Intervention de M. MACSHANE, ministre du Royaume-Uni pour l’Europe.
Extrait du compte-rendu
Strasbourg, 29 janvier 2003

Prenez garde, je vais vous parler en français!  Compréhensible, je ne sais pas, mais, dans la capitale des valeurs européennes, je dois prononcer une partie de mon discours en français.

Je regrette énormément l’absence de Noëlle Lenoir, ministre des Affaires européennes du Gouvernement français, avec laquelle je m’étais mis d’accord pour partager notre temps de parole de façon égale. Noëlle m’a prié de lire une partie de son intervention. Comme celle-ci correspond exactement à mes idées, et que l’on peut ainsi démontrer l’amitié franco-britannique – pas nécessairement assurée dans tous les domaines –, je vais le faire:

«C’est avec émotion que je m’adresse à votre Assemblée, au moment où l’Europe tout entière connaît la mutation la plus profonde de son histoire depuis l’après-guerre. Je ne peux m’empêcher de penser en effet aux grands inspirateurs de l’Europe et à ce que nous leur devons. Qu’aurait dit Winston Churchill s’il avait pu assister aux célébrations de ces derniers jours du quarantième anniversaire du Traité de l’Elysée, lui qui appelait à la réconciliation franco-allemande dès 1946, dans son fameux discours de Zurich? Qu’aurait dit Edouard Herriot s’il avait pu vivre la chute du mur de Berlin et l’ouverture du Conseil de l’Europe vers l’Est, lui qui, Président en 1949 de la première Assemblée consultative de votre Organisation, s’était référé à Robert Schuman pour affirmer que "toutes les portes sont ouvertes vers l’Est, vers tous ceux qui, aujourd’hui, s’abstiennent d’être avec nous"?

La création de votre Organisation est le fruit d’un compromis franco-anglais. Il fut difficile à obtenir, comme tout compromis, mais le résultat fut à la mesure des espérances. L’œuvre du Conseil de l’Europe, à travers votre Assemblée notamment, ainsi que grâce à la Cour européenne des Droits de l’Homme, est considérable. Elle sert de référence aux législateurs et aux juges dans le monde entier. La Cour, en particulier, a permis d’assurer l’effectivité de la prééminence du droit, comme valeur clé des démocraties européennes. Elle a permis de conforter la légitimité et l’efficacité du droit européen des droits de l’homme.

Malgré un mode de fonctionnement moins intégré que ne l’est celui des institutions de l’Union européenne, votre Organisation a su magnifiquement s’adapter au grand mouvement de libéralisation qui a suivi la dislocation de l’empire soviétique. Et cette faculté d’adaptation est largement due à votre dynamisme et à votre capacité d’accueil de nouveaux partenaires au sein d’une Assemblée dont la richesse des travaux est l’un des meilleurs atouts.»

Telles sont les paroles de Mme Lenoir. C’est un grand honneur pour un ministre britannique que de représenter la France à cette tribune. L’occasion est rare. Profitons-en. Je vais maintenant m’exprimer dans une autre langue européenne, la mienne, l’anglais.

Poursuivant en anglais (Interprétation),

le ministre remercie M. Pangalos pour son rapport très stimulant. L’Union européenne ne doit pas oublier que, même avec vingt-cinq membres, elle ne représente pas l’Europe de l’Atlantique à l’Oural et que ce rôle incombe au Conseil de l’Europe.

Le rapport recommande l’inscription de la Charte des droits fondamentaux dans le Traité constitutionnel de l’Union. Force est toutefois de constater que cela poserait d’importants problèmes juridiques et pratiques et aurait des effets difficilement prévisibles sur les compétences des deux institutions.

Reprenant en français, l’orateur cite Mme Lenoir, pour qui on ne saurait se contenter d’affirmer les droits fondamentaux sans prévoir les mécanismes aptes à les garantir:

«Car on ne peut se contenter d’affirmer des droits fondamentaux. Il faut prévoir les mécanismes de leur garantie juridictionnelle. Comme vous le savez, pour des raisons juridiques liées au souci de ne pas alourdir les procédures contentieuses, le Gouvernement français n’est pas encore convaincu de l’opportunité de la ratification par l’Union de la Convention européenne des Droits de l’Homme.» Cette citation a pour objet d’indiquer la position de la France à l’Assemblée.

S’exprimant à nouveau en anglais (Interprétation), le ministre rappelle qu’en outre l’ensemble des protocoles de la Convention européenne des Droits de l’Homme n’ont pas été ratifiés par les Etats membres et qu’on ne saurait envisager que l’Union y adhère sans que la situation de chaque Etat n’ait été clarifiée.

Le Royaume-Uni, qui compte jouer un rôle important dans l’avenir de l’Europe, considère que le Conseil de l’Europe tient une place essentielle dans l’architecture européenne, qu’il est seul à même de jouer le rôle fédérateur de forum paneuropéen, qu’il lui appartient de fixer les normes en matière de droits de l’homme et de vérifier que les Etats s’y conforment.

L’orateur conclut en français et cite à nouveau Mme Lenoir:

«Le Conseil de l’Europe a le devoir d’ancrer les nouveaux voisins de l’Union dans le respect de la démocratie et des valeurs humanistes qui fondent cette organisation. La communauté de destin qui fonde l’Europe doit se transformer en communauté de valeurs pour la paix, la démocratie, le respect mutuel des peuples. (Applaudissements)

Votre vocation nouvelle, et non des moindres, est à mes yeux – à nos yeux  – d’ancrer les nouveaux voisins de l’Union, qui sont membres du Conseil de l’Europe, dans la démocratie et le respect des valeurs humanistes qui fondent votre organisation. Votre Assemblée peut d’autant mieux le faire à travers les débats qui s’y déroulent et qui permettent la libre expression de tous, de l’Est à l’Ouest, et du Sud au Nord de l’Europe. Laboratoire d’idées neuves, vous pouvez choisir vos thèmes de débats en dehors des impératifs du marché politique. Vous avez la possibilité d’être pionnier. Vous êtes le lieu unique de rencontre entre partenaires européens de tous horizons, sans qu’il soit besoin de se poser la question des frontières et tout en prenant en compte l’identité multiple des civilisations européennes.

Hérodote, cinq siècles avant notre ère, relevait cette particularité d’une Europe si présente dans l’histoire, sans toutefois que l’on sache ni d’où elle a tiré son nom ni qui le lui a donné. Ce mystère des origines de l’Europe n’en a pas moins conduit à une communauté de destin entre les Européens. Et c’est cette communauté de destin qui, grâce à vous en particulier, a pu dès la fin de la dernière guerre se transformer en communauté de valeurs pour la paix, la démocratie et le respect mutuel des peuples. Soyez-en chaleureusement remerciés.»