VERIFICATION A L'ECOUTE 24.06.2003

Discours de Rudolf SCHUSTER Président de la République slovaque à l'occasion de la 3ere partie de la session ordinaire de 2003 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe

Strasbourg, 24 juin 2003

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Excellences, Mesdames et Messieurs,

C'est avec beaucoup d'émotion et de joie, mais aussi un grand sens des responsabilités que je prends la parole devant cette éminente assemblée qui représente les 45 parlements nationaux des pays membres du Conseil de l'Europe. Je souhaiterais saisir l'occasion qui m'est ainsi offerte pour remercier le Président Schieder de m'avoir généreusement permis de m'adresser à vous au moment même où mon pays célèbre le 10e anniversaire de son adhésion au Conseil de l'Europe en tant qu'Etat indépendant. C'est l'une des raisons pour lesquelles je souhaiterais poursuivre mon allocution devant cette respectable assemblée hautement démocratique dans ma langue maternelle, laquelle n'est guère employée couramment dans cette instance.

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Depuis qu'elle est devenue indépendante, il y a de cela dix ans, la République slovaque a connu de nombreux changements radicaux dus à son nouveau statut et aux bouleversements survenus en Europe et dans le monde. Aujourd'hui, dans la nouvelle Europe qui est la nôtre, la Slovaquie partage avec ses voisins proches géographiquement, mais aussi avec ceux qui sont plus éloignés, les mêmes valeurs spirituelles et culturelles qui nous sont chères et qu'il nous tient à cœur de protéger.

L'Europe d'aujourd'hui est le théâtre d'une évolution sans précédent des mentalités. La chute du mur de Berlin et l'apparition de nouveaux Etats, dont celui de la Slovaquie, nous permet de repenser les valeurs du vieux continent. C'est dans ce contexte que nous devons placer les discussions axées sur l'organisation de l'Europe. Les objectifs visés dans le cadre du processus de l'intégration sont nobles: sécurité, solidarité, prospérité, paix, démocratie et ouverture au monde qui nous entoure.

L'intégration de l'Europe ne signifie donc pas seulement organiser le marché unique ni gérer une unité économique et financière. Cette idée prend une dimension entièrement nouvelle lorsque l'on pense qu'elle pourrait nous apporter la paix, permettre l'entente et promouvoir la coopération internationale sur tout le continent européen. Nous sommes à l'aube d'une ère où les pays sont unis au sein du continent européen et où les nations européennes vivent ensemble dans le respect de la démocratie, des droits de l'homme et de l'Etat de droit.

Si l'entité européenne pouvait agir et réagir en tant que telle, elle pourrait garantir la stabilité à l'échelle mondiale. Il nous faut impérativement nous en rendre compte, à l'heure où l'orientation de la coopération en Europe fait l'objet de débats enfiévrés et où, parallèlement, les populations se préoccupent davantage de leur identité nationale.

Cela étant, ce n'est ni en reculant, ni en nous cachant derrière nos frontières nationales que nous pourrons créer de nouveaux emplois, résoudre nos problèmes de sécurité, nous faciliter la tâche pour préserver et moderniser nos Etats ni résoudre les problèmes liés à la criminalité pas plus que ceux relatifs à la protection de l'environnement. Tous ces problèmes se posent au-delà des frontières.

Le Conseil de l'Europe mérite des félicitations dans la mesure où il permet de faire progresser le processus d'unification en Europe. Il a été le premier organe à ouvrir ses portes aux pays qui ont été involontairement isolés par le tristement célèbre rideau de fer et qui, pendant de nombreuses années, n'ont pas pu profiter de la démocratie. C'est grâce au Conseil de l'Europe, comme nous avons l'habitude de le dire, que nous sommes revenus en Europe même si nous ne l'avons jamais quittée.

La Slovaquie participe à un certain nombre de programmes de coopération gérés par le Conseil de l'Europe qui visent à aider les nouveaux pays membres à créer et stabiliser leur système démocratique interne. Le Conseil de l'Europe a pu nous aider très efficacement à réformer notre système judiciaire, à mettre en place des institutions démocratiques et à élaborer des textes législatifs tenant compte de l'évolution politique, économique et sociale.

Ma propre expérience de la politique régionale ou locale me permet de voir à quel point nous avions besoin de l'aide et du soutien du Conseil de l'Europe pour développer la démocratie au niveau de nos autonomies locales naissantes. Nous espérons aujourd'hui que ces autonomies locales nous aideront à remédier aux très fortes disparités qui caractérisent les régions en termes de niveau de vie. En effet, ces disparités continuent de peser lourdement sur le dynamisme de notre croissance économique, et tempèrent la satisfaction de notre population face au processus de transformation et aux réformes en cours.

L'un des grands enjeux pour notre gouvernement est d'améliorer la situation dans les régions, car si, du point de vue de tous les indicateurs pertinents, notre capitale et sa région ne le cèdent en rien à celles de l'Union européenne et si leurs organes autonomes élaborent d'ambitieux plans de développement futur, les parties orientales de la Slovaquie font face à un taux de chômage vertigineux et à une baisse du niveau d'instruction, sans parler de l'absence chronique de fonds pour le développement régional.

Nous sommes conscients que c'est grâce à la mise en conformité de notre système juridique avec les normes européennes et à notre attitude positive face à la législation européenne que nous avons réussi à nous adapter en relativement peu de temps au système européen des valeurs. La Slovaquie est donc aujourd'hui prête à aider d'autres pays dans les domaines dans lesquels elle a une expérience.

A ce stade, je souhaiterais mettre l'accent en particulier sur notre coopération transfrontalière dont le principal objectif et en même temps le principal avantage résident dans le développement de contacts entre les populations, les représentants des autonomies, les petites et moyennes entreprises, les étudiants et les membres des divers syndicats et associations.

Une coopération aussi dynamique, fructueuse et prometteuse est un moyen idéal et efficace pour ajouter au confort des populations qui vivent le long des frontières que la Slovaquie partage avec ses cinq pays voisins. C'est à mon initiative que la coopération de la Slovaquie avec la République tchèque, la République de Pologne et la République de Hongrie a été menée sous les auspices conjoints de Vàclav Havel, d'Alexander Kwasniewski, de Ferenc Màdl et de moi-même.

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Je pense qu'en tant que communauté d'Etats membres du Conseil de l'Europe, nous souscrivons sans réserve à l'idée d'une Europe considérée comme une entité libre, une Europe qui fait de tous les pays et de tous leurs ressortissants des partenaires à égalité ayant les mêmes droits et obligations. Je pense que nous sommes aujourd'hui tous d'accord pour dire que la protection des valeurs respectées par les Européens doit être proactive, transparente et directe et que chacun d'entre nous à l'obligation de respecter les règles établies. Nous devons signaler les défaillances du système et trouver des moyens d'y remédier.

Depuis qu'elle est membre du Conseil de l'Europe, la Slovaquie a été, à plus d'une occasion, critiquée pour la manière dont elle se développe, bien que cela n'ait pas été facile pour tous ceux qui à un niveau politique, professionnel ou personnel participent à cette mission difficile du Conseil de l'Europe. Je souhaiterais en particulier remercier M. Schieder, M. Schwimmer et nos rapporteurs pour les précieux conseils qu'ils nous ont prodigués.

L'un des domaines dans lesquels la Slovaquie continue de faire l'objet de vos critiques a trait à la situation de la population rom. Permettez-moi de saisir l'occasion qui m'est ainsi offerte pour rappeler que lorsque j'étais maire de Kosice, région où la population rom est relativement importante, je me suis efforcé de faire preuve d'efficacité pour aider cette minorité, estimant que les problèmes de cette dernière ne pouvaient être résolus sans la participation active de ses membres. L'expérience que nous avons acquise à ce jour grâce à la mise en œuvre de programmes de développement a montré que l'approche paternaliste de l'Etat envers la population rom a eu des conséquences néfastes sur la conscience juridique et l'esprit démocratique des Roms, et même des plus cultivés, ce qui les a souvent conduits à mal interpréter leurs droits et obligations. Nous continuons d'accorder une grande attention à cette question, et, en ma qualité de chef d'Etat, je me félicite de l'initiative très utile de mon homologue finlandaise, Mme Tarja Halonen. C'est également Mme Halonen qui était à la tête de l'équipe de rapporteurs lorsque la Slovaquie a été acceptée au Conseil de l'Europe. Sur ses recommandations, le Conseil de l'Europe s'attachera à améliorer le niveau de vie de la population rom par l'intermédiaire du Forum européen des Roms. Nous attendons beaucoup de cette initiative grâce à laquelle mon pays bénéficiera de l'assistance et de l'aide nécessaires dans ce domaine délicat.

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Pour finir, permettez?moi de formuler quelques réflexions sur l'avenir de cette Organisation indispensable. L'intention originelle des pères fondateurs du Conseil de l'Europe d'unir tous les Etats du continent sur les fondations solides de la démocratie va bientôt devenir réalité.

Peut?être que lorsqu'il célèbrera son 55e anniversaire, le Conseil de l'Europe sera enfin devenu une Organisation paneuropéenne.

Ensuite, le processus d'unification sera éventuellement pris en charge par l'Union européenne, quoique sur une base différente. Tandis que l'Union européenne aura toujours à assurer le respect de ses règles économiques strictes mais raisonnables, c'est au Conseil de l'Europe qu'il incombera de veiller à la défense des nobles idéaux de la démocratie.

Il faut comprendre que ce dont l'Europe d'aujourd'hui a le plus besoin, ce n'est pas de ressources financières mais plutôt d'un approfondissement de nos valeurs éthiques, culturelles et sociales. Il n'est pas possible de satisfaire les nations européennes en unifiant simplement le système économique. Ce qu'il faut surtout, c'est que les cultures européennes œuvrent côte à côte et façonnent librement et spontanément leur avenir commun, fondé principalement sur les principes de la démocratie. S'agissant de son développement, la société européenne arrive actuellement à un tournant où les valeurs culturelles, éthiques et démocratiques s'imbriquent pour former ce que nous considérons comme le pilier fondamental d'une société continentale moderne.

L'Europe est face à des défis qui, si elle parvient à les relever convenablement, entraîneront un renforcement de son développement général. Je pense, au niveau continental, à une vision commune de l'avenir reposant sur un régime démocratique, une vision émergeant de nombreux débats et de la participation active des citoyens, une vision résultant de nouvelles formes de cohésion sociale, soucieuse d'assurer la protection et le bien de nos peuples en termes de solidarité, d'égalité et de responsabilité. Les citoyens attendent de la société qu'elle envoie des signaux positifs et qu'elle fixe des seuils minimums de garantie civile et démocratique qui ne se monnaient pas sur le marché et au?dessous desquels il ne faut pas laisser notre société tomber.

A cette fin, me plaçant du point de vue de la Slovaquie, pays qui s'installe dans la démocratie, il me paraît opportun d'exprimer l'espoir qu'à mesure que nous avancerons, nous verrons l'Union européenne et le Conseil de l'Europe reconsidérer leurs relations mutuelles, de sorte que, malgré leurs missions différentes, les deux Organisations reposent sur les saines fondations de valeurs partagées. Elles doivent créer un cadre dans lequel elles ne soient pas en concurrence mais plutôt en synergie. C'est là un autre souhait des Européens.

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

La justice, comme le respect des droits de l'homme et la protection de la démocratie, est l'une des pierres angulaires de la société européenne. La Cour européenne des Droits de l'Homme, la plus célèbre institution du Conseil de l'Europe, veille sans relâche à la protection des libertés et des droits fondamentaux qui sont ceux des citoyens dans une société démocratique. Cette Cour jouit, légitimement, du respect bien mérité des Européens, conscients qu'elle prend des décisions justes, impartiales et politiquement neutres. Toutefois, vu le nombre de requêtes qui lui sont soumises, nous comprenons tous bien l'importance de sa mission vis?à?vis des pays d'Europe centrale et orientale. Il semblerait qu'elle soit "victime" de son propre succès.

A l'heure où nous parlons, des discussions sont en cours pour améliorer l'efficacité de la Cour. Le meilleur moyen pour nous d'y contribuer et de soulager la Cour de Strasbourg d'une partie de sa charge de travail, c'est d'adopter des lois qui soient pleinement en conformité avec la Convention des droits de l'homme et la jurisprudence de la Cour. Ce n'est pas à Strasbourg mais plutôt au niveau national que se trouve la solution aux problèmes de la Cour européenne. Les citoyens slovaques ont également appris comment faire appel à la Cour européenne des Droits de l'Homme pour obtenir la protection de leurs droits.

En fait, ils l'ont si bien appris que, s'agissant du nombre de requêtes déposées, nous arrivons en tête des Etats membres du Conseil de l'Europe. Bien que nous ayons élaboré et adopté un train de mesures législatives afin précisément d'améliorer la protection des droits de l'homme au niveau national, nous n'avons pas obtenu, jusqu'à présent, les résultats escomptés.

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Dans un proche avenir, l'Europe connaîtra des bouleversements qui auront des conséquences encore plus vastes. Le Conseil de l'Europe assumera?t?il pleinement le rôle qui lui revient au sein de la future architecture européenne? Des projets sont en cours en vue d'organiser le troisième Sommet qui devrait permettre d'obtenir les réponses de ses Etats membres sur la question de savoir si le Conseil de l'Europe sera à la hauteur de l'héritage de ses pères fondateurs. Au nom de mon pays, je tiens, par conséquent, ici, à exprimer mon soutien à l'organisation de ce sommet car, comme un proverbe plein de sagesse le rappelle aux pèlerins "souvenez?vous qu'il n'y a pas de chemin tout tracé! Il faut en frayer un soi?même!"

Je vous remercie beaucoup de votre attention; je suis maintenant prêt à répondre à toutes vos questions.