Allocution d'ouverture pour la Partie de session d'avril 2015
Strasbourg, lundi 20 avril 2015

Chers collègues, Mesdames et Messieurs,

Je vous souhaite la bienvenue à Strasbourg pour une nouvelle partie de session.

A l'ouverture de cette partie de session, je tiens à rendre hommage à la mémoire des réfugiés qui ont péri en Méditerranée en essayant d'atteindre les côtes du sud de l'Europe. Cette situation est dramatique. Des centaines de personnes se noient alors qu'elles tentent de fuir la faim, les persécutions et la pauvreté. Nous devons prendre nos responsabilités ; il doit y avoir davantage de solidarité et la charge doit être mieux répartie entre les Etats européens. Je vous invite à observer une minute de silence pour rendre hommage aux victimes de cette situation dramatique.

Permettez-moi de commencer mon introduction par ce que je considère comme étant les deux principaux défis posés à notre Organisation : la situation en Ukraine et la tragédie de la migration.

Commençons par la situation en Ukraine.

Depuis le 15 février 2015, un fragile cessez-le-feu est en vigueur dans l'est de l'Ukraine. J'insiste sur le mot « fragile » parce qu'il est très difficile à mettre en œuvre et que des violations se produisent quotidiennement. Pour autant, aussi fragile soit-il, j'estime qu'il constitue notre chance de passer de la violence au dialogue.

Maintenant, nous devons tous assumer nos responsabilités et saisir cette nouvelle occasion de consolider la paix. L'Europe et d'ailleurs la communauté internationale dans son ensemble doivent faire tout leur possible pour favoriser la résolution du conflit.

En tant qu'Organisation de défense des droits de l'homme, de la démocratie et de la prééminence du droit, le Conseil de l'Europe doit jouer un rôle de premier plan dans la mise en place d'un environnement permettant une paix durable en Ukraine.

L'Ukraine a besoin d'institutions démocratiques solides, d'un cadre constitutionnel et juridique tout aussi solide, d'un pouvoir judiciaire indépendant, impartial et efficace, d'un système moderne et efficace de décentralisation et – par-dessus tout – d'un processus politique exhaustif pour mener à bien toutes ces réformes.

Dans tous ces domaines, nous avons développé de vastes compétences spécialisées, et je salue les efforts du Secrétaire Général du Conseil de l'Europe qui a lancé un nouveau plan d'action pour la période 2015 – 2017.

Je tiens aussi à prendre acte des efforts de la Présidence belge et, en particulier, de l'engagement personnel de Didier Reynders, Président du Comité des Ministres, pour maintenir le dialogue.

Notre Assemblée devrait aussi apporter sa contribution politique à ce processus. Cette semaine, les commissions compétentes de l'Assemblée vont tenir une réunion conjointe sur la situation en Ukraine et les problèmes humanitaires.

En outre, le Bureau a proposé ce matin de tenir un débat d'actualité sur la situation politique et sécuritaire en Ukraine et sur ses répercussions. J'espère que l'Assemblée soutiendra cette proposition.

En effet, rien n'a encore été fait pour s'efforcer de résoudre un certain nombre de questions en Ukraine, ainsi que l'indique notamment le rapport du Comité consultatif international sur les investigations de Maïdan. Ce rapport réclame plus d'efforts pour mener les enquêtes et traduire les responsables en justice. Dans ce contexte, j'espère qu'une enquête prompte et impartiale sera bientôt menée au sujet des meurtres récents du journaliste Oles Buzina et de l'ancien député Oleg Kalachnikov. L'impunité est inacceptable dans un Etat membre du Conseil de l'Europe, quel qu'il soit.

La réforme constitutionnelle va aussi être une entreprise délicate et nous avons récemment discuté de cette question avec la Commission de Venise à l'occasion de l'une de nos réunions conjointes régulières.

Néanmoins, nous ne devons pas renoncer et je suis convaincue qu'avec nos collègues ukrainiens nous serons en mesure de faire des progrès dans le calendrier de la réforme.

En ce qui concerne nos relations avec la délégation russe, je tiens à réaffirmer ma position : nous devons nous engager dans des pourparlers sérieux et constructifs afin de rechercher – ensemble – une solution au conflit. L'annexion de la Crimée et la violation persistante de l'intégrité territoriale de l'Ukraine sont inadmissibles. Dans notre système de valeurs, les frontières ne sauraient être modifiées unilatéralement ou par la force.

Notre collègue Nadia Savtchenko, membre de la délégation ukrainienne actuellement détenue en Russie, devrait aussi bénéficier de la possibilité de participer aux travaux de l'Assemblée et je regrette qu'elle soit, une fois encore, empêchée de venir à Strasbourg en raison de sa détention. Son état de santé est gravement préoccupant, et j'exhorte donc les autorités russes à la libérer, notamment pour motifs humanitaires et conformément à l'accord dit de Minsk 2.

Chers collègues, ainsi que vous le savez, à la suite de la partie de session de janvier 2015, la délégation russe a décidé de suspendre ses contacts avec l'Assemblée. Je regrette sincèrement cette décision.

Dans ce contexte, et compte tenu du fait qu'il n'y a eu aucun progrès de la part des autorités russes pour donner suite aux questions soulevées dans notre Résolution de janvier, le Bureau de l'Assemblée a soutenu ce matin la proposition de la commission de suivi visant à supprimer de l'ordre du jour la question du réexamen des sanctions à l'encontre de la délégation russe.

Je reviendrai sur cette question dans un moment lorsque j'examinerai le projet d'ordre du jour de la partie de session.

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Mesdames et Messieurs,

Le deuxième défi de taille auquel l'Organisation fait face concerne les migrations et leurs aspects qui relèvent des droits de l'homme.

Lorsque j'étais en Italie et en Turquie récemment, je n'ai pas eu seulement des entretiens dans les capitales, j'ai aussi visité un camp de réfugiés et des centres d'accueil pour migrants. Ces visites m'ont permis de mieux comprendre la situation et ont renforcé ma conviction que les Etats qui se trouvent en première ligne ne peuvent pas rester seuls dans leurs efforts pour faire face à une vague après l'autre de « boat people » et à l'afflux de réfugiés du Moyen-Orient. Je réaffirme ce que j'ai déjà dit à de nombreuses reprises : il faut que les responsabilités et la solidarité soient mieux partagées avec les autres pays d'Europe.

Ma rencontre avec les réfugiés a été une expérience extrêmement émouvante. J'admire leur courage et leurs efforts pour faire face à leur situation désespérée et j'ai honte lorsque j'entends dans certains Etats membres des discussions au cours desquelles certaines personnes semblent s'opposer à la réinstallation des réfugiés. Nous avons le devoir humanitaire d'aider ces personnes parce que les droits de l'homme sont universels. Les réfugiés doivent pouvoir vivre dans la dignité et dans la décence !

Le partage des responsabilités ne nécessite pas seulement la mise en commun de ressources supplémentaires, bien que cela soit certes important. Je tiens à souligner les efforts déployés par la Turquie, l'Italie et certains autre pays d'Europe pour prendre en charge les réfugiés. Mais, de toute évidence, une aide supplémentaire de tous les pays européens et de toutes les organisations est indispensable.

Ce qui est encore plus important c'est un changement de politique, et la compréhension que le paradigme a changé.

L'immigration n'est pas seulement un problème interne aux Etats membres qui la subissent. Elle concerne l'Europe dans son ensemble. La réglementation actuelle de l'Union européenne – ce que l'on appelle le système de Dublin – n'est pas seulement obsolète et incapable de répondre aux problèmes d'aujourd'hui, elle est en outre injuste pour les pays de première entrée, de même que pour les demandeurs d'asile.

En tant que garante des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notre Assemblée a le devoir de tirer la sonnette d'alarme et de lancer un débat sur la manière de mieux faire face à la question des migrations dans la perspective des droits de l'homme. Je pense que le débat d'urgence sur la tragédie humaine en Méditerranée que le Bureau propose de tenir pendant cette partie de session sera à cet égard utile.

Je salue et soutiens aussi les activités de notre commission des migrations qui traite des divers aspects des migrations sous l'angle des droits de l'homme.

Dans le même temps, nous devrions mieux sensibiliser chacun des parlementaires aux problèmes de droits de l'homme que posent les migrations, afin qu'ils puissent prendre des mesures au niveau national, surtout en ce qui concerne la situation des plus vulnérables.

Le lancement de la Campagne parlementaire pour mettre fin à la rétention d'enfants migrants est l'une de ces initiatives, et je vous encourage tous à vous joindre à moi aujourd'hui à 13 heures devant l'hémicycle pour la cérémonie officielle. Participez activement à cette campagne et veillez à en assurer dûment le suivi dans vos capitales !

En outre, je m'occupe avec la commission des migrations du lancement d'une initiative visant à organiser des visites simultanées de délégations nationales dans des centres de rétention pour migrants dans l'ensemble de nos 47 Etats membres, Journée internationale des migrants. J'espère que le 18 décembre 2015 vous serez nombreux à mener des visites nationales dans des centres de rétention avec vos collègues des parlements nationaux.

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Chers collègues,

Malgré la gravité de la situation en Ukraine et l'énorme défi que les migrations représentent pour l'Europe, nous ne devons pas perdre de vue les autres problèmes qui nécessitent une réponse urgente de notre Organisation.

La prévention des conflits et la réconciliation en sont un.

Rendre justice au passé et trouver – ensemble – des solutions communes à des problèmes communs, tel est depuis le tout début l'élément moteur de notre Organisation. C'est la raison d'être de notre Organisation.

Edifié sur les cendres de la seconde guerre mondiale, le Conseil de l'Europe s'est vu confier la mission de construire une paix durable et de prévenir les conflits.  Alors que nous allons commémorer, dans quelques semaines, le 70ème anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale, permettez-moi encore une fois de rendre hommage aux victimes de ce terrible conflit de l'histoire européenne et de saluer les efforts de tous ceux qui ont contribué à l'édification d'une paix durable sur notre continent, y compris au prix de leur vie.

Le dialogue, le respect et la coopération sont les outils qui nous ont aidés à surmonter les difficultés de l'après-guerre et à œuvrer en faveur de la réconciliation. Les valeurs des droits de l'homme, de la démocratie et de la prééminence du droit sont des bases solides  pour construire une Europe pacifique, prospère et unie. Ces valeurs ne vont jamais de soi. Il nous faut les défendre avec vigueur et détermination.

De fait, malgré des années de progrès et de coopération, nous n'avons pas été en mesure d'« immuniser » l'Europe contre les conflits.

Les conflits des années 90 dans les Balkans ont été choquants dans leur brutalité. Quarante-six ans après la Seconde Guerre mondiale, l'Europ a soudain redécouvert les horreurs de la guerre ainsi que ses conséquences : des milliers de personnes tuées ; des vagues de réfugiés et de personnes déplacées ; la purification ethnique, de graves violations des droits de l'homme et des crimes de guerre, des personnes disparues.

Lors de mes récentes visites en Croatie, en Serbie et en Bosnie-Herzégovine, j'ai pu voir que des progrès importants avaient été réalisés s'agissant de favoriser un esprit de réconciliation et de s'efforcer de résoudre les problèmes post-conflit, en particulier, grâce à l'attitude responsable de la classe politique et à son adhésion aux valeurs européennes. Il reste cependant un certain nombre de questions qui n'ont pas encore été résolues et j'estime que le Conseil de l'Europe devrait continuer à jouer un rôle actif en aidant les Etats membres de la région à les résoudre. C'est notre devoir.

Par ailleurs, ma visite en Turquie et en Arménie a été un rappel des blessures qui datent de 100 ans. Le 24 avril, l'Arménie va commémorer le massacre commis il y a un siècle, et je rends hommage aux victimes et à leurs descendants. 

Mais ce ne sont pas les seuls conflits qui continuent à diviser l'Europe. La violence ne peut jamais apporter une solution. Nous devons nous parler, nous écouter et essayer de nous comprendre, afin de trouver des solutions ensemble.

Les 47 Etats membres du Conseil de l'Europe partagent une histoire commune et sont tenus de construire un avenir commun. En effet, malgré nos différences et nos désaccords, nous appartenons à la même famille.

Ce qui nous unit, ce sont les valeurs des droits de l'homme, de la démocratie et de la prééminence du droit.

Nous devons tirer les enseignements de l'histoire de l'Europe et défendre ces valeurs. Il est de notre devoir de nous attacher à prévenir les conflits, à lutter contre les manifestations de haine et d'intolérance et à œuvrer en faveur du « vivre ensemble ».

Telle est la mission politique qui a été confiée à notre Organisation et, en ma qualité de Présidente de l'Assemblée, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour aider cette Assemblée à la mener à bien, notamment en soutenant l'« Alliance parlementaire contre la haine », qui doit absolument devenir un forum paneuropéen de lutte contre la haine et l'intolérance.

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Mesdames et Messieurs,

En conclusion, permettez-moi de mentionner deux événements importants durant cette partie de session.

Premièrement, ça sera un grand honneur pour nous d'accueillir demain Sa Majesté le Roi des Belges et Sa Majesté la Reine Mathilde. La visite du couple royal au Conseil de l'Europe durant la Présidence belge au Comité des ministres a une grande valeur symbolique pour notre Organisation. C'est un message de soutien fort pour les valeurs que nous défendons.

Deuxièmement, nous examinerons cette semaine le Projet de protocole additionnel à la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme, transmis à notre Assemblée par le Comité des ministres pour avis. Face à la menace du terrorisme et de l'extrémisme, nous avons besoin d'outils juridiques appropriés et conformes aux standards de la Convention européenne des droits de l'homme. Je compte donc sur votre soutien pour donner un avis favorable à ce Protocol additionnel.

Nous tiendrons également un échange de vue avec les Délégués des ministres sur l'action du Conseil de l'Europe face à la menace terroriste dans le cadre du Comité mixte. Je me réjouis par avance de cette possibilité. Face à une menace aussi grave, les organes du Conseil de l'Europe doivent agir ensemble.

Je vous remercie de votre attention.