Gjorgje
Ivanov
Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine »
Discours prononcé devant l'Assemblée
jeudi, 24 juin 2010
Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire général, Mesdames, Messieurs les membres de l’Assemblée, Excellences, je me réjouis d’avoir l’occasion aujourd’hui de m’adresser à vous.
La République de Macédoine ressent comme un honneur, une reconnaissance, mais également une responsabilité particulière en ces temps troublés, d’assumer la présidence du Comité des Ministres. Nous nous attacherons aux priorités clés que nous avons définies ensemble.
Il est symbolique que la Présidence macédonienne du Conseil de l’Europe intervienne au moment où nous célébrons le soixantième anniversaire de l’adoption de la Convention européenne des droits de l’homme qui représente, avec la démocratie et la primauté du droit, l’un des trois piliers du Conseil de l’Europe. Ces valeurs fondamentales doivent établir un équilibre entre la liberté et la sécurité, nécessaire si nous voulons poursuivre notre route sur la voie du progrès.
La Macédoine, qui promeut un modèle de démocratie inclusive, peut contribuer à défendre les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe. Le jeune Etat indépendant de Macédoine s’appuie précisément sur ces valeurs dont les racines sont profondément ancrées dans la société macédonienne. La démocratie macédonienne, qui signifie «intégration sans assimilation», est complémentaire des valeurs de l’Europe. Respecter la coexistence ethnique et culturelle est une tradition dont nous sommes fiers. En Macédoine, en effet, les communautés ethniques nationales, ethniques et religieuses peuvent exercer librement leurs droits et libertés. Notre modèle s’appuie sur ces valeurs universelles qui découlent du respect des différentes cultures. Construite en Macédoine depuis des siècles, la coexistence multiethnique est un modèle pour l’avenir.
Toutefois, le modèle démocratique macédonien ne peut être mis en œuvre que dans un espace ouvert. Aujourd’hui, plus que jamais, notre région a besoin de la «Pax Europeana», qui doit se traduire par une Europe à l’espace ouvert, où la liberté de circulation des personnes, des idées, des capitaux et des produits est une réalité, où prévalent la tolérance et la diversité, où chacun peut jouir de ses droits et de son identité. Un espace ouvert où chacun se voit respecté, un espace qui soit un terreau à l’instauration de la confiance entre les Etats, où les valeurs soient le fondement du modèle démocratique.
En ces temps de crise, nous avons besoin de davantage d’Europe. En effet, la crise ne peut servir d’alibi pour mettre un terme aux progrès de la construction européenne. Tout au contraire, c’est dans les moments de crise que nous devons revenir à nos principes de base qui ont permis l’unification de l’Europe comme ils ont permis aux pays européens de sortir des crises. Le succès de ce modèle se fonde sur la solidarité, la coopération, l’ouverture, la démocratie et les droits de l’homme.
Si la dernière crise a été surmontée grâce à l’ouverture et à cette vision d’avenir, il n’y a aucune justification pour que nous réagissions à la crise morale politique et économique de notre continent en nous refermant sur nous‑mêmes. La peur est une réaction compréhensible, mais elle ne peut guider les politiques. Nous ne devons pas nous laisser faire et permettre que la faillite budgétaire conduise à la faillite morale. L’élargissement de l’Europe est la seule solution, la seule voie possible vers l’intégration européenne.
L’Europe tire sa capacité à influencer ses voisins sans faire pression sur eux de son ouverture, car elle est ouverte à l’élargissement.
En période de crise, il faut promouvoir une véritable vision de l’avenir de manière à ce que l’Europe puisse jouer un rôle moteur. Défi, la crise peut devenir aussi chance à saisir. Finissons‑en avec ces lieux communs selon lesquels les leaders politiques pourraient prendre des décisions d’une manière non démocratique alors que tous doivent se battre pour que les idéaux de l’Europe – liberté, démocratie, droits de l’homme, solidarité – s’incarnent partout sur notre continent. Telle est ma vision pour la Macédoine et le sud‑ouest de l’Europe! Je crois en la sagesse des leaders actuels!
En outre, la République de Macédoine a fixé un certain nombre d’objectifs dans le cadre de sa présidence du Conseil de l’Europe. Nous devons en particulier veiller à renforcer le rôle de ce dernier, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire au Secrétaire Général, M. Jagland, et au Président de notre Assemblée, M. Çavuşoğlu.
Le renforcement de la protection des droits de l’homme demeure, quant à lui, notre première priorité sur un plan national et européen. La présidence macédonienne, dans le droit‑fil du processus d’Interlaken, s’emploiera notamment à réformer ce fleuron du Conseil de l’Europe qu’est la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, les décisions que prend cette dernière doivent être respectées par l’ensemble des Etats membres. Le rôle de la Cour et du Comité des Ministres doit donc être renforcé afin de mettre un terme aux violations de la Convention européenne des droits de l’homme. J’ajoute que nous souhaitons organiser une conférence intitulée «Renforcer la subsidiarité» sur l’intégration de la jurisprudence de la Cour dans les législations nationales.
Par ailleurs, afin de conforter la démocratie et la primauté du droit, nous devons mettre en œuvre des mécanismes garantissant la liberté des individus ainsi que leur participation à la vie politique et sociale de leur pays. Que chacun puisse jouir de ses droits, tel est le sens de l’Etat de droit!
Précisément, si nous sommes tous égaux devant la loi, certains le sont plus que d’autres en raison de la corruption, antithèse absolue de la primauté du droit. Nous devons y répondre tous ensemble, en l’occurrence dans le cadre du Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO). Paneuropéen et transatlantique, il est la plate‑forme idéale pour dialoguer et prévenir un tel fléau. Conscient que ce combat va de pair avec la défense des droits de l’homme, le ministère de la Justice de la République de Macédoine organisera une conférence d’évaluation des travaux menés par le GRECO, en particulier s’agissant de l’intégration de la question des droits de l’homme dans l’ensemble des travaux des administrations publiques européennes. Une transparence totale s’impose en la matière.
De plus, si l’on tient à préserver la stabilité démocratique, il faut prendre conscience que les droits de l’homme sont inséparables des droits sociaux. La présidence macédonienne entend donc accorder une importance particulière à l’application du principe de solidarité et au renforcement de la cohésion sociale en Europe. Nos efforts communs devraient notamment nous permettre de relever les nouveaux défis liés à l’emploi et au niveau de vie, sujets particulièrement importants alors que nous traversons une crise économique et financière sans précédent. Je précise, enfin, que l’Union européenne doit adhérer à la Convention européenne des droits de l’homme.
La deuxième priorité de la présidence macédonienne est le renforcement de l’intégration des minorités nationales dans les sociétés européennes, l’intégration sans assimilation, c’est‑à‑dire l’acceptation des différences religieuses, linguistiques, ethniques et culturelles, étant d’ailleurs au cœur même de notre modèle. Mon pays ayant longtemps fait partie d’empires multiethniques et multiculturels, il est le dépositaire d’une tradition multiséculaire de coexistence entre les différentes communautés, comme en témoignent nos légendes et nos vieilles chansons. Je rappelle que si le premier programme de télévision en turc a été diffusé en Macédoine en 1965, le premier programme de radio en albanais l’a été en 1945 et le premier programme d’information télévisée, dans cette même langue, en 1968. J’ajoute que la radiotélévision nationale macédonienne diffuse depuis longtemps des programmes en serbe, rom, vlaque ou bosniaque. Voilà pourquoi la présidence macédonienne tient à mettre l’accent sur les groupes les plus marginalisés dans nos sociétés, en particulier, les immigrés et les Roms! Nous avons d’ailleurs organisé à Skopje une conférence sur l’intégration des minorités nationales et une autre sur la question des Roms qui, chez nous, disposent d’un gouvernement, d’écoles et de médias.
Je considère, également, que la décentralisation constitue une condition sine qua non pour favoriser la nécessaire souplesse interne, gage du renouvellement de nos sociétés. L’Etat doit tenir bon dans la tempête afin que nous puissions, tous ensemble, jouir de jours meilleurs!
Dans la période actuelle, il ne faut pas faire preuve de rigidité ni d’inflexibilité. Nous devons être comme le jonc qui ploie sous le vent de la tempête. Une fois celle‑ci passée, nous pourrons à nouveau construire sur les fondations de notre Europe commune. Ce modèle sur lequel nous nous appuyons dans notre pays, nous l’améliorons au jour le jour; comme dans toute démocratie réelle, il s’agit d’un processus et non d’un projet figé.
Mesdames et Messieurs, depuis longtemps, la République de Macédoine a une tradition de respect pour la diversité culturelle linguistique et ethnique et nous sommes fiers d’avoir ratifié la convention‑cadre pour la protection des minorités nationales. C’est la raison pour laquelle la République de Macédoine, en tant qu’Etat membre responsable du Conseil de l’Europe, demande instamment aux Etats qui ne l’ont pas encore fait de ratifier cette convention‑cadre sans délai, afin que les minorités puissent jouir pleinement de sa protection.
Les sociétés européennes sont de plus en plus multiculturelles. Cette richesse de la diversité doit être chère à nos cœurs. Il nous faut donc promouvoir un dialogue interculturel et interreligieux. La coexistence entre les religions est une réalité dans notre pays. C’est la raison pour laquelle nous avons organisé les première et deuxième Conférences mondiales sur le dialogue entre les religions et les civilisations à Ohrid. En dehors de cette importante conférence, nous organiserons en septembre prochain un échange sur la dimension religieuse du dialogue interculturel, afin de renforcer la diversité culturelle et religieuse.
Nous allons passer le témoin aux générations futures, car nous ne pouvons pas construire l’avenir de notre continent sans leurs points de vue et leur énergie. C’est la raison pour laquelle le troisième objectif de notre présidence est de lancer le processus d’Ohrid, qui vise à des échanges de vues entre les jeunes du Sud‑Est de l’Europe et, au‑delà, faire participer les jeunes au processus de réforme démocratique de nos sociétés. Nous mettons en œuvre les obligations prévues dans la Déclaration de Kiev et adhérons à la célébration de l’Année internationale de la Jeunesse proclamée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2010.
Notre système actuel, nos parlements, nos gouvernements, nos ministères doivent être suffisamment ouverts pour attirer les jeunes par la voie démocratique, afin qu’ils participent à la construction de l’Europe de demain sans avoir à chercher des voies alternatives radicales pour participer aux transformations de notre société.
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est une véritable école de la démocratie. Après la chute du mur de Berlin, de nombreux Etats d’Europe centrale et orientale ont réussi à renforcer leurs capacités démocratiques sur ses bancs. C’est une excellente occasion pour les jeunes de tirer les leçons de ce qui s’est passé. Nous devons leur transmettre notre esprit d’Européen, nos principes et nos valeurs. Le Conseil de l’Europe a toujours joué un rôle moteur pour reconnaître les besoins de nos concitoyens mais, pour mettre en œuvre les priorités de notre présidence, nous avons besoin des présidences sortantes et futures du Conseil de l’Europe – la Suisse et la Turquie –, ainsi que des présidences de l’Union européenne – l’Espagne et la Belgique. Nous allons également coopérer avec les Nations Unies, le Kazakhstan et l’OSCE cette année.
Le succès futur de l’Europe dépend de nous tous. Notre institution a été créée au tout début de l’existence de la nouvelle Europe. Elle a accumulé de l’expérience au cours des hauts et des bas qu’a connus l’Europe; en ces temps de crise, le moment est venu d’en tirer les leçons. Le Conseil de l’Europe nous a toujours offert des solutions dont nous pouvions nous inspirer. Elles doivent nous protéger des tentations de retomber dans les nationalismes et de se refermer sur nous‑mêmes. Le Conseil de l’Europe est une institution qui doit, aujourd’hui, nous éloigner des clichés, qui doit nous aider à trouver des solutions nouvelles qui défendent la démocratie, le respect des droits de l’homme et les libertés.
En conclusion, j’aimerais vous inviter, vous membres de l’Assemblée parlementaire, au nom des bases sur lesquelles repose notre Organisation, à mettre votre autorité au service de la création de législations qui aient pour objectif de promouvoir la diversité, l’identité et la dignité de tous les peuples en Europe, dont le mien: le peuple macédonien.
LE PRÉSIDENT (interprétation)
Je vous remercie, Monsieur le Président Ivanov, de votre discours.
Un nombre important de collègues ont déjà exprimé le souhait de vous poser une question. Je leur rappelle que les questions doivent avec un caractère vraiment interrogatif et ne pas dépasser 30 secondes.
La parole à M. Volontè, au nom du Groupe du Parti populaire européen.
M. VOLONTÈ (Italie) (interprétation)
Monsieur Ivanov, vous avez longuement parlé de la crise morale et de l’engagement de la présidence de votre pays en faveur du dialogue interreligieux – valeurs européennes, il faut le rappeler en cette année anniversaire de la Convention. Comment pouvons‑nous promouvoir davantage ces valeurs religieuses et morales comme sources de nouvelle inspiration pour nos jeunes?
M. Ivanov, Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (interprétation)
La Macédoine a toujours pratiqué la tolérance au fil des siècles. C’est un héritage du passé. Sous l’empire ottoman, existait un système de tolérance envers toutes les communautés religieuses. En Macédoine, nous avons donc grandi dans la diversité, tous ensemble dans la cohabitation de nombreuses identités et composantes, soient‑elles juives, musulmanes ou autres.
De la compréhension naît la tolérance. S’isoler conduit à défendre ses intérêts propres et mène au conflit. C’est la raison pour laquelle mon pays est un modèle de l’intégration sans assimilation, un modèle inclusif de démocratie où chacun est accepté tel qu’il est.
Ce qu’est aujourd’hui la Macédoine, c’est peut‑être ce que sera l’Europe demain, car l’Europe entière pourra être multiethnique et multiconfessionnelle si chacun apprend à se montrer tolérant envers les autres. C’est ainsi que nous pourrons vivre dans la paix. Si nous n’acceptons pas le dialogue et la tolérance, de nouveaux conflits risqueront d’apparaître. Nos sociétés ne doivent pas être fermées. Cela risquerait de conduire à l’intolérance et au conflit permanent, ce qui fut le cas en Europe avec la Deuxième Guerre mondiale. Nous devons lutter pour éviter cela par le dialogue.
M. IWIŃSKI (Pologne) (interprétation)
Monsieur le Président, étant membre de la délégation qui a observé l'élection présidentielle au printemps dernier, nous avons eu l’occasion de rencontrer les sept candidats, y compris vous‑même. Trois étaient d’origine albanaise. Aujourd’hui, comment voyez‑vous la situation politique de cette communauté qui a parfois conduit à des actes de violence, et celle des autres minorités nationales?
Dans votre intervention, vous vous êtes essentiellement référé à la diversité culturelle et linguistique.
M. Ivanov, Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (interprétation)
En 2001, notre pays a été secoué par un conflit auquel nous avons trouvé une solution, en intégrant toutes les parties prenantes dans le cadre des Accords d’Ohrid, ce qui est inscrit dans notre Constitution. C’est la base de notre modèle d’intégration sans assimilation. Cet accord cadre a permis de sensibiliser chacun au fait que c’est là notre norme, notre modèle.
Vous savez ce qu’est la politique. En politique, chacun veut le pouvoir et, parfois, dans cette lutte pour le pouvoir, on essaie de mobiliser des minorités; on cherche parfois des intérêts «ethniques», ce qui constitue une violation des normes. Mais quand les campagnes électorales cessent, cette mentalité cesse aussi. Celles et ceux qui ont voulu radicaliser le monde, que ce soit en termes politiques ou religieux, sont obligés à terme de bien comprendre qu’ils doivent respecter les normes qui s’appliquent à tout un chacun. C’est bien la spécificité, la caractéristique des sociétés multiethniques: il faut que chacun parvienne à canaliser ses ambitions, les baisser d’un ton et trouver les moyens de discuter après les campagnes.
Mme KEAVENEY (Irlande) (interprétation)
Vous avez évoqué, Monsieur le Président, votre pays comme un espace ouvert. Quel rôle y jouent selon vous les arts, la musique ou le sport? Comment ces différents aspects peuvent‑ils aider à mieux comprendre l’autre? Pensez‑vous que cela permette de diminuer les tensions et de se concentrer sur les points communs plutôt que sur les différences?
M. Ivanov, Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (interprétation)
Les Balkans ont, par tradition, l’expérience de l’espace ouvert. Aujourd’hui, les jeunes vivent, grâce à internet, dans leur propre espace ouvert. Ils peuvent communiquer facilement et librement, ils peuvent échanger des fichiers de musique, ils suivent les mêmes modes et les mêmes tendances que les autres jeunes de par le monde. Et quand ils se rendent dans les capitales européennes, ils mangent la même chose et portent les mêmes vêtements que tous les autres jeunes. Bref, les jeunes générations savent vivre dans un espace ouvert. Elles utilisent les mêmes codes de communication, parmi lesquels la langue anglaise.
Certains critiquent cette globalisation de la culture, mais je crois que le phénomène présente bien des aspects positifs. Lorsqu’on dispose d’un espace commun à tous, tel qu’internet, les revendications territoriales ne constituent pas une préoccupation. On se sent riche de ce que l’on a en commun et personne ne cherche à imposer sa culture aux autres.
A côté de cette culture internationale, nous avons aussi des cultures locales. Mais là encore, l’internet est une façon de les promouvoir dans une approche constructive plutôt que conquérante.
Je place donc beaucoup d’espoirs dans la jeune génération, qui est très tournée vers la communication avec le reste du monde. Aujourd’hui, en quelques clics, chacun peut en apprendre beaucoup sur les autres, sur leur culture, leur histoire. Bien sûr, il faut savoir s’adapter à ce nouveau monde. Cela suppose de garder les yeux et l’esprit ouverts. Comme je l’ai dit, un parachute ne sert à rien s’il reste fermé. L’esprit est comme un parachute: il doit savoir s’ouvrir.
M. BENDER (Pologne) (interprétation)
Une grande figure du XXe siècle a vu le jour dans votre pays, Monsieur le Président: je veux parler de Mère Teresa. C’est un beau pays que le vôtre et je pense qu’il devrait être mieux connu des autres Européens. Une ville comme Ohrid, par exemple, devrait attirer les visiteurs, qui ne pourraient qu’être séduits par la beauté des nombreuses vieilles églises, pour ne citer que cet attrait. Avez‑vous des projets pour attirer plus de visiteurs?
M. Ivanov, Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (interprétation)
Je vous remercie de ces paroles chaleureuses. Il est toujours agréable d’entendre dire du bien de son pays.
Mère Teresa est née à Skopje, c’est vrai. D’origine albanaise, elle est issue de cette diversité qui a toujours existé dans cette région du monde. Ce n’est pas à l’université qu’elle a appris la tolérance mais bien au sein de cette diversité balkanique. Nous sommes fiers qu’elle ait obtenu le prix Nobel de la paix, de même que nous sommes fiers que notre région ait été le berceau d’autres grandes figures qui ont porté dans le reste du monde un message de tolérance.
Je serais très heureux que mon pays soit mieux connu et qu’il contribue à ce que la question identitaire ne soit plus perçue comme un problème mais comme un pont entre les cultures.
M. NIKOLOSKI («L’ex‑République yougoslave de Macédoine») (interprétation)
Monsieur le Président, permettez‑moi tout d’abord de vous saluer au nom de la délégation macédonienne. C’est un grand plaisir que de vous voir dans cet hémicycle.
Puisque vous avez évoqué la nouvelle génération, pouvez‑vous nous dire quelles sont les perspectives de coopération que vous discernez? Où en sera selon vous la région en 2020?
M. Ivanov, Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (interprétation)
Jetons d’abord sur elle un regard rétrospectif. En une quinzaine d’années, beaucoup de changements importants se sont produits. La Slovénie a intégré l’Union européenne, la Croatie s’en est rapprochée, «l’ex‑République yougoslave de Macédoine» a fait acte de candidature, on s’attend à ce que l’Albanie, le Monténégro, la Serbie et la Bosnie‑Herzégovine fassent de même.
Je crois en cette région et j’aimerais qu’elle soit mieux connue. Elle a été l’objet de préjugés; certains ne voulaient voir en elle qu’une région violente où coulait le sang. Mais si on regarde l’histoire dans la durée, on se rend bien compte que sur des milliers d’années, il n’y a eu qu’une courte période de violence. Nous avons connu la pax romana et la pax ottomana. Il est vrai que les régimes correspondants étaient despotiques. Aujourd’hui que nous vivons en démocratie, nous voulons connaître la pax europeana. Les Balkans sont là pour rappeler que l’idée première de l’Europe a été avant tout la paix. Le projet européen fut d’abord, avant toute autre considération, économique ou autre, un projet de paix. C’est cela, l’idée européenne. Si l’on a fait le marché unique et la monnaie unique, c’est pour mieux assurer la paix dans un espace ouvert.
Je suis profondément balkanophile. J’adore les Balkans dans leur diversité et je suis optimiste pour eux.
Mme PAPADIMITRIOU (Grèce) (interprétation)
Je vous souhaite la bienvenue dans cet hémicycle, Monsieur le Président, et j’espère pouvoir un jour prochain en faire de même au sein des institutions de l’Union européenne.
Il y a quelques années, votre prédécesseur nous avait rassurés sur la volonté de votre pays de clore le contentieux au sujet du nom de la Macédoine. Que s’est‑il passé depuis? Quels progrès ont été réalisés?
M. Ivanov, Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (interprétation)
Hier encore, il y a eu une nouvelle rencontre du Premier ministre grec et du Premier ministre de mon pays. C’est la sixième réunion de haut niveau en très peu de temps. Cette communication accrue crée une bonne base pour un retour de la confiance, lequel ne pourra que faciliter la recherche de solutions dans un processus qui se déroule devant les Nations Unies. Nous devons pouvoir trouver une solution qui soit acceptable pour vous et pour nous.
J’ai fait part à M. Papoulias, votre Président, de mon désir de le rencontrer. Cela ne nous a pas encore été possible, mais nous avons échangé plusieurs courriers.
Nos deux sociétés n’ont déjà plus aucune difficulté l’une avec l’autre. Les Macédoniens se rendent en vacances en Grèce, les investisseurs grecs viennent en Macédoine et nombreux sont les citoyens grecs qui veulent s’installer dans le sud de la Macédoine. Vous constaterez que nous mangeons de la salade grecque et buvons de l’ouzo et que, dans les mariages, on entend résonner de la musique grecque!
Jusqu’à présent, les problèmes perdurent seulement au niveau des élites, mais là aussi les dirigeants sont en train de les résoudre. La communication existe; elle devrait conduire à une solution acceptable par les deux parties si nous parvenons à renforcer la confiance. Je suis optimiste.
M. ZERNOVSKI («L’ex‑République yougoslave de Macédoine») (interprétation)
Comme on le sait, la Grèce a demandé que la Constitution et le drapeau macédoniens soient modifiés. Nous l’avons fait. Mais elle a aussi demandé que notre nom change. Monsieur le Président, pensez‑vous que cela soit conforme aux principes du Conseil de l’Europe, alors que cette Organisation réclame que l’on respecte le droit des peuples à s’autodéterminer?
M. Ivanov, Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (interprétation)
La fin de la Yougoslavie a entraîné de nombreuses turbulences, avec notamment la scission en plusieurs pays. C’est alors que la question du nom de notre pays s’est posée. La Grèce y a vu un problème de sécurité. Selon elle, nous pourrions avoir des revendications territoriales si nous utilisions la dénomination de «Macédoine». Nous avons changé notre Constitution pour montrer notre bonne volonté. Ensuite, nous avons accepté une nouvelle concession en modifiant notre drapeau.
Nous sommes soumis à la Résolution 817 des Nations Unies, mais, en ce qui concerne notre nom, il a seulement été dit que l’on devait débattre de l’usage du mot «Macédoine». Les déclarations de l’Union européenne, à l’époque de la Déclaration de Lisbonne, avaient été assez fortes: notre pays était appelé à ne pas utiliser ce nom. Dans le cadre de l’accord temporaire que nous avons conclu avec la Grèce, nous avons accepté d’utiliser la formulation «l’ex‑République yougoslave de Macédoine» pour nos relations internationales.
Il s’agit d’une décision temporaire, qui restera en vigueur jusqu’à ce qu’une solution acceptable soit trouvée. Cette terminologie était utilisée par un bureau consulaire grec ainsi qu’en langue slovène et de nombreux traités ont été signés où cette appellation apparaît. L’usage du mot «Macédoine» a été interdit alors que cela constitue une violation du droit des peuples à l’autodétermination. Voilà pourquoi nous avons rouvert ce dossier. La Cour européenne des droits de l’homme risque de se trouver confrontée à une montagne de requêtes individuelles si nous abolissons ce terme, car nos citoyens considéreront que leur droit a été violé.
De tels processus prennent beaucoup de temps et sont difficiles. Nous y avons consacré beaucoup de temps et d’énergie au lieu de parler des perspectives de la région et de l’intégration. Cela me rappelle un peu le voyage de Gulliver chez les Lilliputiens, quand, face à un conflit permanent, il demande: «Pourquoi passez‑vous votre temps à vous battre?» Alors, les habitants commencent à réfléchir et se disent: «Mais oui, pourquoi y passons‑nous tout ce temps?» Chez nous, les jeunes générations connaissent moins ce conflit. Beaucoup ignorent même l’existence d’un document aux Nations Unies spécifiquement consacré à cette question du nom. D’ailleurs, l’adjectif «macédonien» n’a jamais posé problème et nous sommes heureux que la Grèce l’accepte. Mais nous voudrions aussi que l’on reconnaisse notre droit à l’autodétermination.
Mme TÜRKÖNE (Turquie) (interprétation)
Monsieur le Président, nous savons tous à quel point la diversité culturelle est essentielle pour votre pays. En 2005, quand je m’y suis rendu, j’ai vu des édifices historiques – églises et mosquées – bien entretenus, mais, dans la ville de Monastir, j’ai aussi vu deux mosquées fermées avec des chaînes. J’ai récemment appris que, sous votre présidence, l’une d’elles avait été rouverte et que des services religieux y étaient de nouveau célébrés. J’en suis heureuse, mais peut‑être pouvez‑vous nous en dire plus sur l’avenir de votre pays en la matière.
M. Ivanov, Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (interprétation)
A l’époque du communisme, l’athéisme régnait. Les objets et édifices religieux étaient considérés comme de simples témoignages historiques, voire, pour les seconds, comme des musées. Le processus actuel de désétatisation vise à rendre ces biens à leurs vrais propriétaires. De nombreux objets ont déjà été restitués. Je considère que chacun doit avoir accès à ces objets et à ces édifices.
Il y a officiellement cinq religions reconnues par notre Constitution, chacune respectant les autres et aucune n’entravant la liberté des autres. La mosquée que vous avez évoquée est effectivement un édifice religieux qui n’était plus qu’un témoignage de l’histoire. On trouve également à proximité une basilique d’époque byzantine et d’autres édifices encore. Il faut poursuivre le processus que j’évoquais.
Je pense que les touristes et le public en général devraient être sensibilisés à l’existence de ces différents témoignages des religions. La diversité n’est pas que linguistique. L’amélioration de la situation économique devrait permettre à ces différentes pratiques de refleurir.
M. VAREIKIS (Lituanie) (interprétation)
Monsieur le Président, vous avez indiqué qu’un nombre croissant de personnes souhaitent devenir macédoniennes, mais un tiers de la population est d’origine albanaise. Quelle proportion, dans cette communauté, souhaite réellement appartenir à la Macédoine et non à l’Albanie?
M. Ivanov, Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (interprétation)
En Macédoine, 25% de la population sont d’origine albanaise. Cette communauté possède ses spécificités culturelles mais elle fait partie intégrante, au titre de la Constitution, de notre société. La minorité turque de Macédoine est considérée, en Turquie, comme une communauté avant tout d’origine macédonienne. Ainsi, en Albanie, la communauté albanaise de Macédoine est considérée comme une communauté avant tout macédonienne. Chacun, en réalité, a sa vision des choses!
C’est d’ailleurs ainsi que nous envisageons la diversité, à l’intérieur même de notre pays. C’est pourquoi, nous avons tant besoin des valeurs européennes dans les Balkans. Nous ne devons pas confondre nationalité, citoyenneté et origine ethnique. On fait parfois la confusion, dans les débats, entre ces différentes notions, mais le processus européen d’intégration nous permettra de clarifier les choses. En tout état de cause, tous les citoyens de la Macédoine sont égaux, chacun apportant à la nation sa propre identité.
M. CORLǍŢEAN (Roumanie) (interprétation)
La Roumanie soutient l’élargissement de l’Union européenne et de l’OTAN aux pays des Balkans. La Macédoine est le plus ancien candidat à l’Union européenne mais aucune date n’a encore été fixée pour lancer les négociations. Quelles actions politiques menez‑vous dans votre pays pour faciliter le rapprochement avec l’Union européenne?
M. Ivanov, Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (interprétation)
Dans une société multiethnique, le rôle d’un chef d’Etat s’apparente à celui que joue l'Union européenne autour de l'objectif commun de l’intégration européenne. Alors que les partis politiques essaient de diviser les citoyens, je tiens, en tant que Président de la République, à les unir.
L’adhésion à l’Union européenne est un objectif qui fait l’objet d’un large consensus dans mon pays. Tous les acteurs de la société sont mobilisés et enthousiastes. Ce processus permettra à l’ensemble des pays de la région de s’approprier les normes européennes et d’améliorer les conditions de vie de leurs citoyens. Toute entrave à ce processus ouvre de vieilles blessures et nous sommes quelque peu étonnés qu’aucune date n’ait été encore fixée pour le début des négociations. Un seul pays ne peut bloquer tout le processus. Nous devons tous nous mobiliser afin de nous y engager de manière ferme et résolue. Dès qu’une date sera fixée, toute la population macédonienne se mobilisera autour de l’objectif.
M. AGRAMUNT FONT DE MORA (Espagne) (interprétation)
La création des nouveaux Etats de l’ex‑Yougoslavie a emprunté des voies diverses selon les pays. Certains d’entre eux ont suivi un chemin exemplaire; d’autres, comme le Kosovo, ont eu une attitude moins irréprochable.
Pensez‑vous que l’ensemble des pays des Balkans sont viables sur le plan politique et économique?
M. Ivanov, Président de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (interprétation)
La Yougoslavie, qui fonctionnait de manière satisfaisante en temps de paix, s’est dissoute à la première crise qui est survenue, après la mort de Tito. Les différents Etats de la Fédération sont devenus alors des républiques.
La Constitution de l’ex‑Yougoslavie contenait des dispositions prévoyant le droit à l’autodétermination et à la séparation. Le pays était alors composé de six républiques, de six peuples et de trois religions. Ce processus a débouché sur la création de nouveaux Etats.
La Serbie, quant à elle, était dans une situation un peu différente, puisqu’elle comptait la Voïvodine et le Kosovo. A l’époque de Slobodan Milošević, l’autonomie de ces deux entités a été suspendue, ce qui a entraîné des tensions entre les citoyens albanais et les autres communautés de Serbie.
Les Albanais du Kosovo ont demandé le même droit à l’autodétermination que celui des autres peuples de l’ex‑Yougoslavie. D’où une situation extrêmement difficile, où il a fallu faire face à de nouvelles réalités. La Macédoine respecte ces nouvelles réalités. C’est pour cela que le Kosovo a été reconnu par nous, comme un nouveau pays avec lequel nous avons des relations. Nous nous efforçons d’avoir également de bonnes relations avec la République de Serbie.
La création d’un nouvel Etat peut avoir un effet domino. La création des Etats remonte au traité de Westphalie. Il fallait que les habitants soient maîtres de leur territoire. Avec l’unification de l’Europe, nous pensons que l’Etat perdra de son importance. Il nous faut maintenant ouvrir les espaces d’intégration.
Sur notre planète, on compte 5 000 groupes ethniques, 6 000 groupes linguistiques. Si chacun doit devenir une nation, on devrait avoir un minimum de 5 000 Etats… Aux Nations Unies on n’arrive pas à s’entendre à moins de 200. Imaginez un monde où chacun aurait le droit de former un Etat. L’espace ouvert est peut‑être la façon d’éviter d’en arriver là. Les leaders de l’Europe doivent trouver le moyen de réconcilier ces embryons d’Etat ou ces nouveaux Etats qui apparaissent. Il faudra voir si les processus de création respectent le droit international ou non. Les Etats étant les seuls sujets des relations internationales.
LE PRÉSIDENT (interprétation)
Ainsi se termine la phase des questions.
Je vous remercie chaleureusement au nom de notre Assemblée, Monsieur Ivanov, pour votre discours et pour les réponses que vous avez apportées à nos questions.