EMBARGO JUSQU'AU PRONONCE

25.06.2008

Intervention de Terry DAVIS

Secrétaire Général du Conseil de l’Europe

dans le cadre du débat sur

la situation de la démocratie en Europe

à l’occasion de la 3e partie de la session ordinaire de 2008

de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

(Strasbourg, 23-27 juin 2008)


En 1863, lors de son célèbre discours prononcé à Gettysburg, en Pennsylvanie, Abraham Lincoln, seizième Président des Etats-Unis, a parlé de « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».

Depuis, cent quarante-cinq ans se sont écoulés et pourtant, certains responsables politiques, dans le monde entier, n'ont toujours pas compris ce concept, ou du moins, ils ont du mal à l'appliquer.

Depuis la chute du mur de Berlin, le Conseil de l'Europe a plus que doublé le nombre de ses membres et rassemble, à présent, tous les Etats européens, à l'exception du Bélarus, souvent qualifié de dernière dictature sur le continent européen. Il ne faut, cependant, pas en déduire qu'aucun autre pays n'a de difficulté à se mettre en conformité avec les normes du Conseil de l'Europe en matière de démocratie, de droits de l'homme et de primauté du droit.

Le fait est que l'adhésion au Conseil de l'Europe, qu'elle soit récente ou qu'elle remonte à plusieurs dizaines d'années, n'est pas en soi un certificat de bonne conduite démocratique.

Divers problèmes se posent et ces problèmes ne sont pas le lot d'une seule partie de l'Europe.

L'un d'eux concerne le bon déroulement des élections. Récemment, une série d'élections ont eu lieu dans nos Etats membres et les observateurs envoyés par l'Assemblée parlementaire ont signalé que certaines de ces élections n'avaient pas été conformes aux normes du Conseil de l'Europe. Les problèmes sont variés et vont de la fraude à l'ancienne que constitue le bourrage des urnes aux moyens les plus modernes d'influer sur les résultats mais presque toutes les méthodes ont un point commun : elles profitent aux élus sortants.

La démocratie est une question d’attitude – pas l’attitude à l’égard de la victoire, l’attitude à l’égard de la défaite. Gagner est facile. Perdre est difficile. Croyez-moi, je parle d'expérience. J'ai perdu moi-même un certain nombre d'élections et ma réaction a toujours été la même : accepter la défaite et me préparer mentalement à gagner la fois suivante. Certaines personnes sont, apparemment, trop impatientes. Elles n'acceptent la volonté du peuple que si elle leur est favorable.

Permettez-moi de paraphraser William Shakespeare. Si vous perdez une élection dans une démocratie, ce n’est pas la faute des astres, de votre adversaire, ou de l’électorat, la faute réside en vous.

L'approche élitiste de la politique, selon laquelle les responsables politiques ont toujours raison et se croient autorisés à truquer ou à ignorer les résultats des élections parce qu'ils savent mieux que les électeurs ce qui est bon pour eux, est profondément antidémocratique. Pourtant, cette approche n'appartient pas à une époque révolue.

La liberté d'expression, ou plutôt son absence, est un sujet très préoccupant. Les méthodes varient d'un lieu à l'autre mais, là encore, les résultats sont les mêmes. Que l'on ait recours à l'argent, à la force brutale ou au contrôle de l'Etat sur les médias pour réduire au silence les voix dissidentes, c'est la démocratie qui en pâtit.

On dit souvent que tous ces phénomènes sont imputables au manque de culture démocratique et qu'il faut des années, voire des décennies, pour qu'une telle culture s'implante. Cette assertion est peut-être vraie mais elle ne justifie pas la tiédeur avec laquelle sont menées certaines tentatives pour instaurer la démocratie, qui visent davantage à satisfaire les observateurs internationaux qu'à permettre aux électeurs de faire leur choix.

Ces dernières décennies, le Conseil de l'Europe a constitué, en matière de démocratie et de droits de l'homme, un vaste ensemble de normes. Nous avons conçu, et proposé à nos Etats membres, les programmes nécessaires pour les aider à les mettre en œuvre. Nous nous retrouvons parfois, malgré tout, dans des situations où des lois démocratiques ont été adoptées, où des institutions démocratiques ont été créées et où les responsables politiques tiennent le discours de la démocratie et pourtant, le résultat final ressemble à une mauvaise répétition de théâtre.

Très souvent, le problème n'est pas tant le manque de culture démocratique que le manque de volonté démocratique. Je reconnais que certaines évolutions prennent du temps mais si le processus démocratique est au point mort, le temps ne fera rien à l'affaire. Nous ne pouvons pas avoir de démocratie sans démocrates.

Si nous voulons améliorer la situation de la démocratie en Europe, nous devons appeler un chat un chat. Il faut admettre que les résultats de certains pays européens laissent à désirer.

Le Conseil de l'Europe n'a pas pour but principal de condamner les Etats et de leur jeter l'opprobre ; son rôle est, au contraire, de les aider. Mais avant d'en arriver là, il faut que les Etats reconnaissent qu'il y a un problème et que notre aide est nécessaire. Le débat que l'Assemblée parlementaire a décidé de tenir aujourd'hui, ce dont je la félicite, est une bonne occasion de le faire.

Je vous remercie de votre attention.