Wolfgang

Schüssel

Chancelier fédéral de la République d’Autriche et Président du Conseil de l’Union européenne

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 11 avril 2006

Cher Călin, cher Jean-Claude, permettez-moi tout d’abord de lever un petit malentendu: je m’exprime ici en tant que Président du Conseil européen et non en tant que Président du Conseil de l’Europe: il va donc de soi que je ne représente pas l’ensemble de l’Europe, un rôle qui est plutôt le vôtre, mais une importante partie de l’Europe.

Personne ne remet en question le rôle central du Conseil de l’Europe dans l’ensemble du continent. Il est primordial d’insister sur les différences et d’expliquer que l’Union européenne n’est effectivement habilitée à s’exprimer que pour une partie de l’Europe seulement: le Conseil de l’Europe et lui seul représente l’ensemble des Etats européens.

Contrairement à Jean-Claude Juncker, je n’ai pas l’avantage de pouvoir exprimer mes vues personnelles et je suis contraint de m’adresser à vous comme le porte-parole d’un «dénominateur commun» à tous les Etats membres.

Il serait certainement extrêmement intéressant d’aborder certains faits d’un point de vue personnel, mais vous comprendrez aisément que je suis tenu de m’exprimer ici en tant que Président du Conseil européen.

A ce titre, cette rencontre prend d’ailleurs une dimension particulière du fait que l’Autriche fête les cinquante ans de son adhésion au Conseil de l’Europe. Cet anniversaire nous permet aussi de tenter de dresser un bilan, exercice pour lequel nous autres Autrichiens avons tendance, je le reconnais, à confondre bilan et regard bienveillant sur les années passées. Cette attitude serait pourtant inopportune car dresser un bilan implique bien sûr que nous tenions compte des expériences passées, mais que nous continuions aussi de regarder vers l’avenir.

Je suis fier des cinquante années d’engagement de l’Autriche au sein du Conseil de l’Europe et notre engagement est resté intact après notre adhésion à l’Union européenne, le même qu’aux premiers jours de notre adhésion au Conseil.

Vous avez toujours reconnu l’engagement de l’Autriche, aussi me contenterai-je de rappeler qu’en cinquante ans mon pays a fourni trois secrétaires généraux: Lujo Toncic-Sorinj, Franz Karasek et Walter Schwimmer; Karl Tschernitz et Peter Schieder ont quant à eux rempli les fonctions de Président de l’Assemblée parlementaire, tandis que Herwig van Staa était jusqu’à récemment le Président du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux.

Toute une série de personnalités ont également contribué au processus d’unification européenne dans le cadre du Conseil de l’Europe. C’est ainsi que notre ministre des Affaires étrangères de l’époque, Leopold Fiegel, soulignait lors de la signature de l’acte d’adhésion que, en devenant membre du Conseil de l’Europe, notre pays tenait également à afficher son appartenance à la communauté des Etats démocratiques.

Je souhaiterais remercier Peter Schieder pour les résultats auxquels il est parvenu sous son mandat de Président de l’Assemblée parlementaire, notamment pour l’adhésion, en dépit de certaines oppositions, de la Serbie-Monténégro au Conseil de l’Europe, une contribution majeure à la stabilité de toute la région. Nous lui devons aussi la contribution du Conseil de l’Europe à la création du Parlement panafricain, les propositions en vue d’une redynamisation du parlementarisme, l’application des normes démocratiques aux nouveaux Etats membres, sans oublier ses actions contre la peine de mort et les mesures de protection des minorités. De même, Walter Schwimmer s’est engagé en faveur de l’élargissement du Conseil de l’Europe et d’une importante réforme de l’Organisation.

Dès le départ, ce travail dans le cadre du Conseil de l’Europe a revêtu une importance toute particulière pour nous car nous sommes le pays natal de Richard Coudenhove-Kalergi, le fondateur de l’idée paneuropéenne. De fait, en signant le traité d’Etat en 1955, nous poursuivions également l’objectif de participer activement, aux côtés des autres Etats démocratiques, au processus d’unification politique de l’Europe.

Le choix de Vienne pour accueillir le premier sommet du Conseil de l’Europe en 1993 n’est pas un hasard non plus: des sujets inédits et révolutionnaires y ont été évoqués, comme la protection des minorités nationales, la lutte contre l’intolérance, le racisme et la xénophobie, ainsi que la recherche d’une sécurité et d’une liberté renforcées sur l’ensemble du continent via la construction démocratique. Avec l’adhésion de nombreux Etats d’Europe centrale et de l’Est, nous constatons aujourd’hui que ces postulats, issus du premier sommet du Conseil de l’Europe, ont bel et bien été pris en compte.

(Poursuivant en anglais) (Traduction). – Mesdames, Messieurs, en ma qualité de Président du Conseil de l’Union européenne pour le premier semestre de cette année, je me félicite du rapport de Jean-Claude Juncker. J’y vois en effet une contribution majeure au débat sur l’architecture multilatérale de l’Europe, lequel pâtit souvent, pour des raisons évidentes, d’un manque de cohérence. Il faut venir à bout de quantité d’intérêts particuliers, de l’inertie institutionnelle et de réserves politiques. L’approche de M. Juncker, qui consiste à exposer un point de vue très personnel, est probablement l’unique manière de produire un document aussi clair et concis, plus qu’aucun rapport de commission ne le sera jamais.

L’Union européenne, le Conseil de l’Europe et l’Organisation pour la coopération économique et le développement sont tous des éléments vitaux de l’architecture européenne, chacun ayant sa vocation propre, chacun présentant ses avantages propres. Mais, pour relever les défis du XXIe siècle, cette architecture a besoin d’être modernisée, il ne faut pas s’en cacher. L’environnement international a connu des bouleversements sans précédent, les contextes nationaux ont également changé, les institutions européennes ne peuvent plus se permettre de doubles emplois. Pour que notre action soit la plus efficace possible, il faut améliorer autant que faire se peut la coopération et la coordination entre nos organisations.

J’espère qu’il se dégagera clairement un consensus au fil de nos débats sur le rapport Juncker. Le projet tel qu’exposé dans les grandes lignes nous fait avancer dans la bonne direction en centrant l’action du Conseil de l’Europe sur les valeurs fondamentales qu’il s’attache à promouvoir – la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit. Nous pouvons prendre une part déterminante à la consolidation de l’architecture européenne.

Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne peuvent déjà se prévaloir d’une longue coopération, intense et fructueuse, dans l’aide aux pays en transition, qu’il est possible et nécessaire de développer plus avant. Du point de vue de l’Union européenne, le Conseil de l’Europe est, et restera, un partenaire irremplaçable. Nous nous reposons dans une large mesure sur ses excellentes contributions dans le domaine du suivi concernant le respect par les pays candidats des critères dits politiques de l’adhésion. Les rapports de suivi, les évaluations du commissaire aux droits de l’homme et les travaux spécialisés sur le racisme, la torture, la corruption, etc., sont pour nous des ressources extrêmement importantes. Nous nous en servons dans l’élaboration des chapitres portant sur la démocratie et la politique de nos propres rapports et nous devrions probablement vous remercier plus souvent que nous ne le faisons pour la précieuse contribution et l’expertise du Conseil de l’Europe.

Le mémorandum d’accord entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe revêt une importance décisive pour nous tous. Il conviendrait de s’attacher tout particulièrement à l’usage que font l’Union européenne et ses Etats membres des instruments et institutions du Conseil de l’Europe, et aux moyens de l’améliorer. Le resserrement des liens entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne devrait être bénéfique à tous. Le mémorandum doit approfondir et étendre le dialogue politique entre les deux institutions en s’appuyant sur les accords existants de 1987 et de 2001. Nous devons nous fonder sur l’attachement des deux organisations aux mêmes valeurs, sur notre engagement commun au service de la démocratie pluraliste, du respect et de la protection des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de l’Etat de droit. C’est facile à dire, mais rien n’est parfait, pas même la législation ou l’application de toutes nos lois ni la mise en œuvre de l’ensemble de nos engagements. Mais nous y travaillons et nous sommes sur la bonne voie.

Permettez-moi de mentionner brièvement, conformément au rapport, certains des principes qui doivent guider l’Union européenne et le Conseil de l’Europe. Les deux institutions devront tout d’abord renforcer leurs liens dans les domaines des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la lutte contre toutes les formes de discrimination et la xénophobie, la promotion de la démocratie pluraliste et de l’Etat de droit, la coopération politique et juridique, la cohésion sociale et le dialogue interculturel.

La deuxième priorité de notre coopération doit être d’améliorer le partage d’information, de consolider le dialogue sur les questions stratégiques et politiques, et de développer une communauté de vues sur les questions prioritaires. Troisièmement, comme Jean-Claude l’a souligné, il faut encourager l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à participer de manière régulière aux rencontres interinstitutionnelles pour renforcer la coopération. Quatrièmement, il faut pleinement associer au dialogue les organisations non gouvernementales de la société civile, ce que le Conseil de l’Europe n’a eu de cesse de faire depuis des décennies. Cinquièmement, il faut aussi améliorer la coopération parmi les pays parties prenantes à la politique européenne de voisinage de l’Union européenne et aux processus de stabilisation et d’association. Sixièmement, la coopération juridique doit être développée plus avant – par exemple, par l’adhésion de l’Union européenne aux conventions du Conseil de l’Europe.

Je sais que l’agence des droits fondamentaux de l’Union européenne suscite quelque inquiétude au sein de l’Assemblée. Permettez-moi d’être clair à ce sujet: l’agence n’est pas une menace, mais une chance pour le Conseil de l’Europe. Elle offre l’occasion de développer la coopération et de contribuer à plus de cohérence et de complémentarité. Elle peut permettre d’améliorer la coopération avec la Commission européenne dans la lutte contre le racisme et l’intolérance.

Le centre de monitoring de l’Union européenne a déjà fait un excellent travail en la matière.

En travaillant étroitement ensemble, les deux instances ont mis au point des méthodes de coopération claires et précises, évité le chevauchement d’activités et créé des synergies. L’agence offrira au Conseil de l’Europe et à l’Union européenne de nouvelles occasions de coopérer. Nous ne sommes pas pour un chevauchement d’activités, et encore moins pour le remplacement des excellentes méthodes et institutions du Conseil de l’Europe.

L’examen des plans directeurs que nous a dévoilés Jean-Claude Juncker pour une architecture européenne du futur coïncide par le plus pur des hasards avec le cinquantième anniversaire de l’adhésion de l’Autriche au Conseil de l’Europe. J’en suis très heureux et nous souhaite à tous bonne chance.