Mesdames et Messieurs,
Mes chères et chers collègues,
C’est un immense honneur et un vrai plaisir pour moi de vous accueillir toutes et tous aujourd’hui à Strasbourg pour cette Conférence européenne des Présidentes et des Présidents de Parlement qui revêt une signification toute particulière cette année où nous célébrons le 70e anniversaire du Conseil de l’Europe.
Je suis profondément convaincue que, si nous célébrons cet anniversaire, c’est parce que l’Europe et, en particulier, nos concitoyennes et nos concitoyens ont besoin d’une organisation comme la nôtre. En effet, notre mission politique qui est de construire une unité plus étroite entre les États européens, afin de défendre et de promouvoir les droits humains, la démocratie et l’État de droit – est aujourd’hui plus légitime et importante que jamais. Nous avons donc besoin de mettre notre acquis en perspective afin de définir des grandes lignes d’action future de notre organisation. Les thèmes choisis pour nos débats vont guider notre réflexion et permettez-moi de les introduire brièvement.
Pour mieux imaginer de quoi sera fait le futur, nous allons commencer par examiner l’état de notre « Maison commune européenne » à l’occasion de son 70e anniversaire. Cette maison est construite sur des fondations solides mais, face à l’évolution rapide de nos sociétés, elle doit faire face à des défis aussi divers que nombreux.
Défis extérieurs tout d’abord avec la remise en question croissante des mécanismes multilatéraux de coopération. Aujourd’hui, nous observons un certain repli dans la mise en œuvre multilatérale des normes internationales en matière de droits humains. Ceci se traduit en particulier par le questionnement des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que par une certaine « politisation » des questions fondamentales touchant aux droits humains. De plus, les conflits gelés et ouverts en Europe et à ses frontières sont un obstacle considérable pour le dialogue et la coopération internationale, mais aussi pour notre système de protection des droits humains, car les territoires affectés par les conflits représentent des « zones grises » dans lesquelles les personnes sont, de fait, interdites d’accès à nos mécanismes de protection de leurs droits fondamentaux.
Comme vous le savez toutes et tous, notre organisation a dû faire face ces dernières années à une situation de crise institutionnelle et politique. Heureusement, nous avons su assumer nos responsabilités. Il nous faut maintenant aller de l’avant, sans toutefois oublier notre attachement au respect du droit international qui doit être pleinement réaffirmé au travers d’un dialogue franc et ouvert entre tous les États membres de notre organisation.
Viennent ensuite les défis internes à nos institutions et à nos mécanismes démocratiques. Face aux inégalités croissantes et à la marginalisation de certains groupes de la population, nous assistons à un phénomène d’érosion de la confiance dans les institutions de démocratie représentative. En même temps, les mécanismes de démocratie directe, couplés avec le développement exponentiel des nouveaux moyens de communication comme les réseaux sociaux par exemple, sont de plus en plus utilisés voire manipulés par des mouvements populistes ou extrémistes.
Enfin, nous ne pouvons pas ignorer les défis globaux comme, par exemple, la numérisation et l’utilisation croissante de l’intelligence artificielle, le changement climatique et la migration. Face à ces nouveaux défis, nous avons besoin de développer une approche focalisée sur les droits humains, afin de continuer à défendre l’acquis qui est le nôtre pour le bien-être de nos 830 millions de concitoyennes et concitoyens.
Dans ce contexte, le rôle des Parlements est absolument crucial. J’ai donc hâte d’entendre vos idées et vos propositions sur ce que nous pouvons faire ensemble pour répondre à ces défis et écrire, ensemble, l’histoire des 70 prochaines années du Conseil de l’Europe.
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Mes chères et chers collègues,
J’en arrive maintenant au second thème de nos débats.
Le Programme de développement durable des Nations Unies à l’horizon de 2030 revêt une importance toute particulière pour le Conseil de l’Europe et tous nos États membres. Ce Programme vise en effet à mettre en œuvre les droits humains pour toutes et tous, sans discrimination aucune, un objectif que notre Organisation s’est toujours fixé.
Le Conseil de l’Europe contribue activement à sa réalisation. Nombre de nos Conventions comme, par exemple, la Convention d’Istanbul sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes, ou la Convention de Budapest sur la Cybercriminalité, ou encore nos Conventions contre la corruption sont ouvertes aux États non membres du Conseil de l’Europe. Par conséquent, notre cadre normatif peut servir de modèle pour le développement d’une règlementation globale dans plusieurs domaines couverts par le Programme 2030 des Nations Unies.
Là aussi, le rôle des parlementaires est particulièrement important et je suis certaine qu’en comparant nos expériences respectives nos débats cet après-midi permettront d’identifier des bonnes pratiques et des pistes d’action commune.
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Mesdames et Messieurs, Mes chères et chers collègues,
J’en arrive enfin au troisième thème de nos débats, mais non le moindre. Il s’agit en effet d’un sujet d’actualité politique, je dirais même d’une certaine urgence.
En effet, l’égalité entre les femmes et les hommes est l’un des principes démocratiques fondamentaux : sans égalité, les sociétés ne peuvent pas se développer de façon optimale, car il est inconcevable, au sein d’une démocratie saine et solide, d’exclure la moitié de la société des processus décisionnels et de la possibilité d’exprimer pleinement ses compétences, au détriment de toute la société.
L’inégalité s’exprime de différentes manières et le sexisme, le harcèlement et la violence contre les femmes en sont clairement la manifestation la plus subtile.
Il y a exactement un an, l’Union interparlementaire et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe dévoilaient une étude régionale sur le sexisme, le harcèlement et la violence à l’égard des femmes dans les parlements d’Europe. Les résultats de cette étude – que vous avez toutes et tous reçue dans vos dossiers – sont accablants.
Que pouvons-nous faire pour inverser la tendance ? Il y a effectivement plusieurs pistes et l’initiative de l’Assemblée #PasDansMonParlement en est une. Demain, nous aurons l’opportunité de partager nos expériences afin d’identifier des pistes d’action communes. J’espère que, grâce à l’engagement de chacune et de chacun d’entre nous, l’initiative #PasDansMonParlement prendra de l’ampleur pour devenir un vrai mouvement contre le sexisme et le harcèlement dans tous les sphères de nos sociétés, en se déclinant à l’infini #PasDansMonBureau, #PasDansMaVille, etc...
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Mes chères et chers collègues,
Permettez-moi de conclure ces remarques introductives par quelques questions.
Avant de commencer nos débats, posons-nous la question de savoir pourquoi nous sommes venu·e·s, toutes et tous, ici aujourd’hui ? Qu’avons-nous apporté, dans nos bagages, que nous voulons partager et qu’allons-nous rapporter chez nous, dans nos parlements nationaux, après deux journées de débats intensifs et de rencontres bilatérales ?
Ces questions sont très importantes, car la Conférence européenne des Présidentes et des Présidents de Parlement n’est pas uniquement un lieu d’échanges et de rencontres mais aussi l’occasion de lancer des messages politiques communs et des initiatives conjointes.
Comment pouvons-nous contribuer à renforcer le rôle du Conseil de l’Europe face aux nombreux défis auxquels la démocratie, l’État de droit et les droits humains doivent faire face ? Vous savez sans doute que nous avons démarré un vaste chantier afin de mettre en place – à travers un dialogue entre le Comité des Ministres et l’Assemblée – une nouvelle procédure conjointe de réaction aux situations de non-respect par l’un ou l’autre de nos États membres de ses obligations statutaires. Afin de compléter ces travaux, nous avons besoin d’un engagement politique au plus haut niveau, au sein de nos Gouvernements et de nos Parlements, et je compte sur votre soutien.
En même temps, nos procédures et mécanismes internes n’auront qu’un impact limité si nous n’avons pas les moyens matériels nécessaires pour soutenir nos États membres et fournir à nos concitoyennes et concitoyens la protection qui leur est due. Or, la politique de croissance nominale zéro, appliquée ces dernières années, affaiblit grandement notre organisation. En tant que Parlements, nous avons des responsabilités budgétaires dans nos États membres et nous devons donc sérieusement réfléchir à cette question afin de doter le Conseil de l’Europe des moyens financiers lui permettant de remplir la mission politique qui est la sienne.
Pour revenir plus spécifiquement à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, comment pouvons-nous, toutes et tous ensemble, renforcer son rôle politique et l’impact de son action ? Devons-nous nous concentrer sur quelques dossiers prioritaires ? Sans doute. Toutefois, n’oublions pas que notre Assemblée représente la voix de l’Europe dans toute sa diversité et dans sa pluralité. Nous devons donc faire en sorte qu’elle continue d’être un lieu de débats et d’échanges, sans hésiter à aborder les questions les plus controversées car c’est au sein de notre Assemblée que nous pouvons donner des orientations politiques nous permettant de répondre aux grands défis d’avenir. La participation active de toutes et tous les membres de l’Assemblée à nos travaux est dès lors cruciale pour faire en sorte que nos résolutions et nos recommandations bénéficient du soutien le plus large possible des parlementaires européen·n·e·s.
Enfin, comment pouvons-nous contribuer à renforcer le dialogue et la coopération sur notre continent ? Rappelons-nous que c’est en effet grâce au dialogue et à la coopération que nous avons réussi à réconcilier le continent après la Seconde Guerre Mondiale et à éliminer les clivages idéologiques après la chute du Mur de Berlin. Aujourd’hui, nous devons continuer à défendre vigoureusement la mission politique qui est la nôtre : celle de construire une unité plus étroite entre les États européens, afin de défendre et de promouvoir – ensemble – les droits humains, la démocratie et l’État de droit. Nous construisons notre Maison Commune depuis déjà 70 années et, pourtant, si nous ne faisons pas preuve d’engagement et de volonté politique, elle court le risque de se fissurer, laissant les 830 millions d’Européennes et d’Européens sans voies de recours multilatérales leur permettant de protéger leurs droits et leurs libertés.
J’espère que ces quelques questions et réflexions guideront les nombreuses discussions bilatérales que nous allons tenir pendant et en marge de cette Conférence.
Je vous remercie de votre attention.