Petre

Roman

Premier ministre de Roumanie

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 29 janvier 1991

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je suis réellement très honoré d’être ici devant vous. Je vous remercie vivement de m’avoir offert cette excellente occasion non seulement d’évoquer la réforme économique et la situation générale de mon pays, mais également d’entendre d’excellents rapports qui seront d’une grande aide pour notre avenir.

A la fin du mois de décembre 1989, la Roumanie a mis nettement fin à une moitié de siècle d’oppression. Depuis la dictature royale de 1938, suivie par celle, fasciste, de 1940 et ensuite par celle, militaire, pendant la seconde guerre mondiale, le comble étant atteint avec celle, communiste, instaurée après la guerre, mon pays n’a connu d’autre chose, le long de deux générations de son histoire, que l’expérience du totalitarisme.

Lorsqu’elle a dit non au système totalitaire, la Roumanie l’a fait de la manière la plus explosive de tout l’est de l’Europe; c’est ici que toute l’amertume et toute la colère amassées pendant des décennies de souffrance et d’humiliation ont jailli de façon fulgurante.

L’avantage essentiel est que la société en question peut tout refaire ab initio. Le risque consiste en la décompression politique trop brusque. Aujourd’hui, un an et un mois après la révolution de décembre 1989, je crois pouvoir affirmer que l’avantage dont je viens de parler commence à prendre le dessus sur le risque.

Certes, il serait malhonnête d’éluder, à cette occasion, le problème de la méfiance, du doute qui existe aussi bien à l’intérieur qu’au-dehors des frontières de notre pays quant à l’irréversibilité de notre option fondamentale pour la démocratie et pour les valeurs du monde libre. Je déclare, du haut de cette tribune du Conseil de l’Europe, que l’option de la Roumanie pour la démocratie et pour une vie en liberté en tant que nation digne parmi les autres nations du continent européen reste définitive, comme l’est aussi la rupture avec son passé totalitaire.

A la suite des élections du 20 mai passé, la recherche – et la redécouverte – de sa propre cadence a produit toute une série de changements essentiels dans la société. L’adversité commence à revêtir les formes de la libre concurrence, sans pour autant déchirer le tissu culturel de notre société.

Il est, à cet égard, primordial que la réforme en Roumanie vise une réorganisation de la société et le passage vers l’économie de marché, tout en accordant, en même temps, une place de choix à la réforme morale de la société, pour faire prendre conscience des valeurs européennes et de leurs critères moraux d’appréciation, pour accéder à la disponibilité complexe de la Roumanie vis-à-vis de l’Europe et de l’Europe vis-à-vis de la Roumanie.

Le désir d’une intégration économique européenne est, sans aucun doute, important et salutaire. Mais il faut aussi estimer, avec lucidité, les possibilités qu’elle soit immédiatement ou dans un délai très court réalisable.

Nous doutons que les économies affaiblies par la mise en pratique prolongée du modèle communiste des pays est-européens puissent vraiment coopérer et concurrencer les économies déjà en équilibre des pays ouest-européens sans que cela implique des dépenses presque insurmontables des deux côtés.

C’est pourquoi nous sommes soucieux de trouver une solution pour approcher à pas successifs de l’objectif de créer un Marché commun vraiment européen, de créer une zone de libre-échange, dans l’Europe centrale et de l’Est, qui permette, d’une part, une concurrence bénéfique entre des agents économiques puissamment comparables, et, d’autre part, le développement général des systèmes économiques de la zone mentionnée vers l’homogénéisation progressive du marché européen dans son ensemble.

En tant que pays danubien, nous sommes aussi préoccupés de créer un système spécial de coopération entre les pays riverains de ce fleuve, incluant la perspective de lier le Danube au Main et au Rhin, offrant des facilités spéciales aux pays enfermés dans le continent, aux pays sans accès à la mer. Nous souhaitons éliminer, par une pareille voie de coopération, toute une série de sources de tension qui minent encore la paix et inquiètent certains pays parvenus à l’état d’indépendance et de souveraineté à la suite du démembrement de l’ancien empire des Habsbourg.

Nous sommes un pays aux multiples richesses naturelles, aux grandes possibilités de développer l’agriculture, le commerce, le tourisme, l’industrie. Il y a, en Roumanie, des ressources humaines douées d’une créativité et d’une envie de travailler tout à fait remarquables.

Lucides, nous sommes conscients des grandes difficultés et des risques de l’étape de transition vers une économie de marché, de son coût économique et social – un prix que, malheureusement, il nous faudra payer, car il n’y a pas en ce domaine de formules à succès assuré, seulement des hypothèses et des tentatives plus ou moins vérifiées.

Notre tâche actuelle est de maintenir la stabilité sociale d’ensemble, dans un environnement dynamique, imposé par la réforme.

En ce qui concerne le processus de réforme de l’économie roumaine, en l’espace de quelques mois seulement a été projetée et même créée la majeure partie du nouveau cadre législatif et institutionnel.

Nous avons changé l’essence des bases de la propriété. L’Etat a cessé d’être l’unique propriétaire et l’unique manager des capacités de production. Mais il nous faut modifier radicalement le type de gestion, au niveau micro-économique comme au niveau macro-économique.

En ce qui concerne la concurrence, nous avons adopté une législation inspirée par les réglementations de la Communauté européenne. De même, nous avons introduit des réglementations visant la libéralisation des exportations et des importations, inspirées par les réglementations du GATT.

D’autre part, nous avons introduit un système visant la réduction draconienne des subventions de l’Etat, qui, désormais, ne peuvent être accordées que dans des cas précis, bien motivés du point de vue social et économique, et pour une durée de quatre années seulement – durée maximale, obligatoirement marquée par des réductions annuelles de la subvention.

A partir du 1er novembre dernier, nous avons amorcé un processus de libéralisation des prix, et nous venons justement d’amorcer aussi le processus de libéralisation des salaires. Enfin, nous avons l’intention d’amorcer, durant le premier semestre de cette année, le processus du passage, étape par étape, à la convertibilité de la monnaie nationale.

Conséquence des décennies de manque de management dans l’économie, les structures de celle-ci sont incompatibles avec le mécanisme économique que nous créons. D’autre part, ces structures sont condamnées au blocage – car leur caractéristique est le déséquilibre aigu entre ressources et capacités, doublé par un autre déséquilibre, tout aussi aigu, entre la structure de l’offre industrielle et la structure des demandes du marché. C’est ainsi que la Roumanie se trouve dans la situation paradoxale d’être sujette à la fois à une crise de sous-production et à une crise de surproduction. D’une part, toute une série de biens indispensables manquent, d’autre part, nous disposons d’immenses stocks invendables. Cela impose un réajustement de l’économie roumaine.

Toute réforme reste sans valeur en l’absence d’une telle restructuration.

On vit aujourd’hui les effets du progrès technologique. Ce progrès apparaît comme une constante de l’évolution de la société. Il est considéré souvent comme paradoxal, voire merveilleux, dans sa continuité. L’accumulation accélérée de nouveaux procédés et d’objets technologiques reste, dans le fond, mal comprise, mais acceptée comme partenaire inamovible de notre vie quotidienne. D’autre part, le désir de protéger davantage la nature est un trait de permanence sous la forme d’un flux social diffuseur de crainte vis-à-vis du progrès technologique. Cette cohabitation devrait profiter d’un trait d’union.

En effet, les vingt dernières années ont eu une importance capitale dans la réorientation générale de la société occidentale vers un environnement économique dominé par le secteur des services. Cette nouvelle topologie de la vie économique dans les sociétés développées, basée sur un accès quasiment illimité aux différentes formes d’énergie utilisables, est le résultat d’une formidable concentration dans la matière travaillée. L’image de l’inexpugnable inertie de la matière amorphe est désormais dépassée. C’est de cette source qu’est né le décalage entre les pays développés et les autres. Cette différence risque de devenir «grande comme le ciel».

L’exceptionnelle accumulation d’énergie dans de très petits morceaux de matière, qui eux sont porteurs de fonctions parfaitement définies et assignées, constitue une vraie révolution, celle de la conservation d’énergie.

Ainsi, la Roumanie d’aujourd’hui pourrait vivre confortablement avec ses propres sources énergétiques si elle avait le niveau technologique de l’Allemagne.

Mais la restructuration elle-même ne pourra être opérée en l’absence des flux financiers destinés aux investissements d’ajustement structurel, qui constituent notre priorité absolue dans le domaine des investissements. Ces flux devront être doublés par des investissements directs des compagnies étrangères en Roumanie et, en même temps, par le financement de programmes de protection sociale à même de gagner l’adhésion de la population.

Il nous faut souligner que nos programmes de restructuration prévoient non seulement le réaménagement de certaines capacités de production existantes, mais aussi la constitution d’un nouveau secteur productif, formé d’entreprises de petite et de moyenne dimensions, capables de créer des emplois, d’être flexibles par rapport au consommateur.

Le niveau minimal de la dette extérieure de la Roumanie, l’existence d’une main-d’œuvre hautement qualifiée, la position géographique avantageuse du pays et certaines de ses ressources naturelles, pétrole, charbon et gaz naturel, représentent des avantages dont nous disposons et dont les investisseurs étrangers pourraient, eux aussi, disposer.

La nation roumaine a dû mener d’abord la bataille contre l’oubli: l’oubli dans lequel la dictature avait réussi à la reléguer dans la conscience du monde démocratique. Elle a gagné cette bataille avec un superbe et unique élan. Aujourd’hui, elle est obligée d’engager une nouvelle bataille, contre le refus d’être entendue. Un proverbe roumain dit: «Je crois tes douleurs, mais je n’entends que les miennes.» La Roumanie est préparée pour cette bataille.

La vie d’une nation, comme celle d’un homme, n’est pas un jeu: elle est un combat. D’où que viennent les coups, il faut les recevoir, préparé et infatigable. Malraux avait dit: «Je ne sais pas ce qu’est la dignité, mais je sais parfaitement ce qu’est le manque de dignité.» J’ai la conviction que la dignité d’une nation n’est pas matière à débattre. Ceux qui veulent faire des relations avec la Roumanie une liaison passionnelle, d’amour, risquent d’entrer dans la logique de la fameuse chanson et de s’en sortir avec un perpétuel chagrin.

Nous voulons bâtir cette relation, et nous avons, à cette fin, une base solide: réunir tous les éléments d’un système de valeurs commun à l’ensemble de l’Europe. Lorsqu’on y parviendra, nous pourrons devenir des partenaires à part entière.

Cela dit, une chose est claire: s’il est vrai que la Roumanie ne peut exister en dehors de sa vocation européenne, il est tout aussi vrai que l’Europe ne peut se faire sans la Roumanie.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci beaucoup, Monsieur le Premier ministre, pour la franchise avec laquelle vous avez décrit vos problèmes, et pour l’ouverture d’esprit avec laquelle vous avez retracé votre chemin européen. Je peux vous assurer de la sympathie qu’a engendrée votre affranchissement du régime totalitaire sous la coupe duquel vous avez souffert durant tant d’années.

Beaucoup de questions ont été déposées. Vingt et un membres ont exprimé l’intention de vous interroger. J’espère qu’il s’agira de questions et non de déclarations, et que vous êtes prêt à y répondre brièvement, afin de permettre à tous ces membres de s’exprimer. La parole est à M. Atkinson.

M. ATKINSON (Royaume-Uni) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, vous avez été d’une louable franchise sur les violences qui ont eu lieu dans votre pays l’an dernier. Comment votre Gouvernement envisage-t-il les responsabilités qu’il aura à assumer en acceptant les clauses de la Convention européenne des Droits de l’Homme, notamment leur intégration à votre législation nationale?

Deuxièmement, acceptez-vous que, compte tenu des violences qui ont eu lieu l’an dernier, les membres du Conseil de l’Europe suivent de très près la sécurité personnelle de ceux qui appellent courageusement à la mise en œuvre des droits de l’homme dans votre pays?

M. Roman, Premier ministre de Roumanie (traduction)

La plupart des dispositions de la Convention européenne des Droits de l’Homme sont déjà entrées dans la loi roumaine. Il nous reste à les intégrer dans leur totalité. J’insiste sur le fait que, en six mois seulement, le Parlement roumain a approuvé plus de cinquante lois, dont la majorité portait sur les droits civiques, les droits de l’homme, la procédure civile, la procédure pénale, etc.

Quant aux personnes qui ont combattu pour ces droits, elles jouissent d’une grande considération et de beaucoup d’estime dans le pays. D’après une loi que nous envisageons, nous allons fonder un institut pour les droits de l’homme en Roumanie. Je suis sûr que le Parlement roumain sera d’accord avec cette idée.

Sir Russell JOHNSTON (Royaume-Uni) (traduction)

Je voudrais poser deux courtes questions à M. le Premier ministre. Tout d’abord, est-il absolument convaincu que la liberté de la presse est entière en Roumanie et que les journaux qui critiquent le Gouvernement ne sont pas soumis à des pressions, voire à une interdiction de publication?

En second lieu, est-il absolument assuré que l’importante minorité hongroise de Roumanie ne souffre d’aucune discrimination d’ordre économique ou culturel?

M. Roman, Premier ministre de Roumanie (traduction)

Il m’est facile de répondre à ces questions. Nous sommes convaincus d’avoir établi la liberté de la presse pleine et entière. Toutes les minorités de Roumanie jouissent de la totalité des droits et de possibilités égales dans les domaines éducatif, culturel et politique – ces droits sont identiques à ceux de tous les autres Roumains. Nous avons aujourd’hui plus de 1 500 journaux et périodiques en Roumanie. Avant la révolution, ce nombre était inférieur à 100. Malheureusement – comme c’est le cas dans une démocratie – la majorité d’entre eux critiquent le Gouvernement.

Depuis la révolution, tout a été fait pour rétablir les minorités dans leurs droits. D’autre part, lors des élections de mai, le parti qui est venu en deuxième position au Parlement – après le Front de salut national – est le Parti hongrois. Il a obtenu quarante-deux sièges à la Chambre basse et dix à l’autre chambre.

Mme BJERREGAARD (Danemark) (traduction)

Ma question fait suite aux autres, parce que j’ai jeté un coup d’œil sur la petite brochure Europe: les chemins de la démocratie.

Mme Doïna Cornéa y déclare qu’une nouvelle loi sur la presse est en cours de préparation par le ministre de la Justice roumain. Cette loi limiterait la liberté des journalistes en ce sens que la presse serait placée sous le contrôle total du Gouvernement roumain. La réponse est-elle que cette loi n’a jamais été adoptée, ou quelle est elle?

M. Roman, Premier ministre de Roumanie (traduction)

Il n’y a pas de loi sur la presse actuellement en Roumanie, et pratiquement toutes les forces politiques demandent la liberté de la presse. Le premier projet, qui avait été élaboré par des journalistes, a été bloqué par d’autres. Il y a deux associations de journalistes en Roumanie. Je les ai rencontrées lors d’une réunion au cours de laquelle la discussion a été très ouverte, et nous avons abandonné le premier projet.

Le second projet, qui se trouve à présent devant le Parlement, est, j’en suis sûr, une loi démocratique et semblable à celles qui ont cours dans les autres pays démocratiques. Ce n’est pas le Gouvernement qui a réclamé la loi sur la presse. De nombreuses forces politiques, notamment de l’opposition, ont demandé cette loi.

M. SARKIJARVI (Finlande) (traduction)

L’une des figures éminentes de la révolution roumaine a été un pasteur, Laszlo Tokes, qui est aujourd’hui évêque d’Oradea. Parce qu’il avait œuvré en faveur des droits de l’homme, il a été accusé d’espionnage et d’activités contre l’Etat et le peuple de Roumanie. Il a également fait l’objet de toutes sortes de pressions, de même que ses amis et sa famille. Dans certains cas, ils ont subi des violences physiques, et sa maison et son église ont été endommagées.

Pourquoi ne peut-on encore sans danger être dans l’opposition en Roumanie, s’exprimer contre le Gouvernement? Pourquoi des membres éminents du Front de salut national, et pas seulement des ultra-nationalistes, parlent-ils et prêchent-ils la haine contre la minorité hongroise de votre pays?

M. Roman, Premier ministre de Roumanie (traduction)

Il n’est pas juste de dire que l’évêque a été accusé. Accusé par qui? Insinuer que l’accusation a été formulée par quelqu’un du Gouvernement, ou par quelqu’un qui avait un pouvoir politique, est absolument faux. Il a été accusé par la presse, par certains journaux, par certains groupes politiques, et non, par exemple, par la majorité du Front de salut national. Il a été accusé en raison de certaines de ses déclarations faites de Roumanie qui ont été considérées comme remettant en cause l’appartenance de la Transylvanie à la Roumanie.

J’ai rencontré Laszlo Tokes dans les premiers jours qui ont suivi la victoire de la révolution, et il m’a fait une excellente impression. Ensuite, il a nettement pris ses distances avec le Front de salut national. Il a appartenu au conseil immédiatement après la révolution en raison de ses actions au cours de celle-ci. Je n’ai jamais personnellement accusé Laszlo Tokes.

Vous avez parlé d’atteintes physiques. Je pense qu’il est excessif de dire de telles choses. L’accident de voiture dont il a été victime s’est produit en Hongrie. Il a reçu la visite de l’ambassadeur de Roumanie sur son lit d’hôpital et à son retour en Roumanie il a demandé une protection totale par la police et l’armée, qui lui a été immédiatement accordée. Je pense que c’est un problème qui n’existe pas sous cette forme.

Vous avez dit que les personnes qui critiquaient le Gouvernement semblaient faire l’objet de pressions d’une façon ou d’une autre. Je dois vous demander de citer des faits. Il est probable que vous ne pourrez en trouver.

M. ROMAN (Espagne) (interprétation)

tient à exprimer sa sympathie à l’égard des efforts que fait la Roumanie pour réaliser la démocratie. Il aimerait cependant savoir si la liberté syndicale y est garantie et, d’autre part, ce que sont devenus les anciens policiers politiques.

M. Roman, Premier ministre de Roumanie (interprétation)

signale qu’il n’existe pas de syndicat officiel en Roumanie depuis la révolution. Par ailleurs, les organisations syndicales sont très actives et jouent un rôle important pour faire régner la paix sociale. En décembre dernier, une commission mixte syndicats-gouvernement a été instituée pour discuter d’un certain nombre de projets de loi, dont celui sur les syndicats. Récemment, le Parlement roumain a approuvé cette loi qui est conforme aux stipulations de l’OIT.

Après la révolution, la police politique, comme toutes les autres polices, fut intégrée dans l’armée. Elle fut ensuite dissoute afin d’éliminer ceux qui s’étaient particulièrement occupés du secteur politique. Les fonctionnaires importants de cette police font actuellement l’objet de procès et sont tous emprisonnés. Il est exact que certains techniciens travaillent encore dans les nouveaux services, mais il leur est impossible de jouer un rôle politique quelconque. Cependant, la psychose engendrée par la Securitate ne peut malheureusement être effacée du jour au lendemain.

M. PROBST (Autriche) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, Monsieur le Président, il est question ici de majorités et de minorités. On vient de nous poser un certain nombre de questions qui m’amènent à me demander qui a lu l’excellent compte rendu de notre visite en Roumanie. Une majorité ou une minorité d’entre vous? C’est pourtant un ouvrage de référence, à consulter comme on consulterait la Bible. Il aurait fallu le faire.

Je m’inquiète du sort de la petite minorité allemande de Roumanie, la majorité s’aidera elle-même. Elle est représentée au Parlement. Une petite minorité établie depuis 800 ans dans votre pays se meurt, c’est la minorité allemande.

Eu égard à son destin tragique et à son importante contribution à la culture, à l’histoire, à l’artisanat, à l’économie de votre pays, je vous demande, Monsieur le Premier ministre, s’il vous paraît possible d’insérer dans la future Constitution une loi pour la protection des minorités.

M. Roman, Premier ministre de Roumanie (traduction)

Je vous assure que la diminution de la minorité allemande en Roumanie est un processus douloureux pour l’ensemble de la nation roumaine. Nous l’avons dit clairement dès le début.

La révolution roumaine a ouvert toutes grandes les portes de la liberté à cette minorité et à son expression, mais nombre de Roumains d’origine allemande avaient déjà fait leur choix pendant la dictature en pensant, dans leur image du futur, au jour où ils pourraient intégrer l’Allemagne. Sur les 200 000 Roumains d’origine allemande que l’on trouvait encore au moment de la révolution roumaine, il en reste un peu moins de 100 000, les autres sont partis pour l’Allemagne.

J’estime que ce processus est douloureux parce que la minorité allemande a joué un rôle très particulier dans la société roumaine, elle a été un point d’équilibre. Nous avons fait de notre mieux pour faire comprendre à ces Roumains que leur patrie est la Roumanie puisqu’ils y vivent depuis cinq siècles. Nous avons même déclaré que nous voulions tout faire pour que ceux qui étaient déjà partis puissent revenir dans des conditions convenables.

Cependant, la Roumanie est à un moment difficile de son existence; elle est économiquement affaiblie et il faut beaucoup de courage pour rester, pour reconstruire, alors qu’ailleurs existe une possibilité de vie bien meilleure. Je réaffirme néanmoins que cette minorité, comme la minorité hongroise, a toutes les chances de vivre dans une société démocratique et prospère sous peu.

M. AHRENS (Allemagne) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, ma question se rattache à celle qu’a posée tout à l’heure notre collègue M. Probst. La situation des minorités dans votre pays m’intéresse moi aussi, elle nous intéresse tous. Nous avons tous – presque tous – des minorités dans nos pays. Nous connaissons bien les problèmes qui se posent, mais nous savons aussi quels sont les atouts d’une société multiculturelle.

Voici donc ma question: ces derniers mois, j’ai eu l’occasion de m’entretenir à-plusieurs reprises avec des Roumains d’origine hongroise et allemande, et j’ai senti, en particulier chez les Roumains d’origine allemande, la peur qui les pousse à quitter le pays. Ce ne sont pas les difficultés économiques bien compréhensibles que connaît aujourd’hui votre pays qui poussent les gens à partir; c’est purement et simplement la peur qui les conduit à quitter le pays où vécurent des siècles durant leurs aïeux. Que pouvez-vous faire, Monsieur le Premier ministre, pour que les gens n’aient plus peur, pour qu’ils aient confiance dans la stabilité d’une Roumanie libre et démocratique?

M. Roman, Premier ministre de Roumanie

La peur!... N’ai-je pas moi-même peur de cette transformation brutale de notre société? Cela m’arrive aussi.

La seule et unique parade possible, celle que vous avancerez vous-mêmes, est la construction d’une société démocratique.

Il faut bâtir une société de confiance, une structure qui fasse barrage aux impulsions provoquant la peur. Je crois qu’il n’y a rien d’autre à faire.

Ainsi que je l’ai indiqué, nous vivons un moment de transformation explosif de notre société et si nous ne sommes pas encore suffisamment encourageants dans notre action pour certains de nos compatriotes, c’est peut-être parce que nous sommes souvent submergés par une tâche qui paraît quelquefois insurmontable.

Je leur dis tout simplement qu’au moment où l’on se bat pour refaire la Roumanie, pour faire revenir la Roumanie dans l’Europe démocratique, il vaut mieux les avoir dans les rangs des combattants que dans celui des observateurs. La meilleure façon de combattre la peur est peut-être de combattre.

M. CUCO (Espagne) (interprétation)

souhaite à son tour la bienvenue à M. Roman qu’il remercie de ses efforts en faveur de la liberté et de la démocratie. Il lui demande quelle part la nouvelle Constitution fera aux minorités. Il souhaite aussi savoir quelle est la situation des très nombreux enfants handicapés ou abandonnés à la suite de l’incurie de l’ancien régime.

M. Roman, Premier ministre de Roumanie (interprétation)

précise que la nouvelle Constitution garantira les droits des minorités. Il relève qu’avant la révolution les Roumains de toutes origines étaient liés par une fraternité cimentée par l’opposition à la dictature. C’est cet état d’esprit qu’il faut retrouver et le Gouvernement roumain a le sentiment de faire son devoir dans ce domaine.

Quant à la situation des enfants abandonnés, elle s’est considérablement améliorée depuis six mois, ainsi que l’a reconnu la CEE, grâce à une action énergique menée par l’armée, de nombreux volontaires et une équipe technique que dirige personnellement M. Roman. Celui-ci ajoute que le seul problème réside désormais dans la transformation des mentalités: la seule chose que la Roumanie ne puisse pas importer, c’est l’affection à l’égard des enfants handicapés. C’est dans ce domaine qu’il faut agir pour en finir avec une indifférence que les pays occidentaux avaient connue eux-mêmes à la fin de la seconde guerre mondiale.

Lord NEWALL (Royaume-Uni) (traduction)

Je demande au Premier ministre s’il examinera les responsabilités des différents ministères qui sont chargés de la prise en charge des enfants dans les institutions d’Etat. Le ministère de la Santé, celui de l’Education et le ministère qui est responsable des handicapés ont assez tendance à se repasser le dossier, autrement dit à se renvoyer mutuellement la balle. Il en devient presque impossible d’établir qui est officiellement responsable des enfants. Cette confusion fait tort aux intérêts des enfants et aux efforts que l’on déploie pour améliorer leur existence.

M. Roman, Premier ministre de Roumanie

Il est vrai que la situation décrite par Lord Newall a existé durant le premier mois qui a succédé à la révolution, et probablement encore jusqu’à ce que le nouveau Gouvernement soit formé. En septembre, toutefois, nous avons créé un nouveau poste – celui de secrétaire d’Etat aux personnes handicapées. Maintenant que nous avons clairement établi comment traiter le problème, je pense que les choses se sont grandement améliorées. Je serais reconnaissant à tous ceux qui se sont si aimablement associés à l’aide et au soutien à la Roumanie devant la tragédie des enfants abandonnés et handicapés de nous signaler les éventuelles irrégularités de l’Administration.

M. MOTA TORRES (Portugal) (interprétation)

est convaincu que la Roumanie obtiendra rapidement le statut d’invité spécial. Il souhaite savoir comment fonctionnent les pouvoirs publics et s’il existe un mécanisme de garantie constitutionnelle.

M. Roman, Premier ministre de Roumanie

Le principe de la séparation des pouvoirs a été introduit dès le 22 décembre, le premier jour de révolution roumaine, et il fonctionne trop bien, dirais-je en plaisantant un peu.

Ce mécanisme d’ajustement qui existe partout entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif en est, de toute évidence, encore à ses débuts. Ainsi il arrive qu’il y ait d’un côté ou de l’autre une certaine jalousie. Loin d’être un mixage irrégulier, ce principe est très bien établi. Il n’est peut-être pas encore en état de fonctionner d’une manière équilibrée, mais, je le répète, le principe est parfaitement posé.

Il est d’ailleurs garanti dans notre projet de Constitution.

Les mécanismes légaux sont les mêmes que dans n’importe quel pays démocratique et je n’ai rien à ajouter à cet égard. Leur mise en place est déjà très avancée.

Mon ministre des Affaires étrangères me rappelle que j’ai déjà informé les deux commissions ce matin du fait qu’un document sur les droits de l’homme en Roumanie reprend toutes les dispositions légales déjà prises dans notre pays depuis la révolution. Si vous en avez le temps et si vous en avez envie, je vous invite à le lire, car il montre le long chemin que nous avons parcouru depuis lors.

M. NIEGEL (Allemagne) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, quelles mesures entendez-vous prendre pour améliorer la situation économique et la fourniture d’énergie pour que le pays puisse envisager sereinement la venue de l’hiver?

J’ajouterai deux questions relatives aux droits de l’homme: ne faut-il pas craindre que des événements comme l’intervention des mineurs place de l’Université ne se reproduisent?

En ce qui concerne la liberté de la presse, qu’en est-il de l’allocation, en l’occurrence des entraves à l’allocation de papier aux journaux de l’opposition?

M. Roman, Premier ministre de Roumanie

Il est vrai que, dans le cadre des mesures économiques à prendre, le secteur énergétique joue un rôle essentiel. L’Allemagne a déjà fourni l’an dernier, et cette année encore, une aide précieuse en énergie électrique. Nous avons surtout un programme de réhabilitation des principales centrales thermo-électriques roumaines qui se trouvaient dans une situation de grande usure morale et physique lors de la révolution.

Ce thème est devenu très important dans le cadre de la restructuration économique. Il a l’aval de la Banque mondiale, par exemple, et il a été approuvé, en tant que principe, lors de ma rencontre avec le chancelier Kohl.

Je crois que nous sommes bien partis pour faire d’abord mieux fonctionner aujourd’hui le secteur de la production d’énergie en Roumanie.

Si des événements semblables à ceux qui sont intervenus en juin se reproduisaient, cela signifierait que l’on n’aurait pas réussi à construire une démocratie. Autrement dit, si nous croyons en la démocratie, nous devons exclure définitivement que de tels événements se reproduisent.

Quant à l’attribution du papier à la presse, je dois admettre que, malheureusement, il n’y en a pas. Ainsi, une chute de la production, y compris dans le domaine culturel et même pour les manuels, a été enregistrée, ce qui est dramatique.

Malgré tout, le seul journal en Roumanie qui tire sur huit pages est le principal journal d’opposition!

M. FOURRÉ (France)

Monsieur le Premier ministre, je veux tout d’abord vous dire combien il est heureux que vous soyez aujourd’hui parmi nous, au Conseil de l’Europe, à Strasbourg, en France, pays que vous appréciez et auquel vous êtes particulièrement attaché.

Nous sommes en effet au cœur d’un débat essentiel pour votre pays, ainsi que nous l’avons vu ce matin en commission. Chacun apprécie en effet le bilan d’une année, à comparer sans doute au chemin restant à parcourir, lequel est non moins important.

La question que je vous posais ce matin me paraît bien être au centre du débat parlementaire, car elle concerne le refus possible du Conseil de l’Europe d’accorder à votre pays le statut d’invité spécial. Nous appliquerions alors deux poids, deux mesures puisque, en juin 1989, nous avons accordé ce statut à la Hongrie, à la Pologne, à l’Union Soviétique et à la Yougoslavie.

Monsieur le Premier ministre, vous nous avez dit que l’Europe ne pourrait se construire sans la Roumanie. Nous sommes bien d’accord avec vous. Mais quel serait, d’après vous, le sentiment du peuple roumain face au refus éventuel de l’Europe d’accompagner les efforts menés – malgré les erreurs – en direction de la démocratie, alors qu’ils doivent, bien évidemment, être poursuivis?

M. Roman, Premier ministre de Roumanie

Je ne peux répondre que comme ce matin, puisque, bien évidemment, rien n’a changé depuis, sauf peut-être que j’ai maintenant moins l’impression que cela peut se produire, ou alors je me trompe dramatiquement.

J’ai ainsi indiqué ce matin que, dans l’environnement politique international – je pense surtout à l’Est et non au Sud, donc aux événements en Union Soviétique – le peuple roumain, devant une attitude rigide ou tout simplement d’attente quant à son admissibilité au statut d’invité spécial, pourrait avoir le sentiment que son pays est, en quelque sorte, abandonné, fragilisé dans une position qui, géographiquement est ce qu’elle est.

Je suis sûr que vous avez eu raison en juin 1989. Il était alors beaucoup plus judicieux d’ouvrir les portes que d’être méfiants, car on ne saurait vous mentir longtemps sans que vous vous en aperceviez. En revanche, le refus de nous accueillir aurait été un refus d’entendre et de comprendre, ce qui aurait abouti à l’impossibilité de la construction européenne.

Vous aviez donc raison et – mon Dieu! – vous pourriez avoir raison une fois encore. (Sourires)

M. de PUIG (Espagne) (interprétation)

constate que le Premier ministre s’est engagé à plusieurs reprises aujourd’hui, en commission comme en séance plénière, à conduire la Roumanie vers la démocratie, et il espère que ces propos pourront dissiper la méfiance de certains. Il lui demande cependant quand, à son avis, la Roumanie sera en mesure de devenir non seulement un invité spécial, mais un membre de plein droit du Conseil de l’Europe.

M. Roman, Premier ministre de Roumanie (interprétation)

pense que la Roumanie pourra devenir rapidement membre de plein droit du Conseil de l’Europe dès que la méfiance aura été dissipée.

Mme KALAYCIOGLU (Turquie) (traduction)

En tant que parlementaire turque, permettez-moi de vous dire que je suis très heureuse que vous soyez ici, Monsieur Roman, pour vous adresser pour la première fois à cette Assemblée de nations démocratiques. Lorsque de nouvelles réformes démocratiques auront été accomplies dans votre pays, je suis sûre que, dans un proche avenir, la Roumanie fera elle aussi partie de notre Organisation.

Je voudrais connaître la position de votre pays vis-à-vis de la crise du Golfe et ce que vous pensez des effets ou répercussions éventuels que ce conflit pourrait avoir sur son économie.

M. Roman, Premier ministre de Roumanie (traduction)

Je commencerai par répondre à la dernière partie de la question. Les conséquences pour nous sont dramatiques. L’Irak a une dette de 1,7 milliard de dollars envers la Roumanie. En outre, 8 000 Roumains qui y travaillaient à la construction de différents sites industriels ont à présent arrêté le travail. Lorsque cette activité a cessé, les rentrées d’argent ont évidemment également cessé. Le prix du pétrole a été très élevé après la crise. L’estimation minimale des pertes qu’a entraînées la crise du Golfe pour la Roumanie est de 3 milliards de dollars, ce qui est considérable dans la situation actuelle.

Dès les premiers jours, nous nous sommes associés à l’engagement de la communauté internationale contre l’invasion irakienne du Koweït. Il se trouve que le Président du Conseil de sécurité des Nations Unies au moment de l’invasion était un Roumain, et les autres pays ont clairement indiqué que l’activité de ce président a été si fructueuse que la résolution du Conseil de sécurité a été élaborée et rapidement approuvée.

Nous avons donné notre appui à toutes les actions prévues dans cette résolution. Nous nous sommes également associés à l’embargo de la communauté internationale vis-à-vis de l’Irak.

En raison des aspects que j’ai mentionnés plus haut, le coût pour nous en a été très élevé.

Enfin, nous avons offert une certaine aide humanitaire à l’effort de guerre. Le ministre des Affaires étrangères pourrait vous préciser que nous avons déployé beaucoup d’efforts diplomatiques pour contribuer à une solution spécifique au conflit du Golfe. Il semble que personne ne pouvait réellement arrêter la guerre, mais nous avons contribué aux efforts et aux négociations de paix, et nous sommes toujours disposés, à travers tous nos contacts et avec tous nos moyens, à contribuer aux négociations de paix après la guerre.

M. RATHBONE (Royaume-Uni) (traduction)

Puis-je revenir à des questions plus précises? Lorsqu’il nous a parlé ce matin, le Président a évoqué les droits fondamentaux, garantis en vertu des nouvelles lois. Il n’y a pas de droit plus fondamental que la protection de la santé et du bien-être des enfants, à laquelle certains orateurs ont fait allusion. Il semble que cette disposition ne soit pas respectée dans un certain home d’enfants à Bucarest, le home n° 6, dans lequel se sont rendus quelques-uns de mes collègues parlementaires britanniques il y a seulement dix jours. Contrairement à certains des autres homes qu’ils ont visités – et ils ont bien précisé que cela n’était pas le cas dans ces derniers – le home n° 6 est pratiquement en ruine. Ses bâtiments délabrés offrent un triste spectacle. Ses installations ne fonctionnent pas et, ce qui importe peut-être le plus, son personnel a perdu toute motivation.

Un envoi de marchandises d’un montant de 300 000 dollars, provenant du fonds autrichien «Sauver les enfants», reste malheureusement depuis plus de six mois enfermé dans une cave, non ouvert et non utilisé. Le home semble toujours être une sorte de dépotoir pour les enfants de l’ancien système dont on ne veut pas qui sont surtout d’origine tzigane. Je voudrais savoir comment le Premier ministre concilie cela avec ce qu’il a dit des progrès réalisés par son Gouvernement.

M. Roman, Premier ministre de Roumanie (traduction)

Manifestement, la situation qui vient d’être décrite n’est pas un progrès. Bien sûr, je ne suis pas au courant de toutes les situations qui existent aujourd’hui en Roumanie. Je ne nie pas que le home n° 6 soit en ruine, ni que son personnel soit démotivé, mais on ne peut pour autant méconnaître l’action générale et spécifique menée par le Gouvernement en faveur des enfants abandonnés ou handicapés. Je déplore profondément qu’une telle situation ait encore pu exister il y a dix jours. Je ne peux que dire que je ferai une enquête et que j’essaierai d’y remédier.

Mme LENTZ-CORNETTE (Luxembourg)

En fait, Monsieur Roman, vous venez de répondre à la première question que je voulais vous poser au sujet des orphelinats dans lesquels la situation est déplorable, mais en faveur desquels vous consentez, dites-vous, de grands efforts.

Je voudrais connaître les règles que vous appliquez en général pour l’adoption.

Par ailleurs, qu’allez-vous faire de toutes les personnes qui travaillaient dans les «officines» diplomatiques, je veux dire dans les ambassades, en grande partie pour espionner en faveur de l’Union Soviétique?

M. Roman, Premier ministre de Roumanie (traduction)

Vos deux questions sont très différentes! (Rires)

En ce qui concerne l’adoption, le Parlement roumain a voté une très bonne loi. En outre, il y a très peu de temps, par décision gouvernementale, a été instituée une commission pour les adoptions. Le but est d’éviter qu’un processus, normal en soi, ne devienne un problème. Tout le monde comprendra ce que je veux dire. Légalement, le problème me paraît réglé et les choses devraient fonctionner correctement.

Quant à l’espionnage en faveur de l’Union Soviétique, il a sans doute existé. A-t-il eu lieu dans les ambassades? Je crois que les ambassades étaient elles-mêmes normalement en mesure de se protéger...

De toute façon, même avant la révolution, on ne pouvait pas imposer leur personnel aux ambassades. Cela est encore plus vrai après la révolution!

En ce qui concerne les ambassades de Roumanie à l’extérieur, il y a eu un changement très important. D’une manière générale, dès le mois de janvier, tous les personnels qui n’avaient pas un véritable statut diplomatique ont été retirés, disons tous ceux qui étaient couverts par le label de «faux diplomates». Pratiquement tous les ambassadeurs ont été changés. En reste-t-il? Le ministre des Affaires étrangères, sous sa responsabilité, me souffle qu’il n’y en a plus. Je ne le savais pas, mais je l’en félicite.

A mon avis, l’espionnage en faveur de l’Union Soviétique dont vous parlez était plutôt accompli en faveur du dictateur, qui menait tout simplement ses affaires et développait sa propagande en faveur de sa dictature. L’Union Soviétique agissait de manière plus discrète peut-être...

Mme LENTZ-CORNETTE (Luxembourg)

C’étaient des «pays frères».

M. Roman, Premier ministre de Roumanie

Des frères moraux, des frères d’esprit peut-être. (Rires)

M. BASIAKOS (Grèce) (traduction)

D’après les récentes révélations concernant la pollution de l’environnement, la Roumanie est l’une des cultures les moins préoccupées par l’environnement en Europe de l’Est. Quelles mesures le Gouvernement a-t-il prises pour faire face à cette situation?

M. Roman, Premier ministre de Roumanie (traduction)

Il est malheureusement vrai que nous avons hérité d’une situation désastreuse sur le plan de l’environnement et que certaines régions du pays sont dans un état très critique. Nous avons arrêté toutes les industries chimiques dans le nord du pays, à Suceava. Nous avons également arrêté la production dans l’une des régions les plus polluées par le plomb et le zinc – Copsa Mica. Nous avons lancé un programme étendu pour résoudre le problème.

Avant la révolution, j’étais professeur à l’institut polytechnique, et ma spécialité était la pollution de l’eau. Pendant dix ans, de 1975 à 1985, j’ai procédé, trois ou quatre fois par an, à des mesures de la pollution sur le Danube. Je voudrais donner des informations détaillées sur ce problème au Conseil de l’Europe – pas aujourd’hui, bien sûr – parce que je connais bien le sujet. A coup sûr, la Roumanie n’est pas responsable de la situation actuelle des eaux du Danube.

Nous connaissons une situation très critique dans certaines régions de Roumanie, et nous avons besoin d’aide à cet égard.

M. FABRA (Espagne) (interprétation)

demande quand sera adoptée la loi-sur la liberté de religion et si les Eglises catholique et protestante se verront restituer leurs écoles. Il souhaiterait également connaître l’interprétation que donne le Premier ministre des trois restrictions posées par le décret du 11 septembre dernier, relatif à la loi sur l’enseignement religieux.

M. Roman, Premier ministre de Roumanie (interprétation)

déclare que la liberté de religion a été rétablie immédiatement après la révolution et est maintenant totale, au moins en ce qui concerne l’Eglise orthodoxe, majoritaire. Elle est presque complète en ce qui concerne l’Eglise catholique romaine et l’Eglise protestante. Il est vrai que la situation est beaucoup moins satisfaisante pour les catholiques grecs, mais le problème est historiquement très complexe et délicat, et le Gouvernement ne saurait le résoudre seul, par la voie d’un décret, tant qu’un compromis ne sera pas intervenu entre les Eglises.

M. ELMAS (Turquie) (traduction)

Nous comprenons les difficultés auxquelles votre pays se heurte dans le processus de transition, surtout en ce qui concerne la nécessité de nouvelles structures économiques. Il est évident que les pays occidentaux peuvent considérablement contribuer à ce processus. Quels pourraient être, selon vous, les effets d’autres modes de coopération sur l’économie, telle la coopération économique régionale qui a été récemment mise en place par les pays riverains de la mer Noire?

M. Roman, Premier ministre de Roumanie (traduction)

J’étais en Turquie il y a seulement deux jours, et je me suis entretenu avec la quasi-totalité des membres du Gouvernement et avec le Président. L’idée d’une coopération dans la région de la mer Noire est intéressante. Elle a été avancée par la Turquie, et nous l’appuyons. Mieux encore, nous avons envisagé la possibilité de nous associer à la coopération dans la région de la mer Noire. Nous considérons la coopération avec le projet du Danube comme le principal instrument économique et culturel pour l’ensemble de l’Europe, mais c’est là un autre sujet sur lequel je reviendrai le moment venu.

M. SOLÉ-TURA (Espagne) (interprétation)

déclare qu’après la séance de questions à laquelle le Premier ministre de Roumanie a répondu il est tenté de renoncer à poser une question supplémentaire. Il tient cependant à revenir sur les propos de M. Probst. En effet, une délégation allemande a récemment visité la Roumanie et a rédigé un rapport qui prouve que l’un des problèmes essentiels de la Roumanie d’aujourd’hui est non pas la force de l’Etat, mais bien sa faiblesse. Or, il s’agit de créer une nouvelle économie, un Etat démocratique qui fonctionne: tout cela requiert des fonctionnaires aptes à remplir ces tâches. A ce propos, l’intervenant souhaiterait entendre quelques détails sur la réforme administrative actuellement en cours.

M. Roman, Premier ministre de Roumanie (traduction)

Il est tout à fait vrai que c’est plutôt la faiblesse de l’Etat et le manque d’instruments dont il dispose qui causent des situations difficiles.

Nous avons engagé un processus assez complexe de reconstruction des instruments de l’Etat, de l’administration, mais, de toute évidence, c’est l’un des plus difficiles à mener à bien parce qu’il nécessite surtout des hommes nouveaux, des hommes préparés à la fonction publique. Or, j’ai constaté que, malheureusement, nombre de personnes honnêtes ne parviennent plus à se défaire de leurs anciens modes de pensée, n’arrivent pas à comprendre le statut du fonctionnaire public dans une démocratie.

J’ai réussi, pour le moins, à composer une équipe de gouvernement formée d’hommes nouveaux, instruits pour la grande majorité en Occident, qui, peu à peu, arrivent à renouveler les équipes dont le pays a besoin. Je ne peux qu’espérer que ce processus pourra faire venir à la réforme les meilleures valeurs, les meilleurs hommes de Roumanie aujourd’hui.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci beaucoup, Monsieur le Premier ministre. Cela nous amène à la fin des questions. Nous avons été très frappés par la manière avec laquelle vous avez répondu aux vingt questions qui vous ont été posées. Vous n’avez pas essayé de dissimuler vos problèmes. Vous avez répondu très honnêtement à nos questions.

Le nombre des questions posées montre à l’évidence l’intérêt que le Conseil de l’Europe porte à la situation dans votre pays. Il montre aussi – et j’insiste là-dessus – l’importance que nous attachons tous à de bonnes relations avec la Roumanie, ainsi qu’au désir de maintenir et d’établir de bonnes relations avec la Roumanie dans tous les domaines. Quant à vous, Monsieur Roman, vous devriez considérer toutes les questions que nous avons entendues ici aujourd’hui comme un signe manifeste de notre intérêt pour votre pays.

J’imagine que vous devez être fatigué, Monsieur Roman, après toutes ces questions. Au Conseil de l’Europe, vous trouverez une chaude sympathie pour votre pays. Nous sommes heureux que le régime totalitaire sous lequel vous avez vécu de si nombreuses années ait pris fin. Nous vous souhaitons, comme élément de notre communauté européenne, bonne chance pour l’avenir. Au nom de l’Assemblée, je vous remercie, Monsieur le Premier ministre.

M. Roman, Premier ministre de Roumanie (traduction)

Merci, Monsieur le Président. Je ne savais pas que la réforme économique comportait des aspects aussi vastes.