József
Antall
Premier ministre de Hongrie
Discours prononcé devant l'Assemblée
mardi, 30 juin 1992
souligne l’honneur exceptionnel que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a fait à la Hongrie en décidant de tenir sa première session plénière en dehors de Strasbourg au sein du Parlement hongrois, ce Parlement qui a connu au cours de son histoire des débats violents et agités. Les murs de la Chambre dans laquelle se déroule la session ont été témoins de déclarations courageuses d’hommes et de femmes qui ont donné leur vie pour la démocratie.
M. Antall considère que l’Europe, qu’elle se présente sous la forme d’un Commonwealth européen ou d’une Europe unie, a trois dimensions essentielles: géographique, culturelle et spirituelle. Selon lui, le général de Gaulle, lorsqu’il parlait de l’Europe de l’Atlantique à l’Oural, voulait rappeler que la petite Europe occidentale ne devait jamais oublier l’Europe orientale et centrale placée sous le joug communiste.
Pour ce qui est des dimensions culturelle et spirituelle de l’Europe, il importe de toujours garder à l’esprit que le progrès scientifique et les manifestations culturelles ne se sont jamais figés en Europe comme dans d’autres régions du monde. Les grandes inventions et les philosophies d’origine européenne ont presque toujours répondu à un besoin des populations. Cette créativité a été facilitée par l’ouverture de l’Europe au monde extérieur et par son aptitude à intégrer et à assimiler les apports de l’extérieur. C’est, selon lui, la principale raison du succès avec lequel la culture européenne a relevé les nouveaux défis de l’Histoire. Quand on étudie l’histoire de l’Europe, on y voit une succession de renaissances.
Pour M. Antall, il faut saisir le cadre global de la culture européenne d’aujourd’hui, qui n’est pas seulement faite de la philosophie chrétienne occidentale: on doit aussi considérer et apprécier la culture byzantine, volontairement ignorée durant une bonne partie de l’histoire de l’Europe. D’autres cultures y ont aussi laissé leurs marques, comme la culture islamique, par le biais de la présence turque en Europe au cours des siècles derniers. Il insiste sur l’importance de ne jamais étouffer l’expression culturelle et de toujours permettre la liberté d’expression et la liberté de circulation des hommes et des idées. La culture européenne a toujours existé en symbiose avec les cultures asiatique et méditerranéenne. Toutefois, depuis le XIVe siècle, son centre d’influence s’est déplacé de la région méditerranéennes vers la zone atlantique. L’Europe a donc étendu ses relations, non seulement pour englober la partie orientale traditionnelle, mais aussi pour établir des liens solides au-delà de l’Atlantique. La création de l’OTAN en 1949 doit être vue dans ce contexte historique.
L’orateur est heureux de constater que le Conseil de l’Europe ne se préoccupe pas seulement des droits de l’homme, mais aussi des problèmes de minorités. La loi hongroise sur les minorités est prête pour examen au Parlement. Les questions de droits de l’homme et de minorités doivent être traitées non seulement à l’échelon national, mais constituer aussi une préoccupation majeure pour les organisations internationales, qui devraient envisager des mesures ou des sanctions contre les pays qui ne respectent pas le droit des peuples à l’autodétermination. La transformation actuelle de l’Europe centrale fait partie d’un processus global. L’orateur demande si en 1953, lors de la crise de Berlin, et en 1956, au moment de la révolution hongroise, l’Europe aurait peut-être réussi à exporter le mouvement de libéralisation vers d’autres parties du continent si elle avait adopté d’autres approches. A l’époque, l’image de l’Europe centrale et orientale n’était déjà plus un bloc communiste monolithique, mais un dessin plus diversifié. Face à la réforme actuelle, tous ceux qui ont lutté contre la dictature se demandent où mène la démocratisation et si les bouleversements en cours ne vont pas causer de nouveaux déséquilibres. Il ne faut pas décevoir les populations, mais il y a risque réel pour que les réformes ne soient pas efficaces. Une guerre fait rage dans un pays voisin et il ne faut pas fermer les yeux sur ce qui se passe dans l’ex-Union Soviétique. On ne peut qu’espérer le retour de la paix et de l’harmonie. Cependant, les régimes démocratiques de certains pays d’Europe sont en voie de déstabilisation. Les forces armées sont de moins en moins contrôlées par les parlements qui n’ont plus d’autorité sur elles, et des dangers nouveaux et réels menaçent les pays voisins de la Hongrie. L’Europe a toujours été une zone de turbulences. L’indépendance des pays d’Europe centrale inquiète non seulement les Européens, mais aussi la communauté internationale. La Hongrie s’efforce de défendre l’utilité de la CSCE et attache une grande importance aux rôles de l’OTAN et de l’UEO, ainsi qu’aux institutions régionales telles que l’Accord de coopération de Visegrad. Ces organisations devraient pouvoir garantir une coopération pacifique en Europe centrale et empêcher la désintégration de la région.
M. Antall souhaite donner le point de vue de l’Europe centrale. Il y a un risque pour que l’Europe, après la dissolution du Pacte de Varsovie, ne voit pas la nécessité d’un nouveau système de sécurité paneuropéen. Par conséquent, il convient de renforcer l’OTAN. Le nationalisme n’a pas à faire la loi en Europe. Il ne faut pas que la coopération paneuropéenne soit compromise par les divergences entre les grandes puissances européennes. Tous les pays d’Europe sont menacés par les événements qui se produisent dans les Etats de l’ex-Yougoslavie. Même au cœur du continent, dans la République fédérative tchèque et slovaque, la situation est extrêmement préoccupante. Sans craindre que ce pays en arrive à un conflit militaire, on ne peut qu’espérer sincèrement qu’il ne sera pas nécessaire de modifier les frontières politiques. Les pays d’Europe centrale se sont efforcés de prévenir les conflits. La situation en Yougoslavie et dans d’autres parties des Balkans préoccupe la Hongrie depuis longtemps. A l’heure actuelle, on voit difficilement comment on pourrait faire respecter les droits de l’homme dans la région. Il n’y a pas de place pour l’improvisation. Ce qu’il faut, c’est une politique unifiée de l’Europe tout entière pour pacifier la région. Outre la politique étrangère, la politique de sécurité doit faire l’objet d’une attention particulière. Si les populations des anciens pays communistes ont été heureuses de voir disparaître le rideau de fer, elles craignent cependant de le voir remplacé par un nouveau rideau de fer économique plus dangereux. La communauté internationale peut traiter des crises isolées, mais, une fois celles-ci résolues, il faudrait absolument que les nations parviennent à une plus grande unité pour mettre en œuvre un système de coopération économique global. Les problèmes des pays d’Europe centrale sont aussi ceux du monde entier. Ces pays ne pourront pas maintenir la paix sociale s’ils restent pauvres, ce qui provoquerait d’ailleurs une crise économique dans l’ensemble de l’Europe occidentale.
Les problèmes politiques, économiques et sociaux doivent donc faire l’objet d’une coopération mondiale. C’est également à ce niveau qu’il faut s’attaquer aux problèmes Nord-Sud. En conclusion, M. Antall demande aux membres de l’Assemblée parlementaire de soutenir la Hongrie pour qu’elle puisse mener ses réformes à bon terme.