26.06.2008

Intervention de

Jakob KELLENBERGER

Président du Comité International de la Croix-Rouge

(CICR)

à l’occasion de la

3e partie de la session ordinaire de 2008

de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

(Strasbourg, 23-27 juin 2008)


Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les Sénateurs et Députés,

Mesdames et Messieurs,

C'est un grand honneur pour moi de m'adresser aujourd'hui à l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe.

L’adoption par votre Assemblée d'une Résolution et d'une Recommandation sur les activités du Comité international de la Croix-Rouge et la rédaction d'un Rapport y relatif attestent du crédit que vous portez à notre Institution et de la confiance que vous lui témoignez. Je tiens ici à remercier particulièrement Monsieur Michaël Hancock, qui, à la demande de la Commission des Migrations, des Réfugiés et de la Population, a été nommé Rapporteur sur cette question.

L'initiative prise au sein de votre Assemblée de se pencher une nouvelle fois sur les activités du CICR s'inscrit dans la tradition de coopération entre le Conseil de l'Europe et le CICR. Ces deux organisations, bien qu'ayant des mandats et des responsabilités différents, partagent en commun des objectifs essentiels liés à la protection de la dignité humaine. Nos efforts respectifs pour en assurer le respect constituent le ciment de notre coopération.

Si la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales se trouve au cœur du mandat du Conseil de l'Europe, c'est le respect du droit international humanitaire, applicable dans les conflits armés et adapté à la réalité de ces situations, qui occupe une place équivalente pour le CICR. Ces deux corps de droit sont au demeurant souvent complémentaires et le CICR travaille fréquemment dans des situations où le cadre de référence est donné par les droits de l'homme. Le recours aux droits de l'homme a également pu servir à l'interprétation de certaines normes du droit humanitaire, par exemple quant au respect des garanties judiciaires.

Le CICR déploie des activités de protection et d'assistance à travers le monde dans les pays en proie à des conflits armés ou à d'autres situations de violence. La plus part des activités du CICR se déroulent en dehors des Etats membres du Conseil de l'Europe : au Soudan, en Afghanistan, en Somalie, en Israël et dans les Territoires palestiniens, pour citer les opérations principales. Le CICR reste toutefois opérationnel dans les Balkans ainsi que dans le Nord et le Sud Caucase. Le CICR suit également avec attention tout développement touchant au droit international humanitaire et aux principes humanitaires ainsi que le rôle que les États et les autres acteurs internationaux, tels le Conseil de l'Europe, peuvent jouer dans les contextes de conflits armés et les autres situations de violence.

La coopération entre le CICR et le Conseil de l'Europe se concrétise dans un dialogue de confiance sur des sujets d'intérêt commun et un suivi des travaux de l'Assemblée Parlementaire mais aussi du Comité des Ministres, du Secrétariat général, du Commissaire aux droits de l'homme et de la Cour européenne des droits de l'homme. Le dialogue que le CICR a établi avec les organes du Conseil de l'Europe s'inscrit bien entendu dans le respect du principe de confidentialité qui veut que le CICR privilégie toujours comme mode d'action premier le dialogue bilatéral et confidentiel avec la partie concernée. Cette règle ne nous empêche cependant pas d'informer sur les programmes et les activités que nous menons et de sensibiliser la communauté internationale aux drames vécus par les victimes des conflits armés et des autres situations de violence.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs et Députés, Mesdames et Messieurs,

Il est évident que si vos efforts premiers sont destinés à se déployer dans des situations de paix, ils peuvent et doivent continuer à se déployer également lorsque la violence surgit. Ainsi, le CICR se félicite des travaux répétés de votre Assemblée et de ses différents Comités en vue, non seulement de promouvoir le droit international humanitaire, mais également d'assurer la meilleure protection possible des victimes des conflits armés et des autres situations de violence.

Je m'arrêterai maintenant quelques instants sur trois des thèmes, sur lesquels les organes du Conseil de l'Europe, et plus particulièrement votre Assemblée, se sont penchés attentivement durant les dernières années et sur lesquels votre rôle à l'avenir sera encore essentiel. Il s'agit de la question des personnes disparues, du problème des armes à sous-munitions et enfin des garanties dont doit s'entourer la lutte contre le terrorisme.

Les disparitions se produisent parfois à large échelle dans les conflits armés et les autres situations de violence. Elles constituent sans doute l'une des sources les plus terribles des souffrances humaines et très souvent un frein important à la réconciliation nationale, indispensable pour retrouver le chemin de la paix. Le droit international humanitaire interdit les disparitions forcées. Il impose également à chaque partie au conflit de prendre toutes les mesures pratiquement possible pour élucider le sort des personnes portées disparues par suite du conflit armé et de transmettre aux membres de leur famille toutes les informations dont elle dispose à leur sujet. Par différentes activités, le CICR fait tout pour assurer le respect de ces normes : il demande à visiter les personnes détenues en relation avec le conflit ou la situation de violence, mène des programmes pour restaurer ou maintenir les liens familiaux et s'efforce d'établir un dialogue avec les autorités concernées. Ce dialogue est destiné à les encourager à prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir et mettre fin aux disparitions. En effet, il est important de rappeler que ce sont avant tout les autorités concernées qui sont responsable de prévenir les disparitions et, si des disparitions surviennent néanmoins, d'apporter des réponses aux familles. Bien entendu, elles doivent être soutenues dans leurs efforts et toute expertise existante doit leur être apportée. Dans les Balkans, le CICR a pu jouer un rôle clé dans ce dossier et aujourd'hui encore au Kosovo, il préside le Groupe de Travail sur les Personnes Disparues. Dans ce contexte des résultats supplémentaires peuvent encore être atteints et les parties concernées doivent être encouragées à poursuivre leurs travaux. Dans le Sud Caucase, le CICR collecte, depuis de nombreuses années, des allégations de disparitions et est en contact étroit avec les autorités concernées pour les inciter à prendre des mesures effectives en ce domaine et les appuyer dans différentes initiatives. Enfin au Nord Caucase, le CICR est prêt à soutenir les autorités sur la base de son expertise.

Le CICR se félicite de l'existence d'autres instruments juridiques complémentaires visant à prévenir et à interdire les disparitions, qu'il s'agisse de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées du 20 décembre 2006 ou des instruments de droits de l'homme.

Le CICR constate également avec satisfaction que des efforts sont déployés en ce domaine par d'autres acteurs, permettant ainsi de renforcer la protection des victimes. Parmi ces autres acteurs, il faut souligner le rôle de l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe qui s'attaque depuis des années au problème des personnes disparues. L'adoption par votre Assemblée en 2004 et 2007 de Résolutions et de Recommandations portant spécifiquement sur les personnes disparues dans les Balkans, en Arménie, en Azerbaïdjan et en Géorgie atteste des efforts que vous menez en ce domaine. De même l'adoption d'une Résolution et d'une Recommandation en 2006 sur la situation en Tchétchénie couvre également cette problématique des disparitions. Le CICR se félicite de l'attention ainsi donnée par l'Assemblée à ces drames et la remercie pour les encouragements qu'il y voit de poursuivre ses propres efforts en ce domaine. Les travaux menés par l'Assemblée en relation avec ces contextes sont essentiels pour pousser les autorités concernées à prendre des mesures concrètes pour apporter toutes les réponses possibles aux familles des personnes disparues. Il faut également souligner l'apport important des travaux du Commissaire aux droits de l'homme et des développements de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui contribuent à la prévention et à la résolution des disparitions. La convergence des efforts de chacun renforce la prévention et la résolution des disparitions. Le CICR encourage vivement l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe, mais également les autres organes du Conseil de l'Europe à poursuivre leurs efforts et à examiner comment soutenir au mieux les familles des disparus.

Je passe maintenant à la question des armes à sous-munitions. Ces armes sont un problème constant depuis des décennies. Même si elles n'ont été utilisées que dans quelques dizaines de conflits armés depuis une quarantaine d'années, ces armes ont tué ou blessé des dizaines de milliers de civils dans les pays en guerre. Elles ont des caractéristiques uniques qui les rendent extrêmement dangereuses pour les civils au moment où elles sont utilisées et encore bien après la fin des conflits. Au Kosovo par exemple, des armes à sous-munitions ont été employées entraînant des conséquences humanitaires considérables. Le CICR a estimé depuis plusieurs années que des règles portant spécifiquement sur ces armes étaient nécessaires et que la communauté internationale devait de toute urgence conclure un nouveau traité. Le CICR se félicite donc de l'accord adopté le 30 mai dernier à Dublin et qui interdit l'emploi, la production, l'acquisition et le stockage des armes à sous-munitions ainsi que leur transfert. Le CICR demande instamment à tous les Etats de signer la Convention sur les armes à sous-munitions qui sera ouverte à signature à Oslo au début du mois de décembre prochain.

Le CICR a constaté que certains membres de l'Assemblée ont déjà saisi celle-ci sur la question des armes à sous-munitions. Le CICR encourage vivement l'Assemblée à prendre toutes les mesures possibles pour promouvoir la participation la plus large possible à cet instrument par l'ensemble des Etats membres du Conseil de l'Europe.

Permettez-moi enfin de dire quelques mots sur la lutte contre le terrorisme. Le CICR condamne énergiquement tous les actes de violence aveugle qui répandent la terreur parmi la population civile. Il a condamné de tels actes à maintes reprises, notamment après les attentats aux Etats-Unis du 11 septembre 2001. La lutte contre le terrorisme répond à des objectifs de sécurité légitimes. Comme d'autres, nous restons cependant convaincus que ces efforts ne peuvent faire fi des garanties fondamentales visant à assurer le respect de la dignité humaine et qui ont mis des décennies, parfois des siècles, pour se développer et être consolidées dans différents instruments juridiques.

Au cours des dernières années, la question de savoir comment le droit international humanitaire traite le phénomène du terrorisme a souvent été posée. Pour le CICR, une distinction doit être faite selon les situations. Certains aspects de la lutte contre le terrorisme s'inscrivent dans le cadre de conflits armés; le droit international humanitaire est alors applicable : celui-ci interdit spécifiquement tout acte ou menace de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile. Pour les autres aspects de la lutte contre le terrorisme qui ne s'inscrivent pas dans de telles situations et qui ne sont donc pas couverts par le droit international humanitaire, les instruments régionaux ou universels de protection des droits de l'homme sont applicables, ainsi que le droit pénal international et le droit interne.

Je tiens à saluer les efforts déployés par l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe et les autres organes du Conseil de l'Europe durant les dernières années, destinés à garantir le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, même dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et je vous encourage à poursuivre ces efforts. S'il est essentiel de stopper les actes de terrorisme, il n'en est pas moins essentiel que la lutte contre cette méthode aveugle soit menée dans le respect strict des garanties fondamentales reconnues à chacun. Je reste personnellement convaincu que le respect de la dignité humaine représente un investissement à long terme dans la sécurité.

Je vous remercie.