Vladimir
Meciar
Premier ministre de Slovaquie
Discours prononcé devant l'Assemblée
mercredi, 26 juin 1996
Madame la Présidente de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Mesdames et Messieurs, le 30 juin, nous allons célébrer le troisième anniversaire de l’adhésion de la République slovaque au Conseil de l’Europe. Nous sommes venus libres parmi les libres, égaux parmi les égaux, au nom de l’humanisme, au nom des valeurs humaines fondamentales, dans l’intérêt des droits de l’homme, de la nation, de l’Etat. Nous confirmons notre intérêt de participer à la construction d’une Europe nouvelle, aux valeurs communes de la démocratie, des droits de l’homme, de la liberté, respectant le droit aux particularités des voies vers ces valeurs. Le Conseil de l’Europe est pour nous le symbole et la garantie du développement de ces valeurs, et il est appelé, à juste titre, la conscience de l’Europe.
Nos ancêtres se sont dotés, entre le VIe et le IXe siècle, d’un Etat fort. C’est sur notre territoire que se trouvait le premier diocèse en Europe centrale et orientale. C’est dans notre pays qu’ont travaillé les patrons de l’Europe, saints Cyrille et Méthode, et c’est grâce à eux que le christianisme a continué son expansion vers l’Est. La langue de nos ancêtres a été reconnue quatrième langue liturgique. Je ne souhaite pas faire ici une interprétation de l’Histoire, mais confirmer que si l’Europe se développe, depuis presque deux millénaires déjà, sous l’influence des valeurs du christianisme, nous avons toujours été l’une de ses parties.
La République slovaque se développe en tant qu’Etat démocratique des citoyens égaux en droits, devoirs et chances. L’évolution démocratique est irréversible. Les défauts sont des erreurs de l’évolution, et non pas du fond de la démocratie. L’économie évolue vers une économie de marché à orientation sociale, ayant un accroissement dynamique du PIB pour la deuxième année consécutive dépassant 7,3 %, une monnaie stable avec une convertibilité extérieure sur le compte courant depuis 1995, un accroissement des réserves en devises et une diminution du taux de chômage de 4 % durant les dix-huit derniers mois. La recherche d’une charge sociale admissible pendant la période de transition nous mène à constater l’absence de troubles sociaux, de grèves. Le système des valeurs des gens change. La longue opposition des idées du collectivisme et de l’individualisme nous ramène aux valeurs originelles du christianisme et de l’humanisme. Dans la vie pratique, nous avons bien défendu notre voie, une voie slovaque vers une société changée.
Les changements auxquels nous procédons dans notre pays se déroulent tenant compte des tendances civilisatrices d’une société postindustrielle, et des processus d’intégration européenne. Les efforts de rapprochement, les efforts développés pour arriver au même niveau que les pays les plus développés nous forcent à accélérer le dynamisme de notre évolution.
Les droits de l’homme et du citoyen sont bien respectés en Slovaquie. Ils sont garantis par la jurisprudence, par les activités des autorités de l’Etat, par les tribunaux indépendants et par les garanties internationales. Les droits des minorités connaissent une protection particulière. Nous avons accepté le standard international des droits des minorités, la République slovaque a également ratifié la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe. Nous exprimons nos regrets que cette convention ne puisse pas encore entrer en vigueur, car trop peu d’Etats l’ont ratifiée. Nous comprenons que le conflit dans les Balkans est perçu, de façon simplifiée, comme un conflit ethnique et qu’il a ainsi attiré l’attention sur la politique des minorités. Cependant, réduire le problème des minorités au seul aspect ethnique n’est pas correct. La protection des droits des personnes appartenant aux minorités nationales ne peut être confondue avec la protection du nationalisme des minorités, des efforts d’irrédentisme, du ghetto linguistique et de la séparation. L’examen de la protection des droits de l’homme et du citoyen ne devrait pas appliquer une mesure double.
La Slovaquie, à la suite d’une séparation amicale d’avec la République tchèque, a réglé les relations avec tous ses voisins et, cette année, elle a ratifié le traité avec la République de Hongrie. Les conditions de la stabilité et de la coopération entre les régions sont remplies. Nous voyons de nouvelles opportunités pour l’Europe centrale dans l’élargissement de la coopération économique dans le cadre de l’AELE.
La République slovaque a clairement déclaré son intérêt de s’intégrer dans les structures européennes et atlantiques, et entreprend aussi des démarches pratiques dans ce sens, étant ainsi à la recherche des garanties de sa sécurité. Dans l’histoire de l’Europe, beaucoup de paroles nobles ont été prononcées lors de toasts portés à la paix éternelle et à la coopération, mais le nombre de conflits et d’échecs est aussi grand. Une question est alors justifiée: sommes-nous prêts à profiter de la chance qui a été offerte à l’Europe avec la chute des blocs? Serons-nous en mesure de transformer un équilibre de la peur et de la force en un équilibre des intérêts? L’Europe sera en sécurité lorsque tout le monde en son sein sera en sécurité. Une sécurité pour tous, non pas contre quelqu’un. Nous comprenons alors l’évolution future comme un ensemble d’opérations des pays intégrés à l’OTAN, des pays coopérant entre eux. Nous avons intérêt à adhérer à l’OTAN. Les questions de sécurité et de garanties sont extrêmement importantes pour le centre de l’Europe. La sécurité de l’Europe centrale ne peut être comprise uniquement comme un espace entre l’OTAN et la CEI, mais comme une partie intégrante de l’ensemble de l’architecture de la sécurité.
Nous considérons une coordination de la lutte contre la criminalité organisée, plus rapide et mieux organisée, comme importante pour la sécurité des citoyens. Pendant que les bureaucraties d’Etat cherchent des modes de coopération, la criminalité s’est internationalisée avec la chute du rideau de fer.
La République slovaque est un pays associé de l’Union européenne et a présenté sa candidature pour y adhérer. Nous saluons l’évolution qui s’efforce d’objectiviser les critères comme des efforts parallèles et le début des négociations avec tous les pays associés en même temps, en sachant que ces négociations ne se termineront pas forcément en même temps pour tous les pays. Ainsi, pour les pays associés, il y a l’obligation de s’adapter à la situation future de l’Union européenne et de se préparer aux conditions de l’union monétaire.
L’évaluation de la possibilité de s’intégrer en établissant des échelles sans critères objectifs a plutôt un effet contre-productif et démotivant.
La préparation de l’intégration se déroule en matière de législation, de compatibilité des conditions économiques de la collaboration, grâce à l’interconnexion des infrastructures et à l’augmentation de l’efficacité de notre économie. Le plus grand problème, ce ne sont pas les investissements, mais c’est la formation des personnes.
Nous apprécions hautement l’aide du Conseil de l’Europe au renforcement de la démocratie, à la protection des droits de l’homme, à la législation et à la construction démocratique de l’administration d’Etat. Votre expérience nous aide à réduire à quelques années le chemin que vous avez mis plusieurs décennies à traverser; la démocratie, ce n’est pas seulement le droit et les institutions, c’est aussi le mode de vie et de pensée. Il n’y a pas d’alternative à cela. Nous appliquons l’expérience des démocraties développées sur nos conditions et notre évolution historique. Actuellement, il s’agit plutôt des facteurs du développement de la démocratie que de son fond.
Le développement de la démocratie est un processus infini de la connaissance de l’évolution de la société et des relations, en cela consiste aussi l’une des fonctions permanentes du Conseil de l’Europe. Il faut réévaluer les mécanismes de la construction des institutions européennes, des Etats de grande ou de petite taille, du rôle de la démocratie directe et représentée, des rapports entre le citoyen, l’Etat, la collectivité locale, ainsi que la situation des partis politiques, de la famille, des relations sociales, les questions de la souveraineté des Etats et de l’intégration, des relations régionales, etc. Les questions du développement des cultures et de tout un ensemble de droits sociaux, de la personne humaine, dans leurs fonctions de protection et de motivation, attendent leurs réponses. .
Souvent, on me demande quelle était la tâche la plus difficile que j’avais à accomplir. La vie m’a appris que seules les tâches que nous n’avions pas accomplies pouvaient être plus difficiles que celles déjà accomplies.
La République slovaque sait apprécier son adhésion au Conseil de l’Europe. Elle n’est pas sans menus défauts, mais elle est et elle restera un partenaire fiable pour la coopération avec tous. Nous nous trouvons au seuil d’un nouveau millénaire, nous nous trouvons au seuil d’une nouvelle coopération postindustrielle. Nous nous trouvons au seuil d’une nouvelle Europe aux valeurs et aux chances fondamentales communes.
Prouvons que nous sommes dignes de cette époque et que nous n’avons pas laissé passer notre chance.
Mesdames, Messieurs, ce sera un honneur pour moi de répondre à vos questions.
LA PRÉSIDENTE (traduction)
Monsieur Meciar, je vous remercie pour ce discours extrêmement intéressant. A présent, les membres de l’Assemblée souhaitent vous poser quelques questions.
Je voudrais rappeler aux parlementaires que la formulation de leur question ne doit pas dépasser trente secondes et être la plus brève possible – en tout cas, moins longue que dans le cas des questions posées hier. Chers collègues, vous devez vous contenter de poser une question – plutôt que de faire un véritable discours. Afin de permettre au plus grand nombre possible de poser des questions, j’ai décidé de ne pas autoriser de questions supplémentaires. La première question est posée par M. Gross.
M. GROSS (Suisse) (traduction)
Monsieur le Premier ministre, à propos de ce que vous avez appelé une séparation pacifique d’avec le peuple tchèque je vous poserai la question que j’avais déjà posée à M. Klaus, votre homologue tchèque. J’aimerais savoir si, à votre avis, le fait que les deux gouvernements aient ignoré la volonté de près de 20 % des citoyens d’organiser un référendum sur la séparation des deux pays a eu une influence décisive sur le climat politique, culturel et psychologique qui s’est fait jour dans les deux républiques. J’aimerais également savoir comment les deux gouvernements évaluent ce climat. Merci beaucoup.
M. Meciar, Premier ministre de Slovaquie (interprétation)
répète que la scission de la Tchécoslovaquie en deux entités dotées d’une identité juridique distincte s’est faite de manière pacifique, dans le respect des citoyens et en maintenant une union douanière. Elle a été le résultat d’élections démocratiques et la question a été posée officiellement de savoir s’il fallait procéder à un référendum. La République tchèque ne l’a pas souhaité et la question a été résolue par les Parlements tchèque et slovaque.
Toute scission d’un Etat s’accompagne de rumeurs mais, en l’occurrence, les dispositions du droit international ont été respectées et de multiples accords ont été conclus entre les deux nations avant que l’événement ne se produise. Les relations entre les deux nouveaux Etats, loin d’être hostiles, sont amicales, ce qui constitue un avantage considérable. Les Slovaques- ont certes perdu Prague mais ils ont obtenu une ouverture sur le monde, le droit à un nom pour leur pays et celui d’être membres à part entière de toutes les organisations internationales.
M. LORENZI (Italie)
Monsieur le Premier ministre, je m’adresse à vous en tant que sénateur de la République italienne, membre de la Ligue du nord pour la Padanie indépendante. Ma question est la suivante. Pourriez-vous apporter quelques précisions concernant ce que vous venez de dire de votre expérience des revendications fédéralistes et autonomistes s’agissant des problèmes que vous avez pu résoudre ou non, des modalités, des conditions, des risques, et donc des avantages et des inconvénients? Peut-être avez-vous des suggestions à faire aux autres pays qui vivent une telle expérience, comme c’est le cas pour mon pays, l’Italie?
M. Meciar, Premier ministre de Slovaquie (interprétation)
répond que lorsqu’il a reçu, le 1er janvier 1993, les ambassadeurs de tous les pays qui avaient reconnu la République slovaque, l’un d’entre eux lui a dit qu’il allait avoir une vie difficile parce qu’il avait lancé le virus de la séparation à l’amiable... Pourtant, M. Meciar considère qu’il n’a pas de recettes à donner car chaque cas est un cas particulier et tout dépend de la situation intérieure du pays considéré.
Chacun peut concevoir que la scission a suscité des problèmes considérables qu’il a fallu résoudre. Ainsi, il a fallu assurer le respect des engagements internationaux préalablement souscrits par la Tchécoslovaquie, résoudre les questions de la séparation des biens et des recettes de l’Etat et celle de la cohabitation des citoyens, sans oublier les considérations humanitaires. C’est ainsi que la République slovaque reconnaît le droit à la double nationalité. Tout cela s’est fait sans traumatismes.
L’un des problèmes les plus compliqués a été celui de la monnaie, puisqu’il a fallu passer d’une monnaie unique à deux monnaies distinctes et créer une banque centrale. Mais, aussi grandes qu’aient pu être les difficultés, les avantages de la scission sont nettement supérieurs à ses inconvénients: deux Etats qui coopèrent sont nettement préférables à un Etat constitué par deux nations déséquilibrées. Le tout s’est fait au terme de négociations minutieuses avec la République tchèque et la seule détonation entendue a été celle des bouchons de champagne qui sautaient lorsque les deux nations se sont dit «au revoir»!
M. TRIBUNOVSKI («l’ex-République yougoslave de Macédoine») (traduction)
Monsieur le Président, la guerre dont certains pays de l’ex-Yougoslavie ont été le théâtre a conduit à la rupture des relations que la Slovaquie entretenait avec les pays des Balkans. J’aimerais connaître l’orientation du Gouvernement slovaque eu égard à l’élargissement de la coopération, notamment économique, avec les pays de la région à laquelle appartient également la République de Macédoine.
M. Meciar, Premier ministre de Slovaquie (interprétation)
répond que la terrible guerre des Balkans aurait pu être prévenue et déplore qu’il ait été aussi difficile d’y mettre un terme. Ceux qui se sont rendus coupables de crimes de guerre doivent en tout cas être recherchés et châtiés. La République slovaque soutiendra toute solution pacifique au conflit et se déclare favorable à la réintégration de l’ancienne République yougoslave au sein des différentes institutions internationales. Elle se sent l’obligation morale de contribuer à la reconstruction économique des pays dévastés par la guerre et d’aider ceux que l’embargo a lésés. Il importe également de renforcer la sécurité dans la région. Aux dommages liés à la guerre proprement dite s’ajoutent ceux dont l’origine se trouve dans la rupture de tous les liens de coopération économique, qu’il sera très difficile de renouer.
M. EÖRSI (Hongrie) (traduction)
Monsieur le Premier ministre, je souhaite, en tant que ressortissant hongrois, saluer le fait que vous ayez confirmé l’engagement de la Slovaquie à adhérer aux structures euro-atlantiques. La Hongrie a les mêmes intentions. Je pense que, dans la mesure du possible, nos deux pays devraient effectuer cette démarche conjointement.
On entend de plus en plus de voix s’élever contre la manière dont la démocratie est gérée en Slovaquie. Il serait regrettable que votre pays perde ses chances de faire partie de la première phase d’élargissement de l’Union européenne. Que répondez-vous à cela? Comment entendez-vous convaincre la communauté internationale que la Slovaquie est résolue à satisfaire aux exigences de l’Union et à être incluse dans la première phase d’élargissement?
M. Meciar, Premier ministre de Slovaquie (interprétation)
répond que le rythme de la démocratisation n’est pas plus lent en République slovaque que dans les autres pays d’Europe centrale et orientale. L’image négative que l’on donne parfois de la République slovaque à l’étranger ne correspond pas à la réalité et le mieux serait de venir se rendre compte sur place de ce qui se passe. Pour ce qui est, par exemple, du développement économique et social, la République slovaque est, de par sa politique de réforme dynamique, dans le peloton de tête. Des voix se sont élevées pour critiquer le faible rôle réservé à l’opposition mais la question est en passe d’être résolue.
Quant aux droits des minorités, ils sont garantis par l’application de critères plus sévères que ceux du Conseil de l’Europe. La liberté d’expression est de droit et personne n’est poursuivi... sauf le Premier ministre.
M. ANTRETTER (Allemagne) (traduction)
La Slovaquie est certes un jeune Etat, mais les Slovaques sont une nation européenne très ancienne privée des siècles durant de toute autonomie d’action vis-à-vis de l’extérieur. Ils tentent aujourd’hui de se forger leur identité propre. Cette tâche s’avère à maints égards plus ardue au moment même où les Etats- nations traditionnels de l’Europe occidentale commencent à parler d’identité européenne. Monsieur le Premier ministre, voici ma question: est-ce là le signe du commencement d’une ère nouvelle en Europe, dans laquelle les Etats-nations tentent de se départir de la tradition qui est la leur d’âpres rivalités nationales, ou n’était-ce qu’une étape de l’Europe, fondée sur l’union contre l’ennemi commun?
M. Meciar, Premier ministre de Slovaquie (interprétation)
rappelle que l’autodétermination est un droit fondamental des peuples. L’idée de créer un nouvel Etat en Europe à l’aube du XXIe siècle, alors que le continent est à la recherche de son intégration, peut sembler irrationnelle, mais M. Meciar se rappelle avoir répondu à M. Genscher, qui l’interrogeait à ce sujet, que la République slovaque ne revendiquait pas sa souveraineté pour s’isoler mais pour l’exercer sous son propre nom.
Il semble à M. Meciar que les Etats unitaires, comme la Slovaquie, sont mieux en mesure de participer à l’intégration européenne que les Etats fédéraux, qui doivent tenir compte des positions des échelons inférieurs. Le vrai problème lui semble résider dans la tentation qu’ont les grands Etats comme la France et l’Allemagne d’écarter les petits des fonctions de responsabilité au niveau européen comme la présidence de l’Union. Cela dit, M. Meciar n’oublie pas que l’Allemagne a été un des premiers pays, le 1er janvier 1993, à reconnaître la Slovaquie indépendante.
M. MOTIU (Roumanie) (traduction)
Tout d’abord, la Recommandation 1201 s’est-elle révélée comme une condition absolument nécessaire de la cohésion et de la stabilité du pacte entre la Slovaquie et la Hongrie, et les relations entre les deux pays se sont-elles améliorées depuis la ratification du pacte? En second lieu, comment expliquez-vous la séparation de l’ex-Tchécoslovaquie en deux pays, alors que la tendance actuelle de l’Europe est à l’unification? Seriez-vous hostile à une Europe unie?
M. Meciar, Premier ministre de Slovaquie (interprétation)
constate qu’aucun pays en Europe n’est dépourvu de minorités nationales mais considère que si le général de Gaulle et M. Adenauer avaient fait de l’Alsace une pomme de discorde, l’Europe n’aurait pas pu se construire. La Recommandation 1201 relative aux minorités nationales peut se lire de différentes façons et, dans le traité entre la Hongrie et la Slovaquie, ces deux pays ont donné une interprétation différente de ce texte.
La Slovaquie considère pour sa part qu’il n’est pas judicieux de créer des droits collectifs pour les minorités nationales et que le respect des droits individuels des personnes qui appartiennent à des minorités nationales est une garantie suffisante. Elle s’appuie sur la convention-cadre du Conseil de l’Europe, qui n’a pas retenu le principe des droits collectifs qui ouvre la voie à la reconnaissance d’une autodétermination. Cette convention a été ratifiée par la Slovaquie, la Roumanie et la Hongrie, mais doit l’être par douze Etats pour entrer en vigueur. Lorsque ce texte s’appliquera, le traité ne comportera plus de zones d’ombre.
Une personne de culture slovaque qui habite sur le territoire hongrois doit d’abord être un citoyen hongrois. Toute autre conception ramènerait aux années 30, avec les conséquences douloureuses que l’on sait. Forte des leçons de l’histoire, la Slovaquie s’en tient à une perception individuelle des droits de l’homme et du citoyen.
Mme JÄÄTTEENMÄKI (Finlande) (traduction)
Monsieur le Premier ministre, le Gouvernement slovaque a proposé un nouveau découpage des entités administratives, par lequel les régions où les minorités étaient traditionnellement majoritaires seraient redécoupées – ce qui entraînerait une position véritablement minoritaire des minorités ethniques dans tous les nouveaux secteurs ainsi définis. Peut-on dire que cette politique soit conforme aux principes relatifs au traitement des minorités inscrits dans notre convention-cadre?
M. Meciar, Premier ministre de Slovaquie (interprétation)
répond que Mme Jäätteenmäki aurait raison si ses informations étaient exactes, ce qui n’est pas le cas. La réorganisation administrative commencée en 1990 a supprimé quatre régions mais la proportion de la population hongroise a augmenté dans chacune des régions. Les limites des districts n’ont pas changé et la Slovaquie n’a donc pas manqué aux engagements qu’elle avait pris lors de son adhésion en 1993. En revanche, on ne peut admettre une division administrative qui s’inspirerait uniquement de principes ethniques, car bien souvent la frontière passerait au milieu du lit conjugal.
Lord FINSBERG (Royaume-Uni) (traduction)
Monsieur le Premier ministre, pourriez-vous nous éclairer sur le projet de loi d’amendement du Code pénal? Le législateur a-t-il l’intention de le modifier pour tenir compte de ses conséquences pour la liberté d’expression et d’autres droits démocratiques? Et à quelle date faut-il attendre la loi – dûment promise – sur les langues minoritaires?
M. Meciar, Premier ministre de Slovaquie (interprétation)
répond que la réforme du Code pénal n’est pas encore achevée parce que la ratification du traité entre la Hongrie et la Slovaquie a occupé tous les esprits. En tout état de cause ce code prendra en compte les principes de l’intégrité du territoire, de la souveraineté de l’Etat, de sa sécurité. Il s’inspirera des normes internationales et il est déjà prévu que l’avis des juristes indépendants autrichiens sera suivi par le législateur.
Mais, comme dans tous les pays européens, la liberté d’expression pourra être limitée dans les trois domaines qui viennent d’être évoqués. Il faut trouver un équilibre entre ces exigences légitimes et les droits de l’homme. M. Meciar ajoute que le processus devrait s’achever à l’automne.
En ce qui concerne les langues minoritaires, M. Meciar souligne que la plus grande liberté est déjà reconnue par la Constitution en vigueur et d’autres lois. La ratification de la charte sur les langues régionales devrait renforcer ce dispositif, comme une prochaine loi sur les langues minoritaires.
La loi sur l’emploi de la langue slovaque a, quant à elle, une finalité particulière: la protection du consommateur. Il n’est pas normal, par exemple, de trouver des médicaments dont le mode d’emploi est rédigé dans une langue étrangère. Mais les droits des minorités nationales ne sont pas touchés.
D’autres pays comme la France ou les Etats-Unis ont adopté des législations qui répondent aux mêmes préoccupations. La place de la langue et de la culture d’un petit pays comme la Slovaquie est en revanche une question qui dépasse le cadre de cette réponse.
M. NÉMETH (Hongrie) (traduction)
Monsieur le Premier ministre, vous avez évoqué la loi relative à l’usage des langues en Slovaquie – texte adopté en novembre 1995. Vous avez souligné que cette loi ne comportait pas de dispositions au sujet des minorités. Dès lors, comment se fait-il – si mes informations sont exactes – que des «inspecteurs linguistiques» puissent condamner de jeunes couples au paiement d’une amende si leur cérémonie de mariage a été célébrée en langue hongroise? En d’autres termes, le simple fait de dire «oui» à son conjoint peut coûter à un couple un an de salaire.
M. Meciar, Premier ministre de Slovaquie (interprétation)
répond à l’orateur, toute révérence gardée, qu’il se trompe: lors d’un mariage, on peut dire oui ou non dans la langue que l’on veut et, pour s’en convaincre, il n’a qu’à venir en Slovaquie se marier. Chacun peut y parler sa langue, les noms des rues et des villages n’ont pas été changés.
Il n’existe pas d’inspecteur linguistique en Slovaquie du Sud et la police recherche ceux qui voulaient faire peur à la population en se faisant passer pour tel. La loi sur la langue slovaque interdit seulement à un producteur de vendre ses produits sans une fiche en slovaque: il s’agit de protéger la santé et la sécurité des consommateurs.
En ce qui concerne l’armée et la police, le slovaque est la langue de commandement et personne n’a encore jamais vu d’interprète qui ferait le truchement entre les officiers et les soldats d’une unité militaire.
La Constitution respecte les normes européennes, un membre d’une minorité a le droit reconnu de parler sa langue, mais il est normal que les membres d’une minorité apprennent à parler également la langue du pays dans lequel ils résident.
Parce qu’elle est démocratique, la République slovaque veut éviter la constitution de ghettos linguistiques sur son territoire. Tous les citoyens d’un Etat doivent être à même de se comprendre.
LA PRÉSIDENTE
Merci mille fois. Je donne la parole à M. Szalay.
M. SZALAY (Hongrie)
Monsieur le Premier ministre, le Président de la République slovaque a effectué, il y a deux jours, une visite officielle en Hongrie. A cette occasion, il a fait un discours remarquable et très constructif dans le cadre de la session plénière du Parlement hongrois; cette allocution a été très appréciée et saluée par une écrasante majorité de la classe politique hongroise, par les médias et l’opinion publique. Par tous ces aspects, cette visite présidentielle a contribué de manière appréciable à l’amélioration des relations entre la Hongrie et la Slovaquie. Pourtant, du côté slovaque, on a enregistré des réactions bien moins favorables. Ainsi, la visite de votre Président en Hongrie a été franchement condamnée par M. Yuraj Schenk, ministre des Affaires étrangères de Slovaquie. Quelle est votre position à ce sujet? Quelle importance accordez- vous à la mission diplomatique de votre Président?
M. Meciar, Premier ministre de Slovaquie (interprétation)
dit que les négociations entre la Hongrie et la Slovaquie ont été menées au niveau des premiers ministres. Elles ont permis de résoudre beaucoup de problèmes et la visite à Budapest du Président de la République slovaque ne marque pas un véritable tournant. Celui-ci a eu lieu dès 1995.
Ce n’est pas un secret que le Gouvernement slovaque et le Président ont des avis divergents sur plusieurs questions. M. Meciar ne souhaite pas entrer dans le détail de ces affaires, qui sont purement internes et qui n’affectent en rien les relations avec la Hongrie. Il se contentera d’indiquer qu’il approuve les critiques formulées par le ministre des Affaires étrangères, pensant qu’il est plus important d’agir que de voyager.
Sir Anthony DURANT (Royaume-Uni) (traduction)
Monsieur le Premier ministre, pourriez-vous nous éclairer sur la situation des médias dans votre pays? Sont-ils totalement objectifs? Autrement dit, qui dirige vraiment la télévision, la radio et la presse écrite? Je crois savoir qu’il existe des commissions de surveillance de l’audiovisuel. Qui en nomme les membres, et ceux-ci sont-ils totalement indépendants du gouvernement?
M. Meciar, Premier ministre de Slovaquie (interprétation)
répond que la démocratie exige la liberté de la presse dans l’intérêt de tous, y compris de l’Etat. A un moment, le gouvernement a été soumis à un feu roulant de critiques à ce sujet: le Premier ministre y a répondu en promettant 10 000 dollars au journaliste qui prouverait qu’on l’avait empêché d’écrire en toute liberté. Mais, manifestement, il n’existe en Slovaquie aucun journaliste qui souhaite recevoir cette somme.
Actuellement, on peut d’autant plus écrire selon sa conscience qu’il n’existe encore aucune loi protégeant la vie privée. Le Parlement prépare un projet pour combler cette lacune.
La Slovaquie compte deux chaînes privées de télévision et, à côté de deux stations publiques de radio, vingt-quatre stations privées. Quant aux journaux, aucun n’est entre les mains de l’Etat. Il existe bien un conseil des médias, mais il est composé d’artistes, de journalistes et de personnalités qualifiées désignées par le Parlement. En 1994, des rumeurs ont couru faisant état de dérives partisanes, mais des négociations sont en cours en vue d’améliorer la situation et, notamment, d’assurer une représentation de l’opposition. Cela étant, il n’y a ni contrôle, ni censure de la part de l’Etat.
M. SCHWIMMER (Autriche) (traduction)
Monsieur le Premier ministre, j’étais l’un des trois rapporteurs ayant recommandé l’adhésion de la Slovaquie au Conseil de l’Europe; je suis également rapporteur sur les procédures de contrôle; à ce double titre je m’intéresse tout particulièrement à l’évolution de la situation en Slovaquie.
J’ai appris avec une grande satisfaction qu’on est parvenu à régler la question de la participation de l’opposition aux dispositifs de contrôle et qu’on a également engagé des pourparlers en vue de rechercher le moyen de lui permettre de proposer des candidats au conseil national de l’audiovisuel.
Etant donné que le bon fonctionnement des démocraties pluralistes dépend en grande partie des relations entre le gouvernement et l’opposition, j’aimerais vous prier de nous donner quelques précisions sur celles qu’entretiennent le gouvernement et l’opposition en Slovaquie.
M. Meciar, Premier ministre de Slovaquie (interprétation)
dit que ces relations ne peuvent à l’évidence être idylliques. La nature du combat politique le veut ainsi mais, en Slovaquie, il faut aussi compter avec les clivages qui sont apparus au moment de deux tournants importants: la chute du régime totalitaire et la partition de la Tchécoslovaquie. Pour surmonter ces divisions, il faudra beaucoup de temps et de patience car cela exige un véritable changement de culture, aussi bien pour l’opposition que pour la coalition au pouvoir.
M. Meciar est convaincu que cette dernière a le soutien de la majorité de la population et qu’on ne peut donc gouverner la Slovaquie sans elle. Quant à l’opposition, faute de gagner en influence, elle mise sur le lobbying auprès des institutions européennes, auprès desquelles elle fait état de données inexactes. Cependant, le Premier ministre pense qu’il est possible pour lui de parvenir à un accord avec les partis situés à la gauche du spectre politique. Par ailleurs, l’opposition est représentée dans les organes de contrôle et devrait l’être dans le conseil de l’information. Ces plaintes sont donc infondées. M. Meciar est convaincu que la démocratie n’est pas pour autant en danger du fait d’une coopération insuffisante, mais il souhaite que les antagonismes puissent être surmontés par le seul dialogue.
LA PRÉSIDENTE (traduction)
La séance de questions est donc terminée. Monsieur le Premier ministre, je vous remercie encore une fois, très chaleureusement, au nom de toute l’Assemblée, pour votre discours et les réponses que vous avez bien voulu apporter à mes collègues. Je comprends maintenant pour quelles raisons nos rapporteurs sont si désireux de vous rencontrer personnellement lorsqu’ils se rendent en Slovaquie.