Discours de René van der LINDEN
à l’occasion de son élection en tant que
Président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

1ère partie de la session ordinaire de 2005
de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

(Strasbourg, 24-28 janvier 2005)

24/01 2005

« Papa, j’ai peur, aide-moi !». Ces mots sont les derniers que Ragnar Bang-Ericsson, un petit Norvégien de deux ans, a prononcés tout juste avant d’être emporté, arraché à son père par la violence du tsunami qui a frappé la côte thaïlandaise le 26 décembre.

Plus de 225 000 victimes, dont un très grand nombre d’enfants, ont péri dans cette catastrophe, la plus grande catastrophe naturelle de notre époque.

Nous sommes atterrés par l’ampleur du désastre que la nature a causé à l’homme et à son environnement. Nous sommes bouleversés par l’immense douleur de ceux qui ont perdu des êtres chers.

Nous n’avons pas pu sauver le petit Ragnar ni tous ceux qui ont été emportés, mais nous pouvons aider les millions de victimes qui ont survécu. La solidarité dont la communauté internationale a fait preuve et sa volonté d’aider sont sans précédent. Le tsunami a révélé le meilleur de nous-mêmes en tant qu’ êtres humains. Le monde a réagi, uni, et avec résolution.

Il importe que notre volonté d’aider perdure même lorsque que les projecteurs ne seront plus braqués sur cet événement et que la communauté internationale portera son attention ailleurs. Dans le même temps, nous ne devons pas oublier les millions de personnes qui souffrent d’exclusion, d’absence de perspective et d’extrême pauvreté. Une assistance similaire est nécessaire dans de nombreuses autres régions qui subissent les conséquences de ce qu’ un récent rapport des Nations Unies a appelé « le tsunami silencieux ». La pauvreté et la maladie tuent des milliers d'enfants chaque mois . Là aussi, nous devrions faire preuve de la même solidarité et aider les personnes à jouir du droit le plus fondamental, à savoir le droit à la vie, le droit de vivre dans la dignité.

Pour honorer la mémoire des victimes, par la prière ou la méditation, je vous invite à vous lever et à observer une minute de silence.

Merci.

Chers collègues,

Je vous suis profondément reconnaissant de la confiance que vous me témoignez en m’élisant Président de notre Assemblée parlementaire. Je ferai tout mon possible pour être à la hauteur de votre confiance et pour assumer au mieux mes obligations et mes responsabilités.

Mes remerciements s’adressent à vous tous mais je suis tout particulièrement reconnaissant du soutien que m’ont apporté mon Groupe politique, le Parti populaire européen, et la délégation néerlandaise ; j’ai eu l’honneur de diriger l’un et l’autre jusqu’à ce jour.

Ma carrière politique a été entièrement consacrée à la coopération européenne. Les membres et observateurs de cette Assemblée ont été une source d’inspiration considérable pour mes travaux.

Je tiens tout particulièrement à remercier Peter Schieder, Lord Russell Johnston et mes autres prédécesseurs des impulsions et des conseils qu’ils ont donnés. Je souhaiterais remercier aussi de leur assistance le Secrétaire Général de l’Assemblée, M. Bruno Haller, et son équipe, ainsi que tous les autres collaborateurs du Conseil de l’Europe. Je me réjouis de coopérer étroitement avec vous tous à l’avenir. Enfin, en tant que père de famille, j’exprime toute ma reconnaissance à ma femme et à mes trois enfants pour leur amour et leur soutien.

Chers collègues, trois priorités se dessinent clairement devant nous:

Premièrement: Renforcer l’efficacité de notre Assemblée, notamment par une interaction plus grande avec les parlements nationaux et en tenant davantage compte des préoccupations de nos citoyens.

Deuxièmement: Développer nos relations avec nos institutions partenaires, les Nations Unies, l’OSCE et notamment l’Union européenne.

Troisièmement: Assurer le succès du Troisième Sommet et la mise en œuvre des décisions qui y seront prises.

Permettez-moi d’exposer brièvement chacune de ces priorités et, ce faisant, de rappeler les objectifs que le Conseil de l’Europe s’était fixés lors de sa création.

Dans une émission de radio prophétique, en mars 1943, au cours des jours les plus sombres de la Seconde Guerre mondiale, Sir Winston Churchill, qui est mort il y a 40 ans jour pour jour, avait prédit ce qui suit :

«There should come into being a Council of Europe …. to …. prevent renewed aggression and the preparation of future wars …. Anyone can see that this Council when created must eventually embrace the whole of Europe and that all the main branches of the European family must some day be partners in it.»

« Un jour viendra où il faudra créer un Conseil de l’Europe…pour…prévenir de nouvelles agressions et la préparation de futures guerres…Chacun sait qu’une fois créé, ce Conseil sera amené à englober l’Europe tout entière et qu’un jour, toutes les grandes branches de la famille européenne devraient en faire partie. »

Cette famille européenne de 800 millions de personnes existe aujourd’hui. Seuls les citoyens du Bélarus, qui subissent un régime autoritaire, ne peuvent pas encore nous rejoindre.

Vous, membres de l’Assemblée parlementaire, vous représentez directement ces 800 millions de citoyens. Huit cent millions de personnes représentant des cultures différentes, des nationalités différentes, un large éventail de vues politiques et de croyances religieuses, mais unies par des valeurs communes. Des valeurs qui sont consacrées par les normes et les principes du Conseil de l’Europe. Des valeurs qui peuvent renforcer la cohésion sociale dans nos sociétés et favoriser la paix et la stabilité sur notre continent.

Comme le Chancelier Kohl l’a déclaré devant cette même Assemblée il y a dix ans : « dass die parlementarische Versammlung des Europarats das « demokratische Gewissen » Europas verkörpert.………Sie stehen für eine Werteordnung, ohne die es keine freiheitliche Zukunft in Europa gibt. »

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe incarne la « conscience démocratique » de l’Europe… Elle prône un ordonnancement des valeurs, condition indispensable pour garantir la liberté.

En effet, le Conseil de l’Europe est avant tout une communauté de valeurs, qui pendant plus d’un demi-siècle, a constitué un « acquis » européen unique.

Plus d’un tiers des 200 Conventions du Conseil de l’Europe émanent de l’Assemblée. De plus, nos débats ont souvent créé de nouvelles bases et ouvert la voie, à la fois au sein du Conseil de l’Europe et au-delà, à des initiatives nouvelles et à une politique novatrice.

Notre Assemblée est également une école de la démocratie, un terrain d’exercice pour les futurs dirigeants politiques.

La diplomatie parlementaire, qui est la participation active des parlementaires et des institutions parlementaires dans des situations de crise et d’impasses politiques, ne cesse de prouver qu’elle est un complément essentiel à la coopération intergouvernementale traditionnelle et une part intégrante des relations internationales.

Les préparatifs du Traité constitutionnel de l’Union européenne constituent un excellent exemple de parlementaires qui trouvent une solution là où les gouvernements piétinent. Les exemples abondent, émanant aussi des membres de cette Assemblée, mais nous devons avant tout améliorer nos performances si nous voulons que notre action reste utile.

Comment renforcer notre efficacité et tenir davantage compte des préoccupations de nos citoyens ?

Si nous voulons que nos activités soient mieux connues et plus efficaces, il faut que nous nous concentrions davantage sur nos tâches fondamentales et les exécutions encore mieux.

La démocratie, les droits de l’homme et la prééminence du droit ont été, et demeurent, la raison d’être du Conseil de l’Europe et font que notre Organisation est unique.

Le renforcement de la cohésion sociale par la culture, l’éducation et le sport est une de ces tâches fondamentales. Le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance sont malheureusement de plus en plus préoccupants dans nos sociétés. La lutte contre ces phénomènes par la promotion du respect et de la compréhension devrait continuer à figurer au premier rang de nos priorités.

En outre, nous devrions mieux faire usage de notre Organisation en tant que forum idéal pour un dialogue interculturel et interreligieux.

De plus, nous devrions contrôler régulièrement la pertinence de nos instruments et les adapter si nécessaire, comme c’est actuellement le cas en matière de lutte contre le terrorisme.

De nombreuses Conventions importantes n’ont à ce jour été ratifiées que par un nombre limité d’Etats membres. Avec notre double mandat de membres de l’APCE et de parlementaires nationaux, nous devrions renforcer nos efforts tendant à ratifier nos textes de base. J’ai l’intention de soulever cette question avec les délégations nationales.

Nous ne devons jamais oublier d’exercer notre autocritique et de prouver en permanence notre valeur ajoutée.

Il nous faut expliquer clairement à nos citoyens quelles sont les répercussions des activités du Conseil de l’Europe dans leur vie quotidienne, et nous devons être prêts à tenir compte de leurs préoccupations.

A cette fin, nous devrions renforcer nos relations avec la société civile et en particulier avec les ONG internationales qui participent aux travaux du Conseil de l’Europe.

Une Assemblée efficace devrait communiquer avec efficacité également avec ses partenaires internes. Je m’attacherai à améliorer la coopération avec notre homologue, le Comité des Ministres, et avec nos collègues du Congrès.

Je souhaite aussi travailler de manière constructive avec le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et favoriser des contacts réguliers avec le Président de la Cour européenne des Droits de l’Homme et avec le Commissaire aux droits de l’homme.

De plus, j’ai l’intention de m’entretenir régulièrement avec les Présidents d’autres organes clés du Conseil de l’Europe, tels que le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, la Commission de Venise, et la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) et le Centre Nord-Sud.

Les débats annuels sur nos activités devraient être suivis de débats dans nos parlements nationaux.

S’agissant de ma deuxième priorité, nos relations avec nos partenaires extérieurs, notamment avec l’Union européenne sont aujourd’hui plus importantes que jamais. Connaissant très bien ces deux organisations, je suis convaincu que l’Union européenne devrait faire meilleur usage de l’expérience, des institutions et des instruments du Conseil de l’Europe. Le débat actuel sur la création d’une Agence des droits de l’homme de l’Union européenne en est un bon exemple. En tant que membre de la Convention qui a préparé le Traité établissant une Constitution pour l’Europe, je ressens fortement l’importance du Conseil de l’Europe dans de nombreux domaines qui concernent l’Union européenne. La politique de voisinage de l’Union européenne pourrait être beaucoup plus efficace si le cadre du Conseil de l’Europe était mieux utilisé et de manière plus systématique.

L’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme et la ratification du Traité établissant une Constitution pour l’Europe relieront ainsi l’institution européenne la plus développée à l’institution européenne la plus ancienne et à composition la plus large. Par ces mesures, un pas important sera fait vers la création d’un espace juridique européen commun.

Dans ce contexte, on peut se féliciter de la désignation récente par la Commission européenne d’un Ambassadeur auprès du Conseil de l’Europe. Mais, comme le ministre des Affaires étrangères Asselborn l’a dit l’autre jour devant le Comité des Ministres, lorsqu’il a présenté les priorités de la Présidence luxembourgeoise de l’Union européenne, nous comptons sur la mise en place imminente d’un bureau permanent de la Commission à Strasbourg.

S’agissant du Parlement européen, un grand nombre de ses membres sont d’anciens membres de notre Assemblée. Nous devrions profiter de leur double expérience, qui est unique.

L’Europe ne devrait pas avoir de nouvelles lignes de clivage, ni revenir aux anciens antagonismes Est-Ouest. Il n’existe qu’une seule et unique Europe. Et ici, je souhaiterais citer Jacques Delors, qui a déclaré: « …Pour ma part, je suggère trois objectifs pour cette « Grande Europe » : un espace de paix active, un cadre pour un développement durable, et enfin un espace de valeurs vécues dans la diversité de nos cultures et de nos traditions. »

Cette Europe est une partie importante de la communauté internationale, telle que la représentent les Nations Unies et ses institutions spécialisées avec lesquelles nous coopérons dans de nombreux domaines. Nous devrions défendre fermement nos valeurs au niveau mondial et nous tenir prêts à agir en tant qu’organisation régionale, en fonction des besoins.

Avec l’OSCE, nous devrions souligner nos avantages comparatifs respectifs et continuer à rechercher une complémentarité afin de réduire toute duplication d’efforts. 

Nos observateurs contribuent de manière significative à nos travaux, et nous devons leur en être reconnaissants. Je me réjouis de poursuivre une coopération étroite avec eux. Au Proche-Orient, de nouveaux espoirs de paix ont vu le jour et nous y contribuerons, chaque fois que cela sera possible

Il est regrettable qu’un Etat observateur du Conseil de l’Europe, les Etats-Unis d’Amérique, ne participe pas aux travaux de l’Assemblée. Je poursuivrai les efforts de mes prédécesseurs afin d’impliquer nos collègues parlementaires à Washington dans nos activités.

Nous devrions également être prêts à coopérer avec d’autres régions du monde. Je compte m’inspirer des travaux du Président Schieder pour ce qui est du Parlement pan-africain, et développer également des contacts personnels avec d’autres parlementaires dans le monde, qui s’intéressent à notre expérience.

Ma troisième priorité, le Troisième Sommet du Conseil de l’Europe, qui doit se tenir à Varsovie les 16 et 17 mai de cette année, est un événement capital pour l’avenir du Conseil de l’Europe. Il devrait assigner à l’Organisation une mission politique claire pour les années à venir et donner des idées sur la manière de renforcer l’efficacité de la coopération entre les différentes institutions européennes. J’espère avoir l’occasion de débattre avec le Comité des Ministres des propositions pour le Sommet, qui seront adoptées cette semaine par l’Assemblée, sur la base du rapport stimulant présenté par M. Kosachev. Je suis persuadé que ce Sommet, sous la Présidence polonaise, sera un succès.

J’invite tous les parlements nationaux à organiser des débats sur le Troisième Sommet du Conseil de l’Europe et à encourager leurs gouvernements à suivre les recommandations que nous adopterons cette semaine. Il est indispensable qu’un élan politique soit donné au niveau national, si nous voulons que le Sommet soit un succès.

Pour que ce Sommet soit un succès, il importe également de disposer de ressources adéquates afin de pouvoir mettre en œuvre les décisions qui y seront prises. Une croissance réelle zéro mettrait en péril cette Organisation - le budget actuel de cette Assemblée équivaut à celui de mon équipe de football préférée, Roda JC, dans ma province des Pays-Bas ! - et donnerait l’impression d’un manque d’intérêt pour le rôle important que le Conseil de l’Europe peut et doit jouer. A cet égard aussi, nous devons être vigilants en tant que parlementaires nationaux.

Pour réaliser ces objectifs et pour exercer la haute fonction à laquelle vous m’avez élu, je compte beaucoup sur votre appui.

Le Conseil de l’Europe est la plus ancienne organisation européenne. L’âge est un atout si l’expérience acquise repose toujours sur les idéaux de nos pères fondateurs.

Il nous faut défendre les idéaux qui sont les nôtres et les promouvoir avec enthousiasme. Le Conseil de l’Europe n’est pas l’antichambre d’autres institutions. Le Conseil de l’Europe n’est pas une institution technique. Le Conseil de l’Europe est une organisation internationale vitale, dotée d’une Assemblée parlementaire remarquablement active et compétente et ce, grâce à vous tous qui êtes dans cet hémicycle. C’est là le capital, la richesse dans laquelle nous devrons investir pour la paix et le bien-être de l’Europe.

Montrons l’exemple si nous souhaitons être suivis.

Merci de votre attention