Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi tout d'abord de remercier la Présidence française et de saluer l'excellente l'initiative d'organiser ce séminaire sur le thème du débat public en tant qu'outil de gouvernance des nouvelles technologies.
Mesdames et Messieurs, mes chères et chers collègues,
J'interviens aujourd'hui devant vous en tant que Présidente de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, la plus large et la plus ancienne plateforme de coopération interparlementaire à l'échelle de notre Continent mais aussi un des organes statutaires du Conseil de l'Europe.
Dans ce contexte, l'Assemblée parlementaire joue un double rôle : d'une part, en tant que femmes et hommes politiques élu-e-s dans nos Etats membres, nous représentons la pluralité des points de vue de 830 millions d'Européennes et d'Européens ; d'autre part, en tant que législatrices et législateurs, nous sommes amené-e-s à adopter des lois qui définissent les politiques publiques et le cadre normatif qui régissent notre quotidien.
J'aimerais donc, dans mon intervention, vous donner une perspective parlementaire des enjeux que représente l'utilisation des nouvelles technologies et, notamment, le besoin de tenir un débat public sur ce sujet.
Mesdames et Messieurs,
Les développements scientifiques et techniques – que ce soit dans le domaine de la biologie, de la médecine, ou encore de l'intelligence artificielle – ont permis des avancées spectaculaires. Cependant, elles ont soulevé en parallèle et à juste titre, de nombreuses questions d'ordre éthique et juridique.
Afin de répondre à ces questions et de prendre en compte les opportunités et les risques que comporte l'utilisation des nouvelles technologies, il faut avoir un cadre normatif et règlementaire clair. L'élaboration de ce cadre et l'adoption des lois nécessaires est bien entendu un rôle qui incombe aux parlementaires.
Pour préparer les lois, nous avons besoin de connaître le sujet et les enjeux ; nous avons besoin des avis des expert-e-s et des analyses approfondies ; enfin, nous avons besoin de bien comprendre les points de vue de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Or, souvent, faute d'informations, nous ne sommes pas pleinement conscient-e-s des enjeux et des risques que l'utilisation des nouvelles technologies peut engendrer. Il est donc difficile pour nous de faire des choix éclairés.
C'est là que le débat public s'avère être un outil efficace, car nous avons besoin d'entendre tous les points de vue et de prendre en compte les positions, les craintes et les expectatives de toutes les parties prenantes. C'est justement l'objectif de tout débat public.
Comme vous le savez, la Convention d'Oviedo exige que les Etats Parties « veillent à ce que les questions fondamentales posées par les développements de la biologie et de la médecine fassent l'objet d'un débat public approprié ». L'Assemblée parlementaire a réitéré ce principe dans plusieurs de ses rapports en l'appliquant à l'utilisation des nouvelles technologies et de l'intelligence artificielle en général.
Dans nombre de nos Etats membres, des mécanismes de débat public existent déjà. Permettez-moi juste de noter que la France est particulièrement avancée dans ce domaine, ayant mis en place en 1983 le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE). Dans nos débats, nous allons sûrement évoquer cet exemple ainsi que bien d'autres basés sur la pratique de nos 47 Etats membres. De plus, les travaux du Comité de Bioéthique (DH-BIO), qui travaille actuellement sur un Guide relatif au débat public, vont également alimenter nos discussions.
Pour ma part, permettez-moi d'esquisser quelques grandes lignes auxquelles un débat public devrait correspondre, de mon point de vue.
Premièrement, le débat doit être ouvert – c'est l'essence même du processus de démocratie participative. La science et la technologie ne peuvent contribuer au progrès que si elles s'accompagnent d'un progrès démocratique.
Deuxièmement, le débat doit être inclusif : il est indispensable d'impliquer le plus de milieux concernés possibles dans les discussions : les expert·e·s du milieu scientifique bien entendu, les décideuses et les décideurs politiques, les organisations non-gouvernementales et ainsi que les collectifs de citoyennes et citoyens. Il faut créer des conditions pour que le plus de personnes possibles puissent s'exprimer : pourquoi, par exemple, ne pas utiliser les plateformes en ligne pour augmenter l'audience ?
Troisièmement, le débat doit être contradictoire : les modalités d'organisation doivent permettre à une diversité de points de vue d'être présentées. Les sujets dont nous pouvons être amenés à débattre provoquent souvent des controverses – c'est la nature même d'un débat public dont le but n'est pas forcement d'arriver à un consensus. En même temps, l'objectif du débat n'est pas d'exercer une pression sur le législateur en visant à imposer l'un ou l'autre choix politique. Bien au contraire, l'objectif du débat est de fournir une analyse objective et refléter les différents points de vue qui existent dans la société afin que l'organe législatif puisse faire un choix politique éclairé.
Quatrièmement – et cela est particulièrement important pour nous en tant que représentantes et représentants du Conseil de l'Europe – les discussions doivent être guidées par le respect des normes fondamentales auxquelles nous adhérons toutes et tous. Ces normes sont définies dans la Convention européenne des droits de l'homme, ainsi que dans la jurisprudence de la Cour de Strasbourg et dans de nombreux instruments juridiques élaborés au sein du Conseil de l'Europe. En tant que membres de l'Assemblée parlementaire, nous devons agir dans nos parlements nationaux en tant que gardiennes et gardiens vigilant·e·s des normes de la Convention.
Enfin, je noterais qu'en général, le débat public n'est pas seulement important lorsqu'il s'agit des développements liés à de nouvelles technologies mais aussi lorsque la législation relative à des questions bioéthiques, n'est plus en phase avec les évolutions de la société ou des évolutions juridiques. Je voudrais me référer à un exemple concret que nous avons utilisé dans un de nos rapports récents sur le Don anonyme de sperme et d'ovocytes : trouver un équilibre entre les droits des parents, des donneurs et des enfants. En avril 2018, la Cour constitutionnelle du Portugal a établi le droit, pour les personnes nées d'un don de gamètes, de connaître leur identité génétique et la donneuse ou le donneur de gamètes. Avant cette décision, la loi portugaise de 2006 garantissait l'anonymat (quasi) absolu des donneuses ou donneurs, celui-ci ne pouvant être levé qu'en cas de risque de consanguinité. Le parlement est en train donc de gérer la transition entre l'ancien et le nouveau système, en s'attelant à un certain nombre de questions délicates, parmi lesquelles le sort des gamètes cryoconservés (et des embryons créés) avant la décision de la Cour constitutionnelle et la levée rétroactive ou non de l'anonymat. Celles-ci et d'autres questions telles que l'indemnisation des donneuses ou donneurs et le nombre maximum d'enfants conçus à partir d'un don de gamètes autorisé pour chaque donneuse ou donneur devraient être traitées autour d'un débat public éclairé et de grande ampleur.
Mesdames et messieurs,
En conclusion, je voudrais réitérer une nouvelle fois que l'Assemblée parlementaire est prête à jouer pleinement son rôle et à contribuer à nos travaux sur la question du débat public et les nouvelles technologies.
Notre Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias prépare un rapport sur De nouvelles formes de débat public sur les aspects éthiques des mutations rapides des sciences et des technologies dont le rapporteur, M. Stefan Schennach, présentera les grandes lignes dans la session plénière de cette après-midi. Ces travaux devraient permettre à l'Assemblée de recenser les bonnes pratiques et d'élaborer des lignes directrices et des recommandations pour nos États membres.
Je me réjouis donc de pouvoir travailler avec vous aujourd'hui et je vous remercie de votre attention.