Petru

Lucinschi

Président·e de la République de Moldova

Discours prononcé devant l'Assemblée

jeudi, 24 juin 1999

M. Petru LUCINSCHI est honoré de s’adresser au plus haut forum de la démocratie européenne. Il est encourageant de constater que la République de Moldova a bénéficié d’une haute appréciation pour les changements profonds qu’elle a opérés. Elle doit ce succès à l’étroite coopération avec Strasbourg. C’est grâce au Conseil de l’Europe que la Moldova a pu s’engager dans la voie de l’intégration européenne.

En huit ans d’indépendance, la vie politique a connu deux scrutins législatifs, deux scrutins présidentiels et deux scrutins locaux. Le pays a su respecter les engagements pris lors de son adhésion. Il a entrepris avec succès une réforme de son système judiciaire, a signé la Convention européenne des Droits de l’Homme et a ratifié la Charte européenne de l’autonomie locale et la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales. L’adoption de ces documents a contribué à modifier le cadre législatif national. Un important travail est en cours pour doter le pays d’un nouveau Code civil et d’un nouveau Code pénal ainsi que d’une série de projets qui consolideront l’Etat de droit. La Moldova a également adopté une loi sur l’administration territoriale et sur l’administration publique locale, mettant ainsi fin à un débat qui a duré plus de sept ans. La décentralisation est enfin en cours, en conformité avec les exigences européennes. Il eût été difficile de faire aboutir de tels changements sans l’aide du Conseil de l’Europe.

La mise en place d’autorités locales constitue une réalisation importante pour une jeune démocratie. Malheureusement, certaines tensions sont apparues avec la minorité bulgare. Le gouvernement a proposé une solution mais celle-ci n’a pas encore été adoptée par le parlement.

La République de Moldova a enregistré des progrès essentiels parmi lesquels le président cite l’impartialité de la justice, le respect des droits de l’homme, le pluralisme politique, l’économie de marché, la liberté des médias et la protection de la propriété. Mais le progrès social dépend du fonctionnement efficace de l’Etat qui entraîne la confiance du citoyen. A cet égard, la République de Moldova est confrontée à une difficulté d’assimilation des règles d’une société démocratique. Le poids du passé est lourd. Pendant les décennies de totalitarisme, le niveau de vie du citoyen était sensiblement plus élevé. La Moldova a choisi le modèle occidental du pluralisme politique, économique et social, mais ce nouveau système démocratique a entraîné une baisse du niveau de vie.

C’est aux autorités de l’Etat qu’il appartient de donner les réponses qui permettront au peuple de garder la foi. La transformation vers la démocratie a pour seul but d’améliorer la vie et de défendre les droits de l’homme.

La nouvelle Constitution a permis la mise en œuvre des normes fondamentales qui sont celles du Conseil de l’Europe. Le développement économique du pays est basé sur la protection de la propriété privée et publique. Le poids du secteur privé est estimé à 60 % du PIB. Les initiatives indépendantes sont donc essentielles pour l’économie. Les conditions d’un développement économique continu ont été créées mais elles ne donnent pas encore d’effets positifs. Il faut sans doute en rechercher la cause dans le manque d’expérience et un climat d’euphorie non fondé qui ont contribué à faire commettre de graves erreurs dans la promotion des réformes politiques et économiques. On n’a pas assez tenu compte du fait que le travail rémunéré était la source essentielle du bien-être pour la population.

Ces derniers temps, la Moldova a connu des problèmes identiques à ceux des autres pays en transition, problèmes liés à la dégradation économique et à une crise régionale et institutionnelle. Ces difficultés ne se résoudront pas aisément, car les stéréotypes hérités du passé totalitaire pèsent lourd dans les mentalités. Certes, l’humanité aspire à l’idéal démocratique. Mais l’engagement dans la transition vers la démocratie ne donne pas des résultats positifs immédiats. Il s’ensuit des problèmes sociaux qui conduisent à des antagonismes où risquent de prévaloir les intérêts égoïstes et corporatifs. La dégradation du niveau de vie et l’ambiguïté de la législation caractéristiques de cette période de changement aboutissent à une augmentation de la criminalité organisée. Ce climat est dangereux car il fait le jeu des forces politiques demeurées fidèles à l’ancien régime. Il est d’autant plus nécessaire de consolider les forces démocratiques et la mise en œuvre d’une société pluraliste tournée vers une économie de marché.

C’est à l’intérieur même d’un pays que l’on doit instaurer les conditions qui permettent d’évoluer vers la démocratie. Les solutions ne viendront pas de l’extérieur. Certains semblent éprouver quelques difficultés à le comprendre. Un problème important qui se pose à la Moldova est celui de la formation des cadres. C’est malheureusement à ce niveau que se trouve le plus grand nombre de conservateurs, d’hommes qui admirent le Louvre tout en restant secrètement enchantés par l’odeur des bistrots populaires.

Sur le plan psychologique, il faudra arriver à distinguer les forces vives dans un monde confus où passé et présent sont étroitement mêlés, d’autant plus étroitement que l’on retrouve ces contradictions en chaque Moldove.

Cette situation s’explique largement par la difficulté qu’il y a à passer à des règles du jeu politique dont personne n’a eu l’expérience en Moldova. Pour le pays, cette transition est sans précédent et, si la volonté existe de combler la faille qui a séparé le pays de l’Europe pendant tant d’années, les citoyens ne jouissent toujours pas des garanties nécessaires, malgré une décennie d’efforts. Il est clair pour tous qu’une telle transition requiert du temps, ne serait-ce que parce qu’elle suppose aussi un changement des mentalités, dans la société comme dans la classe politique.

Un des éléments déterminants pour cette transition est le choix du système du gouvernement. La Moldova est actuellement à la recherche d’un système adéquat et efficace. Après cinq ans d’un régime mi-parlementaire, mi-présidentiel, M. Lucinschi est convaincu que le système actuel était inefficace et conduisait inévitablement à l’instabilité. Bien que les Etats occidentaux aient mis des dizaines d’années à trouver leurs propres solutions, le Président s’est attelé à la tâche en vue de préparer les changements nécessaires.

Consultations et études l’ont en effet amené à conclure que la crise prolongée du système du gouvernement contribuait aux difficultés économiques et financières du pays en retardant les réformes indispensables; la séparation des pouvoirs n’est pas satisfaisante et l’équilibre entre parlement et gouvernement n’est pas assuré; malgré la faible taille de la Moldova, des dizaines de partis entretiennent des rivalités permanentes, formant des alliances instables – sept gouvernements se sont succédé en seulement huit ans! Ce que pourrait supporter une société ayant une tradition démocratique bien établie est insupportable dans une démocratie jeune et encore fragile. Les réformes en sont freinées et les citoyens perdent confiance dans les autorités publiques.

Le Président a donc décidé qu’en même temps que les élections locales, fixées par le parlement au 23 mai, se déroulerait un référendum consultatif sur le changement du système de gouvernement. Il ne l’a pas fait par ambition personnelle ou par intérêt partisan, mais pour résoudre un problème intéressant l’ensemble de la société: lorsqu’un gouvernement manque des bases législatives nécessaires pour assurer sa mission, il est évident qu’il ne peut agir efficacement, imposer des réformes ou faire appliquer la loi. En ce moment, le PIB de la Moldova a chuté, la monnaie se dévalue, le crime organisé et la corruption se développent, gangrenant jusqu’au pouvoir. Tous les indices montrent donc que la république est impuissante. Pour autant, l’objectif de la réforme ne sera pas d’affaiblir le parlement, qui restera en mesure de contrôler l’exécutif: le changement n’affectera en rien les institutions ou les valeurs démocratiques.

C’est d’ailleurs ce qu’ont compris les citoyens en participant à 58,33 % au référendum du 23 mai et en se prononçant à 64,2 % des suffrages exprimés en faveur du changement de système. Le résultat, validé par la Commission électorale centrale et confirmé par la Cour constitutionnelle, a permis de lancer la procédure de modification de la Constitution, qui se déroulera avec l’appui du Conseil de l’Europe et de la Commission de Venise. L’objectif est d’instaurer un système présidentiel qui garantisse la séparation des différentes branches du pouvoir en même temps que leur coopération, une gestion plus efficace des affaires publiques, une prompte mise en œuvre des réformes et, par conséquent, une restauration de la confiance des citoyens. La Moldova restera fidèle aux engagements qu’elle a pris à l’égard du Conseil de l’Europe, mais l’Etat sera enfin en position de défendre les droits et intérêts légitimes de la population.

Les aspirations des Moldoves à plus de démocratie se heurtent aussi, depuis plusieurs années, à un séparatisme qui est la séquelle de l’époque totalitaire. Ce mal, d’origine idéologique et politique – et non ethnique comme certains l’ont prétendu -, a provoqué, de mars à juin 1992, un conflit armé dont, sept ans après, le pays se ressent. Bien que les autorités nationales aient affirmé qu’elles étaient disposées à accorder à la Transnistrie une large autonomie, les négociations, qui se déroulent avec la participation de l’OSCE et la médiation de la Russie et de l’Ukraine, se révèlent difficiles.

Les droits de l’homme continuent d’être violés sur ce territoire qui échappe au contrôle des autorités constitutionnelles; un député y demeure emprisonné depuis cinq ans et la situation ne cesse de s’aggraver en raison de la présence d’un important stock d’armes. Par ailleurs, l’accord signé le 21 octobre 1994 avec la Fédération de Russie qui prévoyait le retrait des troupes de la fédération n’a toujours pas été ratifié et la Douma l’a même retiré de son ordre du jour. M. Lucinschi garde cependant l’espoir que la mission de l’OSCE, le Conseil de l’Europe, la Fédération de Russie et l’Ukraine intensifieront leurs efforts pour relancer les négociations en vue d’un accord respectueux de l’indépendance, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la Moldova.

Tous les peuples du continent voient dans le Conseil de l’Europe, qui fête ses cinquante ans, un espoir et une promesse de justice. L’Europe a mis 150 ans et a dû traverser deux guerres mondiales, puis surmonter une division bipolaire, avant de réaliser la prophétie de Victor Hugo selon laquelle ces nations finiraient par constituer une union fraternelle sans pour autant perdre leur identité glorieuse. Cette union s’est concrétisée avec la création du Conseil de l’Europe. Les orientations nouvelles esquissées par le 2e Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement seront sans nul doute bénéfiques pour les peuples du continent, permettant de prévenir de nouveaux conflits.

Pour l’heure, la solution de la crise balkanique apparaît déterminante: elle constituera un précédent qui fera longtemps sentir ses effets, qu’ils soient positifs ou négatifs. En effet, alors que tout le monde parle d’Europe unie, d’intégration et de globalisation, on observe un essor des nationalismes et des séparatismes qui viennent contredire la tendance au regroupement, à la constitution de fédérations. Il importe d’enrayer ce mouvement inquiétant.

Pour sa part, la Moldova tient à s’intégrer aux structures économiques européennes. Elle collabore activement avec l’Union dont elle espère devenir membre associé. Elle devrait également devenir membre de l’OMC avant la fin de l’année.

Cette intégration repose pour beaucoup sur la jeunesse et le Président émet le vœu que le Conseil de l’Europe favorise les échanges entre jeunes, pour une meilleure connaissance mutuelle.

La Moldova est un petit pays, mais qui bénéficie de l’apport de trois civilisations: la romaine, la slave et l’orientale. Elle forme donc un pont entre l’Est et l’Ouest tout en appartenant essentiellement à la famille européenne par sa culture, par sa volonté de procéder à des réformes démocratiques. Une très grande majorité de ses citoyens entend bien participer à la construction de la maison commune européenne et, pour elle, le Conseil de l’Europe représente une chance d’œuvrer à l’avenir du continent, à égalité avec toutes les autres nations.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci, Monsieur Lucinschi, pour cet exposé fort complet et fort instructif et pour avoir accepté de répondre aux questions des parlementaires. Dix-sept de nos collègues ont exprimé le souhait de vous poser une question. Etant donné que nous disposons d’environ vingt-cinq minutes, je leur demanderai de respecter la limite de trente secondes pour ce faire; il s’agit en effet de poser des questions et non de prononcer des discours. Je suis certain, Monsieur le Président, que vous saurez faire preuve de concision dans vos réponses. Ainsi, nous parviendrons à aborder toutes les questions.

Je propose de grouper certaines d’entre elles. Les six premières ont trait à la réforme constitutionnelle, que vous avez longuement évoquée au cours de votre discours. Elles seront posées respectivement par M. Gross, M. Jansson et M. Oliynyk. La parole est à M. Gross, pour poser la première question.

M. GROSS (Suisse) (traduction)

Le référendum organisé récemment a été suivi avec une grande attention par la communauté démocratique européenne. Ne pensez-vous pas qu’il y ait un risque d’affaiblir le parlement si l’on institue une présidence forte qui exploitera toutes les possibilités de plébiscite dans un pays où la culture démocratique demande encore à être renforcée?

M. JANSSON (Finlande) (traduction)

Merci, Monsieur Lucinschi, pour l’accueil que vous m’avez réservé la semaine dernière dans votre beau pays. Si je me réfère à la traduction anglaise de votre discours, vous avez indiqué qu’il fallait réviser la Constitution de votre pays, car elle n’accorde pas assez de pouvoirs à l’exécutif. J’aimerais savoir dans quel sens vous envisagez de modifier l’équilibre entre le gouvernement, le parlement et la présidence?

M. OLIYNYK (Ukraine) (interprétation)

après avoir exprimé son respect envers la Moldova et son Président, demande à ce dernier comment la démocratie parlementaire, ce processus essentiel du XXe siècle, s’enracine dans son pays.

M. Lucinschi, Président·e de la République de Moldova (interprétation)

constate qu’il aura vingt secondes pour répondre à chaque question... Il note que M. Gross anticipe sur la réforme constitutionnelle en cours en disant qu’elle introduit un exécutif fort face à un parlement faible. Telle n’est pas l’intention qui préside à cette modification: il s’agit de donner à l’exécutif les moyens d’exercer une influence sur le législatif et cette réforme va se dérouler de façon démocratique, avec l’aide du Conseil de l’Europe et des experts en droit constitutionnel.

Quelles sont actuellement les relations entre le président, le gouvernement et le parlement?

Aujourd’hui, le gouvernement n’a pas d’autre moyen de pression sur le parlement que la démission. Quant au président, il n’a pour seule prérogative que le pouvoir de dissoudre le parlement si celui-ci n’a pas voté la confiance dans le gouvernement au bout de quarante-cinq jours. Dans ce cas-là, le pays n’a plus de pouvoir exécutif. La réforme vise à assurer un équilibre normal entre les pouvoirs et éviter de tels blocages.

Le président répond à M. Oliynyk, qui se préoccupe de la situation en Moldova, qu’un système démocratique sur le modèle européen a besoin pour vivre d’une culture européenne et d’une économie efficiente. Il rappelle que tous les pays européens ont mis un certain temps avant de trouver le système politique qui leur convenait: la Finlande, par exemple, a connu une longue période de république présidentielle avant de passer, une fois stabilisée, à un système parlementaire. Il compte qu’il faudra de dix à quinze ans pour mettre en œuvre les réformes sociales, économiques et politiques qui s’imposent.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie. Les trois questions suivantes, qui ont également trait à la réforme constitutionnelle, seront posées respectivement par Lord Kirkhill, M. Columberg et Mme Durrieu. La parole est à Lord Kirkhill.

Lord KIRKHILL (Royaume-Uni) (traduction)

Monsieur le Président, vous venez d’indiquer – en fait, vous venez de répéter ce que vous aviez déjà dit dans votre discours – que les réformes envisagées avaient pour objectif de préserver les pouvoirs du parlement. Si tel est bien le cas, je pense que vous serez d’accord avec moi pour dire que la responsabilité de l’exécutif devant le parlement constitue la pierre angulaire d’une vraie démocratie.

M. COLUMBERG (Suisse) (traduction)

Monsieur le Président, c’est avec un grand intérêt que j’ai suivi les développements intervenus dans votre pays. Et je tiens à vous féliciter des progrès considérables qu’il a déjà accomplis.

Vous avez déjà répondu à un certain nombre de questions portant sur la révision de la Constitution. La mienne, toutefois, revêt un caractère un peu particulier. J’aimerais savoir si vous avez l’intention de saisir le parlement du projet que vous avez élaboré ou bien si vous allez le soumettre directement à l’appréciation de la population.

Mme DURRIEU (France)

Rapporteur sur ce sujet avec M. Columberg depuis six ans, je connais bien la Moldova, un pays qui a besoin de stabilité politique.

Vous engagez une réforme, Monsieur le Président, et, pour cela, vous avez choisi la voie du référendum. Pourquoi en appelez-vous directement à la population? Qui s’oppose aujourd’hui à ce référendum? Qui le soutient?

M. Lucinschi, Président·e de la République de Moldova (interprétation)

confirme que le gouvernement est responsable face au parlement. Celui-ci est actuellement composé de députés élus à la proportionnelle et présentés par plusieurs partis, ce qui oblige à constituer de larges coalitions qui se défont facilement. Les gouvernements ne cessent de tomber en Moldova: sept en huit ans. On ne peut mener à bien la transition avec des gouvernements qui ont une durée de vie de dix mois en moyenne! Dans la république présidentielle qui doit se mettre en place, le président forme le gouvernement qui est responsable devant lui, et il est lui-même responsable devant le peuple. En même temps, le parlement dispose de leviers pour agir sur l’exécutif et le président. Le futur système moldove sera élaboré avec l’aide des experts et des représentants du Conseil de l’Europe et répondra aux exigences de la transition.

M. Lucinschi remercie M. Columberg et Mme Durrieu pour leur soutien, mais serait heureux de voir son pays jouir de la stabilité politique et économique nécessaires. Malheureusement, cela n’est pas le cas, les leviers qui permettraient d’avancer font défaut. Le pays a besoin d’un exécutif plus fort, capable de lancer des réformes.

Qui soutient le projet de référendum? On comprendra que le président ne s’engage pas. Il est vrai qu’une majorité de parlementaires sont opposés à ce texte, mais M. Lucinschi va discuter avec eux pour leur faire comprendre que la réforme ne se fera pas contre le parlement. Actuellement, la collaboration entre les pouvoirs est trop imparfaite et l’intelligentsia soutient cette initiative. La Moldova n’est pas comparable au Bélarus ou au Turkménistan. Elle assume ses responsabilités vis-à-vis du Conseil.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie. Les questions suivantes ont été regroupées et seront respectivement posées par M. Shaklein, M. Kollwelter et M. Dumitrescu. La parole est à M. Shaklein.

M. SHAKLEIN (Fédération de Russie) (interprétation)

interroge M. Lucinschi sur les perspectives de règlement du problème de la Transnistrie et la protection de la minorité russophone.

M. KOLLWELTER (Luxembourg)

D’abord, une remarque d’ordre général. J’ai le sentiment que les membres de l’Assemblée éprouvent une certaine appréhension face à un glissement vers un régime de caractère présidentiel alors que nos préférences iraient davantage à un régime à dominante parlementaire.

Maintenant deux questions sur la Transnistrie. L’organisation des nouvelles élections qui auront lieu prochainement respecteront-elles les différentes recommandations des rapports de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, notamment en ce qui concerne l’organisation des élections en Transnistrie?

Le président a parlé d’un nouveau statut spécial de cette partie du pays et de son autonomie. Pourriez-vous nous apporter des précisions?

M. DUMITRESCU (Roumanie)

Monsieur le Président, je voudrais vous remercier pour vous être exprimé dans notre langue natale, le roumain, devant l’Assemblée du Conseil de l’Europe.

Sans nul doute, la République de Moldova est un Etat de droit, confiante dans les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe, des droits de l’homme et du droit international.

Ma question porte sur un fait unique; je vous la pose en votre qualité de Président de la République. Quand sera-t-il mis fin à l’internement d’un parlementaire élu, M. Iliascu, membre du Parlement moldove, interné dans son propre pays par les autorités de la prétendue république de Transnistrie?

M. Lucinschi, Président·e de la République de Moldova (interprétation)

répond à M. Shaklein que les droits de la population russophone sont garantis en Moldova comme en Transnistrie, où coexistent d’ailleurs plusieurs nationalités, avec 40 % de Moldoves et 27 % de Russes et d’Ukrainiens.

Il est exact que les élections en Transnistrie se déroulent toujours dans une atmosphère d’appréhension ou de crainte et qu’elles sont organisées sans la présence d’observateurs, contrairement à ce qui se passe en Moldova. Chaque élection change d’ailleurs la situation politique.

M. Kollwelter a exprimé la préférence de l’Assemblée pour le régime parlementaire, mais M. Lucinschi rappelle que l’empire soviétique s’est effondré parce qu’il a voulu imposer partout le même régime politique. La Moldova cherche sa voie, comme l’Espagne a choisi la monarchie constitutionnelle.

En ce qui concerne le cas de M. Iliascu, M. Lucinschi s’est adressé au chef de l’administration de Tiraspol et penche pour l’optimisme. Le parlementaire a été condamné à mort, mais on peut espérer une annulation officielle de la décision. Mme Durrieu connaît d’ailleurs fort bien le problème. La Transnistrie devrait abolir la peine capitale. Les 13 et 14 juillet, M. Lucinschi se rendra à Kyiv où il rencontrera le Président Koutchma et le Premier ministre russe pour évoquer l’ensemble de ce dossier, dans lequel M. Tarschys et le Président de l’Assemblée parlementaire pourraient utilement s’impliquer.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie. La séance se prolongera un peu, mais je tiens à prendre les questions qui portent sur les droits des minorités. Je vous demanderai d’aller rapidement à l’essentiel et de vous abstenir de tout hommage au président et de toute évocation de la beauté du pays. La parole est à M. Toshev.

M. TOSHEV (Bulgarie) (traduction)

L’adoption, à la fin de l’année dernière, de la loi sur l’organisation administrative du territoire a suscité les vives protestations de la minorité nationale bulgare, parce que le canton de Tarakluia, où cette minorité est majoritaire, a été incorporé dans une région plus vaste. Plusieurs organes du Conseil de l’Europe, y compris la Commission de Venise, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe et la commission de suivi, considèrent que cette modification va à l’encontre de l’article 16 de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales à laquelle la Moldova est partie. Précisons ici qu’on a également supprimé le financement d’un quotidien bulgare.

J’aimerais savoir quelles mesures la Moldova entend prendre afin de garantir les droits de la minorité bulgare tels qu’ils figurent à l’article 16 de la convention-cadre.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Quelle est la question, Monsieur Toshev?

M. TOSHEV (Bulgarie) (traduction)

J’aimerais savoir quelles mesures sont prises pour garantir les droits de la minorité bulgare.

M. IVANOV (Bulgarie)

Monsieur le Président, quelle est votre position sur les nouvelles lois relatives aux organisations administratives territoriales adoptées par la République de Moldova? Pourriez-vous soutenir la demande de la population de Tarakluia, qui s’est exprimée par référendum pour sauvegarder l’intégrité territoriale de ce district?

M. ROCKENBAUER (Hongrie)

Personne n’ignore aujourd’hui l’importance des structures juridiques nationales et internationales dont le but est la protection de l’identité des minorités culturelles ou nationales. De ce point de vue, la Moldova est considérée comme un pays où l’on a réussi à surmonter le défi du concept de l’Etat-nation. Sa structure constitutionnelle reflète la conception multiethnique et multiculturelle du pays.

Puis-je vous demander, Monsieur le Président, votre analyse sur les expériences pratiques des autres minorités territoriales de votre pays du point de vue des répartitions des compétences et de l’entente entre minorités et majorité?

Mme KULBAKA (Fédération de Russie) (interprétation)

demande à M. Lucinschi si les membres des minorités nationales ont la possibilité de suivre un enseignement dans leur langue maternelle.

Lord JUDD (Royaume-Uni) (traduction)

La Convention de Genève de 1951 porte sur le statut des réfugiés; son protocole additionnel de 1967, que tous les pays devraient ratifier, garantit que toute personne nécessitant une protection internationale ne soit pas refoulée, mais puisse demander l’asile. J’aimerais savoir quand la Moldova compte signer et mettre en œuvre la législation relative à la protection des réfugiés.

M. Lucinschi, Président·e de la République de Moldova (interprétation)

déplore en premier lieu que la communauté bulgare de Tarakluia n’ait pas accepté la décision du Parlement moldove. Son opinion personnelle est qu’il aurait été préférable de ne pas modifier ce district, qui comprend 60 % de Bulgares, mais... dura lex sed lex! Pour autant, cette affaire n’est pas définitivement résolue, et des contacts sont maintenus avec la population de Tarakluia afin d’aplanir les difficultés. Il serait donc peu judicieux que les relations, excellentes jusqu’à présent, entre la Bulgarie et la Moldova, s’enveniment à ce propos.

Quant aux journaux publiés en langue bulgare, ils n’ont pas été empêchés de paraître pour des raisons politiques. La réalité est beaucoup plus terre à terre: le budget de l’Etat ne permet plus de leur octroyer, comme par le passé, une subvention. Cependant, la minorité bulgare, qui vit dans de meilleures conditions que les autres minorités nationales, pourrait décider de soutenir elle-même sa presse.

La Moldova comprend cinq groupes minoritaires: les Ukrainiens, qui constituent 14 % de sa population, les Russes 13 %, les Gagaouzes 3,5 %, les Bulgares 2,5 % et les Juifs 1 %. Chacun de ces groupes dispose d’écoles maternelles et de sections d’enseignement spécial jusqu’à l’université, ainsi que d’établissements de culte et d’émissions de télévision et de radio. En outre, les Gagaouzes se sont vu octroyer une grande autonomie dans le cadre constitutionnel, et, si des litiges surviennent, c’est à la Cour constitutionnelle qu’il revient de trancher.

M. Lucinschi indique ensuite que la participation de membres des minorités nationales à l’exécutif est conditionnée à une seule exigence: que ces membres connaissent la langue de l’Etat. Le Vice-Premier ministre moldove, pour ne citer que lui, est d’origine russe, et le parlement utilise deux langues de travail dont le russe. Par ailleurs, la presse russe est plus fournie que la presse moldove. On voit donc que les minorités nationales ne souffrent d’aucune discrimination et que la cohabitation interethnique se poursuit sans conflit, comme cela a été le cas au cours des siècles. Rien d’étonnant à cela dans une ancienne province romaine où tous les peuples se sont mêlés. En la matière, la Moldova pourrait servir de modèle. Tout au plus peuvent subsister certaines insatisfactions individuelles.

Enfin, la commission compétente du Parlement moldove examine dès à présent les modifications législatives que rendrait indispensable la ratification de la Convention de Genève sur les réfugiés et la Moldova entend honorer ses obligations internationales à cet égard dans les plus brefs délais.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Nous devons à présent interrompre notre dialogue avec M. Lucinschi. Je m’excuse auprès de ceux dont les questions n’ont pas pu être abordées. Je remercie le Président Lucinschi pour ses réponses franches et directes. La matinée a assurément été fort instructive.