Discours à l'occasion de la 13ème Conférence du Conseil de l'Europe des Ministres responsables du sport
Macolin, jeudi 18 septembre 2014

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Secrétaire Général,
Mesdames et Messieurs,

Je me réjouis de pouvoir participer à cette conférence des Ministres des sports en tant que Présidente de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, et ceci pour trois raisons. La première est que ceci me permet de me replonger dans l'ambiance des rencontres des ministres des sports en tant qu'ancienne collègue. La deuxième raison est que cette réunion constitue pour moi un événement très important, étant donné qu'aujourd'hui, avec la signature officielle de la Convention, j'assiste à l'aboutissement d'un travail auquel j'ai eu la chance de pouvoir participer en ma qualité de rapporteure de l'Assemblée  parlementaire sur les matches truqués. Et enfin, la troisième est que cette conférence me permet de découvrir le « Bout du Monde » et je tiens à remercier les organisateurs, le « Bout du Monde » est vraiment merveilleux.

J'aborderai, en premier lieu, le thème central de la Conférence : « la corruption dans la gouvernance du sport ».

Je ferai ensuite quelques observations sur la Convention du Conseil de l'Europe sur la manipulation des compétitions sportives.

Je terminerai mon intervention avec des considérations sur le rôle du Conseil de l'Europe dans le domaine du Sport et sur l'importance d'avancer ensemble.

1.    La corruption dans la gouvernance du sport

Depuis quelques années, l'Assemblée parlementaire s'est penchée sur cette question, qui reste d'une actualité brulante. Mon collègue M. Michael Connarty fera une présentation de nos travaux sur ce thème. Je me limiterai donc à quelques remarques générales.

La bonne gouvernance du sport est entravée, comme nous le savons, par un ensemble de facteurs qui se renforcent réciproquement. En simplifiant, je résume ces entraves en quatre mots : argent, pouvoir, opacité et impunité.

Le sport aujourd'hui est un « business ». Les grandes organisations sportives, tout en ayant le statut d'associations non lucratives, sont de véritables multinationales qui gèrent des milliards. Les enjeux financiers sont colossaux.

Le monde du sport, comme celui des affaires et celui de la politique, connait des luttes internes pour la conquête et la conservation du pouvoir. La règle formelle de la démocratie interne est certes respectée ; pourtant, la réalité est la féodalisation de certaines grandes fédérations, avec des leaders qui, sans doute aussi par leurs qualités indéniables - comme leur grande grande expérience, leurs cercles de relations ou bien encore leur charisme personnel - deviennent incontournables et de facto pratiquement inamovibles.

Bien entendu, que le sport soit une activité économique florissante et que le leadership soit stable n'est en soi ni mauvais ni critiquable. Au contraire, il faut souhaiter que les grandes organisations sportives soient financièrement florissantes et rentables pour qu'elles puissent soutenir le développement du sport partout dans le monde.

Les problèmes surgissent néanmoins immédiatement lorsque les questions d'argent et de pouvoir se combinent avec le manque de transparence dans les processus décisionnels, et que les dispositifs de prévention et de sanctions mis en place offrent des échappatoires à ceux qui trichent. A bien y regarder, le monde du sport ne diffère en rien des autres domaines où la corruption et les malversations financières trouvent un terrain pour s'enraciner. Hélas, les scandales passés et récents le confirment.

Mais pourquoi faut-il que le Conseil de l'Europe s'occupe de la gouvernance et de la corruption dans le sport ? En effet, d'aucuns pourraient nous reprocher d'envahir un domaine protégé par le principe de l'autonomie du mouvement sportif. Néanmoins, pour moi la réponse est évidente : améliorer la gouvernance du sport et lutter contre la corruption au sein des instances sportives contribue à garantir à la fois les valeurs du sport et les valeurs de nos sociétés démocratiques, ainsi qu'à sauvegarder « l'Etat de droit ». Ce sont bien les principes essentiels du Conseil de l'Europe qu'il s'agit de défendre à tous les niveaux et dans tous les domaines. Le sport ne doit pas être une zone de non-droit.

Pour cette raison, l'Assemblée parlementaire, dans la Résolution 1875 (2012) « La bonne gouvernance et l'éthique du sport » a affirmé que :

« L'intervention des Etats (…) doit tenir compte de la nécessité de préserver l'autonomie du mouvement sportif, mais aussi de l'exigence d'assurer que cette autonomie ne devienne pas un écran pour justifier l'inaction face aux dérives qui battent en brèche l'éthique sportive et aux agissements qui relèvent, ou devraient relever, du droit pénal. »

Le meilleur chemin vers la bonne gouvernance des organisations sportives reste l'autoréglementation et le développement d'une culture de la transparence au sein de leurs organes directeurs. Les réformes entreprises par le Comité international olympique (CIO) après le scandale de corruption de 1998 et les résultats obtenus par cette organisation sont de bons exemples. La FIFA, elle-aussi secouée par de nombreux scandales, y compris aujourd'hui, s'est engagée dans un processus de réformes qui, hélas, est loin d'avoir abouti.  De même, toutes les organisations du sport devraient engager une révision de leurs systèmes de gouvernance.

2.    La Convention du Conseil de l'Europe sur la manipulation de compétitions sportives

Quelques mots maintenant sur la Convention sur la manipulation de compétitions sportives.

Cette convention est indispensable et j'appelle tous les gouvernements à la signer le plus tôt possible. Sans elle, nous serions condamnés à assister impuissants à la mainmise des organisations criminelles sur les compétitions sportives, à la destruction des valeurs du sport, à la transformation du marché des paris sportifs en énorme machine de blanchiment d'argent engendrant des  profits illicites vertigineux, et à faire des sportifs ou des dirigeants des otages des criminels.

Je salue cette Convention aussi car elle est le résultat d'un vaste processus collaboratif. En effet, sur ce dossier – et là je parle de mon expérience personnelle– il y a eu une collaboration exemplaire entre l'APES, y compris son groupe de rédaction et son secrétariat qui ont fait un travail remarquable et je les en remercie, et l'APCE. La  collaboration était également exemplaire entre le Conseil de l'Europe et le monde du Sport, ainsi qu'avec les opérateurs de paris sportifs.

Dans mon rapport sur « La nécessité de combattre le trucage de matchs », j'avais beaucoup insisté sur l'importance de cette coopération élargie et renforcée entre toutes les parties prenantes et je me réjouis de constater que la Convention jette les bases pour une coopération étendue et nous offre le cadre juridique commun pour la développer.

En fait, la coopération est aussi « la clé » pour la mise en œuvre efficace de cette Convention. Comme son préambule nous le rappelle : «une lutte efficace contre la manipulation de compétitions sportives requiert une coopération nationale et internationale renforcée, rapide, soutenue et fonctionnant correctement ».

3.    Considérations finales et conclusions

Cela m'amène à quelques considérations générales.

Pour que nos travaux aient un impact réel, pour protéger les valeurs du sport et pour garantir l'état de droit, nous devons relever trois défis étroitement liés :

  1. Le premier est le défi de l'efficacité. Nous devons passer des paroles aux actes et initier de suite les procédures nécessaires pour aboutir dans les plus brefs délais à la ratification et à l'entrée en vigueur de la Convention sur la manipulation de compétitions sportives. Nous devrons chercher activement, dès maintenant,  l'implication d'Etats non européens tels que les Etats-Unis ou la Chine et d'autres pays. Vous voyez bien que je dis « nous », car je suis consciente de l'importance que nos parlements fassent leur part du travail rapidement et sans hésitations. Vous pouvez compter sur mon engagement personnel : je ferai tout ce qui est de mon ressort pour motiver les délégations nationales auprès de l'Assemblée, afin qu'elles soutiennent ce processus.
  2. Le deuxième est le défi de la responsabilité. Les pouvoirs publics doivent respecter le principe de l'autonomie du mouvement sportif en évitant toute immixtion dans les processus décisionnels internes des organisations sportives. Cependant, cette autonomie ne saurait couvrir une atteinte à l'Etat de droit, ni protéger corrupteurs ou corrompus. Lorsqu'il s'agit de la bonne gouvernance et de l'éthique du sport, les Institutions sportives ont la responsabilité de faire toutes les réformes nécessaires : il faut assurer la publicité et la transparence du processus décisionnel et mettre en place des mécanismes de prévention, de contrôle et de sanction sans failles. Les autorités publiques ont le devoir d'encourager et de soutenir ces réformes.
  3. Le troisième est le défi du respect et de la confiance réciproque. Personne ne peut et ne doit se comporter comme donneur de leçons ; telle n'est certainement pas l'intention de l'Assemblée parlementaire, même lorsqu'elle estime nécessaire de formuler des critiques, qui souvent sont très sévères, à l'égard de certaines organisations sportives, mais qui se veulent toujours constructives.
    Nous devons nous faire confiance mutuellement pour poursuivre sur la voie de la coopération.

Mesdames, Messieurs,

La tâche qui nous attend n'est pas simple, mais nous avons l'obligation de réussir. Je suis confiante que nous réussirons à condition que nous travaillions ensemble.

Le combat que nous menons est un combat collectif. Or, nous  savons tous que pour réussir dans les sports collectifs, il n'y a un qu'un seul moyen : il faut jouer en équipe.

Je suis fière, très fière, de faire partie de cette équipe de sportifs.