Ministres. Comme je l'ai indiqué tantôt, cet élément s'inscrit aussi, bien évidemment, dans la vision d'un petit pays dont la demande d'adhésion à l'Union est acceptée au moment précis où il exerce la Présidence du Comité des Ministres -- pour la troisième fois depuis son adhésion au Conseil et pour la deuxième fois depuis ma prise de fonctions en tant que Premier Ministre.

En un tel moment, je ne peux m'empêcher de penser que, en raison précisément de leur taille, les petits pays sont fréquemment en mesure d'apporter une contribution plus efficace au règlement de problèmes d'un certain type. Il s'agit des problèmes qui appellent, plutôt qu'une attitude d'échange du type « donnant-donnant », la recherche de solutions parallèles selon le mode « gagnant-gagnant ». La troisième voie consiste parfois à transcender des positions opposées plutôt qu'à en rechercher le juste milieu.

Il me semble que, en ce qui concerne la réorganisation des relations entre l'Union et le Conseil à la lumière de l'évolution des deux institutions, nous venons seulement d'atteindre l'étape de formulation des questions, et n'en sommes pas encore à élaborer des réponses.

Monsieur le Président,

Malte est un État membre du Conseil de l'Europe depuis suffisamment longtemps pour en connaître intimement les rouages, mais nous ne sommes en revanche que sur le seuil de l'Union européenne. Le processus de familiarisation avec une organisation complexe prend du temps. C'est ainsi que depuis 1987, année de ma première prise de fonctions en tant que Premier Ministre, Malte a déployé d'importants efforts pour devenir partie intégrante de l'organisation du Conseil.

Nous avons commencé à intégrer pleinement les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme dans la législation maltaise. Malte a également entamé un long processus d'adoption et de développement du concept d'autonomie locale, pour parvenir à signer la Charte européenne de l'autonomie locale le 13 juillet 1993. Nous avons amendé notre code pénal en y introduisant les concepts et dispositifs nécessaires afin de faire face à de nouvelles menaces telles que le blanchiment d'argent ; avec les conseils de différents comités de l'Organisation, nous avons pris des mesures pour étendre le champ d'application des nouvelles dispositions légales au financement du terrorisme.

À présent, nous apprenons à faire une distinction entre les mesures à prendre lorsque des fonds proviennent de sources criminelles, et celles qui s'imposent lorsque c'est la destination des fonds en question qui est illégale.

Monsieur le Président,

Bien entendu, nous n'avons pas encore eu l'occasion de recueillir une expérience de ce type dans le contexte de l'Union. Néanmoins, il n'est peut-être pas prématuré de commencer à esquisser ne serait-ce qu'une ébauche des relations entre l'Union et le Conseil. Schématiquement parlant, l'Union peut être considérée comme un ensemble de carrefours où ont lieu des échanges d'information particulièrement intenses dans certains domaines, qui s'inscrit dans le réseau beaucoup moins dense mais plus vaste du Conseil. Ce modèle simpliste pourrait s'avérer être un cadre utile pour commencer à rechercher des réponses aux questions que vous m'avez donné l'occasion de poser aujourd'hui.