Chers collègues,
Mesdames, Messieurs,
Le monde a changé.
Le terrorisme a de nouveau frappé l'Europe en plein cœur. Les attentats perpétrés à Bruxelles ne visaient pas uniquement la Belgique et les Belges, mais l'Europe tout entière – nos valeurs communes, nos institutions, notre mode de vie.
Le terrorisme touche désormais le monde entier, de Paris à Istanbul, de Beyrouth à Bamako, sans compter les attentats quotidiens en Irak et en Syrie.
Toutes ces attaques mettent en lumière la nature de la menace à laquelle nous sommes confrontés et renforcent notre détermination à vaincre Daech et d'autres organisations terroristes.
Je tiens à réaffirmer notre solidarité avec les nations et les personnes touchées par le terrorisme et adresse nos condoléances aux familles des victimes.
Chers collègues, je vous demanderai d'observer une minute de silence en hommage à toutes les victimes tombées sous les balles et les bombes des terroristes – hier comme aujourd'hui.
(….)
Mesdames, Messieurs,
Les terroristes veulent susciter la peur dans nos sociétés, non seulement en tuant des citoyens – de la manière la plus brutale qui soit – mais aussi en traumatisant la population tout entière. L'objectif du terrorisme, c'est de faire redouter à chacun d'être une cible.
En effrayant et en attaquant les nôtres, ils sèment le doute et la peur, ce qui les rend plus puissants.
Le terrorisme veut diviser nos sociétés.
Le terrorisme veut détruire l'unité européenne, semer la confusion et saper la confiance dans nos institutions ainsi que dans leur capacité à protéger les citoyens du terrorisme.
Mais nous ne nous laisserons pas intimider.
Nous n'allons pas céder au découragement.
Nous allons nous défendre et combattre le terrorisme et ses causes profondes.
Pour cela, je vois deux axes d'action fondamentaux.
Tout d'abord, nous devons adopter un discours politique fort : nous devons faire bloc et protéger notre liberté. Ensemble seulement, nous surmonterons la peur générée par le terrorisme.
Ensuite, nous devons nous pencher sur les causes profondes qui sous-tendent le terrorisme et l'extrémisme.
Rappelons – et c'est important – que les attentats de Bruxelles, à l'instar de ceux de novembre dernier à Paris, ont été perpétrés par des citoyens européens.
Pour vaincre cette menace interne, nous devons tendre la main aux communautés musulmanes marginalisées, dont trop de jeunes embrassent la cause djihadiste en l'absence d'autre perspective d'avenir.
Nous sommes tous des représentants des communautés dans lesquelles nous vivons. Nous devons œuvrer de concert avec nos communautés, la société civile et avec les organisations humanitaires pour nous rapprocher des groupes les plus marginalisés et promouvoir la cohésion et l'intégration au sein de nos communautés.
Nous ne devons pas répéter les erreurs du passé, lorsque nous poursuivions la politique du « multiculturalisme ». Cela a eu pour effet d'isoler les communautés de migrants dans des « ghettos ethniques ».
Il faut que les différentes communautés interagissent et vivent ensemble au lieu d'être séparées les unes des autres.
Mesdames, Messieurs,
Seuls des efforts conjugués permettent de régler des problèmes communs. Aucun Etat ne peut seul relever tous ces défis à la fois.
Face à une attaque barbare, la réaction la plus immédiate consiste souvent à durcir les mesures de sécurité, aux dépens des libertés individuelles.
Or, une telle réaction peut avoir des conséquences dangereuses. L'adoption de mesures et de politiques restrictives radicales ne fait que servir l'objectif des terroristes, qui est d'affaiblir les sociétés démocratiques en semant la peur et la panique, en dressant les citoyens les uns contre les autres, en nourrissant les sentiments xénophobes et en excluant et en radicalisant encore plus les communautés musulmanes, en particulier les jeunes.
Ne tombons pas dans ce piège !
Certes, nous devons prendre les mesures de sécurité qui s'imposent et mener les opérations de police nécessaires.
Il est également nécessaire d'adapter notre arsenal législatif à ces nouveaux défis. Cela étant, tout changement doit s'effectuer avec prudence, après un débat sérieux et en prenant dûment en considération nos normes en matière de droits de l'homme et de primauté du droit.
Face au terrorisme, nous devons réaffirmer nos valeurs démocratiques fondamentales et rejeter les discours démagogiques et xénophobes.
En tant que représentants politiques, nous avons un rôle pédagogique important à jouer vis-à-vis de nos citoyens.
L'équation « zéro immigration musulmane = zéro attentat terroriste » est un argument fallacieux et dangereux qui doit être rejeté.
Une de mes priorités, vous le savez, est de promouvoir les libertés et les droits individuels pour que tous les Européens puissent vivre sans voir leurs libertés restreintes par des menaces terroristes ou des conflits.
J'ai l'honneur d'annoncer que nous lancerons, au cours de notre session d'été, une campagne « NON À LA PEUR », qui complètera et renforcera notre campagne actuelle « NON À LA HAINE ». Je vais organiser des réunions cette semaine pour développer ce projet.
* * *
Chers collègues,
Nos forces sont aussi nos faiblesses.
Il a fallu 25 ans pour consolider l'accord de Schengen, qui favorise la libre circulation des citoyens dans la plupart des pays de l'Union européenne. C'est l'un des acquis les plus visibles et les plus tangibles de l'Europe – la concrétisation de notre idéal d'un continent sans frontières ni clivages.
Or, la crise des réfugiés remet gravement en question le traité de Schengen et, par conséquent, les fondements mêmes du projet européen.
A mesure que cette crise s'est aggravée, les divisions se sont creusées entre les Etats membres de l'UE concernant le partage des responsabilités et le transfert et la réinstallation des réfugiés et des demandeurs d'asile – on pourrait parler d'effet domino. Ces divisions pèsent sur l'unité européenne comme jamais auparavant et créent un terreau fertile pour les discours politiques populistes.
Les réfugiés nécessitent une protection internationale en vertu de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et de la Convention européenne des droits de l'homme. Il s'agit d'une obligation internationale et nous devons l'honorer en renforçant la coopération internationale et les mécanismes multilatéraux, tout en reconnaissant les spécificités de la situation et en tenant compte des préoccupations des Etats qui se trouvent en première ligne et qui sont le plus touchés par la crise.
Parallèlement, l'intégration exige un effort tant de la part des migrants que des sociétés d'accueil car il s'agit d'un processus à double sens.
A cet égard, ne sous-estimons pas les risques que pose l'essor des partis nationalistes et anti-immigration d'extrême gauche et d'extrême droite, qui prônent la fermeture de leurs pays.
Les intérêts nationaux doivent s'effacer devant la nécessité collective.
Le langage chargé d'affectivité et les discours populistes jouent en faveur des terroristes au moment même où l'Europe doit afficher unité et détermination face à cette crise sans précédent.
Les forces politiques extrémistes profitent des doutes exprimés par les partis politiques traditionnels pour propager leurs idées populistes. Cette situation a des conséquences néfastes sur nos institutions.
Il est temps qu'un consensus général sur la nécessité de rejeter tout discours populiste et extrémiste se dégage parmi les forces politiques. Notre Assemblée devrait montrer l'exemple et dénoncer – à Strasbourg et dans nos capitales – tout discours populiste, xénophobe et intolérant.
Il y a un mois, j'ai rencontré à plusieurs reprises des interlocuteurs de haut niveau de l'Union européenne, à Bruxelles. Leur message était clair : l'action du Conseil de l'Europe est et demeure fondamentale pour la réussite du projet d'intégration européenne.
Il est donc nécessaire que notre Assemblée assume ses responsabilités et réponde à l'intérêt commun des citoyens des 47 Etats membres de notre Organisation, membres ou non de l'Union européenne.
Cette semaine, nous aurons l'occasion d'entendre les points de vue d'acteurs européens majeurs : le Président de la Commission européenne, le Président de l'Autriche, le Premier ministre de la Turquie et le Premier ministre de la Géorgie. Leurs visions et leurs idées ne pourront qu'enrichir nos débats et je me réjouis déjà à la perspective de nos échanges.
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Chers collègues,
A la fin de la guerre froide, nous avions impression que les valeurs libérales de la démocratie, des libertés individuelles et de l'économie de marché se propageaient. Nous avons vu les régimes totalitaires s'effondrer et avons mis notre foi dans les principes de la transparence et de l'état de droit pour apporter des garanties effectives contre la résurgence des dérives autoritaires et des abus de pouvoir.
Or, aujourd'hui, force est de constater que la démocratie recule.
Les valeurs libérales telles que l'état de droit et les libertés civiles sont trop souvent foulées aux pieds.
Nous voyons avec grande inquiétude certains Etats prendre des décisions contraires aux principes démocratiques pourtant consacrés dans leurs constitutions. Je pense notamment aux ingérences dans le fonctionnement de médias critiques envers les politiques publiques.
Dans un tel contexte, notre Assemblée doit tirer la sonnette d'alarme et engager avec les autorités un dialogue politique constructif reposant sur nos normes et nos engagements.
Lorsque j'ai été élu Président de l'Assemblée, je me suis engagé à m'attaquer au problème des prisonniers politiques sur le continent. Permettez-moi de partager avec vous certaines avancées en la matière.
Dernièrement, l'Azerbaïdjan a libéré un grand nombre de prisonniers politiques. C'est une cause à laquelle j'ai intensément œuvré, vous le savez ; à cet égard, lors de ma récente visite à Bakou, j'avais reçu l'assurance que les autorités prendraient bientôt des mesures pour résoudre le problème.
Ces assurances ont largement été suivies d'effet.
Je suis soulagé et heureux que tant de personnes aient pu retrouver leur famille – parfois après maintes années en prison. Nous devons reconnaître que c'est un pas dans la bonne direction. Selon moi, cette mesure témoigne de la bonne volonté des autorités de poursuivre la coopération avec le Conseil de l'Europe et de commencer à s'attaquer aux déficiences systémiques, notamment le fonctionnement du système judiciaire.
Je voudrais également saluer la récente décision des Autorités azerbaidjanaises de procéder à une répétition des élections législatives dans la Circonscription 90. Les résultats dans cette Circonscription ont été annulés suite à des irrégularités et une répétition du vote a été recommandée par les observateurs du Conseil de l'Europe.
Je poursuivrai le dialogue avec les autorités au sujet d'autres détenus, en particulier Ilgar Mammadov, incarcéré depuis février 2013 malgré l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme concluant à de graves violations de la Convention dans les procédures judiciaires le concernant.
Je soutiens également les efforts du Secrétaire Général du Conseil de l'Europe visant à renforcer la coopération avec les autorités, y compris dans le cadre du rapport établi en vertu de l'article 52 de la Convention, afin de garantir la mise en œuvre intégrale de cet instrument en Azerbaïdjan.
En Russie, malheureusement, notre collègue Nadia Savtchenko est maintenue en détention et je réitère mon appel à la libérer, ainsi que tous les otages retenus par les parties russes et ukrainiennes du fait du conflit qui les oppose.
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Mesdames, Messieurs,
Il est inacceptable que 25 ans après la chute du mur de Berlin, les conflits continuent de diviser les membres de la famille européenne.
En début de mois, la violence a de nouveau éclaté dans la région du Haut-Karabakh, faisant de nombreuses victimes, y compris des civils, le long et autour de la ligne de contact. Je déplore ces pertes de vies humaines et ces actes de violence.
A la faveur des appels exprès et sans équivoque de la communauté internationale à mettre fin à la violence, un cessez-le-feu fragile est de nouveau en place. Je suis convaincu, et je l'ai déjà affirmé, que les deux camps doivent désamorcer la situation, mettre fin à la violence et respecter le cessez-le-feu.
Je n'ai cessé d'exprimer mon souci de respecter l'intégrité territoriale des 47 Etats membres ainsi que le droit international. Le droit international offre un cadre juridique qui permet de régler pacifiquement les conflits. Tant l'Arménie que l'Azerbaïdjan doivent honorer les engagements qu'ils ont contractés lors de leur adhésion au Conseil de l'Europe et trouver la volonté politique de régler pacifiquement le conflit qui les oppose.
Si le Conseil de l'Europe n'a pas mandat à intervenir directement dans le règlement du conflit relatif à la région du Haut-Karabakh, je suis convaincu que la diplomatie parlementaire peut aider à rapprocher les points de vue. En tant qu'élus, nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas dialoguer. Nous devons jeter des ponts et contribuer à rétablir la confiance, condition essentielle pour toute discussion constructive sur le règlement des conflits. Je continuerai à accorder la priorité à cet aspect.
Parallèlement, je dois souligner que, en tant que parlementaires, nous devons montrer l'exemple à nos citoyens et nous abstenir de toute déclaration incendiaire dans nos débats. Nous devons afficher respect, prudence absolue et retenue dans nos déclarations et éviter toute attaque personnelle. Notre Assemblée est la « Maison de la démocratie » ; nous nous devons d'être à la hauteur et de répondre aux attentes de nos citoyens.
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Chers collègues, Mesdames, Messieurs,
Avant de conclure mon discours, je souhaiterais partager avec vous une réflexion sur un sujet d'une très grande importance.
Cette semaine marque l'une des commémorations les plus importantes de cette décennie dans le monde littéraire. En effet, nous célébrerons le 400e anniversaire de la mort de Miguel de Cervantès et de William Shakespeare.
Cervantès et Shakespeare, tous deux disparus en 1616, sont universellement connus pour leurs chefs d'œuvre littéraires. Shakespeare a été le témoin d'un des attentats les plus spectaculaires des débuts de l'histoire moderne – la Conspiration des poudres, ou Gunpowder Plot en anglais (1605). Il s'agissait d'un groupe de fondamentalistes qui voulait assassiner le roi Jacques Ier ainsi que d'autres hauts dignitaires et des députés.
Un acte que nous qualifierions d'attentat terroriste aujourd'hui. Shakespeare s'est très certainement inspiré de ces événements pour son « Macbeth ».
Quant au personnage de Cervantès, Don Quichotte, il se place au-dessus de la loi pour protéger les victimes d'injustice et d'abus. La recherche de la justice a toujours été le credo de Don Quichotte.
Shakespeare comme Cervantès écrivaient sur ce que nous vivons aujourd'hui face à la montée de l'incertitude et du scepticisme, tout comme de l'essor inquiétant de l'intolérance, de la violence et du terrorisme.
Leurs œuvres font partie de notre patrimoine historique et culturel.
Gardons en mémoire ce patrimoine et tirons les enseignements du passé.
Je vous remercie.