EMBARGO JUSQU'AU PRONONCE
30.09.2008

Discours de Haris SILAJDŽIĆ

Président de la Présidence de Bosnie-Herzégovine

à l’occasion de la 4e partie de la session ordinaire de 2008 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

(Strasbourg, 29 septembre-3 octobre 2008) 


Monsieur le Président,

monsieur le Secrétaire Général,

mesdames, messieurs les parlementaires,

C’est pour moi un honneur de m’adresser à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en cette session d’automne.

Permettez-moi tout d’abord d’exprimer ma tristesse après le décès de Lord Russell-Johnston qui a été mon pair pendant vingt-trois ans et qui a présidé brillamment votre assemblée entre 1999 et 2002. Lord Russell-Johnston a œuvré sans relâche en faveur des droits de l’homme. Toute notre sympathie va à sa famille et à ses amis.

Mesdames, messieurs,

La Bosnie-Herzégovine attache la plus haute valeur au travail du Conseil de l’Europe, de ses organismes et institutions. Nous en avons d’ailleurs directement bénéficié lorsque nous avons apporté des améliorations au respect de l’État de droit, des droits de l’homme et de la démocratie.

De ses améliorations, nous sommes reconnaissants au Conseil de l’Europe. Nous sommes néanmoins conscients de la présence de nombreux obstacles et du chemin à parcourir avant que la Bosnie-Herzégovine ne soit à la hauteur des principes qui constituent les fondations du Conseil de l’Europe.

Les progrès réalisés par la Bosnie-Herzégovine sont freinés par les discriminations qui sont consacrées par notre système de gouvernance. Même si notre pays a été l’un des cinq premiers à ratifier le Protocole n° 12 de la Convention européenne, c’est encore l’un des seuls États en Europe et de par le monde dont la Constitution admet que des citoyens soient écartés de certains postes publics du fait de leur appartenance ethnique.

Les accords de paix de Dayton ont mis un terme à la guerre, à l’agression et au génocide. Sa valeur ne peut être niée. Toutefois, l’accord de paix avait pour intention de réduire les discriminations et de renverser les effets négatifs du génocide et de l’épuration ethnique. Sur le papier, les accords de Dayton semblent comporter tous les éléments pour y parvenir. En effet, l’annexe 7 garantit que tous les réfugiés et toutes les personnes déplacées jouissent du droit de retour en toute sécurité sans risque d’intimidation, de persécution et de discrimination ou de harcèlement, en particulier sur la base de leur origine ethnique.

En pratique et dans les termes mêmes employés par la Cour constitutionnelle de la Bosnie-Herzégovine, « une pratique systématique et délibérée des autorités publiques de la Republika Srpska – l’une des deux entités qui forme la Bosnie-Herzégovine – visant à empêcher le retour des minorités, soit par le biais d’une participation à des incidents violents, soit en ne protégeant pas ces personnes contre des attaques violentes, a entraîné cette discrimination, fondée uniquement sur des raisons ethniques. »

Mesdames, messieurs,

Nous avons entendu ici même que le droit au retour, dans un autre contexte européen, n’était pas un droit important. D’ailleurs, les faits le montrent, puisque ce droit n’a jamais été mis en œuvre en Bosnie-Herzégovine. La Republika Srpska a-t-elle réussi à créer un précédent sur la scène internationale ? La Republika Srpska aurait-elle réussi dans son entreprise d’épuration ethnique violente ? Si cela était permis, cela créerait un précédent dangereux qui saperait les objectifs poursuivis par votre institution et par mon pays.

Les accords de Dayton n’ont pas été signés dans l’idée qu’ils pourraient être appliqués à la carte. L’obstruction relève précisément du souhait de certains de préserver l’ethnocratie au détriment de la démocratie. L’un de ses effets a été la mise en place d’un mécanisme ethno-territorial. Ainsi 22 % des députés du Parlement d’État, qui sont tous Serbes et tous issus d’une seule et même entité, la Republika Srpska, peuvent bloquer l’ensemble des décisions. C’est précisément parce que 1,2 million de personnes n’a jamais pu retourner dans ses foyers que deux députés non serbes seulement viennent de la Republika Srpska, ce qui ne permet pas de débloquer la situation.

Depuis que la Republika Srpska a multiplié par deux le nombre de ses voix, le mécanisme est entièrement bloqué et partial. Au cours des deux dernières années, il a été employé à cinq reprises pour empêcher la législation sur la citoyenneté qui aurait permis de détenir la double nationalité. Si ces changements fondés sur le modèle européen ne sont pas adoptés, plus de 500 000 réfugiés qui ont fui leur pays ne pourront pas obtenir la nationalité de Bosnie-Herzégovine. Ce n’est pas tant l’application des accords de Dayton que l’application de ces principes qui a abouti à un apartheid ethnique dont nous sommes les témoins aujourd’hui en Bosnie-Herzégovine.

Mesdames, messieurs, nous sommes sur le point de commencer à travailler sur une nouvelle constitution, mais si nous permettons à cette pratique de se poursuivre, nous ne réussirons pas. Au contraire, nous assisterons à des négociations sous pression de négociations secrètes qui aboutiront à un document parfaitement inutile.

Je me trouvais là-bas il y a deux ans lorsque à la Commission de Venise, a été proposé un document qui n’avait aucun sens à la place d’une véritable réforme constitutionnelle. Ainsi que le rapport le souligne clairement, le système de vote, compte tenu de l’entité et de ses implications politiques, est responsable de l’échec de l’initiative constitutionnelle à l’époque à cause d’une poignée d’individus qui a voté contre la proposition.

C’est la raison pour laquelle je vous demande de bien identifier les coupables et de les en rendre responsables. Si la Bosnie-Herzégovine ne peut pas mettre un terme à la ségrégation dans les écoles parce que les accords de Dayton ne lui en donnent pas la compétence, qui en est responsable ? Si l’on peut grâce aux voix de 22 % des députés bloquer la loi sur le recensement en refusant les propositions d’Eurostat, qui est responsable ? Enfin, si nous ne pouvons pas créer une véritable Cour suprême, comme vous nous l’avez demandé, comme la Commission de Venise l’a demandé, qui est responsable ?

Mesdames, messieurs, dites-nous clairement quels sont les principes et les normes de l’Europe ? Pour ma part, je puis vous le garantir, j’accepte clairement ces normes, comme je l’ai toujours fait. Je suis convaincu de m’exprimer au nom d’une grande majorité des citoyens de la Bosnie-Herzégovine. Il y a bien sûr, ceux qui disent qu’ils préfèreraient des institutions ethnocratiques plutôt que l’Europe, mais de telles allégations sont-elles acceptables aujourd’hui ?

En fait, la véritable question est la suivante : l’Europe est-elle profondément différente de l’Europe qui existait il y a soixante ans ? Ne serions-nous en faveur des droits de l’homme, de l’État de droit et de la démocratie que du bout des lèvres ? N’acceptons-nous, finalement, que l’usage de la force brute ? Condamnons-nous les génocides par le biais de la Cour internationale de justice sans pour autant en éliminer les conséquences ? J’espère que nous ne sommes pas une Europe de cette sorte. J’espère que nous sommes une Europe où les arrêts de la Cour internationale de justice sont mis en œuvre et ne sont pas archivés au fin fond d’un tiroir. J’espère que nous sommes une Europe qui réalise qu’à long terme, ces valeurs doivent être défendues et ne doivent pas être abandonnées au profit d’intérêts pragmatiques de court terme.

Je pourrais évoquer l’arrêt de la Cour internationale de justice qui rappelle les valeurs qui sont en jeu, mais je préfère vous citer Lord Russell-Johnston lorsqu’il rendait compte du génocide à Srebrenica : « Quasiment 10 000 maris, frères, fils, certains pas plus âgés que dix ou onze ans, et même des bébés ont été tués pendant ces cinq jours de folie, de massacres perpétrés par les troupes serbes bosniaques sous le commandement de Ratko Maldic. » 

Nous nous félicitons de l’arrestation récente de Radovan Karadzic, mais les faits demeurent. Certaines des institutions qui ont été considérées, dans l’arrêt de la Cour internationale de justice, comme coupables de ce génocide sont toujours en liberté. Nous nous félicitons, bien entendu, de la révision de l’acte de mise en accusation de Karadzic qui, maintenant, inclut deux actes de génocide en Bosnie-Herzégovine, contre les Bosniaques et contre les Croates. Enfin, considérant que l’arrêt de la Cour internationale de justice est le premier et le seul arrêt dans le cadre de l’application de la Convention sur le génocide de l’histoire de l’humanité, j’espère que votre Assemblée prendra en considération les implications dudit arrêt. C’est ce que j’attends de votre Assemblée.

Chers amis,

Nous n’avons oublié l’aide que nous avons reçue de beaucoup d’entre vous. Nous vous en sommes très reconnaissants. Néanmoins, sans une réforme complète de la constitution découlant de Dayton, peu de progrès pourront être obtenus, et la paix et la stabilité en Bosnie-Herzégovine continueront d’être menacés. J’espère que la procédure de suivi se poursuivra et que la Commission de Venise continuera son suivi. L’État de droit est important. Dans le monde chaotique dans lequel nous vivons, nous avons besoin de législation et de régulation, pas seulement dans le monde financier. La justice doit exister, les peuples doivent avoir la possibilité d’y croire.

Enfin, j’espère que nous pouvons compter sur vous pour identifier ceux qui se sont engagés sur la voie de l’Europe du XXIe siècle et que vous serez capables de les distinguer de ceux qui vivent encore sous l’emprise d’idées du XVIe siècle, d’idées féodales. Paradoxalement, la Bosnie-Herzégovine a été, pendant de nombreux siècles, une société multiethnique et cette caractéristique a été quasiment anéantie par les massacres, les viols, les tortures, les expulsions qui se sont produites à la fin du siècle dernier. Aidez-nous à renverser la tendance, aidez-nous à construire un État moderne, constitutionnel, qui soit véritablement multiethnique. Cela permettra à la Bosnie-Herzégovine et à l’Europe d’être un lieu où l’on vit mieux