Discours du Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, Peter Schieder, à l'ouverture de la partie de session de printemps de l 'Assemblée

Strasbourg, 31 mars 2003

Chers collègues,

La session qui s'ouvre a, une fois de plus, un ordre du jour chargé et mobilisateur; mais il ne fait pas de doute qu'un thème, en particulier, domine tous les autres: la guerre en Irak. Si cela était tant soit peu possible, je serais favorable à ce que le débat sur la procédure d'urgence ait lieu dans les premières heures de la session, dès cet après-midi. Vu la gravité de la situation et la profondeur de notre inquiétude ce serait certainement approprié. Mais nous savons tous que cela ne peut se faire - pas simplement à cause des contraintes de procédure, mais aussi parce que si nous voulons avoir un débat cohérent, il faut que la commission, le rapporteur, les groupes politiques et tous nos membres aient le temps de se préparer. Le point "L'Europe et la crise en Irak" a été inscrit à l'ordre du jour jeudi; en dehors de cette question, il n'y aura que deux autres points à l'ordre du jour de jeudi, à savoir deux interventions importantes - celle du Président du Comité des Ministres et celle du Premier ministre de Bulgarie. Je pense, d'ailleurs, que leur présence dans l'hémicycle le jour du débat sur l'Irak est une heureuse coïncidence; en effet, le thème des discussions de jeudi se reflètera certainement dans leurs discours et dans les questions posées par les parlementaires.

Cela dit, je pense néanmoins que nous ne devons pas attendre jeudi pour adresser un message à toutes les parties concernées. Je saisis l'occasion pour rappeler les termes de la résolution que l'Assemblée a adoptée au mois de janvier et pour la replacer dans le contexte de la situation d'aujourd'hui.

Il y a deux mois, l'Assemblée observait que l'on n'avait pas réussi à mettre en évidence un quelconque lien substantiel entre l'Irak et les réseaux terroristes internationaux. Deux mois plus tard, voici que nous attendons toujours qu'on nous présente des éléments prouvant la véracité d'une allégation qui était, et continue d'être, un argument clé pour justifier l'usage de la force. L'Assemblée en a conclu que dans les circonstances qui prévalaient à l'époque, l'usage de la force contre l'Irak n'était pas justifié. Pourtant, aujourd'hui, c'est bien la force qu'on déploie et dont on fait usage massivement.

L'Assemblée avait dit qu'il fallait laisser les inspecteurs poursuivre et intensifier leur travail une dernière fois, les laisser agir objectivement et impartialement, sans pressions extérieures, de manière à achever les inspections dans un délai raisonnable. Pourtant, malgré l'avis exprimé par la majorité des membres du Conseil de sécurité et par les membres des Nations Unies dans leur ensemble, les inspecteurs n'ont pas eu la possibilité de poursuivre leur tâche. Ils ont été évacués en toute hâte, au moment même où, de leur propre avis, on enregistrait des progrès manifestes, et alors qu'un désarmement pacifique de l'Irak apparaissait comme un scénario crédible.

L'Assemblée a rappelé que l'opinion publique dans les Etats membres du Conseil de l'Europe était massivement favorable à une solution politique de la crise irakienne. Non seulement l'opposition à la guerre demeure évidente, mais elle s'est spectaculairement renforcée, dans les Etats membres du Conseil de l'Europe et dans le monde entier - y compris dans les deux pays qui pilotent l'intervention militaire contre le régime irakien.

Enfin, l'Assemblée avait demandé à tous les Etats membres du Conseil de l'Europe, ainsi qu'aux Etats observateurs et aux Etats candidats, de s'abstenir de toute action susceptible de nuire à l'autorité et au rôle des Nations Unies et d'exclure tout usage de la force qui ne s'inscrirait pas dans le cadre juridique international et qui ne s'appuierait pas sur une décision explicite du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Cet appel a, lui aussi, été parfaitement ignoré, non seulement par un Etat observateur, mais aussi par plusieurs Etats membres de notre Organisation. Je considère que notre débat de jeudi devrait se focaliser sur ce fait regrettable.

Tous nos Etats membres ont pris l'engagement de respecter les droits protégés par la Convention européenne des Droits de l'Homme. L'obligation de respecter le droit à la vie et d'assurer la protection contre les traitements inhumains et dégradants s'impose-t-elle à ces Etats également lorsqu'ils agissent hors de leur territoire? Il appartient à la Cour de répondre à cette question; mais il n'y a pas de doute que les Etats membres du Conseil de l'Europe engagés dans le conflit sont politiquement et moralement tenus d'agir ainsi lorsqu'il s'agit du traitement de la population irakienne.

Je ne voudrais pas qu'il y ait un malentendu: les critiques et l'indignation que nous exprimons ne sont pas une approbation de Saddam Hussein. Le chef du régime irakien est un dictateur cruel, responsable des pires violations des droits de l'homme. Notre Assemblée sera la première à soutenir et approuver toute action qui peut apporter la liberté, la stabilité et la prospérité aux Irakiens - mais uniquement si cette action recueille le soutien d'une large et authentique coalition, incluant les pays de la région.

Ce que nous souhaitons, ce n'est pas que les Etats-Unis et le Royaume-Uni perdent cette guerre; c'est qu'ils y mettent un terme! Nous voulons que le processus qui consiste à traiter la menace que représente le régime irakien relève à nouveau des mécanismes des Nations Unies, légitimes et universellement reconnus. Nous voulons de l'action, mais nous voulons qu'elle s'inscrive dans le droit international!

Aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Les Nations Unies ont été écartées, et leur autorité a été sapée. Un tel revirement dans la manière dont le monde tente de régler ses problèmes représente un véritable séisme qui peut être lourd de conséquence en ce qui concerne non seulement la crise actuelle, mais aussi toute crise à laquelle la communauté des nations pourra être confrontée à l'avenir. Les " dommages collatéraux" de cette guerre ne se limitent pas à la population civile irakienne. Ils touchent également les fondements du système de sécurité collective, qui repose sur le droit international et sur lequel on s'efforce depuis 50 ans d'édifier la paix et la prospérité dans le monde. Il ne faut pas que l'état de droit cède la place au droit du plus fort.

Je voudrais dire, pour conclure, que les dirigeants des Etats-Unis et du Royaume-Uni - et de tous les autres pays qui soutiennent leur action contre l'Irak - doivent comprendre que les missiles qui, au moment même où je parle, tombent sur l'Irak, ne sont pas des Tomahawks, mais des boomerangs. Les clivages culturels et religieux créés et exploités par les fanatiques de toutes religions et de toutes confessions sont en train de s'accentuer et deviennent de plus en plus dangereux. Les terroristes sont en train d'engranger les bénéfices d'un affrontement qui peut leur valoir le ralliement de milliers d'hommes et de femmes désillusionnés et réduits à la misère - un affrontement qui porte en germe des décennies de terreur et de destruction. Nous ne pouvons pas laisser faire cela; nous ne laisserons pas faire cela!

Le Conseil de l'Europe est né de la guerre. Les idéaux pour la défense desquels il a été créé - des idéaux que nous tous, qui sommes réunis aujourd'hui dans cet hémicycle, partageons - sont le fruit des terribles souffrances que les Européens ont endurées il y a seulement une génération. Ne renonçons pas aujourd'hui à ces idéaux - alors qu'ils sont plus que jamais nécessaires.