Mesdames et Messieurs, chers amis,
Je commencerai en exprimant mes remerciements chaleureux à Mme Fiala pour son invitation ; je voudrais aussi souligner à quel point je me sens honoré de participer à cette initiative importante et noble.
Mme Fiala défend activement les droits des réfugiés et des personnes affectées par le SIDA au sein de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, que j'ai l'honneur de présider. Elle a notamment été à l'origine d'un rapport qu'elle est en train de préparer, sur les réfugiés et la lutte contre le SIDA. Je suis sûr que nos discussions de ce soir fourniront du matériel très riche pour ce rapport. Le texte sera ensuite voté par l'Assemblée, qui réunit des élus des parlements nationaux de 47 pays européens, et maintient des relations très fructueuses avec des pays observateurs du monde entier et des partenaires de notre voisinage le plus proche. Le texte que l'Assemblée votera sur initiative de Mme Fiala représentera, en quelque sorte, la voix du peuple européen sur ce sujet difficile et délicat.
Chers amis, nous sommes seulement à quelques jours d'un événement qui, il y a 22 ans, a bouleversé des millions de personnes dans le monde entier. Lorsque Freddie Mercury, le leadeur du groupe « Queen », est mort du SIDA le 24 novembre 1991, ce n'était pas juste une célébrité, une « rock star » qui nous quittait et ce n'était pas juste un fait divers des pages des journaux « people ». Grâce à la célébrité planétaire de Mercury, le monde s'est éveillé aux dangers du virus et s'est rendu compte que le SIDA était une maladie sans pitié, et qui tue en masse.
Il a fallu 7 ans de plus pour que le 1er décembre soit proclamé « Journée mondiale de la lutte contre le SIDA ». Une telle action était, et reste nécessaire, car la prise de conscience reste la meilleure façon de combattre ce fléau.
Certes, les dernières années, des progrès remarquables ont été accomplis dans la lutte visant à enrayer la propagation du VIH et à traiter ses effets dévastateurs. Des mesures de prévention telles que la sensibilisation des populations aux modes de transmission et à la nécessité de changer leur comportement pour leur permettre de se protéger contre l'infection se sont généralisées et deviennent de plus en plus sophistiquées.
Mais la particularité du SIDA reste toujours d'être beaucoup plus qu'un problème médical ; c'est aussi une maladie de société, tant elle est liée à la honte, à la discrimination et à la stigmatisation. La discrimination reste présente partout : de la part des employeurs, des membres de la famille ou des amis et même des prestataires de santé. Les personnes affectées ont peur de révéler leur état, ce qui empêche le dépistage et les soins. Les femmes et les filles sont particulièrement vulnérables.
Les migrants, les réfugiés et les personnes déplacées sont également dans une situation très difficile. Déjà, rien que leur présence sur le sol européen ou sur le sol de certains pays dérange une partie de la population, et est exploitée par des forces nationalistes et extrémistes pour fomenter la haine, le racisme, la xénophobie et parfois la violence. Le fait d'avoir le HIV/SIDA n'arrange en rien les choses. Malheureusement, la réalité est que, très souvent, les migrants, les demandeurs d'asile et les réfugiés sont accusés de propagation du VIH et d'autres maladies. Ils sont également exclus des plans stratégiques nationaux contre le VIH / SIDA de nombreux pays d'accueil, et leurs besoins ne sont pas pris en compte. Ce n'est pas logique. On ne peut pas lutter sérieusement contre la propagation du VIH et, en même temps, ignorer une partie de la population touchée par le virus.
Tous les textes internationaux majeurs, tels que les traités des Nations Unies, mais aussi ceux créés par le Conseil de l'Europe, notamment la Convention européenne des droits de l'homme et la Charte sociale européenne, garantissent les droits de l'homme de « toute personne ». Toute personne, cela veut dire également ceux qui ne sont pas citoyens du pays qu'ils ont rejoint, y compris les migrants en situation irrégulière. La règle générale est que ces droits doivent être garantis sans discrimination entre les nationaux et les étrangers.
Ces normes protègent les droits sociaux, économiques, civils, politiques et culturels de manière générale, avec une protection spécifique à l'égard des femmes et des enfants. L'égalité de l'accès aux soins de santé est un aspect du droit à la santé, reconnu par de nombreux instruments internationaux des droits humains, dont notamment la Déclaration universelle des droits de l'homme (Article 25§1) et le Pacte international relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies (article 12§1). Au niveau du Conseil de l'Europe, la Charte sociale européenne révisée couvre le droit à la protection de la santé (article 11) et le droit à l'assistance sociale et médicale (article 13).
L'égalité de l'accès aux soins de santé oblige les Etats à garantir aux personnes dépourvues de moyens suffisants l'accès aux dispositifs de soin de santé, ainsi qu'à empêcher toute discrimination dans la fourniture des soins de santé1. Or, les inégalités en matière d'accès aux soins de santé sont en train de s'accroître. Ces inégalités touchent surtout les populations vulnérables (personnes sans domicile fixe, chômeurs, familles confrontées à la pauvreté, migrants avec ou sans papiers, usagers de drogues, travailleurs du sexe) et contribuent à une croissance des inégalités en matière de santé (ce qui, à son tour, accroît la vulnérabilité des personnes concernées). Différents facteurs sont à l'origine de ces inégalités ; l'inéligibilité au bénéfice des soins de santé, les barrières linguistiques, les difficultés financières et administratives, l'incompréhension ou une connaissance limitée des droits reconnus et des règles du système, et certaines politiques migratoires et sécuritaires, etc.
Certains, bien entendu, diront que par ces temps économiques durs, nous ne pouvons pas fournir de soins médicaux gratuitement. D'autres diront même que, si l'on garantit ce genre de soins, on ne fera qu'encourager davantage la migration irrégulière.
Ce sont deux questions auxquelles il faut, et il est possible, de répondre.
Sur la question des coûts, l'accès aux soins préventifs et curatifs non seulement sauve des vies, il est aussi moins coûteux pour la collectivité à long terme, qu'il s'agisse d'un système national de santé basé sur l'assurance-maladie sociale ou d'un service national de santé financé par l'impôt. Ne rien faire coûte plus cher que de faire quelque chose.
Sur la deuxième question, celle de savoir si l'accès aux soins médicaux peut encourager la migration irrégulière, il existe peu de preuves qui établissent un tel lien.
Une autre question difficile, est celle du droit à renvoyer des réfugiés et des demandeurs d'asile vers leur pays d'origine s'ils sont affectés par le VIH / SIDA.
La réponse se trouve à l'article 33 de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Le principe de non-refoulement est un principe clé du droit international relatif aux réfugiés, qui stipule qu'aucun Etat ne refoulera de quelque manière que ce soit un réfugié vers un pays où sa vie ou sa liberté peut être menacée. Nous devons donc garantir que les personnes affectées par le VIH et le SIDA sont protégées contre le refoulement vers leur pays d'origine en raison de leur statut VIH.
Cela ne veut pas dire que des demandeurs d'asile déboutés et des migrants en situation irrégulière ne peuvent pas être renvoyés. Pour ces personnes, cependant, un certain nombre de questions doivent être posées quant au niveau de traitement qu'ils peuvent recevoir en cas de retour. Renvoyer quelqu'un dans un pays où il ne peut recevoir aucun traitement médical approprié peut s'apparenter à un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 3 de la CEDH, et il y a déjà une jurisprudence à ce sujet.
Voici encore deux questions relatives aux droits de l'homme qui doivent être prises en compte. Ces personnes ne doivent pas, en principe, faire l'objet de restrictions à leur liberté de mouvement, et si elles sont détenues, la détention ne doit pas être uniquement fondée sur leur statut VIH.
Il est également très important d'encourager les migrants, les demandeurs d'asile et les réfugiés à participer à des programmes d'éducation sexuelle et de se soumettre au dépistage gratuit du VIH. Beaucoup viennent de régions à forte prévalence du VIH / SIDA et il est donc important de fournir ce service.
Heureusement, il y des indications que les États sont de plus en plus attentifs à cette question, notamment en introduisant des possibilités de dépistages et des soins de santé pour les personnes dans le besoin. Je sais que le Royaume-Uni, par exemple, a récemment changé sa politique et a augmenté le niveau de soins de santé pour les personnes atteintes du VIH / sida.
La France a adopté un plan national de lutte contre le VIH / SIDA et les IST (infections sexuellement transmissibles) pour la période 2010/2014, dont l'un des objectifs stratégiques est un programme en faveur des migrants. Ce plan prévoit 12 mesures, dont la mise en œuvre d'actions prioritaires pour l'accès à l'information sur la prévention et l'éducation sanitaire, l'accès au dépistage, ainsi qu'une prise en charge complète de qualité pour les migrants touchés par le VIH et les IST.
Finalement, rappelons-nous que nous pouvons faire beaucoup, non seulement sur le sol européen, mais aussi dans les pays les plus affectés. L'Europe est le plus grand donateur au monde d'aide publique au développement et c'est un engagement qu'elle devrait préserver, car c'est un investissement à multiples retours, bien sûr quand il est assorti d'un engagement correspondant de la part des pays bénéficiaires.
Chers amis, je pense à nouveau à Freddie Mercury, qui lui-même était immigré, puisque sa famille a fui son Zanzibar natal. Il y a 22 ans, une chanson s'est arrêtée, mais ses paroles sont restées : « Friends will be friends». Nous devons continuer, nous devons poursuivre nos efforts, car nous ne pouvons vaincre le fléau du SIDA que par notre engagement commun.
--------------------------------------------------------------------------------
1 Observation générale 14 (2000) du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies.