Yitzhak

Rabin

Premier ministre d'Israël

Discours prononcé devant l'Assemblée

vendredi, 28 janvier 1994

Monsieur le Président, Madame le Secrétaire Général, Mesdames, Messieurs les parlementaires du Conseil de l’Europe, Messieurs les membres de la Knesset, observateurs auprès du Conseil de l’Europe, Mesdames, Messieurs, éminents invités, je voudrais vous remercier, Monsieur le Président, de m’avoir invité à prendre la parole aujourd’hui devant l’éminente instance qu’est l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Je suis très heureux de me trouver parmi vous en ce jour, près de deux ans après la visite que vous avait faite Chaim Herzog lorsqu’il exerçait les fonctions de Président de l’Etat d’Israël.

Permettez-moi de saisir cette occasion pour saluer le Conseil de l’Europe, qui a joué un rôle essentiel dans la promotion d’une intégration européenne fondée sur les valeurs de démocratie et de liberté, et lui rendre hommage pour la contribution qu’il apporte à la structuration de l’Europe et à la sauvegarde des droits de l’homme et des valeurs fondamentales.

C’est avec un grand intérêt qu’Israël suit les efforts déployés par le Conseil de l’Europe pour construire un continent plus fort et plus uni, et façonner le nouveau visage de l’Europe moderne.

... à la fin du chemin, nous parviendrons à la paix. Soutenus par vos encouragements, par votre sollicitude et par votre aide, nous y arriverons.

Bien que ne faisant pas partie intégrante de votre continent, Israël, Etat démocratique et occidental, se sent de profondes affinités avec l’Europe, et nous osons croire qu’elles sont partagées. L’attachement obstiné et inébranlable d’Israël aux valeurs démocratiques trouve d’ailleurs son illustration dans le statut d’observateur que le Conseil de l’Europe a accordé à des membres de la Knesset, le parlement israélien.

Israël adhère sans réserve aux valeurs que défend le Conseil de l’Europe. C’est pourquoi il appartient à toutes les démocraties, et, en particulier, aux nations du Conseil de l’Europe, de mener le combat et de s’opposer, en toute occasion, à ces fléaux récurrents que sont le racisme, l’antisémitisme et l’intolérance sous toutes leurs formes. A ce propos, Israël ne peut que condamner le développement des mouvements néonazis et fait appel à vous, au Conseil de l’Europe, pour vous y opposer vigoureusement.

J’éprouve une grande satisfaction à faire état du dialogue continu et fructueux entre Israël et le Conseil de l’Europe. Nous sommes ravis d’ouvrir les portes de la Knesset à des sessions de travail périodiques de diverses commissions de l’Assemblée. En mars 1992, la commission de la culture et de l’éducation a tenu à Jérusalem une audition sur la tolérance religieuse dans les sociétés démocratiques. Nous avons, plus tard, accueilli la commission de la science et de la technologie sous les mêmes auspices. Cette année, nous attendons deux autres commissions: la commission des relations parlementaires et publiques et la commission de l’agriculture, qui débattra de la désertification.

Je viens de Jérusalem, la capitale éternelle du peuple juif, la ville où les prophètes ont proclamé leurs visions de paix, pour vous dire que le Gouvernement d’Israël a conscience que des millions de personnes dans le monde entier ont les yeux tournés vers elle en prière, en grand espoir, dans l’attente d’une nouvelle voie, d’un nouvel élan. Je viens de Jérusalem pour vous dire que le Gouvernement d’Israël souhaite ardemment la paix et est prêt à la faire.

Je veux encore vous dire que nous savons que nous rencontrerons des obstacles, qu’il y aura des crises, que nous connaîtrons déceptions, larmes et douleur. Mais, à la fin du chemin, nous parviendrons à la paix. Soutenus par vos encouragements, par votre sollicitude et par votre aide, nous y arriverons.

Dans la dernière décennie de ce XXe siècle, des remparts de haine se sont écroulés, des peuples ont été libérés et des barrières artificielles sont tombées, des puissances se sont désagrégées et des idéologies se sont effondrées.

Nous avons le devoir sacré, envers nous-mêmes et envers nos enfants, de voir le monde tel qu’il est devenu, d’en considérer les dangers, d’en explorer les perspectives, et de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que l’Etat d’Israël trouve sa place dans ce monde en changement. Un monde qui, ces dernières années, s’est comme rétréci, de sorte qu’aucune nation ne peut plus seule résoudre ses problèmes, qu’aucun pays ne peut plus se croire isolé. Chacun doit se défaire de cette fausse impression et coopérer avec les nations voisines et avec celles du monde entier. Nous souhaitons que notre région se joigne également au mouvement vers la paix, la réconciliation et la coopération, qui gagne chaque jour du terrain.

Je me suis engagé moi-même, et j’ai engagé mon gouvernement, dans l’actuel processus de paix et j’ai, à plusieurs reprises, exprimé mon espoir qu’en cette année 1994 nous parviendrons à un accord de paix avec nos voisins arabes. Du fond du cœur, nous sommes convaincus que la paix est possible, qu’elle est impérative, et qu’elle viendra.

Une grande partie de ma vie, j’ai été soldat. J’ai participé aux guerres d’Israël, ainsi qu’à la marche d’Israël vers la paix. En tant que soldat, je revois, comme si c’était hier, les rangées de camarades tombés au combat le long de la route vers Jérusalem, pendant notre guerre d’indépendance; je revois les carcasses de véhicules brûlés, les camions en feu et les milliers d’habitants de Jérusalem assiégée venant chercher des sacs de sucre et de riz, et des bidons d’eau.

J’ai commandé des troupes, et je me rappelle qu’avant que nous décidions – avant que je décide – de livrer bataille, nous voyions – et nous verrons toujours – le regard de nos soldats qui nous demandait s’il fallait vraiment combattre, s’il n’y avait pas d’autre moyen.

Seul celui qui, année après année, doit faire face, le jour du souvenir, aux dizaines de milliers de personnes qui reposent dans les cimetières, seul celui qui a vu des mondes détruits et des familles anéanties peut vraiment savoir ce que la paix signifie pour nous et pour nos voisins.

Aussi, moi, fils d’un peuple qui fut banni de sa terre et qui, durant l’exil, vit les siens périr par millions lors des pogroms, des rafles nazies et de l’holocauste, un peuple dont les nuits sont encore hantées par l’image de l’enfant aux mains levées du ghetto de Varsovie, je vous demande de m’écouter et de me comprendre: pour nous, quelque importante qu’elle soit, la paix ne peut prévaloir sans la sécurité. Israël entend se montrer très actif dans la recherche de la paix, mais ne transigera pas sur sa sécurité.

Mon pays est prêt pour la paix. Il est prêt à courir des risques, à prendre des décisions spectaculaires. Mais ces risques et ces décisions doivent être bien calculés, car des actions irréfléchies pourraient produire des résultats irréversibles.

Chef d’état major pendant la guerre des Six-Jours, je m’étais promis d’être le dernier commandant des forces de défense d’Israël qui aurait à protéger des frontières indéfendables, à évoluer sur des lignes de défense arbitraires et à subir la menace de l’anéantissement. La sécurité de nos enfants, notre sécurité, est essentielle. Si cette sécurité est garantie, la paix le sera aussi – pour tous les habitants de notre pays, mais aussi pour nos voisins.

Le Gouvernement d’Israël reconnaît que, pour mettre un terme au conflit israélo-arabe et assurer une paix réelle et durable, toutes les parties au conflit engagées dans le processus de paix doivent être impliquées.

Les Etats-Unis ont mis au point un schéma qui définit à la fois la procédure et l’objectif fondamental du processus de paix. Nous sommes convaincus que point n’est besoin de modifier ce schéma, qui répond au souhait israélien, exprimé de longue date, de tenir des négociations directes avec les pays arabes invités à prendre part aux pourparlers de Madrid. Il importe à présent de ne pas perdre un temps précieux.

Afin d’instaurer une paix globale, juste et durable, notre but est de parvenir à conclure une série d’accords de paix bilatéraux à chaque stade des négociations.

Nous nous heurtons, pour le moment, à un problème de fond. Mais je suis convaincu que les obstacles temporaires et les difficultés des négociations avec l’OLP ne nous empêcheront pas de parvenir à un accord. Le processus qui mène à la paix est irréversible. C’est pourquoi il ne fait aucun doute, à mes yeux, qu’il nous faut persévérer dans l’effort engagé pour mettre en œuvre l’accord conclu avec l’OLP. Nous n’avons aucune visée territoriale au Liban, et nos problèmes avec la Jordanie pourraient trouver assez facilement une solution. Le Liban, toutefois, ne bougera pas sans l’accord de la Syrie.

Comme vous le savez, le Président Clinton a rencontré le Président Assad à Genève, le 16 janvier dernier. De cette rencontre est né un espoir, que nous devrons explorer attentivement afin d’être certains que la Syrie a bien le même désir sincère de paix et de sécurité que nous, le désir d’une paix durable dont bénéficieront de nombreuses générations à venir, une paix qui mettra fin aux souffrances et aux peurs de tous les peuples du Proche-Orient, une paix qui donnera corps à la vision du prophète Isaïe: «Les nations ne lèveront pas l’épée contre les autres nations et n’apprendront plus à faire la guerre.»

Je dois reconnaître que, depuis leur ouverture, les négociations avec la Syrie ont été sérieuses et franches, et que des progrès ont été accomplis. Aujourd’hui, je prie instamment le Président Assad de faire la moitié du chemin qui nous sépare de la paix et de nous donner les assurances que nous attendons quant aux intentions à long terme de la Syrie.

En ce qui concerne les Palestiniens, je crois sincèrement que nous avons accompli d’importants progrès dans la bonne voie. La mise en place d’une autorité autonome représente une solution intermédiaire d’une durée de cinq ans, qui permettra aux Palestiniens de prendre leur destinée en main, en attendant les négociations ultérieures sur le statut définitif des territoires.

Nous avons également pris des mesures afin de créer une meilleure ambiance dans les territoires et nous sommes disposés à aller plus loin dans ce sens. Toutefois, le rythme des progrès en ce domaine est ralenti par le terrorisme pratiqué par les extrémistes palestiniens qui, poussés par le fanatisme religieux, frappent aveuglément.

Ceux d’entre vous présents dans cet hémicycle – et tous les autres – qui éprouvent de l’amitié pour les Palestiniens et qui sont sincèrement préoccupés par ce problème devraient retrousser leurs manches et persuader les Palestiniens de profiter de cette occasion historique. Mais il existe aussi parmi les Palestiniens certains éléments qui sont fermement décidés à saboter toute avancée vers la paix. A ceux-là je dis: ni le couteau, ni les pierres, ni les armes à feu, ni les bombes, ni les mines ne nous arrêteront. Nous continuerons à frapper durement les terroristes et ceux qui les soutiennent. Il n’y a pas et il n’y aura jamais de compromis dans la guerre contre le terrorisme. Nous souhaitons ardemment la paix. Cependant, nous continuerons à lutter pour faire prévaloir notre droit à vivre en Israël, dans la paix et la tranquillité.

Nous sommes au début d’un long chemin. Nous avons arrêté les implantations, modifié l’ordre de nos priorités nationales, et nous nous sommes engagés sur une nouvelle voie orientée vers la croissance économique et la création d’emplois pour des centaines de milliers de nouveaux immigrants et de jeunes Israéliens. Nous avons besoin que l’Europe nous tende la main, et nous avons besoin de votre soutien en faveur des Arabes tout comme des Israéliens.

L’intérêt commun qui unit Israël à l’Europe est fondé sur la conviction qu’il existe un lien entre la paix en Europe et la paix au Proche-Orient. Ce qu’Israël et l’Europe possèdent en commun, toutefois, ce ne sont pas seulement des valeurs identiques et une responsabilité historique, mais aussi une responsabilité commune dans l’aménagement de leur avenir.

Je pense que l’Europe devrait s’engager davantage dans le processus de paix au Proche-Orient. L’Europe a un rôle essentiel à jouer sur le chemin ardu qui mène à la paix. Elle participe déjà aux entretiens multilatéraux qui ont pour but de soutenir, par un apport concret, les négociations bilatérales en vue de la paix. L’Europe a une tâche immense et passionnante à accomplir: contribuer à la transformation de la région au moyen du développement économique et de la coopération, participer à la réinstallation des réfugiés, développer les ressources hydrauliques et naturelles, écarter les périls qui menacent l’environnement et surveiller le contrôle des armements.

En bref, l’Europe doit mener à bien l’entreprise laborieuse qui consiste à convaincre des parties rivales à passer de l’hostilité à la réconciliation, et de remplacer le boycott par l’acceptation d’autrui. L’Europe doit peser de tout son poids en faveur de la consolidation de la paix sous son aspect concret: l’ouverture des frontières, la libre circulation des biens et des personnes, la coexistence et la coopération.

En vérité, la route vers la paix traverse l’Europe, car, sans l’Europe, la paix demeurerait incomplète. J’estime en conséquence que l’Europe devrait jouer un rôle actif dans le processus de paix. L’Europe devrait avoir envers les parties concernées une attitude impartiale et fondée sur l’équité. Je sens une certaine ambivalence dans l’attitude de l’Europe à l’égard d’Israël. J’aimerais voir chez elle plus de compréhension pour nos positions politiques, notre souci de sécurité et nos besoins économiques.

Pendant des années, on nous a adressé sermons et conseils, et, à de nombreuses occasions, nous avons exprimé les frustrations que nous causaient les positions adoptées par l’Europe et le comportement des Européens, tendant à minimiser nos craintes concernant les transferts de technologie, de matériaux fissiles et d’armements perfectionnés vers des pays décidés à nous détruire.

Pendant plus de quarante ans, le boycott a été utilisé par les Arabes comme une arme de guerre contre Israël, bien qu’il soit contraire au principe fondamental de la liberté des échanges proclamé par le GATT et repris dans notre propre accord de libre- échange avec l’Europe. Les pays européens ont tous déploré l’existence de ce boycott, mais une petite minorité d’entre eux seulement ont pris des mesures concrètes pour l’éliminer.

Lorsque le processus de paix commença, il y a deux ans, à Madrid, Israël fit des concessions en échange de l’abandon du boycott. Personne, à ce moment-là, n’aurait imaginé qu’après les progrès réalisés au cours des derniers mois, on continuerait de se servir du boycott comme d’une arme illégitime contre Israël. La détermination de l’Europe et notre coopération sont en mesure de mettre fin une fois pour toutes à de telles actions. C’est maintenant, alors que vont s’ouvrir, entre Israël et l’Union européenne, des pourparlers officiels pour renégocier l’accord de libre-échange de 1975, qu’il nous faut rapprocher les points de vue et dissiper les malentendus entre nous. Dans tout accord nouveau, nous devrons tenir compte du caractère évolutif de nos relations, de manière que, dans vingt ans, l’accord demeure tout aussi utile et pertinent qu’au moment de sa conclusion. Par conséquent, tout accord nouveau doit ménager une possibilité d’évolution et d’intégration de dimensions nouvelles.

Les liens commerciaux d’Israël avec l’Europe se sont fortement développés à la suite de notre accord commercial, et parce que nous avons fait nôtres les valeurs de libre-échange que vous avez adoptées. Toutefois, aujourd’hui, nous constatons que les principaux blocs commerciaux ne respectent pas toujours les normes dont ils exigent le respect par autrui.

Nos échanges commerciaux sont considérables. L’année dernière, plus de 60% de nos importations provenaient de pays européens; et ces pays ont absorbé plus de 38% de nos exportations. De plus, il ne faut pas oublier qu’Israël a un important déficit commercial avec l’Europe; il s’est chiffré à 7 milliards de dollars en 1993. Il apparaît donc nettement que les liens économiques étroits qui nous unissent à l’Europe lui sont bénéfiques.

Un accord final, quel qu’il soit, devra tenir compte de la capacité d’Israël à contribuer à l’activité économique de l’Europe, ainsi que de nos besoins spécifiques. Notre économie dynamique, dont le poids est relativement modeste, est complémentaire, plutôt que concurrente, de la vôtre. Les entreprises israéliennes excellent par leur sens de l’innovation; cela s’explique par nos capacités avérées en matière de recherche et de développement, et par la présence, chez nous, d’une main-d’œuvre hautement qualifiée. Ces atouts continueront d’être très bénéfiques aux entreprises européennes.

J’ajoute qu’à mesure que se développera l’économie du Proche-Orient, le secteur financier – très avancé en Israël – pourra proposer d’importants services aux entreprises européennes désireuses de s’implanter et de se développer dans la région. C’est précisément parce que vous reconnaissez l’importance du Proche-Orient pour l’Europe qu’on ne peut minimiser le rôle d’Israël en tant que facteur de stabilisation et moteur de la croissance dans la région; et c’est dans une ère de paix qu’il est de l’intérêt de l’Europe que l’économie israélienne poursuive sa croissance et son développement. La situation géographique d’Israël ne doit pas faire obstacle au renforcement des liens économiques entre mon pays et l’Europe.

De notre côté, nous avons des besoins particuliers dont nous vous demandons de tenir compte. Notre secteur agricole a beaucoup changé depuis l’époque de la conclusion de l’ancien accord de libre-échange. Nous reconnaissons que l’agriculture est une question très sensible pour vous comme pour nous. Mais, tout comme on attend d’Israël une certaine souplesse dans ses négociations avec les Palestiniens sur la création d’un marché libre entre les deux peuples, nous avons besoin que vous fassiez preuve de la même souplesse à notre égard.

De même, notre apport technologique, bien que souvent limité, n’en améliore pas moins sensiblement la qualité des produits. Or, des règles rigides rendent difficiles leur commercialisation par Israël, ce qui est une perte pour les deux parties. Vous devez reconnaître ces problèmes, et nous devons trouver ensemble les solutions.

Mon gouvernement se félicite vivement de la décision récemment prise par le Conseil des ministres de l’Union européenne d’entamer des pourparlers officiels avec nous pour parvenir à un nouvel accord. Nous espérons que cet accord, lorsqu’il sera signé, resserrera les liens entre l’Europe, Israël et l’ensemble du Proche-Orient.

Compte tenu de nos relations historiques et des problèmes actuels, l’Europe devrait permettre à Israël de prendre sa place dans la nouvelle structure européenne qui se constitue sous nos yeux.

Mesdames et Messieurs, éminents parlementaires, je crois sincèrement qu’un Etat d’Israël fort, sûr d’être soutenu, sera magnanime dans les négociations avec ses partenaires arabes.

C’est pourquoi l’Europe a un rôle capital à jouer. Un rôle qu’elle ne peut éluder, car il s’inscrit dans sa tradition historique et fait irrévocablement partie de son destin.

C’est là notre déclaration d’intention; ce sont là les visions que nous souhaitons transformer en réalité. Prenons ensemble l’engagement que 1994 sera l’année de la paix, et non une année d’occasions gâchées. Je ferai de mon mieux pour parvenir à ce but suprême.

Tout ce que j’ai dit aujourd’hui, je l’ai dit de bonne foi, animé par le désir profond d’avancer sur une voie nouvelle, de secouer la poussière des conceptions périmées. Toute notre politique peut se résumer par un verset du Livre des livres, comme il est écrit dans Ezéchiel: «Je ferai avec eux un pacte de paix, ce sera une paix éternelle.»

Nous pensons que cette évolution ouvrira le champ de tous les possibles. Notre objectif est la paix et la sécurité d’Israël et de tous les pays de la région.

Je vous remercie.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Yitzhak Rabin, je vous remercie de votre exposé qui a vivement intéressé les membres de notre Assemblée.

M. Yitzhak Rabin a indiqué qu'il était prêt à répondre à des questions spontanées des membres de l'Assemblée, ce dont je le remercie. Un nombre élevé de collègues a déjà exprimé le souhait de poser une question à M. Yitzhak Rabin. Afin d'appeler le plus grand nombre possible de questions, je n'autoriserai pas de questions supplémentaires. Je rappelle à nos collègues que leurs questions ne doivent pas dépasser trente secondes, qu'elles doivent relever de la compétence du Conseil de l'Europe et avoir un caractère interrogatif. La parole est à Mme Durrieu.

Mme DURRIEU (France)

Monsieur le Premier ministre, permettez-moi de saluer votre combat et celui de votre gouvernement. Vous arriverez à la paix et à la sécurité en 1994: tel est votre objectif, et nous le souhaitons vraiment.

Je voulais vous demander quelle est la nature de l’aide précise que vous attendiez de l’Europe, mais vous avez répondu par anticipation en définissant les besoins spécifiques.

Quel rôle l’Europe et plus spécialement le Conseil de l’Europe peuvent-ils jouer dans la mise en place de structures pleinement démocratiques dans les futurs territoires souverains de Palestine?

M. Rabin, Premier ministre d'Israël (traduction)

A propos de la seconde partie de votre question, Madame, je dirai qu’à mon sens la démocratie ne peut être imposée. Elle doit résulter de la décision d’un peuple désireux de passer de l’absence de démocratie à un état démocratique. Vous n’ignorez pas qu’aux termes de l’accord sur la déclaration de principes entre Israël et l’OLP un conseil palestinien doit être élu. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour faciliter cet événement – notamment en redéployant nos forces dans les régions centrales, à forte population. La semaine dernière, nous avons demandé aux Palestiniens et à l’OLP s’ils souhaitent d’abord préparer les municipalités aux élections générales pour la constitution du conseil palestinien. Mais, dans ce domaine, nous ne pouvons que proposer; nous ne pouvons rien imposer. Etant donné que de nombreux pays européens entretiennent de bonnes relations avec l’OLP et les Palestiniens, ces nations devraient les encourager à se doter d’un régime démocratique. Il ne serait pas bon qu’Israël fût le seul pays à l’exiger, car cela apparaîtrait alors comme du paternalisme ou de l’autoritarisme. Si l’Europe veut bien jouer un rôle dans ce domaine, je lui souhaite de réussir.

Mme BAARVELD-SCHLAMAN (Pays-Bas) (traduction)

Le Gouvernement israélien a-t-il fixé un calendrier pour la libération des prisonniers palestiniens – mesure importante pour instaurer la confiance entre Israël et le peuple palestinien?

M. Rabin, Premier ministre d'Israël (traduction)

Lors des négociations avec les Palestiniens et l’OLP, nous leur avons clairement indiqué que la libération de prisonniers serait liée à l’application de l’accord de paix – tout au moins, pendant la période devant conduire à l’autonomie de Gaza et de Jéricho. Naturellement, il se pose encore un certain nombre de problèmes en ce qui concerne les personnes ayant assassiné des Israéliens et des Palestiniens. Quel sera le sort des prisonniers? D’une manière générale, nous sommes prêts à envisager leur cas et nous avons dit très clairement que leur libération est liée à l’approbation et à l’application de l’accord; ne seront libérés que ceux qui se prononcent en faveur de la paix. Nous ne pouvons relâcher ceux qui affirment qu’une fois libres ils adhéreront à des organisations terroristes telles que le Hammas ou le Djihad islamique et continueront à se servir du terrorisme pour saboter l’accord entre l’OLP et Israël.

M. SCHWIMMER (Autriche) (traduction)

Au Proche-Orient, Israël est la seule vraie démocratie, dotée d’un niveau économique et social élevé. Je suis convaincu de la nécessité, pour tous les autres Etats de la région, de parvenir au même niveau économique, social et démocratique. Israël peut être un bon exemple en la matière. Par conséquent, de quelle manière l’Etat israélien pourra-t-il aider au développement des territoires palestiniens autonomes? Comment l’Europe pourra-t-elle également y contribuer?

M. Rabin, Premier ministre d'Israël (traduction)

Nous devons être très prudents dans les négociations sur la mise en œuvre de l’accord de paix. Les Israéliens, c’est sûr, jouissent d’un meilleur niveau de vie que les Palestiniens. Mais, comme je l’ai déjà souligné, nous ne devons pas donner l’impression d’être autoritaires ou paternalistes. Les Israéliens peuvent, tout au plus, faire des propositions.

J’estime qu’il y a déjà bon nombre de Palestiniens compétents, capables de gérer leurs propres affaires. On trouve parmi eux de bons hommes d’affaires, de bons scientifiques, de bons organisateurs. Je vous en donnerai un exemple: dans la bande de Gaza, l’administration civile est répartie en trente-cinq services qui, dans tous les domaines pratiques, gèrent la vie quotidienne des Palestiniens; or, tous ces services sont dirigés par les Palestiniens de Gaza. Si on les y autorise, et si une politique est mise en place à leur égard, ils pourront continuer à gérer le développement de Gaza. Mais ce n’est pas aux Israéliens d’ordonner à l’OLP de maintenir ces personnes à leur poste; c’est à l’OLP de prendre une décision à ce sujet.

Pour notre part, nous sommes plus que prêts à coopérer. Lors des négociations de Paris, qui portaient sur le secteur économique et réunissaient des représentants de l’OLP et d’Israël, nous avons offert aux Palestiniens le libre choix – quel qu’il soit; cela a provoqué des manifestations d’agriculteurs israéliens craignant que le marché israélien ne soit envahi par certains produits agricoles palestiniens. En fait, nous sommes prêts, aujourd’hui, à toute forme de coopération susceptible de développer le potentiel économique et social des Palestiniens.

A présent, il faut considérer les négociations comme un dialogue à égalité – sans que l’un des deux partenaires domine l’autre. Lors de chacune de mes rencontres avec le Président Arafat, il déclarait que j’avais l’avantage sur lui, et qu’il me revenait de prendre telle ou telle décision. Mais, aujourd’hui, les choses ne se présentent pas ainsi – du moins, à nos yeux. La balle est dans le camp des Palestiniens, et nous sommes prêts à collaborer avec eux.

Dans le cadre de nos relations avec l’Europe, nous vous demandons d’aider les Palestiniens – après conclusion d’un accord. En tant qu’israélien, après avoir entretenu la flamme pendant six mois, je crains que l’édifice fragile mis en place ne soit en danger si l’on n’amorce pas le développement économique et social au profit des 750 000 Palestiniens de la bande de Gaza. L’intérêt des Israéliens est toujours aussi vif. C’est pourquoi je vous demande d’aider les Palestiniens. En l’occurrence, Israël ne demande pas l’aide financière de l’Europe, mais seulement, pour les Palestiniens, des chances équitables de concurrence sur le marché européen.

Mme HALONEN (Finlande) (traduction)

La communauté mondiale accueille avec satisfaction tout effort visant à mettre fin au conflit destructeur et douloureux du Proche-Orient. Aujourd’hui, elle veut croire à la sincérité des deux parties au processus de paix. Mais, dans ce contexte, comme expliquer l’installation de nouveaux colons dans les territoires occupés par Israël depuis la guerre des Six-Jours, en 1967?

M. Rabin, Premier ministre d'Israël (traduction)

Vous n’êtes pas sans savoir que, par rapport à la position des précédents gouvernements, le Gouvernement israélien actuel a modifié non seulement les exigences vis-à-vis de la paix et des partenaires avec lesquels négocier, mais aussi l’ordre des priorités nationales. Actuellement, nos priorités sont les suivantes: l’éducation, les infrastructures dans le domaine des transports et la lutte contre le chômage. L’investissement dans les territoires est désormais beaucoup plus bas sur la liste. Mais, pour le moment, aucune loi n’interdit à quiconque de s’établir dans une implantation israélienne existante. Cependant, l’aide accordée par le gouvernement pour ce type d’entreprise est bien moindre qu’auparavant.

M. SOLE TURA (Espagne) (traduction)

Au cours du colloque international sur l’interdépendance et l’association transméditerranéenne, organisé à Rome, la semaine dernière, par le Centre Nord-Sud du Conseil de l’Europe, la délégation israélienne a proposé – en vue d’accomplir des progrès en matière de coopération transméditerranéenne, vu l’évolution vers la paix au Proche-Orient – d’ajouter une composante transméditerranéenne au Conseil de l’Europe; cela pourrait se faire notamment par l’intermédiaire du Centre Nord-Sud. Quelles sont, selon vous, Monsieur Rabin, les possibilités dans ce domaine?

M. Rabin, Premier ministre d'Israël (traduction)

Si l’on parle uniquement de la coopération des pays méditerranéens, le problème est quelque peu différent. En effet, parmi les pays riverains de la Méditerranée – par exemple, certains pays d’Afrique du Nord – on ne compte pas que des démocraties. Israël est favorable à toute forme de coopération internationale, sans discrimination aucune. Mais je doute que des pays tels que l’Algérie ou la Libye envisagent qu’Israël fasse partie d’une organisation transméditerranéenne. Les Israéliens, en tout cas, y sont prêts.

M. COLOMBO (Italie) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, l’accord entre Israël et l’OLP est un événement considérable, mais celui entre Israël et le Saint-Siège constitue lui aussi un événement historique qui marque un tournant après vingt siècles d’histoire. Dans ledit accord bilatéral, on ne parle pas de Jérusalem, la ville sainte, et des autres lieux saints; on ne les cite même pas.

Monsieur le Premier ministre, pourriez-vous préciser les grands axes de l’accord et la position de votre gouvernement sur la question de Jérusalem, les perspectives d’évolution, ainsi que sur le statut juridique et les éventuelles garanties internationales? Merci.

M. Rabin, Premier ministre d'Israël (traduction)

Jérusalem doit demeurer une ville unie, sous la souveraineté d’Israël; elle doit rester également notre «capitale éternelle». A la fin des années 40, deux capitales ont été divisées par des murs et des champs de mines, avec des gens armés des deux côtés: Jérusalem et Berlin. Nous pouvons remercier Dieu qu’elles soient toutes deux réunifiées aujourd’hui. En ce qui concerne Jérusalem, je pense qu’il faut distinguer la ville unie, quotidienne, et la ville sainte des trois religions monothéistes – dont les religions chrétienne et musulmane. Depuis 1967, chrétiens et musulmans ont toujours eu libre accès à Jérusalem, et ont pu y pratiquer librement leur culte. Vous n’ignorez pas que les lieux saints des musulmans et des chrétiens y sont administrés par des représentants de ces deux religions. Le Saint-Sépulcre est administré par l’Eglise. Les lieux saints des musulmans – à savoir les deux mosquées de Jérusalem – sont gérés par le Conseil supérieur musulman. Les autorités israéliennes ne se permettent aucune ingérence dans l’administration de ces lieux. Nous ne saurions séparer les exigences des trois religions – c’est-à-dire l’administration indépendante des lieux saints, le libre accès à ces lieux et la libre pratique du culte – d’un changement de statut de Jérusalem.

Depuis 1967, chrétiens et musulmans ont pu gérer ces lieux et pratiquer leur religion comme il se doit. Quelque 200 Libyens ont souhaité venir prier dans les mosquées de Jérusalem. Nous disons qu’indépendamment de la politique de la Libye quiconque souhaite faire un pèlerinage à Jérusalem est le bienvenu – d’où qu’il vienne. Si, demain, M. Khadafi en personne souhaite effectuer un tel pèlerinage, je lui garantis la sécurité jusqu’en Israël, et lors de son retour en Libye. C’est le principe même de notre politique.

Par ailleurs, Israël se réjouit de la décision prise par le Vatican, il y a quelques semaines, d’ouvrir un nouveau chapitre dans les relations entre l’Eglise catholique et le peuple juif – entre l’Etat du Vatican et l’Etat d’Israël. Cette décision va, j’en suis convaincu, rehausser nos relations et effacer toute une série de malentendus passés. Je crois que nous sommes à l’aube d’un nouveau dialogue entre juifs et catholiques, entre le Vatican et Israël.

Lord MACKIE of BENSHIE (Royaume-Uni) (traduction)

Je suis Ecossais, et j’ai été élevé sur la base de l’Ancien Testament. J’ai toujours su m’identifier aux enfants d’Israël entourés de Philistins. Monsieur le Premier ministre, vous abordez aujourd’hui une phase très difficile. Quelles mesures prenez-vous pour préserver vos jeunes soldats des provocations certaines des ennemis du processus de paix?

M. Rabin, Premier ministre d'Israël (traduction)

L’histoire de notre pays est, malheureusement, faite de guerres. Nous avons connu six conflits et, dans les intervalles, pas une seule journée de paix réelle. La majorité de nos soldats sont des réservistes, et je crois qu’ils évaluent la situation de manière assez juste. Ils sont tous motivés pour assurer la sécurité maximale du pays et de ses habitants.

Les soldats de notre armée savent que le gouvernement n’entrera en guerre que s’il n’a pas d’autre choix. Ils savent aussi que l’accomplissement de leur devoir est essentiel à la sécurité d’Israël et des Israéliens. Je crois que cette assurance les motive et les prépare à toute éventualité – y compris le sacrifice de leur vie au service du pays. C’est ainsi que les choses m’apparaissent. Je crois que nous avons beaucoup de chance d’avoir la jeune génération que nous avons: ce sont des jeunes qui ressentent une responsabilité à la fois individuelle et collective en matière de sécurité.

M. ANTRETTER (Allemagne) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, votre politique permet d’espérer que, dans les mois à venir, de nouvelles perspectives de paix s’ouvriront pour tout le Bassin méditerranéen. Permettez-moi de vous demander dans ce contexte si, à l’instar de ce qui a été fait en Europe dans le cadre de la CSCE, votre gouvernement pourrait, à moyen terme, proposer de doter la région méditerranéenne de mécanismes de prévention des conflits, d’établissement de la confiance sur le plan militaire et de réglementation pacifique des différends.

M. Rabin, Premier ministre d'Israël (traduction)

Pour établir la confiance entre Israéliens et Palestiniens, la première et la meilleure mesure possible, actuellement, est de finaliser l’accord sur Gaza et Jéricho, puis de le mettre en œuvre. On s’égare parfois dans des questions secondaires, au lieu de s’attaquer au cœur du problème. Il faut avant tout trouver les moyens de changer la réalité. L’idée centrale de l’accord intérimaire est de fournir aux Palestiniens – pendant cette période de transition – ce qu’aucun autre pays ne leur a jamais offert: la Jordanie, par exemple, n’a pas fait la même offre aux Palestiniens lorsqu’elle a occupé la rive occidentale du Jourdain; l’Egypte ne leur a pas fait non plus une telle offre lorsqu’elle a occupé la bande de Gaza. Israël leur fait aujourd’hui cette proposition. Les Palestiniens souhaitent-ils des élections? Nous y sommes favorables, et nous leur disons: assurez vous-mêmes votre gestion quotidienne – à condition que cela ne gêne pas les Israéliens et la sécurité d’Israël.

Changeons la réalité de la région. Tentons de créer de nouvelles réalités avec plus de confiance qu’autrefois. Cela tendra à éliminer la méfiance et la haine accumulées par la passé. Allons au cœur du problème. Changeons la réalité. Les Palestiniens géreront eux-mêmes leur vie quotidienne – l’éducation, le logement, l’emploi, le développement économique. Nous les prions de le faire. Les mesures instaurant la confiance s’imposent s’il n’y a pas, au départ, d’accord de principe en vue d’une transformation immédiate et spectaculaire. Œuvrons à cette métamorphose. Nous devons en faire une réalité.

M. INÖNÜ (Turquie) (traduction)

Je voudrais dire à quel point j’apprécie le processus de paix. En supposant qu’il soit couronné de succès – ce que nous espérons tous – quelle sera la nouvelle politique étrangère d’Israël à l’égard du monde arabe? Envisagez-vous la création d’une instance telle que la CSCE – qui pourrait être désignée par le sigle CSCEM?

M. Rabin, Premier ministre d'Israël (traduction)

Il faut dire avant tout que l’objectif majeur est la paix. Mais permettez-moi de développer quelque peu. A propos des négociations qui ont commencé à la Conférence de Madrid, on a généralement parlé de «paix globale». Mais cette expression est, pour l’instant, impropre. En effet, la paix dont nous parlons actuellement concerne les quatre pays arabes voisins d’Israël, et la solution du problème palestinien. Mais il existe, bien sûr, d’autres Etats arabes: l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie.

Par conséquent, parler de paix globale, c’est évoquer la paix avec l’ensemble des pays arabes – ou, tout au moins, certains pays arabes qui ne sont pas les voisins immédiats d’Israël. Je le répète: aujourd’hui, nous parlons de paix avec le cercle des pays arabes les plus proches d’Israël. Il s’agit de réussir d’abord cette paix-là. Une fois cet objectif atteint, nous pourrons envisager une véritable coopération régionale; à ce stade-là, je pense que nous établirons sans trop de problèmes une coopération économique portant sur des secteurs tels que l’adduction d’eau, les transports, la fourniture d’électricité, le tourisme, etc. Mais une telle coopération ne pourra exister qu’après la levée du boycott actuel à l’égard d’Israël, et après qu’Israël aura fait des propositions importantes aux Palestiniens et, éventuellement, aux Syriens.

M. JASKIERNIA (Pologne) (traduction)

Monsieur Rabin, vous n’ignorez pas qu’aux yeux de nombreux observateurs internationaux la confrontation Est-Ouest est aujourd’hui dépassée; le vrai problème auquel nous devons faire face est le fossé de plus en plus large entre le Nord, qui est riche, et le Sud, qui est pauvre. Comment se présente le problème du Proche-Orient, et quelle devrait être, selon vous, la position de la communauté internationale? Enfin, quel devrait être plus particulièrement le rôle d’Israël?

M. Rabin, Premier ministre d'Israël (traduction)

Il y a différents types de problèmes dans le monde, et diverses manières de les classer. Personnellement, je ne vois pas bien ce qu’on entend par le Nord et le Sud. Par exemple, les riches pays producteurs de pétrole se rattachent-ils au Nord ou au Sud? Il me semble que les problèmes se posent davantage en termes de cultures, de traditions et d’expériences différentes.

Comme je l’ai déjà souligné, un système démocratique ne s’impose pas et ne s’exporte pas. Pendant plusieurs années, j’ai occupé les fonctions d’ambassadeur d’Israël aux Etats-Unis. L’Américain moyen estime que, si l’on dote les pays dits du Sud d’une Constitution satisfaisante, et qu’ils adoptent ensuite la législation adéquate, ces pays se transformeront en démocraties. A quoi je répondais généralement: «N’oubliez pas que la démocratie est, en Europe, le produit de plusieurs siècles de développement économique, culturel et psychologique; et, à ma connaissance, vous autres Américains avez transporté ce modèle européen de l’autre côté de l’Atlantique. Je ne crois pas savoir qu’avant l’arrivée des Européens en Amérique les peuples qui y vivaient déjà connaissaient la démocratie. Ce système de gouvernement est le résultat d’une très longue évolution.»

Il faudra beaucoup de temps, et l’association de plusieurs systèmes différents, pour modifier la situation économique actuelle. L’approche générale doit changer; les peuples doivent comprendre la nécessité de systèmes fondés sur l’organisation locale et familiale. Il n’y a pas de solution magique pour résoudre les problèmes du Sud; ce sera un long processus. Dans des proportions modestes, Israël a collaboré avec certains pays asiatiques et africains. Il est évident que nous ne pouvons pas changer les choses sans un effort financier important, et que les changements ne seront porteurs que si les dirigeants des pays en question font preuve d’un réel engagement et de véritables compétences.

M. FICO (Slovaquie) (traduction)

Nous avons tous noté avec une grande satisfaction les efforts déployés pour établir de nouvelles relations entre Israël et les pays sortis de l’ère communiste. Pour prendre l’exemple de la Slovaquie, le pays a connu une transformation politique telle que nous pouvons, aujourd’hui, présenter nos excuses pour les erreurs du passé et prendre les mesures nécessaires pour réduire les dommages et les injustices. Cette nouvelle attitude est illustrée, par exemple, par la loi adoptée au sujet de la restitution de leurs biens aux autorités religieuses israélites. Dans ce nouveau contexte, quelles seront, selon vous, Monsieur Rabin, les possibilités de coopération entre Israël et les nouveaux Etats membres du Conseil de l’Europe?

M. Rabin, Premier ministre d'Israël (traduction)

Israël a été heureux d’accueillir votre ministre des Affaires étrangères, il y a quelques semaines. Il y a une longue tradition de relations entre le peuple juif et la Slovaquie, et le Gouvernement israélien a beaucoup apprécié le courage de vos dirigeants lorsqu’ils ont pris les mesures dont vous venez de parler.

Aujourd’hui, Israël est le seul pays du Proche-Orient jouissant du statut d’observateur auprès de cette éminente Organisation qu’est le Conseil de l’Europe. J’espère qu’à l’avenir, même s’il reste dans cette position d’observateur, mon pays pourra participer davantage aux activités du Conseil. J’espère également que cela constituera, pour d’autres pays de la région, un encouragement au changement, à plus de démocratie et à l’obtention du statut d’observateur.

LE PRÉSIDENT (traduction)

En fait, le Saint-Siège bénéficie de ce même statut, mais cela ne peut se traduire par une représentation à l’Assemblée parlementaire, car, à ce jour, le Saint-Siège n’a pas de parlement.

M. VRETTOS (Grèce) (traduction)

Monsieur Rabin, votre décision de faire avancer le processus de paix au Proche-Orient a été très appréciée. Mais, de toute évidence, de nombreux problèmes subsistent; il faut notamment concilier la problématique interne de chaque pays et les obligations extérieures. La Syrie, par exemple, a évoqué l’éventualité d’un référendum – méthode qui semble non seulement démocratique...

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie. Monsieur Rabin, souhaitez-vous répondre à ce sujet?

M. VRETTOS (traduction)

S’il vous plaît, permettez-moi de formuler ma question!

LE PRÉSIDENT

Non, je suis désolé, mais cela empiéterait sur le temps de question d’autres intervenants. Monsieur Rabin, souhaitez-vous apporter une réponse à ce sujet?

M. Rabin, Premier ministre d'Israël (traduction)

Il est vrai que j’ai pris une décision; mais, à présent, cette question doit être inscrite dans un texte de loi. L’organisation d’un référendum après la signature éventuelle d’un accord de paix avec la Syrie exigerait avant tout un retrait important de la présence israélienne de la zone actuellement sous notre contrôle. Ce problème est très délicat: il s’agit de savoir si l’on fait la paix ou non, et si nous pouvons obtenir les conditions que nous demandons. Je pense qu’un tel processus peut avoir lieu dans le cadre du système israélien – autrement dit, en démocratie. A cet égard, nous avons pu observer l’exemple européen: un pays comme le Royaume-Uni n’avait jamais organisé de référendum avant son adhésion à la Communauté économique européenne. La France et le Danemark ont soumis à référendum l’approbation du Traité de Maastricht. Personnellement, je suis prêt à en organiser un en Israël; et, en ce qui concerne la Syrie, le Président Assad devra également déterminer s’il doit y avoir un référendum dans son pays.

M. FRANCK (Suède)

Ma question concerne le processus de paix et le respect des droits de l’homme. Il est préoccupant que votre gouvernement se heurte à une opposition à ce sujet. Ces opposants peuvent-ils réussir à interrompre le processus de paix et les progrès accomplis dans le domaine des droits de l’homme? Par ailleurs, quelles mesures concrètes êtes-vous disposé à prendre pour faire encore mieux respecter les droits de l’homme?

M. Rabin, Premier ministre d'Israël (traduction)

Les territoires sont soumis à la Convention de Genève. Incontestablement, nous devons y appliquer une certaine politique pour faire face au terrorisme. Mais, le fait que, depuis vingt-six ans, aucun gouvernement israélien n’ait modifié le statut des territoires, et que tous les gouvernements successifs aient laissé la question en suspens jusqu’au rétablissement de la paix avec nos voisins jordaniens, égyptiens et palestiniens, prouve bien qu’Israël n’a jamais eu l’intention d’annexer ces territoires de manière unilatérale. Les territoires sont administrés par des autorités militaires, et, dans ce cadre, nous nous efforçons d’utiliser tous les moyens légaux. Vous n’ignorez pas que, même si ces territoires ne font pas partie de l’Etat souverain d’Israël, la Cour suprême israélienne a le pouvoir de juger et de trancher à propos de toute plainte déposée par un Palestinien ou tout autre résident des territoires. Par conséquent, on peut dire que les territoires ne sont pas soumis au même régime juridique que l’Etat d’Israël, précisément du fait qu’ils n’ont pas été annexés et sont toujours régis par des autorités militaires. La solution à ce problème sera possible après conclusion de l’accord sur Gaza et Jéricho avec les Palestiniens; mais le problème se posera encore à ce stade: il faudra voir, alors, si les Palestiniens sont à même de faire respecter les droits de l’homme – comme les Israéliens l’ont fait dans le cadre de l’administration militaire.

M. KELAM (Estonie) (traduction)

Tout règlement pacifique est nécessairement le résultat d’un compromis. Quelle est l’importance de l’opposition à un tel règlement, de la part des divers groupes hostiles à tout compromis – dans les deux camps? Par ailleurs, quelle peut être la contribution au processus de paix au Proche-Orient des petites nations européennes n’ayant pas d’engagements militaires?

M. Rabin, Premier ministre d'Israël (traduction)

Israël est une démocratie. Par conséquent, je ne saurais nier que certains partis sont hostiles à la politique du Gouvernement israélien, que je représente. Mais, en démocratie, la décision appartient à la majorité. Comme dans tout pays démocratique, il y a, en Israël, des divisions à propos de la décision du gouvernement de signer avec l’OLP une déclaration de principes, et au sujet de l’ensemble de cette nouvelle orientation politique, qui conduit à une reconnaissance mutuelle d’Israël et de l’OLP. Je serai très clair et très franc: sur les 120 députés de la Knesset, 61 soutiennent ma politique, 6 sont hésitants, et 53 s’opposent au gouvernement sur cette question; j’ai donc une majorité d’une voix, et l’on peut dire, sur la base de ces chiffres, que ma politique rencontre une réelle opposition. Lorsqu’on traite de problèmes clés tels que la paix et la sécurité, la question se pose sans l’ombre d’un doute: faudra- t-il avoir recours à un référendum, dans la mesure où un éventuel traité de paix avec la Syrie aboutirait à un retrait important des Israéliens présents dans ce pays? Mais, encore une fois, le problème est très simple en démocratie: c’est la majorité qui décide. Quant à la question de la contribution éventuelle des petites nations européennes, je ne crois pas qu’on puisse assigner une tâche particulière à chaque pays. Il serait souhaitable, à cet égard, que le Conseil européen ou le Conseil de l’Europe agisse en tant qu’entité. L’action européenne aurait alors, me semble-t-il, beaucoup plus d’impact et d’influence. A mon sens, tous les États membres du Conseil de l’Europe doivent travailler ensemble dans ce domaine.

M. JUNG (France)

Monsieur le Premier ministre, à mon tour, je voudrais vous remercier pour ce message d’espoir pour notre Assemblée, mais surtout vous féliciter pour l’action courageuse que vous avez entreprise en faveur du rapprochement avec les responsables palestiniens.

Vous êtes à Strasbourg, cette ville symbole, pomme de discorde pendant des décennies, mais devenue le symbole d’une ville et d’une Europe réconciliées.

Estimez-vous que Jérusalem pourra jouer le même rôle dans l’avenir, tant du point de vue économique que du point de vue de l’ensemble de la vie culturelle du Moyen-Orient?

M. Rabin, Premier ministre d'Israël (traduction)

En tant que Juif né à Jérusalem il y a soixante-douze ans, je peux dire que c’est la ville sainte des trois religions: le judaïsme, le christianisme et l’islam. Jérusalem est littéralement la cité de la paix, car son nom s’inspire des mots hébreux «erou shalom» – c’est-à-dire «nous aspirons à la paix». Dans trois ans, nous célébrerons le troisième millénaire de la ville, créée par le roi David.

J’espère que les événements évolueront dans le sens que nous avons défini, et que, vu leurs origines, les trois religions – notamment le judaïsme et le christianisme – serviront la paix. Je ne considère pas qu’il y ait opposition entre le rôle du Conseil de l’Europe et le fait que le siège de cette Organisation se situe en France. De même, rien, à mon sens, ne peut empêcher Jérusalem de servir la cause du Proche-Orient – comme je l’ai rappelé aujourd’hui – même si la ville fait partie de l’Etat souverain d’Israël.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Monsieur le Premier ministre, je vous remercie. Certains de nos collègues seront déçus, du fait que le temps est épuisé. Vous avez, en tout cas, Monsieur le Premier ministre, apporté une réponse à la plupart des problèmes soulevés.

L’un de nos regrettés amis, qui fut très apprécié dans cette Assemblée – je veux parler de Willy Brandt – a déclaré: «La paix n’est pas tout, mais sans la paix, rien n’est possible.» Nous nous quitterons sur cette pensée stimulante. Monsieur le Premier ministre, vous avez notre bénédiction et notre compréhension. Mais, plus encore, je veux vous exprimer toute notre amitié et notre engagement politique – qui est sans réserve – au service de la paix, de nos valeurs communes et de la solidarité.

Monsieur le Premier ministre, je voudrais vous décerner la médaille du Conseil de l’Europe. Mais je ne le ferai pas en privé – dans mon bureau ou après déjeuner, selon la coutume. Je souhaite vous remettre la médaille ici même, devant les membres de l’Assemblée. Et je vous redirai publiquement ce que je vous ai dit en privé: «Il s’agit d’un grand jour pour nous tous – une journée “casher”.» (Applaudissements)

(Le Président décerne ensuite à M. Rabin, sous les applaudissements de l’Assemblée, la médaille du Conseil de l’Europe.)