Boris
Tadić
Président de la Serbie
Discours prononcé devant l'Assemblée
mercredi, 26 janvier 2011
Monsieur le Président, monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, excellences, mesdames et messieurs, je voudrais, avant de commencer, exprimer toutes mes condoléances à la délégation de la Fédération de Russie au lendemain du terrible attentat de Moscou, que nous condamnons fermement.
C’est un honneur et un plaisir de m’adresser à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, la plus ancienne des organisations politiques paneuropéennes. Vous incarnez la conscience du continent et vous restez le champion incontesté, pour ce qui concerne la promotion des libertés individuelles, l’Etat de droit, les droits des minorités, les droits des personnes et l’intégration.
Il y a trois mois, en Serbie, nous avons fêté le dixième anniversaire du rétablissement de la démocratie. Cela fait en effet dix ans que le peuple serbe a mis un terme à une épouvantable décennie. Ce chemin parcouru n’a pas été facile, mais nous avons su jeter les bases d’une société respectueuse de tous les principes que vous avez embrassés et pour lesquels vous agissez. Nous envisageons donc les dix années à venir avec optimisme. Après avoir réalisé de tels progrès, nous sommes certainement capables d’en faire beaucoup plus encore.
Quels sont, dès lors, les défis que mon pays, notre région et l’Europe doivent relever? Les réponses à cette question sont interdépendantes, mais tout à fait claires.
Le premier défi est notre mise en conformité avec les normes de l’Union européenne, afin que la Serbie et ses voisins puissent adhérer à l’Union le plus rapidement possible. Le deuxième défi, sur lequel je reviendrai assez longuement est le processus de convalescence de la région, qu’il nous faut poursuivre. Le troisième défi est la nécessité d’examiner avec attention les menaces qui pèsent actuellement sur nos démocraties et les mesures à prendre ensemble pour éviter toute dérive.
Notre objectif stratégique, Mesdames et Messieurs, est d’adhérer à l’Union européenne. Je suis personnellement convaincu que mon pays est sur la bonne voie. D’ici quelques jours, le Premier ministre de la Serbie répondra au questionnaire de la Commission européenne. Ensuite, nous espérons vraiment faire acte de candidature et ouvrir les négociations.
La Serbie, pays test pour les Balkans, considère qu’elle peut apporter une contribution au progrès de toute la région. Toutefois, son développement ne s’est pas fait de façon uniforme. Il existe notamment des divergences sur la façon dont nous nous considérons nous-mêmes et dont nous considérons nos voisins. Certains continuent à raisonner en termes de différences, de désaccords, ou de disparités, qu’ils soient d’ordre politique, économique ou culturel.
Pour notre part, nous voyons les choses différemment. Nous voulons promouvoir l’harmonie dans notre pays, dans notre région et entre cette dernière et l’Union européenne. Ce n’est pas une tâche facile, mais nos objectifs sont clairs et nous sommes pleinement conscients de l’importance de nos engagements. Nous voulons vraiment dépasser le cadre de nos frontières pour créer les conditions d’une adhésion de l’ensemble de la région à l’Union européenne.
Dans ce contexte, permettez-moi de m’exprimer assez longuement sur ce que j’ai appelé «le processus de convalescence», que l’on pourrait également appeler «le processus de réconciliation».
Il est clair que les Balkans ont accompli de nombreux progrès. Les relations que nous entretenons entre nous ont atteint un degré de confiance et de compréhension jamais atteint depuis vingt ans. Y compris sur les sujets les plus difficiles, nous avons su mettre au point des modus operandi inédits.
Il faut comprendre les implications de cette situation. Le moment est venu pour nous, en tant que responsables politiques de la région, de croire en ce nouvel élan de confiance sur lequel nous devons nous appuyer. Il nous faire en sorte, autant que possible, de résoudre nous-mêmes les dernières questions en suspens. Plus nous nous en montrerons capables, plus nous aurons confiance, et moins nous serons dépendants sur le plan psychologique et politique de certains dei ex machina étrangers concernant la protection de nos intérêts individuels.
Notre région doit prendre en main sa destinée. Nous devons nous entraider pour nous doter de capacités propres à résoudre nous-mêmes nos problèmes. Ce sera l’épreuve de vérité. C’est ainsi que nous démontrerons que nous pouvons être des partenaires fiables et utiles dans l’Union européenne.
Je crois que la Serbie a accompli de grands progrès. Pour la Serbie, la réconciliation est une priorité politique parce qu’il s’agit d’un impératif stratégique et moral.
Voilà pourquoi nous continuerons à coopérer sans réserve avec le Tribunal de la Haye et à traquer les deux deniers fugitifs incriminés, y compris Ratko Mladić. Nous les arrêterons et les extraderons comme nous l’avons déjà fait à quarante-quatre reprises au cours des années écoulées.
J’appelle maintenant votre attention, Mesdames, Messieurs, sur l’état de nos relations bilatérales avec la Croatie. Elles se sont améliorées quand bien même nous portons un jugement différent sur les événements du conflit de 1991 à 1995. Mais nous sommes réconfortés par les discours conciliants et les gestes d’apaisement du Président Ivo Josipović et du Premier ministre Jadranka Kosor, avec lesquels j’ai noué des relations de travail intenses. Notre réunion récente à Vukovar a grandement favorisé le processus de réconciliation. De même, le Président Ivo Josipović a participé à ce processus en prononçant au Parlement de la Bosnie un discours dans lequel il a exprimé ses regrets pour les souffrances infligées à la Bosnie par la politique croate menée sous la présidence de Franjo Tudjman.
La reprise des discussions sur le marquage de la frontière après sept ans d’interruption constitue également une étape primordiale. Nous espérons que cela nous permettra de démontrer notre bonne volonté et de faire des percées sur d’autres dossiers, tels que le retour des réfugiés serbes, la question des disparus, la restitution des propriétés ou les pensions.
Ce qui se passe entre la Serbie et la Croatie doit encourager la Bosnie-Herzégovine. Nous sommes partisans de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la Bosnie-Herzégovine. À ce titre, nous voulons contribuer à la mise en place d’un gouvernement qui respecte les droits comme les intérêts des deux entités et des trois nations constitutives de la Bosnie-Herzégovine. Ce sera un test pour la région qui devra prouver sa maturité.
Si les élus de Bosnie-Herzégovine parvenaient à un consensus, éventuellement avec une contribution extérieure, sans que pour autant «l’extérieur» dicte son programme, la région démontrerait que les progrès peuvent être pérennes en Bosnie-Herzégovine.
J’ai tenu à rendre hommage aux victimes de Srebrenica. Mon voyage a suscité un débat enflammé dans mon pays sur les erreurs du passé. Au mois de mars dernier, le Parlement de la Serbie a adopté une déclaration historique sur Srebrenica, condamnant sans la moindre ambiguïté les crimes de guerre. J’ai, pour ma part, exprimé mes plus sincères condoléances et ai présenté mes excuses aux familles des victimes musulmanes bosniaques.
Notre position est tout aussi claire sur le Kosovo. Nous ne reconnaîtrons pas la déclaration unilatérale d’indépendance de notre province du Kosovo et Métochie. Nous voulons toutefois nouer un dialogue avec Priština. Depuis que la communauté internationale a dit et redit que le dialogue est la seule solution possible, notre porte est ouverte. Nous voulons discuter dans un climat de confiance permettant aux deux parties de mieux comprendre les préoccupations de leur interlocuteur respectif. Plus rapidement nous engagerons nos discussions, plus rapidement nous trouverons une solution globale.
Le dialogue doit permettre une réconciliation historique entre Serbes et Albanais dans toute la région. Ce n’est pas un jeu à somme nulle: il ne peut y avoir d’un côté, les gagnants, de l’autre, les perdants. Je demande donc à toutes les parties de faire preuve d’imagination. Nous devons éviter de créer des obstacles qui entraveront le dialogue. Des forums, tel le vôtre, peuvent contribuer à jeter les bases d’un dialogue sur des questions difficiles. La neutralité du Conseil de l’Europe a été très bénéfique à toutes les communautés de notre région. Je vous invite à continuer à éviter toute action qui pourrait être source de division sur des questions controversées, comme la candidature éventuelle du Kosovo au Conseil de l’Europe.
Aucune de nos nations ne vit dans un seul pays. C’est pourquoi un processus de réconciliation doit s’engager dans chacun d’eux. Bien entendu, chaque pays doit pouvoir marquer sa différence et ses minorités s’exprimer et préserver leur identité. Mais chaque pays et ses minorités doivent être responsables. Le processus d’élargissement européen devrait marquer et consolider ce principe fondamental.
La Serbie a créé 19 conseils nationaux des minorités. Ils ont été élus au suffrage direct en 2010. Ce ne sont pas de simples entités destinées à être consultées, elles ont des pouvoirs exécutifs dans de nombreux domaines touchant à la préservation de l’identité des minorités, que nous voulons toutes inclure. Je suis très fier de nos efforts destinés à inclure les Roms, l’une des minorités les plus vulnérables d’Europe.
Mesdames, Messieurs, nos sociétés démocratiques sont gravement menacées par la criminalité organisée, menace aussi mortelle que le cancer l’est pour nos corps. À l’heure de la mondialisation, nous constatons une évolution qualitative et quantitative de ces sociétés criminelles qui cherchent à manipuler les libertés qu’offrent nos sociétés démocratiques. La sophistication et l’ampleur de ces réseaux criminels ne laissent pas d’inquiéter, d’autant qu’ils s’adaptent aux changements de manière étonnante.
Ces sociétés criminelles ne veulent pas vivre en marge ou en parallèle de la société légale. Bien au contraire, elles cherchent à prendre le pouvoir, elles recrutent pour ce faire dans les milieux officiels, elles détournent la politique de son objet, elles corrompent l’économie, elles appauvrissent les citoyens honnêtes. Ce sont elles qui droguent notre jeunesse, détruisent les vies d’un nombre considérable de jeunes femmes, volent les organes humains. La criminalité organisée pervertit notre société. Le phénomène est constaté à l’échelle mondiale et commence à toucher l’Europe.
Pour contaminer l’ensemble du continent, la criminalité organisée essaye d’utiliser notre région comme point d’entrée. À moins que nous luttions ensemble contre cette menace terrible, mon pays verra ses aspirations menacées. Voilà pourquoi je vous demande de travailler avec nous pour éradiquer ce fléau.
Dans notre région, nous devons nouer une alliance stratégique contre la criminalité organisée. J’espère que tous les pays des Balkans occidentaux feront de cette lutte une priorité, car nous le devons à nos citoyens, à nos voisins au sein de l’Union européenne et aux générations futures.
La Serbie fera tout ce qui est en son pouvoir. Nous maintiendrons le cap jusqu’à ce que nous triomphions de la criminalité organisée. Les services de sécurité de mon pays ont deux grands objectifs: débusquer Ratko Mladić et triompher de la criminalité organisée.
À cette fin, nous coopérons avec un grand nombre de pays, souvent avec grand succès.
C’est dans cet esprit que j’ai pris note du rapport que vous avez approuvé hier sur un sujet très préoccupant: l’enquête sur les allégations de traitement inhumain et de trafic illicite d’organes humains au Kosovo. Mon pays et moi-même partageons les conclusions de votre rapport sur ces crimes abominables qui ne peuvent qu’épouvanter tous ceux qui ont adhéré aux principes et valeurs du Conseil de l’Europe. Et ces crimes justifient les préoccupations dont je faisais état il y a un instant.
Permettez-moi de rappeler ici la gravité des crimes que vous avez dénoncés dans votre rapport et la résolution que vous avez adoptée. Vous indiquez qu’à partir de 1998, des chefs de l’armée de libération du Kosovo ont créé un puissant syndicat criminel qui s’occupait de trafic de drogue, d’armes et de traite des êtres humains. Ce groupe était connu sous le nom de «Groupe de Drenica». Le rapport précise que ses leaders sont les principaux responsables du sort de plusieurs centaines de Serbes et d’Albanais kidnappés par l’UÇK, que les victimes de rapt ont été enfermées dans des camps de détention secrets dans la proche Albanie où nombre d’entre elles furent abattues. Pire encore, le rapport affirme que l’on pratiquait des interventions chirurgicales sur les victimes serbes, tout particulièrement, afin de prélever leurs organes destinés à être vendus sur le marché noir international.
Il faut absolument éviter que ces allégations sur ces crimes absolument épouvantables soient occultées. Les auteurs doivent rendre des comptes. Il faut traduire en justice ceux qui ont financé ces crimes et ceux qui les ont commis au plan local. Je remercie l’Assemblée parlementaire d’avoir engagé une première démarche permettant de faire toute la lumière sur ce qui s’est passé dans ces camps de détention secrets de l’armée de libération du Kosovo. En tant que Président de la Serbie, je lance un appel pour qu’une enquête complète et indépendante soit conduite sur ces questions, par une équipe disposant d’un mandat international et responsable au plan international. Il faudra notamment pour cela mettre en place sans retard un programme efficace de protection des témoins.
Aucune institution ne peut aujourd’hui prétendre disposer d’un mandat ou de compétences lui permettant de mener une enquête aussi vaste. Votre résolution le rappelait. Ceux qui mèneront l’enquête devront être responsables devant une autorité unique. La désignation et la mise en place d’une telle autorité ne doit souffrir aucun retard. On a pu mettre en place des structures similaires dans le passé, on peut certainement le refaire aujourd’hui.
Si cela n’était pas fait, de nombreux Serbes pourraient croire qu’il existe deux règles: une règle pour les Serbes, une règle pour les autres. Si certaines affaires étaient classées plutôt que jugées selon l’identité des victimes et de leurs familles, cela pourrait laisser croire qu’on légitime le «deux poids, deux mesures» et certaines activités criminelles.
Mesdames et Messieurs, c’est à dessein que j’ai conclu sur un avertissement, car nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers. Les atrocités commises en temps de guerre, ou juste dans l’après-guerre, et la criminalité organisée peuvent saper les fondements de nos démocraties et menacer l’existence de nos enfants. Je ne vous en ai donné qu’un exemple. Hélas, je pourrais en citer bien d’autres. On ne peut se contenter de confier l’examen de telles questions à quelque comité technique. Si nous abordons la question avec passion et sans crainte, nous triompherons. Sinon, dans quelques année nous pourrons, torturés par le remords, nous dire, ici même: «Si seulement, nous avions fait quelque chose!».
Dans notre entourage, nous connaissons tous des victimes, des personnes qui ont subi des crimes. Mais je suis convaincu que nous avons aujourd’hui la possibilité de cohabiter dans un monde caractérisé par la concorde, la sécurité et la prospérité. Soyons à la hauteur des circonstances et accomplissons avec succès la mission historique qui est la nôtre.
Merci de votre attention.
LE PRÉSIDENT (interprétation)
Monsieur Tadić, je vous remercie de ce discours qui a vivement intéressé les membres de notre Assemblée. Un nombre important de collègues ont déjà exprimé le souhait de poser une question. Je leur rappelle que les questions doivent avoir un caractère vraiment interrogatif et ne pas dépasser 30 secondes.
Je donne la parole à M. Kühnel, pour poser une question au nom du Groupe du Parti populaire européen.
M. KÜHNEL (Autriche) (interprétation)
Monsieur le Président, je me permettrai d’intervenir un peu plus de 30 secondes, car je voudrais remercier de tout cœur le Président Tadić d’être venu nous voir malgré sa blessure. Il fait ainsi preuve d’une grande autodiscipline. Je le remercie également de son discours très complet et plein d’espoir.
Monsieur le Président, vous avez le mérite d’avoir œuvré à la réconciliation dans les Balkans, d’une part, par la coopération avec le Président croate, M. Josipović, d’autre part, par vos visites à Vukovar et Srebrenica. Ce sont des gestes qui ont eu une force symbolique importante.
J’en viens à mes questions.
Premièrement, quand les négociations avec Priština seront-elles engagées? Elles ont déjà été annoncées l’an dernier.
Deuxièmement, quelles mesures concrètes envisagez-vous pour que le quotidien entre Kosovo et Serbie soit plus facile?
Troisièmement…
LE PRÉSIDENT (interprétation)
Monsieur, je vous remercie. Beaucoup de collègues souhaitent aussi prendre la parole, et vous parlez déjà depuis plus d’une minute.
Monsieur le Président, vous avez la parole pour répondre.
M. Tadić, Président de la Serbie (interprétation)
Je m’exprimerai dans ma langue.
LE PRÉSIDENT (interprétation)
Je vous en prie.
M. Tadić, Président de la Serbie (interprétation)
La Serbie est prête à ouvrir le dialogue avec Pristina, ce dont Mme Ashton a été informée. Depuis des mois, nous attendons d’ailleurs que des pourparlers s’engagent: eux seuls ils permettront de rapprocher les différentes ethnies de la région. Nous avons fait preuve de patience mais il est temps désormais de trouver des solutions concrètes au différend qui oppose les Serbes et les Albanais. Le dialogue est la seule et unique voie, dans la perspective de notre intégration au sein de l’Union européenne.
M. GROSS (Suisse) (interprétation)
Monsieur le Président, la Serbie reste divisée, comme bien d’autres pays de la région. Quelles mesures comptez-vous prendre pour dépasser les clivages internes? Par ailleurs, avez-vous l’intention de soutenir la Commission régionale visant à établir la vérité sur les crimes de guerre commis en ex-Yougoslavie?
M. Tadić, Président de la Serbie (interprétation)
La Serbie soutient déjà la RECOM, et de manière concrète. Les activités des ONG sont essentielles au processus de réconciliation, qui exige la poursuite de tous les criminels de guerre et dont dépend le développement des pays de la région. Les tensions intérieures dans nos Etats restent grandes. Au cours des trois dernières années, la Serbie a tenté de les apaiser en réformant les partis politiques et en mobilisant l’ensemble des acteurs autour d’un objectif commun. Nous sommes fiers de la politique de réconciliation que nous avons menée. Elle était prioritaire.
Aujourd’hui, les questions économiques suscitent toujours des tensions, le processus d’intégration européenne constituant un enjeu majeur. La cohésion interne, sociale et économique est un préalable à la démocratie. Elle passe avant tout par la protection des minorités, même si le pluralisme politique est aussi essentiel.
En ce qui concerne la protection des minorités, la Serbie est parvenue à des avancées juridiques dont je suis très fier. Il existe aujourd’hui dans notre pays des conseils des minorités, directement élus et qui possèdent des pouvoirs exécutifs dans les domaines de l’éducation et de l’identité culturelle. Nous sommes réellement à la pointe s’agissant de la protection des minorités. Notre cohésion interne est essentielle car c’est par elle que passe le processus de réconciliation.
Earl of DUNDEE (Royaume-Uni) (interprétation)
Monsieur le Président, vous avez pris des initiatives constructives avec votre homologue croate. Quels progrès a-t-on enregistrés dans le retour des réfugiés, l’identification des disparus et la restitution des biens de propriété?
Par ailleurs, que peut faire la Serbie pour faciliter le processus de réforme constitutionnelle en Bosnie?
M. Tadić, Président de la Serbie (interprétation)
En ce qui concerne la Bosnie, nous souhaitons que le processus engagé avec les Accords de Dayton continue de porter ses fruits. Aux termes de ces accords, nous serons investis de certaines responsabilités s’agissant du maintien de la paix et de la stabilité dans le pays. Les droits des trois communautés qui constituent la Bosnie-Herzégovine, les Serbes, les Croates et les Musulmans, doivent être garantis. En tant que Président de Serbie, j’ai en outre l’obligation de faire respecter l’intégrité territoriale du pays. Les représentants des différentes entités et communautés de la Bosnie doivent trouver en interne une solution à leurs problèmes. C’est à eux de prendre en main leur destinée.
Les pays des Balkans occidentaux sont étroitement liés. Les facteurs d’instabilité chez l’un ont des répercussions chez l’autre. Cela nous impose de grandes responsabilités, et en particulier le respect de certains principes essentiels, tels que la souveraineté, l’intégrité territoriale et la prééminence du droit constitutionnel interne à chaque pays. La Serbie est prête à jouer le rôle que l’on attend d’elle. Nous souhaitons favoriser le dialogue politique en Bosnie-Herzégovine et entretenir des relations de bon voisinage avec elle. D’ailleurs, nous coopérons régulièrement sur des questions qui touchent au quotidien de nos populations, comme l’approvisionnement en gaz. Néanmoins, nous refusons de nous immiscer dans les affaires de ce pays, comme ce fut le cas à l’époque de Slobodan Milošević. Ce passé-là est définitivement révolu.
Mme BECK (Allemagne) (interprétation)
Je veux exprimer mon respect et mes remerciements à M. le Président de la Serbie pour tous ses efforts en matière de réconciliation.
Nous avons parlé aujourd’hui du droit et des normes qui doivent être respectées pour accomplir la réconciliation, mais pourquoi, pendant toutes ces années, n’a-t-on pu trouver Ratko Mladić et l’autre personne qui est toujours en fuite?
M. Tadić, Président de la Serbie (interprétation)
Des citoyens serbes ont été traînés devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, notamment l’ancien Président de la République de Serbie. Différents procès se sont tenus. Reste encore le cas de deux inculpés dont on ne peut dire qu’ils vivent vraiment en liberté: ce sont des fugitifs qui se cachent de la justice, et je ne pense pas qu’ils vivent dans de bonnes conditions. Il est cependant vrai qu’ils n’ont, pour l’instant, pas pu être repérés par les autorités serbes.
Soyez assurés que nous ferons de notre mieux pour arrêter Hadžić et Mladić, même lorsque le Tribunal pénal international n’existera plus. Notre législation nationale l’impose. C’est une obligation juridique et morale, en même temps qu’une décision politique. L’arrestation de ces deux criminels de guerre est véritablement une condition sine qua non de la réconciliation. Je parle de leur arrestation mais, bien entendu, il faut que des investigations soient menées sur tous les crimes nouvellement révélés. C’est la seule façon de réintroduire de véritables valeurs démocratiques, de respecter les droits de l’homme, les droits individuels, le droit des communautés dans les différentes régions de l’ex-Yougoslavie. Ainsi, nous pourrons poursuivre notre intégration politique vers l’Union européenne, car c’est là notre objectif commun.
Pourquoi n’avons-nous pas pu arrêter ces deux fugitifs? On ne sait s’ils se trouvent sur le territoire serbe. Si vous me demandez si je souhaiterais, en tant que Président serbe, qu’ils fussent sur notre territoire, je vous répondrai «oui». Ce serait pour nous la seule possibilité d’essayer de les arrêter en utilisant nos propres ressources et nous pourrions ainsi les extrader et les traîner devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.
S’ils ne sont pas sur le territoire serbe, il nous est beaucoup plus difficile d’essayer de les débusquer. Notre intention est de mener à bien ce processus; c’est – je le répète – une obligation juridique et morale. Une fois que cette procédure sera couronnée de succès, nous aurons contribué à l’établissement de l’Etat de droit en Serbie. Il y a beaucoup de fugitifs qui n’ont pas été trouvés; je ne mentionnerai pas les plus connus. Certains ont été arrêtés. La Serbie n’est pas le seul pays à devoir relever ce défi. Bien entendu, si ces personnes sont sur le territoire serbe, elles seront arrêtées et, au quotidien, nous continuerons nos efforts pour y parvenir. J’espère que nous y parviendrons très rapidement.
M. KOX (Pays-Bas) (interprétation)
Merci beaucoup, Monsieur le Président, pour votre allocution courageuse et pleine d’inspiration, que j’ai beaucoup appréciée. Vous avez dit tout à l’heure que la Bosnie-Herzégovine devait montrer sa maturité, mais peut-être pourrait-elle compter sur ses amis. Comment pourriez-vous aider vos amis dans l’entité serbe? Comment faire pour parvenir, en Bosnie, au consensus à propos des institutions étatiques et de la loi électorale? La Cour européenne des droits de l’homme l’exige. Si la Bosnie n’y parvient pas, elle aura de gros problèmes pour rester un membre mûr de cette Assemblée. Alors comment pourriez-vous, sur ce front, aider vos amis dans l’entité serbe?
M. Tadić, Président de la Serbie (interprétation)
Je dirai aux leaders de l’entité serbe qu’ils devraient s’employer à trouver sous peu une solution conforme aux actes internationaux applicables. Il faut évidemment que cela soit conforme à l’ordre interne de la Bosnie-Herzégovine; il n’y a pas de problème là-dessus. Sur les autres fronts, sur les autres questions, ce sont les dirigeants des entités qui devraient trouver les solutions. Nous voulons bien – comment dire? – faire le minimum pour atteindre l’objectif final, mais n’oublions pas que les acteurs principaux sont les acteurs des deux entités en question. Ce ne sont pas le Président croate et le Président serbe qui pourraient trouver la solution.
M. FOURNIER (France)
La stabilité qui caractérise depuis quelques années, Monsieur le Président, la vie politique de votre pays, la recherche de solutions à l’épineux problème kosovar, la décentralisation que vous avez su mener à bien ont conduit la Commission européenne à saluer vos efforts dans son dernier rapport d’étape. Je note cependant que des progrès demeurent à accomplir en matière de lutte contre la corruption, de réforme de votre système judiciaire et de prévention de la torture, des mauvais traitements et de l’impunité.
J’entends donc connaître, Monsieur le Président, les intentions de votre pays dans ces trois domaines.
M. Tadić, Président de la Serbie (interprétation)
La réforme des instances judiciaires est une question-clé dans tous les Balkans. Réformer la justice, cela permet de jeter les fondements de la prééminence du droit. Nous y attachons un grand prix, et nous espérons que nos voisins feront également tout le nécessaire en la matière. La réforme de la justice dans les Balkans, c’est effectivement un élément essentiel pour nous rapprocher de l’Union européenne. Nous sommes, dirai-je, à mi-parcours de notre processus de rapprochement.
Nous essayons de mettre en œuvre des solutions que nous proposons aussi aux autres pays. Il s’agit de créer de nouveaux systèmes, chez nous, chez eux. Il serait bon, évidemment, d’avoir des systèmes garantissant une interopérabilité et, qui permettent vraiment que le droit s’impose partout dans la région. C’est une condition sine qua non d’une lutte efficace – je le disais tout à l’heure – contre la criminalité organisée. N’oublions pas non plus tout ce qui relève de la lutte contre la corruption et le crime économique. Nous devons aussi vraiment harmoniser notre développement économique et culturel. Ici même, hier, vous avez beaucoup parlé de la justice et de la nécessité d’enquêtes crédibles. Vous savez très bien que rien n’est jamais acquis, que rien n’est jamais achevé.
Cela vaut pour notre région, cela vaut pour plusieurs entités, et nous espérons pouvoir avancer pour accomplir notre mission et atteindre nos objectifs.
Mme LAVTIŽAR-BEBLER (Slovénie) (interprétation)
Monsieur le Président, nous vous félicitons évidemment pour les progrès réalisés dans la voie du rapprochement avec l’Union européenne et nous espérons que vous aurez un avis positif de la Commission européenne; nous vous aiderons.
Nous espérons que l’on pourra bientôt clore le chapitre de la coopération avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et que l’on pourra aller de l’avant en ce qui concerne le renforcement de l’Etat de droit, la qualité de la législation, la lutte contre la corruption, le financement des partis politiques et des campagnes électorales, la réforme de l’administration et des prisons.
Quelles sont vos chances d’aboutir? Quel est le délai nécessaire pour ces réformes?
M. Tadić, Président de la Serbie (interprétation)
Je pense que d’ici l’été, nous aurons achevé la réforme de la justice. Pour moi, il s’agit d’un chapitre d’une importance primordiale, dans la perspective de notre rapprochement avec l’Union européenne. Cela nous permettra de lutter ensemble contre la criminalité et la corruption. Pour moi, la justice, c’est vraiment l’essentiel. Aujourd’hui, il est vrai que la réforme se heurte à certains obstacles. C’est un domaine sensible. Aussi est-il compréhensible qu’il y ait quelques difficultés. Tant que ce processus ne sera pas achevé, on ne pourra pas progresser avec l’Union européenne. Nous ne ménagerons donc aucun effort pour aboutir.
En ce qui concerne l’administration publique, nous avons là aussi déjà franchi quelques étapes importantes, mais il faut faire davantage. Nous devons être plus efficaces, nous devons avoir un meilleur rendement au quotidien.
Nous avons mis en place un programme triennal. Nous avons trouvé un accord avec le FMI pour renforcer l’efficacité de notre administration. Cela passe par un certain dégraissage mais aussi par une capacité accrue à attirer dans notre administration publique de nouveaux talents et des gens d’expérience, bref des personnes capables de mettre en œuvre des réformes. Ceux qui resteront dans l’administration publique doivent pouvoir bénéficier de formations, de manière à ce qu’ils sachent opérer dans de nouveaux contextes européens.
Nous voulons progresser sur la voie de l’intégration. Il faut que vous sachiez que la Serbie dispose d’une administration solide. Les différentes réformes pourront être mises en œuvre dans un délai raisonnable, d’ici deux ou trois ans. Mais ce qui est le plus important, c’est que nos réformes se traduisent vraiment sur le terrain.
Nous essayons aussi de maîtriser nos finances. Nous connaissons un déficit qui, cette année devrait tourner autour de 4,1 %. Nous prévoyons de le réduire entre 2 et 3 %. Nous étions bien au-delà il y a peu de temps! Mais les résultats sont encourageants. Je viens de prendre connaissance des nouveaux chiffres, ils sont bons.
Dans les mois qui viennent, nous allons aussi prendre des mesures pour renforcer l’activité, notamment de l’administration. Encore une fois, beaucoup dépendra aussi du succès dans la lutte contre la corruption. Nous ne pourrons pas entrer dans l’Union européenne si nous ne sommes pas efficaces dans la lutte contre la corruption et la criminalité organisée. Nous voulons éradiquer ces fléaux de Serbie.
M. VAREIKIS (Lituanie) (interprétation)
Monsieur le Président, vous avez parlé des minorités nationales qui vivent dans votre pays. Mais comment les choses se passent-elles avec les communautés serbes qui vivent au Monténégro, en Croatie et, dans les pays voisins. Comment cette existence de minorités se reflète-t-elle sur vos relations bilatérales avec ces pays? Etes-vous satisfaits de vos relations avec eux?
M. Tadić, Président de la Serbie (interprétation)
Bien entendu, tout peut toujours être amélioré en matière de protection des minorités nationales. Cela vaut pour la Serbie comme pour tous les pays européens. C’est certainement une des pièces maîtresses de notre politique. Pour ce qui est des populations serbes dans d’autres pays, il y a encore des problèmes à régler. S’agissant par exemple des Serbes qui vivent en Croatie, il faut régler le problème des droits de propriété de ces personnes. Néanmoins, des progrès ont déjà été réalisés.
Cela vaut aussi pour la Slovénie, où vivent, près de 40 000 Serbes. Ces problèmes ont été résolus en coopération avec le Gouvernement slovène.
En Bosnie-Herzégovine, cela fait près de 20 ans que l’on s’occupe de ces questions. Il faut savoir que beaucoup de Serbes sont partis pendant ou après la guerre. Et puis, il y a eu des épurations ethniques. Des Croates et des Serbes ont quitté leur foyer. Leur retour, aujourd’hui, s’avère extrêmement difficile.
Des améliorations sont toutefois constatées dans les relations avec les minorités nationales. Pour ce qui me concerne, je ne suis pas un Serbe de Serbie. Je suis né en Bosnie-Herzégovine, mon père vient du Monténégro, ma mère est bosnienne, ma grand-mère est croate. Ce sont tous des Serbes. Seuls mes enfants sont des Serbes nés en Serbie. C’est la situation de beaucoup de Serbes, de Croates, de Bosniens, de Monténégrins qui vivent dans la région des Balkans occidentaux. C’est véritablement notre spécificité. En tant que politiques, nous avons donc beaucoup de responsabilités à assumer dans la région.
LE PRÉSIDENT (interprétation)
Mes chers collègues, il nous faut maintenant conclure les questions à M. Tadić.
Monsieur Tadić, au nom de toute l’Assemblée, je voudrais vous remercier très chaleureusement pour votre allocution et pour vos réponses.
La parole est à M. Gaudi Nagy, pour un rappel au Règlement.
M. GAUDI NAGY (Hongrie) (interprétation)
J’aurais voulu que moi-même ou mon collègue hongrois, ici présent, nous puissions poser une question.
LE PRÉSIDENT (interprétation)
Je suis désolé, mais l’heure a tourné. Nous n’avons pas la possibilité de le faire. Au demeurant, il ne s’agit pas là d’un rappel au Règlement.
La parole est à M. le Président.
M. Tadić, Président de la Serbie (interprétation)
J’espérais que M. le représentant hongrois dirait que nous avons beaucoup fait pour la minorité hongroise en Serbie à travers la loi sur la protection des minorités. Sachez que nous poursuivrons nos efforts. Nous ferons tout ce que nous pouvons dans le cadre de la coopération régionale.
J’ai beaucoup parlé de coopération au sein des Balkans occidentaux, mais sachez que nous avons d’excellentes relations de travail avec les pays qui sont déjà dans l’Union européenne, la Slovénie, l’Autriche, la Roumanie, la Hongrie. Certes, il y a des questions en suspens. Nous devons résoudre les problèmes qui demeurent, mais nous voulons le faire ensemble.
Je vous remercie pour votre attention. Je suis disposé à revenir à tout moment. C’est vrai que j’ai un petit problème avec ma jambe, actuellement. Mais, dès que je serai guéri, je veux bien revenir.
LE PRÉSIDENT (interprétation)
Nous espérons que vous guérirez très vite, Monsieur le Président.