Discours à l'ouverture de la Quatrième partie de la Session ordinaire de 2019
Strasbourg, lundi 30 septembre 2019

Mesdames et Messieurs,
Mes chères et chers collègues,

Cette partie de session sera le point culminant des célébrations du 70e anniversaire du Conseil de l’Europe. Demain mardi 1er octobre, nous célébrerons, à l’Opéra de Strasbourg, les réalisations du Conseil de l’Europe. Nous sommes toutes et tous honoré-e-s de recevoir, à cette occasion, le Président de la République française, M. Emmanuel Macron, qui s’adressera d’abord à l’Assemblée parlementaire, avant la cérémonie de commémoration.

Dans ce contexte, il me tient particulièrement à cœur de rappeler que, pendant ces soixante-dix années, notre Assemblée a été une tribune unique qui a permis à de nombreuses personnalités politiques, dont des Chef-fe-s d’Etat et de Gouvernements, d’exprimer leurs idées sur le présent et leurs visions sur le futur de l’architecture européenne.

Ces déclarations visionnaires ont guidé notre action et ont permis au Conseil de l’Europe et à notre Assemblée de jouer un rôle de premier plan dans le processus d’unification européenne – de la construction de notre « Maison commune » qui abrite aujourd’hui 47 Etats membres.

Cette « Maison commune » nous appartient à toutes et à tous. En tant que membres de l’Assemblée, représentant les citoyennes et les citoyens européens, notre responsabilité de la « maintenir en ordre » est d’autant plus importante.

Nous devons sans relâche renforcer les fondations de cet édifice, en lançant des idées innovantes et en inspirant l’élaboration de nouvelles conventions, comme nous l’avons fait, par exemple, avec la Convention d’Istanbul qui a été signée à ce jour par la quasi-totalité des Etats membres du Conseil de l’Europe.

Chaque fois que les valeurs de la démocratie, des droits humains et de l’Etat de droit sont remises en question, nous devons réagir et trouver le courage de prendre des positions fermes, sans hésiter à dénoncer les  dérives anti-démocratiques et les violations des droits humains.

Mais, même dans des situations de crises les plus graves, nous ne devons jamais fermer la porte au dialogue. Car lorsqu’on vit sous le même toit, il est nécessaire de se parler les un·e·s aux autres pour mieux se comprendre, s’écouter et échanger, pour trouver des solutions qui visent, toujours, à une meilleure protection de l’ensemble des personnes qui vivent sur le continent européen.

Mes chères et chers collègues,

Comme vous le savez, la prochaine partie de session de janvier 2020 verra l’élection d’une ou d’un de nos membres à la présidence de notre assemblée, c’est donc la dernière fois que je m’adresse à vous en ouverture de partie de session et je voudrais en profiter pour vous faire part de quelques réflexions sur nos travaux, vus de la position privilégiée que j’occupe, grâce à la confiance que vous m’avez témoignée en m’élisant à la présidence.

Si j’ai rappelé, à l’instant, l’importance de l’Assemblée parlementaire comme espace de dialogue, c’est bien parce qu’il s’agit là d’une de nos tâches essentielles, d’une de nos responsabilités fondamentales.

Ce n’est pas par hasard, pour la décoration, que le Statut du Conseil de l’Europe prévoit parmi ses deux seuls organes statutaires, à côté des représentantes et représentants des gouvernements, une assemblée parlementaire qui rassemble des membres des 47 parlements nationaux qui, même si leur voix n’est le plus souvent que consultative, ont pour responsabilité de se réunir, de se rencontrer et de se parler, dans le but de chercher des réponses et des solutions aux problèmes auxquels ils et elles sont confronté-e-s.

C’est bien pour cela que l’Assemblée parlementaire est l’un des deux organes statutaires du Conseil de l’Europe.

En adhérant au Conseil de l’Europe, en habitant notre « Maison commune », nos 47 Etats membres ont accepté de participer pleinement à toutes nos activités, de manière constructive. Cette participation n’est ni optionnelle ni facultative ! Elle fait tout simplement partie de nos obligations de base.

Par ailleurs, si nous faisions toutes et tous l’effort de mener ce nécessaire dialogue de manière constructive, sans procès d’intention et dans le but unique de trouver des solutions, nous serions non seulement plus efficaces dans nos travaux – et donc plus proches de ces solutions que nous recherchons – mais aussi plus disponibles pour traiter l’ensemble des problèmes que nous rencontrons, pour réagir aux trop nombreuses atteintes à la démocratie et à l’Etat de droit, aux trop nombreuses violations des droits humains auxquelles nous assistons malheureusement sans réagir, faute de temps !

Ces dernières années, nous avons consacré beaucoup d’énergie à régler nos problèmes internes – lutte contre la corruption, introduction d’une procédure de résiliation de fonction dirigeante, divergences entre les organes statutaires, notamment – et, même si ces problèmes étaient suffisamment sérieux pour nécessiter des réponses aussi rapides que possible, il faut reconnaître qu’ils nous ont aussi empêché-e-s de traiter les autres questions avec la rapidité et l’efficacité qu’elles auraient pourtant requises !

Seuls un dialogue constructif entre nous toutes et tous ainsi qu’une volonté sans faille de considérer toutes les questions, tous les problèmes, sans rester focalisé-e-s sur une seule problématique, nous permettront de remplir correctement notre rôle de gardien-ne-s de la démocratie et de défenseur-e-s des droits humains !

Espace de dialogue et même, encore mieux, plus large plateforme paneuropéenne de dialogue, tel est le rôle de l’Assemblée parlementaire et je compte sur vous toutes et tous pour y œuvrer activement dans les années à venir !

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Mesdames et Messieurs,

J’en viens maintenant à notre actualité politique.

Si je devais identifier une leçon à retenir de la crise que notre organisation vient de traverser, je mentionnerais là encore, sans hésitation, l’importance du dialogue et de la coopération.

En effet, face à une situation sans précédent, nous nous sommes montrés à la hauteur de nos responsabilités.

Le dialogue politique renforcé, entre l’Assemblée et le Comité des Ministres, a ainsi permis de trouver un moyen de préserver le caractère unique et paneuropéen de notre organisation et du système de la Convention européenne des droits de l’homme. L’importance de nos décisions pour la protection des 830 millions de personnes vivant en Europe ne saurait être sous-estimée.

Néanmoins, nous savons bien que, même si nos décisions ont été prises à une nette majorité, tant au niveau de l’Assemblée qu’à celui du Comité des ministres, ces décisions ne font pas l’unanimité.

En tant que Présidente de l’Assemblée, il est de mon devoir d’être attentive à toutes les voix, y compris aux voix critiques des membres qui m’ont notamment fait part de leur déception ou d’une certaine perte de confiance dans l’Assemblée parlementaire.

Même si je ne partage pas ces sentiments, je peux comprendre leurs causes. Il m’appartient, par conséquent, de faire tout mon possible pour apaiser les craintes que certaines et certains de nos membres ont manifestées.

J’aimerais, dans ce cadre, souligner trois aspects importants.

Premièrement, il ne faut nullement considérer les décisions prises à Helsinki et à Strasbourg comme la « victoire » d’un camp ou la « défaite » d’un autre. Le Conseil de l’Europe n’est pas un lieu de « batailles géopolitiques » mais un mécanisme de défense des droits humains des 830 millions d’Européennes et d’Européens. Nos décisions visent à défendre au mieux leurs droits et leurs libertés fondamentales.

Deuxièmement, le fait que la délégation du Parlement russe ait repris place au sein de notre Assemblée ouvre à nouveau la possibilité pour notre Assemblée de travailler avec le Parlement russe. Nous pouvons désormais nous concentrer sur des sujets d’intérêt commun, mais aussi sur des sujets qui nous préoccupent à juste titre. Nous sommes toutes et tous parfaitement conscient·e·s des origines de la crise et nos positions à ce sujet restent inchangées. Nous allons continuer à suivre cette question, dans un dialogue ouvert et franc avec nos collègues russes. Je constate avec satisfaction quelques avancées dans ce domaine, dont la libération d’un certain nombre de personnes de nationalité ukrainienne détenues en Russie. Il nous faut donc continuer à travailler de concert afin d’aboutir à la pleine et entière mise en œuvre de tous les points de la Résolution récemment adoptée, ainsi que de ceux contenus dans les autres résolutions pertinentes de l’Assemblée.

Troisièmement, le dialogue et la coopération avec la délégation ukrainienne sont particulièrement importants pour moi et pour nous toutes et tous car, en sa qualité d’Etat membre de notre organisation, l’Ukraine sait pouvoir bénéficier de notre plein soutien. Elle peut compter sur notre engagement sans équivoque en faveur du droit international et des normes qui sont les nôtres.

Dans ce contexte, je regrette que le Parlement de l’Ukraine n’ait pas transmis les pouvoirs de sa nouvelle délégation à temps pour l’ouverture de cette partie de session. J’espère que cela sera fait prochainement, dans les délais prévus par notre Règlement. J’ai donc l’intention d’engager dès que possible un dialogue avec la nouvelle délégation Ukrainienne et le Président de la Verkhovna Rada, dialogue qui permettra de s’assurer que les positions et les craintes légitimes de la délégation ukrainienne soient pleinement prises en compte.

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Mes chères et chers collègues,

Les travaux sur la nouvelle procédure complémentaire entre le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire en cas de manquement d’un Etat membre à ses obligations statutaires entrent maintenant dans une nouvelle phase.

Le dialogue intensifié entre le Comité présidentiel et le Bureau des Délégué·e·s des ministres a permis d’identifier les grandes lignes que la future procédure pourrait suivre. Arrive maintenant le temps des consultations avec les représentantes et les représentants de tous les Etats membres. Au niveau de l’Assemblée, une première consultation se tiendra demain, avec la participation des présidentes et des présidents de toutes les délégations. Nous allons ensuite poursuivre nos discussions entre le Comité présidentiel et le Bureau des Délégué·e·s des ministres ainsi que dans le cadre du Comité mixte, ce jeudi.

Je voudrais profiter de cette occasion pour souligner ici le rôle de la Présidence française du Comité des ministres et l’engagement personnel de Mme Amélie de Montchalin, Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargée des affaires européennes, représentant la Présidence française du Comité des Ministres. Cet après-midi, nous aurons d’ailleurs la possibilité de continuer notre dialogue avec Mme de Montchalin dans le cadre de sa Communication à l’Assemblée et je m’en réjouis.

La Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe, Mme Marija Pejcinovic Buric, a également un rôle très important à jouer dans ce processus. Nous nous réjouissons donc de l’accueillir dans notre Hémicycle ce mercredi pour une première déclaration à l’Assemblée suivie d’une série d’interventions par les membres de l’Assemblée. Je compte sur vous toutes et tous pour un échange de vues constructif et fructueux.

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Mesdames et Messieurs,
Mes chères et chers collègues,

J’aimerais terminer mon intervention en évoquant un projet commun auquel nombre d’entre vous ont participé : l’initiative mot-dièse #PasDansMonParlement. Le succès de ce projet me tient particulièrement à cœur puisqu’il nous permet, en agissant contre le fléau du sexisme, de faire progresser l’égalité entre femmes et hommes au sein de notre assemblée. Et je suis très heureuse de constater que nous avons fait ensemble un bon bout de chemin !

J’aimerais remercier l’ensemble des parlementaires qui ont soutenu cette initiative en diffusant des informations, en mobilisant leurs collègues dans les parlements nationaux et en faisant la promotion de cette initiative par différents moyens.

Je voudrais également saluer les différentes actions menées au niveau des Parlements de nos Etats membres pour lutter contre le sexisme, le harcèlement et la violence à l’égard des femmes, par exemple, en Autriche, en France, en Islande ou encore au Royaume Uni. Je suis sûre que des actions significatives ont également été entreprises dans un grand nombre d’autres parlements, qui méritent d’être partagées et mises en valeur.

A ce propos, permettez-moi d’attirer votre attention sur le fait que l’Union interparlementaire est en train de finaliser un recueil de bonnes pratiques dans ce domaine qui sera présenté le 16 octobre 2019, à Belgrade, lors de sa prochaine session plénière. Je participerai personnellement à ce débat afin de mettre en valeur la contribution de notre Assemblée.

Je compte donc sur vous toutes et tous, cette semaine encore, pour continuer à manifester votre soutien à la lutte contre le sexisme et le harcèlement au sein des parlements et je vous encourage à visiter le stand photo avec le visuel #PasDansMonParlement installé dans le lobby de l’Hémicycle. Ensemble, nous avons déjà accompli beaucoup, mais je suis convaincue que nous pouvons faire encore plus ! Le soutien de chacune et de chacun est important pour faire la différence !

Mesdames et Messieurs,

Je me dois de terminer mon discours sur une note triste et solennelle et à la fois. Je voudrais, dans cet Hémicycle, rendre hommage à Jacques Chirac, ancien Président de la République Française, décédé jeudi dernier.

Jacques Chirac est venu à deux reprises au Conseil de l’Europe, en 1987 en tant que Premier ministre, puis en 1997 en tant que Chef d’État. En s’adressant à notre Assemblée, qu’il avait qualifiée de « forum des démocraties parlementaires », il mettait en valeur « la responsabilité principale [du Conseil de l’Europe] de contribuer à la sauvegarde et à l’approfondissement de l’espace démocratique européen ».

Pour lui, la construction européenne était un « facteur essentiel de paix entre les nations, vecteur évident de prospérité, [et] une condition indispensable […] pour permettre à notre vieux et cher continent de retrouver la place qu’il mérite sur la scène internationale, de conserver et de préserver ses valeurs culturelles, historiques, et d’exercer une influence croissante sur les décisions qui engagent son avenir, mais aussi pour servir d’exemple en matière d’humanisme à l’ensemble du monde, ce qui est sa vocation ».

Aujourd’hui, je pense que nous pouvons dire que le Conseil de l’Europe a su se montrer à la hauteur de cette vision.

Notre engagement continu en faveur des valeurs de paix, d’unité et de dignité humaine est, à mon avis, la meilleure façon de rendre hommage à la mémoire de Jacques Chirac, ainsi qu’à la mémoire des femmes et des hommes qui ont inspiré le processus de construction européenne.

Pour rendre cet hommage visible, je vous invite d’ores et déjà toutes et tous à vous recueillir dans l’Hémicycle, cet après-midi à 15h précises, en observant, en même temps que partout en France, une minute de silence à la mémoire de Jacques Chirac.

Je vous remercie de votre attention.