EMBARGO JUSQU'AU PRONONCE      

24.06.2008

Intervention de Jean LEMIERRE

Président de la Banque européenne pour Reconstruction et le Développement (BERD)

à l’occasion de la 3e partie de la session ordinaire de 2008

de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

(Strasbourg, 23-27 juin 2008)


Monsieur le Président, monsieur le rapporteur,

C’est avec plaisir que je viens devant vous aujourd’hui pour vous rapporter pour la dernière fois – ne voyez aucune nostalgie dans ce propos – la situation de la Banque. J’ai une grande difficulté à le faire, votre rapporteur a été extrêmement complet oralement et par écrit. Je me bornerai à quelques remarques pour compléter ses analyses particulièrement claires.

D’abord, un mot sur la région.

La région, globalement, va bien. Il y a beaucoup de questions dans le monde, mais l’est de l’Europe se porte économiquement bien : la croissance, un flux d’investissement important, l’apparition d’entreprises locales, de PME et d’entreprises plus importantes qui prennent désormais une part croissante de l’économie. C’est une région qui bénéficie, à l’ouest, de la proximité de l’Union européenne et de la stabilité apportée par l’élargissement de l’Union européenne. Qui bénéficie, plus à l’est, de prix élevés en matière de gaz, de pétrole et de matières premières. Cette région va bien mieux qu’il y a quelques années. Elle bénéficie également, dans la plupart des cas, d’une très bonne gestion macroéconomique, prudente et consistant à éviter les excès d’emballement dans la croissance économique.

Néanmoins, la région connaît des problèmes.

Le premier, que je mentionnerai brièvement, est l’instabilité dans les Balkans. La situation politique dans les Balkans, les Balkans de l’Ouest, est une préoccupation importante. J’espère que les semaines et les mois qui viennent vont voir la résolution de ces tensions et permettre aux investisseurs de retrouver la voie de l’investissement dans les Balkans de l’Ouest, non seulement dans chacun des pays mais également pour faciliter le commerce et l’investissement dans des infrastructures transfrontalières. Il est évident que de ce point de vue, l’Union européenne a et aura un rôle tout à fait fondamental pour aider cette région à retrouver une stabilité et une croissance plus dynamique.

Deuxième problème, la reprise de l’inflation. Vous l’avez mentionnée, monsieur le Président, il y a quelques instants, et elle est effectivement préoccupante. L’inflation forte en Ukraine, relativement forte en Russie et, dans tous les pays, on note une augmentation assez prononcée des prix agricoles. C’est l’incidence des prix agricoles sur l’indice, notamment quand les revenus sont faibles. Dans beaucoup de pays, la consommation de biens alimentaires peut représenter pour les revenus faibles plus de la moitié des revenus. Toute pression inflationniste crée des difficultés qui posent, fondamentalement, des questions sociales. Bien entendu, les plus pauvres pâtissent de l’inflation et donc, très vite se posent des questions politiques auxquelles il faut prêter garde.

En troisième lieu viennent les désordres financiers internationaux. Depuis 1998, date à laquelle les pays émergents suscitaient des difficultés dans le système financier international. Il y avait une grande stabilité, des flux de capitaux abondants et de bons marchés. La croissance dans pays émergents, notamment dans la région, avait été financée de la sorte.

Aujourd’hui, la région subit : la plupart des pays subissent des tensions financières venant de l’extérieur. Dans le secteur bancaire, au Kazakhstan, en Russie les banques du secteur privé ont connu des tensions en liquidités. On le voit en Ukraine, voire dans d’autres pays. Ces tensions déroutent les pays de l’Est, ils ont le sentiment de n’y être pour rien. D’autre part, ils voient mal ce qu’ils peuvent faire pour les éviter.

Bien entendu, il y a des réponses à ces différentes questions. Mais il y a sans doute plus préoccupant qui doit être surveillé au-delà des tensions financières, qui sont gênantes – il peut y avoir un credit crunch pour financement des PME dans certains pays. Je veux parler d’un ralentissement économique à l’ouest qui pèserait sur la capacité d’exportation de la région. S’ajouterait alors à une fragilité financière une fragilité économique qui pèserait sur un secteur bancaire, certes solide, mais naissant et encore en construction.

Tension sur les prix agricoles, tension financière donc, mais en plus apparaissent dans plusieurs pays un déséquilibre macroéconomique, un fort endettement le plus souvent en devises étrangères – dollar, euro, franc suisse – et une forte importation de biens de consommation.

Il est normal que, dans des pays en transition, il y ait endettement, normal qu’il y ait importation de biens de consommation par effet de rattrapage. Il faut veiller à la capacité de ces économies à se développer en produisant elles-mêmes. D’où l’importance des politiques structurelles à mener pour créer des emplois, en améliorer le climat d’investissement, non pas pour limiter de trop l’importation mais pour créer une capacité à produire localement pour le marché domestique et pour l’exportation. C’est ainsi que l’on fait partie de manière équilibrée de l’économie globale.

Certains pays ont très bien compris. Un pays vient d’adhérer à l’OMC, il s’agit de l’Ukraine, et il sera certainement un incitateur aux réformes que vous avez souhaitées, monsieur le rapporteur à juste titre. C’est le type de démarche engagée actuellement dans la plupart des pays de la région, et c’est positif.

Face à tous ces défis, il y a des réponses.

Un mot sur la question agricole, car, de ce point de vue, la région est unique dans le monde. Globalement, elle dispose de plus de 20 millions d’hectares de terre arable inutilisés. Elles sont en Ukraine, en Serbie, bien entendu en Russie, au Kazakhstan et dans d’autres pays. En production du temps de l’URSS, elles ne sont plus utilisées. Maintenant, il y a 20 millions d’hectares de terre arable, utilisables sans grand effort, notamment à un coût environnemental faible : il n’y a pas de déforestation, pas d’irrigation à assurer. Ces terres existent, et vous les connaissez, elles sont de remarquable qualité. Le travail à accomplir est un travail d’investissement, et un travail juridique sur la propriété de la terre, un travail en équipements, en matériel d’exploitation, en compétences, en organisation, en accès aux marchés.

Nous essayons d’apporter notre contribution à ces politiques. Notre activité dans le domaine agroalimentaire est particulièrement importante dans tous les pays. En mars dernier, nous avons réuni à Londres à la fois des responsables politiques de la région et des investisseurs du secteur privé pour travailler ensemble sur les mesures à prendre, - mesures politiques et techniques - à prendre pour redonner au secteur agricole sa croissance légitime dans la région.

Pour les prix, l’énergie compte. Or les prix de l’énergie montent. L’énergie est chère, y compris pour les pays producteurs qui augmentent actuellement leurs tarifs. A cet égard, il y a une politique tout à fait indispensable que nous soutenons depuis deux ans et que vous avez beaucoup soutenue, une politique d’économie d’énergie. J’ai pour habitude de dire que la plus grande source d’énergie dans la région est l’économie d’énergie. L’économie de type soviétique a produit un système économique qui gaspille de l’énergie, pour plein de raisons que vous connaissez parfaitement. Je suis très impressionné par la réponse politique et technique des gouvernements et des entreprises. Il est très rare de tenir trois objectifs en même temps. Le premier est l’environnement, le second la sécurité énergétique, le troisième la compétitivité des entreprises. Ce sont aussi trois éléments tout à fait fondamentaux aux degrés divers, les différents gouvernements de la région, y compris la Russie, s’engagent dans des politiques très importantes d’économies d’énergie, il faut soutenir ces économies.

Pour ce qui est du déficit extérieur et des pressions qui viennent de l’extérieur, il y a deux enseignements à tirer : d’abord, il faut développer une industrie nationale plus forte et des entreprises plus fortes. C’est notre rôle, avec le secteur bancaire, de les financer de la manière la plus efficace possible. Vous voyez bien le défi que cela représente dans des turbulences financières internationales. Ensuite, il faut développer les marchés de capitaux. Il est toujours capital de mobiliser la ressource domestique pour financer à long terme des investissements publics ou privés afin de ne pas être trop dépendant des variations de change. Plusieurs pays se sont engagés dans cette voie, mais il reste encore énormément à faire.

Un mot, brièvement, sur l’institution que j’ai l’honneur de diriger, même si tout a été dit : la Berd, aujourd’hui, a constitué des réserves fortes. Elle poursuit son évolution et quitte l’Europe centrale. Nous avons fermé à la fin de l’année dernière nos opérations en République Tchèque. Nous allons fermer en 2010 toutes nos opérations en Europe centrale. Et nous redéployons les moyens et les investissements vers le sud et l’est de la région. Le travail est à peu près accompli.

La banque est dans une très bonne situation financière. Elle gagne de l’argent. Certes, le modèle ne consiste pas à gagner de l’argent mais à promouvoir la transition : mais si, en même temps, l’institution peut gagner de l’argent pour développer la transition, c’est une bonne chose.

Vous l’avez indiqué, les gouverneurs de la Banque, les actionnaires de la Banque, viennent de prendre une décision très importante à Kiev : nos profits disponibles sont de 1,1 milliard d’euros en 2007. Une décision a été prise. Schématiquement, il s’agit que 80 % de cette somme soient mis en réserve pour aider la banque à continuer à soutenir la transition et à prendre des risques. Un peu moins de 10 % sont destinés à la création d’un nouveau fonds pour aider à la préparation des investissements dans les pays les plus pauvres, et un peu plus de 10 % - 135 millions d’euros – sont prévus comme contribution au financement des opérations de traitement de Tchernobyl. Le management de la Berd et les équipes de la banque sont particulièrement fiers de leur travail et du travail accompli par les entreprises et les gouvernements de la région. Tout cela a permis de dégager ces profits, de financer un bien collectif comme la sécurité nucléaire dans la région et dans le monde.

S’agissant de la Banque, monsieur le rapporteur, vous avez mentionné quelques idées pour le futur. Il ne m’appartient pas de spéculer de trop sur le futur. Ce sera un sujet pour les gouverneurs et le conseil et avec mon successeur. Quelques remarques sur ce qui fonde les résultats de l’institution.

L’institution est d’abord une banque multilatérale, j’insiste sur ce dernier mot. La banque importe, bien entendu, de nombreux actionnaires européens, de l’Union européenne et en dehors. Tous les pays d’opération sont aussi actionnaires de la Banque, ce qui est tout à fait capital, à mes yeux, pour faciliter le dialogue politique et technique ainsi que l’appropriation de l’institution. Je tiens à remercier tous les gouvernements de ces pays qui contribuent très fortement à la définition des stratégies et des opérations de la Banque – le dialogue avec eux est fondamental – Je remercie l’ensemble des actionnaires non européens, non pays d’opération selon l’instruction : les États-Unis, le Canada, le Japon, le Mexique et de nombreux autres. Ils fondent le caractère multilatéral de l’institution, - l’aspect très original de cette institution, - au profit d’une cause européenne. J’y tiens, j’ai une vision très claire de l’Europe : l’Europe doit rassembler, fédérer et pas exclure. Cette vision que la Banque a su développer, que tous les actionnaires ont su développer, est une valeur fondamentale.

Voici une deuxième caractéristique de l’institution que je tiens à mettre en relief pour le l’avenir. C’est le métier, un métier original, décrié à sa création. Nous sommes entre le secteur public et le secteur privé. Je crois que les équipes ont démontré depuis quinze ans que le modèle produisait des résultats efficaces. C’est un modèle concentré sur l’investissement avec le secteur privé, accordant beaucoup d’importance à la transparence, à la démocratie et à l’état de droit, promouvant l’entreprenariat et les solutions de marché. Le travail n’est pas terminé, mais ce qui a été accompli, démontre que sur cette mission tout à fait fondamentale, la Banque est dans la bonne voie. Il ne faut pas la disperser et lui faire faire autre chose que cette mission fondamentale.

D’autres agissent remarquablement dans d’autres secteurs : la Banque de développement du Conseil de l’Europe, en matière sociale, la Banque européenne d’investissement, en matière d’infrastructures, la Banque mondiale, dans d’autres secteurs. La Berd s’est développée de manière précise moderne, et l’on en mesure aujourd’hui le résultat.

La Turquie fait l’objet d’un débat, vous l’avez mentionné, monsieur le rapporteur. A la fin du mois d’avril, à Kiev, la Turquie, actionnaire de la Banque depuis l’origine, a demandé à devenir pays récipiendaire des opérations. Les gouverneurs de la Banque ont alors engagé l’examen de la demande, examen qui est en cours par le conseil d’administration, lequel sera saisi d’une proposition, fin septembre, pour une prise décision en octobre. Il s’agit donc d’un processus clair et rapide, destiné à apporter une réponse rapide à la Turquie.

Pourquoi la Turquie souhaite-t-elle participer ? La Turquie reçoit déjà l’appui de nombreuses institutions internationales, mais les autorités turques ont indiqué qu’elles souhaitaient bénéficier du soutien de la Berd, institution spécialisée dans le financement du secteur privé, partageant des valeurs fortes que ces autorités souhaitent promouvoir, notamment dans leurs relations avec l’Europe. Cette demande a obtenu un large soutien des actionnaires de la Banque.

Monsieur le Président, mesdames et messieurs, au terme d’une présentation trop brève, je tiens à vous exprimer mes profonds remerciements, ma gratitude personnelle et celle de l’institution que je dirige. Le Conseil de l’Europe, son président, les commissions, les rapporteurs successifs, les fonctionnaires travaillant sur les questions relatives à la Berd, ont toujours prêté une grande attention à notre institution.

Votre contribution est essentielle. Vous nous apportez la dimension politique, vous nous rappelez sans cesse que derrière nos investissements, notre prise de risques et nos analyses techniques, il y a des hommes et des femmes. Je remercie tous ceux d’entre vous qui, en début d’année, traditionnellement, viennent à Londres, nous posent des questions, nous mettent au défi de vous répondre, et de mieux en mieux, ce qui est excellent.

Vous nous apportez aussi beaucoup dans le dialogue avec les pays concernés. Les valeurs de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et des fondateurs de la Berd sont identiques : la démocratie, l’économie de marché, la transparence, la lutte contre la corruption et, au total, l’amélioration de la condition de vie de l’ensemble des gens de la région.

Cette attitude que vous avez développée à l’égard de la Berd, vous souhaitez, monsieur le président, qu’elle soit maintenue dans le futur. Je tiens à vous indiquer, de la part de tous mes collaborateurs, et certainement de la part de mon successeur, le souhait profond de l’institution de poursuivre cette coopération, de continuer à être sous votre vigilance attentive et de recevoir vos conseils, vos avis et, si cela est nécessaire, vos critiques.

Merci, continuez à demander le mieux à la Berd. La Berd sait s’adapter et elle vous donnera le meilleur d’elle-même.