Allocution d'ouverture, Partie de la session de september 2015
Strasbourg, lundi 28 septembre 2015

Chers collègues,
Mesdames et Messieurs,

C'est sur une note bien triste que je dois commencer mes remarques liminaires. Cet été, l'un de nos collègues - Philipp Missfelder, de la délégation allemande - est décédé à l'âge de 35 ans. Nous nous souviendrons de lui comme d'un participant actif à nos débats, d'un Européen engagé, et d'un véritable ami. Mes condoléances à la délégation allemande ainsi qu'à sa famille.

Je tiens aussi à rendre hommage à deux de nos collègues interprètes qui sont décédés pendant l'été – Dimitri Golybine, de la cabine russe, et Bernardo Ghionda, de la cabine italienne. Leurs voix nous manqueront.

Permettez-moi de vous inviter à observer une minute de silence pour rendre hommage à la mémoire de nos collègues et amis.

[…]

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Mesdames et Messieurs,

L'intervalle entre nos parties de session a été marqué par une aggravation dramatique et sans précédent de la crise des réfugiés. «  Nous courons à la catastrophe si nous ne travaillons pas ensemble », tels étaient mes mots dans mon adresse à l'occasion de la 4e Conférence mondiale des Présidents de Parlement début septembre, invitant instamment les Présidents de Parlement du monde entier à agir auprès de leurs gouvernements pour les sensibiliser au drame des réfugiés et les amener à faire preuve d'une plus grande solidarité.

Lorsque j'étais à New York, j'ai discuté de cette question avec un certain nombre de Présidents de Parlement et de partenaires internationaux. Plus récemment, j'ai parlé du drame des réfugiés avec le Président du Parlement européen et les dirigeants des groupes politiques au Parlement européen lors de la réunion conjointe entre notre Comité des Présidents et la Conférence des Présidents du Parlement européen.

De toute évidence, nous faisons face à une crise qui nécessite une réaction audacieuse, directe et collective au niveau paneuropéen. Elle nous oblige aussi à avoir une vision prospective au lieu de réagir avec un temps de retard lorsque des faits nouveaux se produisent, ce que nous faisons depuis des mois.

Notre Assemblée est déjà activement engagée. Ainsi que vous le savez, le phénomène des migrations et notre réaction au drame des réfugiés sont au cœur de mes activités de Présidente depuis le début de mon mandat. Avec votre soutien, nous avons organisé une visite de parlementaires dans les camps de réfugiés en Turquie, afin d'encourager nos parlementaires à sensibiliser les gouvernements et les citoyens à l'ampleur considérable du problème. Nous avons lancé une campagne pour mettre fin à la rétention des enfants migrants. Nous organisons pour le 18 décembre, la Journée internationale des migrants, des visites de parlementaires dans des centres de rétention pour migrants dans toute l'Europe.

A l'occasion de toutes mes visites officielles et en particulier en Grèce, en Espagne, en Italie, en Turquie, au Portugal, en Serbie, aux institutions des Nations Unies à New York et à Genève, ainsi qu'aux institutions de l'Union européenne, j'ai discuté des problèmes de migration et d'asile et j'ai pu constater un fort sentiment de solidarité avec les réfugiés et la compréhension de la gravité du problème ainsi que de la nécessité de prendre des mesures d'urgence. Aujourd'hui, nous devons agir. Cela ne sert à rien de continuer à parler ; il nous faut des mesures positives dans nos états membres.

Mardi, nous aurons, je l'espère, un débat thématique sur la réaction politique et humanitaire de l'Europe à la crise des réfugiés, avec la participation de Mme Laura Boldrini, Présidente de la Chambre des Députés de l'Italie et anciennement haut fonctionnaire du HCR. Lors de nos débats, nous mettrons particulièrement l'accent sur la nécessité de revoir les politiques et réglementations européennes en matière d'asile, ainsi que sur les problèmes auxquels se heurtent les pays de transit.

J'espère que vous soutiendrez cette proposition lorsque nous en viendrons à l'adoption de l'ordre du jour de notre partie de session.

Sans vouloir écarter d'avance les résultats de ce débat, je tiens toutefois à mettre en lumière, si vous le permettez, trois questions qui, à mon avis, sont d'une importance cruciale et doivent être prises en compte.

Premièrement, notre priorité absolue doit être de sauver la vie d'êtres humains et d'offrir un abri et une aide à tous ceux qui ont besoin d'une protection internationale. Il s'agit à la fois de notre devoir commun et d'une responsabilité internationale. Je salue la décision récente de l'Union européenne concernant la répartition de 120 000 réfugiés. Les gouvernements doivent faire face à leurs responsabilités, faire preuve de leadership et prendre courageusement des décisions audacieuses, bien qu'elles puissent être impopulaires et considérées comme mauvaises par certains. Je regrette toutefois que cette décision soit intervenue si tardivement, après que des dizaines de milliers de personnes eurent déjà franchi les frontières de l'Union européenne.

Les chiffres sont considérables, mais pas insurmontables pour un continent aussi vaste et riche que l'Europe. Les solutions que nous trouvons ne doivent pas être juste des remèdes à court terme. Nous devons avoir une vision stratégique et anticiper les développements car il va y avoir de plus en plus d'arrivants, nous le savons avec certitude. Nous devons tenir compte des répercussions futures de la crise actuelle, en mettant en place des mesures d'intégration à moyen et long terme pour les nouveaux arrivants mais aussi pour les sociétés qui les accueillent. Nous devons garder à l'esprit le contexte plus large et nous intéresser non seulement aux conséquences immédiates du drame des réfugiés mais aussi aux causes profondes : la guerre, les conflits, la pauvreté et la famine. Le drame des réfugiés est un problème mondial, qui nécessite des solutions mondiales et une solidarité mondiale.

Deuxièmement, en réfléchissant à notre réaction à la crise des réfugiés, nous devons garder à l'esprit nos normes et nos valeurs. Toute personne qui arrive sur le territoire de l'un de nos 47 Etats membres doit jouir des droits fondamentaux reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme. Je me félicite de l'initiative du Secrétaire Général qui a transmis à nos gouvernements des orientations concernant la prise en charge des migrants et des demandeurs d'asile, afin d'assurer le respect de leurs droits fondamentaux. Cela dit, les droits sont assortis de responsabilités et nous devons aider ceux qui arrivent en Europe à les comprendre et les appréhender.

Troisièmement, alors que nous parlons aujourd'hui de notre réaction immédiate à la crise, nous ne devons pas perdre de vue le tableau général : le phénomène migratoire et ses répercussions pour nos sociétés. De nombreux demandeurs d'asile qui viennent en Europe resteront en tant que réfugiés. Nous voulons qu'ils deviennent des membres actifs de nos sociétés. Nous voulons qu'ils contribuent à notre économie, qu'ils enrichissent notre environnement culturel et linguistique. Nous ne pouvons pas nous permettre de les marginaliser. Je l'ai dit à de nombreuses reprises, nous devons faire disparaître les stéréotypes négatifs concernant les migrants et les réfugiés, et valoriser les avantages et les chances qu'ils peuvent apporter à nos sociétés. C'est d'autant plus important que la rhétorique populiste et xénophobe est en augmentation.

Nous devons mettre en place des politiques qui disent non à la haine. Il y a dix jours, j'ai eu l'immense honneur de discuter de cette question avec Sa Sainteté le Pape François qui m'a reçue en audience privée au Vatican. J'ai été honorée que Sa Sainteté accepte de soutenir notre Alliance parlementaire contre la haine.

Ainsi que vous le savez, j'assure activement la promotion de l'Alliance lors de toutes mes visites officielles et rencontres bilatérales et c'est avec un grand enthousiasme que je continuerai à le faire, non seulement au niveau européen mais aussi au niveau mondial, à l'occasion de nos contacts avec nos partenaires internationaux. Le Président du Parlement norvégien et moi-même avons lancé l'idée d'instituer une Journée européenne pour les victimes de crimes de haine et j'espère qu'avec le soutien des parlementaires des 47 Etats membres du Conseil de l'Europe cette initiative finira par prendre forme.

En gardant à l'esprit le contexte général, je ne peux éviter de mentionner la question du dialogue interculturel qui est notre outil pour lutter contre les causes profondes de l'intolérance et de la haine ainsi que pour promouvoir une meilleure cohésion et une meilleure intégration dans nos sociétés. En tant qu'ancienne rapporteure sur la dimension religieuse du dialogue interculturel, je me suis particulièrement intéressée dans toutes mes activités à la question du vivre ensemble. Cette semaine, nous allons examiner le rapport de M. Huseynov qui a pour thème «Liberté de religion et vivre ensemble dans une société démocratique ». Ce rapport reprend une idée antérieure de l'Assemblée concernant la création d'une plate-forme stable de dialogue avec de hauts représentants de religions et d'organisations non confessionnelles afin de favoriser l'engagement actif de tous. Je vous invite instamment à soutenir cette idée.

Et cette idée a également été soutenue par le Pape dans son adresse à notre assemblée en novembre de l'année dernière. Il suggéra de créer une Agora afin de discuter de cette question.

Et je suis heureuse que la présidence du Comité des Ministres de la Bosnie-Herzégovine ait choisi le dialogue interculturel comme priorité, et je me réjouis de participer aux échanges de Sarajevo sur la dimension religieuse du dialogue interculturel en Novembre prochain.

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Chers collègues,

Mesdames et Messieurs,

Aujourd'hui, alors que nous décerneront le Prix des Droits de l'Homme Vaclav Havel pour la troisième fois, je ne peux pas ne pas constater que, malheureusement, le rêve de Vaclav Havel et des Grands Européens qui ont fondé le Conseil de l'Europe – celui d'une Europe unie autour des idéaux de la démocratie et des droits de l'homme - est encore loin d'être pleinement réalisé.

Dans certains de nos Etats membres, les défenseurs des droits de l'homme et les militants de la société civile sont confrontés à toute une série de problèmes. Un cadre juridique restrictif, des procédures administratives complexes et abusives, pire encore, des pressions, des intimidations et des représailles… Les défenseurs des droits de l'homme et les ONGs sont malheureusement beaucoup trop souvent contraints de travailler dans des conditions extrêmement difficiles, voire même dans l'illégalité et la clandestinité.

Ceci est inacceptable dans une société démocratique et dans des Etats membres du Conseil de l'Europe.

Nous devons condamner les dérives avec fermeté. Depuis le début de mon mandant en tant que Présidente de l'Assemblée, j'ai toujours suivi cette ligne de principe, en faisant de nombreuses déclarations publiques et en soulevant ces questions dans mes rencontres bilatérales.

J'ai constamment appelé à la libération des prisonniers politiques, où qu'ils soient détenus en Europe. Le premier lauréat du Prix Vaclav Havel – M. Ales Bialiatski – a passé trois années en prison au Belarus pour avoir défendu les idéaux démocratiques – les idéaux du Conseil de l'Europe, bien que le Belarus ne fasse pas partie du Conseil de l'Europe – dans son pays. C'était un grand honneur pour moi de le recevoir l'année dernière après sa libération, au court de sa visite au Conseil de l'Europe.

Il est venu ici pour remercier le Conseil de l'Europe d'avoir contribué à sa libération.

Le lauréat de l'année dernière – M. Anar Mammadli – est toujours en détention en Azerbaïdjan et je regrette de ne pas avoir eu la possibilité de m'entretenir avec lui lors de ma visite en Azerbaïdjan. Mais j'ai rencontré d'autres prisonniers politiques et des membres de leurs familles à Baku et à Strasbourg, afin de leur manifester notre soutien et notre solidarité. Je compte continuer cette ligne. Je n'abandonne pas.

En effet, ces deux dernières années la situation en Azerbaïdjan en matière de respect des droits de l'homme s'est beaucoup détériorée. Les personnes visées, la nature des charges portées contre elles, la durée des peines prononcées, les irrégularités manifestes dans le déroulement des procès, tout amène à douter de la volonté des autorités de respecter les valeurs fondamentales du Conseil de l'Europe.

Les récentes condamnations de Leyla Yunus, Arif Yunus et de Khadidja Ismailova soulèvent de sérieuses préoccupations. Il est temps que l'Azerbaïdjan change son approche par rapport aux droits de l'homme et commence un travail sérieux et en profondeur afin de corriger les problèmes systémiques car il s'agit de problèmes systémiques dans le fonctionnement de la justice, dans le respect de la liberté des médias et de la liberté d'association et de réunion.

Ceci est d'autant plus important que le pays tiendra dans un peu plus d'un mois des élections législatives.

Comme vous le savez le Bureau de l'Assemblée a examiné ce matin la question d'observation de ces élections par notre Assemblée à la lumière de la décision d'ODIHR de ne pas observer ce scrutin. En effet, la décision des autorités azerbaïdjanaises d'imposer des limites strictes au déploiement sur le terrain des observateurs long- et court-terme d'ODIHR ne permet pas à cette institution – notre partenaire essentiel dans l'observation des élections et de l'atmosphère dans laquelle se déroule ce scrutin– d'effectuer une observation sérieuse et complète, conformément à sa méthodologie et à ses pratiques bien établies.

J'ai exprimé mes graves préoccupations par rapport à cette décision au Président du Parlement azerbaïdjanais que j'ai également pu rencontrer à New-York en l'appelant à travailler avec les autorités compétentes de son pays afin d'assurer le déploiement complet et régulier de la mission d'observation d'ODIHR. Il est extrêmement regrettable que les autorités azerbaïdjanaises ne semblent pas vouloir revenir sur leur décision.

Ce matin le Bureau a confirmé sa décision d'envoyer une mission d'observation des élections à Bakou, le 1er novembre 2015. Cette question relève de la compétence du Bureau et ses décisions doivent être appliquées.

Toutefois, je suis de l'avis – et je parle strictement en mon nom personnel – qu'en l'absence des observateurs long- et court-terme d'ODIHR, il sera très difficile – voire impossible – pour notre Commission ad hoc de faire une analyse profonde et complète de la conformité du scrutin avec nos standards et avec les engagements de l'Azerbaïdjan vis-à-vis du Conseil de l'Europe.

Nous devons revoir nos méthodes de travail car, sans prendre en compte tous les facteurs du processus électoral, nous ne pouvons pas faire une observation complète des élections.

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Chers collègues, Mesdames et Messieurs,

Comme d'habitude, nous allons accueillir cette semaine de nombreuses personnalités politiques. Je suis particulièrement fière que durant ma présidence de l'Assemblée nous allons avoir l'honneur d'accueillir dans notre hémicycle leurs Altesses Royales le Grand Duke Henri et  la Grande Duchesse Maria-Teresa, accompagnés du Président du Parlement luxembourgeois, M. Mars Di Bartolomeo, et de la Ministre de la Famille et de l'Intégration, Mme Corinne Cahen. Je suis fière de pouvoir accueillir dans cet hémicycle leurs Altesses Royales.

Egalement, les allocutions du Premier Ministre de la Bosnie-Herzégovine, M. Denis Zvizdic, et du Premier Ministre de la Serbie, M. Aleksandar Vucic, ainsi que celles du Président du Comité des Ministres, M. Igor Crnadak que, et de la Présidente de la Chambre des Députés du Parlement de l'Italie, Mme Laura Boldrini, enrichiront nos débats. Je me réjouis du fait que notre Assemblée continue d'être une plateforme de débat pour des personnalités politiques éminentes.

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Chers collègues, Mesdames et Messieurs,

Cette session plénière va être la dernière que je présiderai. C'est pourquoi, en conclusion de mes remarques liminaires, permettez-moi de faire une observation générale.

Ces deux dernières années n'ont pas été bonnes pour les droits de l'homme et pour les valeurs que défend notre Organisation. Permettez-moi de vous donner quelques exemples des nombreux problèmes auxquels nous devons faire face : le drame des réfugiés, l'essor du radicalisme et les attentats terroristes barbares au cœur de l'Europe ainsi que dans notre voisinage, le conflit en Ukraine et l'implication de la Russie.

En ce qui concerne cette dernière question – le conflit en Ukraine – la fin de la violence et le rétablissement de l'intégrité territoriale de l'Ukraine resteront pour nous une priorité. De même, le soutien à apporter à l'Ukraine dans ses efforts de réforme de ses institutions continuera de figurer à la toute première place de nos priorités car l'Ukraine a besoin d'institutions démocratiques solides fondées sur la prééminence du droit pour mener à bien son agenda européen.

Ces deux dernières années, nous avons vu aussi quelques changements positifs et je tiens à souligner en particulier la mobilisation rapide et extraordinaire de toutes les parties prenantes contre le l'extrémisme violent et le terrorisme à la suite de l'attentat contre Charlie Hebdo, le Mouvement contre le discours de haine et le lancement de l'Alliance parlementaire contre la haine, ainsi que l'entrée en vigueur de la Convention d'Istanbul, pour ne donner que quelques exemples.

Pourtant, les difficultés auxquelles se heurtent nos valeurs sont considérables.

Pour y répondre, notre Assemblée doit rester unie. Chaque voix est importante. Chaque action que nous menons, tant au sein de nos parlements nationaux qu'au niveau européen et au niveau international, compte.

J'ai pu constater ces deux dernières années la mobilisation extraordinaire de notre Assemblée chaque fois que les fondements mêmes de nos valeurs étaient contestés. Grâce à nos efforts et engagements communs, notre Assemblée a adopté des positions de principe audacieuses chaque fois que les principes fondamentaux du Conseil de l'Europe étaient mis en péril.

Je voudrais remercier le formidable personnel  pour leur soutien, je remercie le Comité des Ministres et le Secrétaire général du Conseil de l'Europe pour leur excellente collaboration, et je tiens tout spécialement à remercier le Secrétaire général de l'Assemblée, M. Wojciech Sawicki.
Enfin, permettez-moi de remercier deux de nos collègues qui quitteront notre Assemblée, Monsieur Mota Amaral, un membre remarquable de l'Assemblée, et Monsieur Andrea Gross, et qui participent à leur dernière session.

Je tiens à vous remercier tous de votre soutien.