Mesdames les Présidentes,
Monsieur le Secrétaire Général, Madame la Secrétaire générale adjointe,
Monsieur le Ministre-Conseiller, Monsieur le Directeur,
Chers collègues, Mesdames et Messieurs,
La liberté des medias et la sécurité des journalistes est un sujet qui me tient particulièrement à cœur.
Pendant la première année de mon mandat en tant que Présidente de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, j'ai eu l'honneur de présider, entre autres, deux importantes initiatives visant à renforcer la protection des journalistes.
En avril dernier, j'ai participé au lancement de la plateforme APCE contre la corruption, laquelle a consacré sa première réunion au thème de la collaboration entre parlementaires et journalistes d'investigation dans les cas de corruption. Les journalistes qui enquêtent sur les affaires de corruption s'exposent en effet davantage aux mesures de représailles.
Plus récemment, j'ai ouvert le séminaire inter-régional sur la protection des journalistes, ce qui a été l'occasion d'engager un dialogue entre juristes et représentants des médias sur les mécanismes de protection des journalistes et sur la lutte contre l'impunité.
C'est pour cette raison que je suis honorée de pouvoir participer à cet évènement.
Mais pourquoi avons-nous besoin de toutes ces activités ? Pourquoi avons-nous besoin de cette plateforme ?
« Ne pas attendre qu'on nous prive de l'information pour la défendre ».
Tel est l'un des slogans phare de Reporters sans frontières que nous devrions faire notre, non seulement à l'occasion de la conférence d'aujourd'hui, mais de manière bien plus générale.
Les journalistes, par leur travail acharné d'investigation sur des questions politiques et de société, sont des acteurs moteurs de la démocratie et de l'Etat de droit.
Malheureusement, trop nombreux sont les journalistes qui ont payé de leur vie, sacrifié leur sécurité ou leur liberté pour nous garantir l'accès à l'information. Et la tendance n'est pas encourageante.
Reporters sans frontières dénombre pour 2014 :
- 62 Journalistes tués
- 19 Net-citoyens et citoyens-journalistes tués
- 176 journalistes emprisonnés
- 178 net-citoyens emprisonnés
Des chiffres qui font froid dans le dos et qui témoignent de l'urgence de la situation. Parmi les journalistes tués, plusieurs l'ont été au sein d'Etats membres du Conseil de l'Europe, dont Ukraine où 6 journalistes sont morts.
Les journalistes sont aussi fréquemment la cible d'accusations forgées de toutes pièces, d'agressions, d'harcèlement ou autres attaques.
Je suis profondément préoccupée depuis longtemps par l'incapacité de certains pays membres de notre organisation à respecter leurs obligations en matière de protection de la liberté d'expression et de respect de l'intégrité des journalistes.
Comme le Comité pour la Protection des Journalistes l'a récemment rappelé dans une lettre adressée au Ministre belge des affaires étrangères, M. Didier Reynders, qui préside actuellement le Comité des Ministres, nombreux sont les défis que nous devons résoudre au sein de nos pays membres.
En Russie, par exemple, personne n'a été traduit en justice pour l'assassinat du journaliste Dmitry Kholodov, qui a été tué à Moscou il y a 20 ans. Depuis, plus de deux douzaines de journalistes en Russie ont été assassinés en toute impunité.
En Azerbaïdjan, qui a pourtant présidé le Comité des Ministres juste avant la Belgique, les journalistes critiquant les autorités continuent d'être emprisonnés, ainsi que les défenseurs des droits de l'homme.
En Turquie, malgré la baisse récente du nombre de journalistes emprisonnés, ceux-ci font face à un harcèlement constant et sont confrontés à la censure.
Le Comité pour la Protection des Journalistes indique également qu'un recul de la liberté de presse est enregistré en Hongrie. Il invite à examiner de manière plus approfondie la situation dans le pays afin d'éviter un dangereux précédent en Europe.
Alors n'attendons pas, n'attendons plus qu'on nous prive de l'information pour la défendre et pour défendre ceux qui, en quête d'information, s'exposent à de graves dangers.
L'Assemblée parlementaire a essayé à plusieurs reprises de mettre fin aux crimes contre les journalistes.
C'était d'ailleurs en réaction à l'assassinat d'une journaliste pour le moins emblématique, Anna Politkovskaïa, que Reporters sans frontières avait remis le 15 décembre 2006 au Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe une pétition signée par près de 12.000 personnes et appelant à l'ouverture d'une enquête internationale sur cet assassinat. Cette perte tragique d'une journaliste au courage exceptionnel et l'immense appel de la société civile qui s'en est suivi ont conduit à l'adoption de la Résolution 1535 (2007) de l'Assemblée parlementaire sur les menaces contre la vie et la liberté d'expression des journalistes.
La Résolution 1535, qui avait été préparée par mon regretté collègue Andrew McIntosh, mentionne la détermination de l'Assemblée « à mettre en place un dispositif spécifique de suivi pour identifier et analyser les attentats contre la vie et la liberté d'expression des journalistes en Europe ainsi que l'avancée des enquêtes des autorités judiciaires et des parlements nationaux sur ces attentats » .
La lutte pour la protection des journalistes est une mission sans fin et l'Assemblé parlementaire a ensuite intensifié son travail sur cette question. En 2010, nous avons en fait recommandé au Comité des Ministres (Rec. 1897) « d'affecter des ressources pour recueillir, analyser et échanger par voie électronique des informations sur les violations de la liberté du journalisme et des médias ».
En ouvrant cette conférence aujourd'hui, j'ai le grand plaisir et la profonde satisfaction de voir que ces graines ont porté leurs fruits et conduit à des actions concrètes, et que le Comité des Ministres a décidé de mettre en place une plateforme internet pour promouvoir la protection du journalisme et la sécurité des journalistes.
Cette plateforme est destinée à faciliter la compilation, le traitement et la diffusion d'informations sur les problèmes graves de liberté des médias et de droits des journalistes tels que garantis par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il s'agit d'un espace public centralisé où les organisations partenaires de confiance pourront publier des informations relatives aux menaces contre l'intégrité physique et la sécurité des journalistes, à l'impunité pour des agressions dont les journalistes sont victimes, et d'autres.
Cela permettra aux organisations internationales qui veillent au respect des normes en matière de liberté des médias comme le Conseil de l'Europe, le Représentant de l'OSCE pour la liberté des médias, l'UE et l'ONU de réagir plus promptement et en étroite coopération.
Cette initiative concrète découle finalement de la détermination du Conseil de l'Europe de ne plus attendre qu'on nous prive de l'information pour la défendre.
Je vous remercie de votre attention.