Lech

Wałęsa

Président de la Pologne

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 4 février 1992

Mesdames, Messieurs, j’ai souvent entendu qu’il n’existe qu’une Europe. J’ai regardé par la fenêtre de l’avion. En effet, il n’est qu’une Europe. Mesdames, Messieurs, tout récemment encore j’avais une telle impression. Aujourd’hui, je dois le constater avec regret, cette vision d’une seule Europe a fort pâli. Et pourtant elle était belle et sage. Plantée dans l’Histoire. Dressée, ayant en vue l’avenir.

La réalité s’est joué de ceux qui estimaient que le renversement du communisme rapprocherait le monde de l’Est du monde occidental, qu’il en ferait une unité. L’Europe se divise. Il est vrai que le mur de Berlin a disparu. Il est vrai que le communisme s’est effondré. Il est vrai que le rideau de fer n’existe plus. Il n’y a plus de partage politique. Les pays de l’Europe centrale et orientale se sont joints et se joignent aux Etats démocratiques. Mais nous sommes toujours loin de l’unité. Le niveau économique des Etats divise l’Europe d’une façon très nette et déterminante. Il y a des pays riches et des pays pauvres. Nous, citoyens de cette Europe plus pauvre, nous avons l’impression que l’Europe riche, abondante, se ferme devant nous. Qu’elle devient un club exclusif pour les riches. La Pologne, se trouvant dans des tenailles entre l’Occident aux yeux fixés sur lui-même et l’Etat soviétique en transformation, a devant elle une période sans amis. Il ne s’agit pas d’ailleurs seulement de la Pologne, mais aussi de nos voisins, du Sud et de l’Est.

La Pologne s’est toujours trouvée en Europe, par sa culture et par sa civilisation. A présent, après la révolution pacifique, elle s’y est jointe politiquement. Son expérience a entraîné les autres pays de la partie centrale et orientale de notre continent. En parlant de façon imagée, on pourrait dire que la Tchécoslovaquie, la Hongrie, l’Union Soviétique et les autres pays ont traduit le scénario de la voie polonaise vers la liberté. Ils l’ont adopté. Ils le réalisent dans la mesure de leurs forces, de leurs possibilités et de leurs aspirations. Dans les Etats de l’Europe orientale, la liberté et la démocratie deviennent le quotidien, deviennent une norme.

Nous avons, en Pologne, un parlement élu démocratiquement. Les droits civiques et les droits des minorités nationales sont respectés. Nous établissons des contacts toujours meilleurs avec tous nos voisins. La Pologne, la Tchécoslovaquie et la Hongrie sont liées par un traité de coopération. Nous avons prouvé que nous savons agir en commun, rompre avec les stéréotypes et les préjugés. Avec l’Allemagne, nous avons ratifié un traité bilatéral. Nous négocions des traités semblables avec les pays de la Communauté des Etats indépendants.

La liberté et la démocratie sont de belles idées dans les pays où les traditions de la démocratie sont anciennes et solides. Je suis persuadé que rien ne peut les menacer, et rien ne les menacera. En revanche, les jeunes démocraties ne sont pas si sûres. Elles ont peur pour leur destin. Elles ont connu et elles connaissent trop de menaces, internes et externes. Il y a des années que le Conseil de l’Europe avait prévu le développement des événements en Europe. Nous comptons toujours sur sa perspicacité, sur sa prévoyance et sur sa sagesse.

Mesdames, Messieurs, la paix et la prospérité se fondent sur le bien-être. Cette vérité est plus ancienne que notre vieux continent. L’acquisition de la démocratie doit être suivie par le développement, par la prospérité économique. Seul, un homme repu et sain se sent en sécurité. Libre, démocratique, la Pologne vit une crise économique difficile et spécifique. Il nous faut tout reconstruire, parfois d’une façon tout à fait différente, transformer l’économie communiste planifiée en marché libre. C’est comme le détournement du cours d’un fleuve; c’est difficile.

Nous comptions sur l’Occident, sur votre intérêt, sur un large afflux du grand capital. Nous comptions sur le capital investisseur, aidant nos entreprises à moderniser leur production. Nous connaissons vos exigences. Nous les acceptons. Mais les profits doivent être réciproques. Pour vous, le business; pour nous, le développement. Notre pays est reconnaissant pour l’amortissement d’une partie de nos dettes. Mais il nous reste encore beaucoup à rembourser. Cela exige de maintenir un haut niveau d’impôts et c’est un lourd fardeau pour notre société. Il bloque les mécanismes du développement de notre économie.

Nous sommes au seuil de la deuxième étape de transformation de notre économie. Notre objectif, c’est une économie de marché libre. Après avoir maîtrisé l’inflation et affermi la monnaie, la tâche la plus importante qui nous attend, c’est la lutte contre la récession. Elle demande de grandes privations de la part de la société ainsi qu’un engagement actif des moyens financiers de l’Etat. Cette étape, bien plus que la première, exige une aide des pays de l’Ouest.

Mesdames, Messieurs, l’Europe entrouvre sa porte, mais le seuil est haut. A Maastricht, la barre a été levée encore plus haut. Pour nos pays, pour les jeunes démocraties naissantes, le commerce avec les pays du riche Occident est la meilleure voie pour élever le niveau de vie. L’Occident, cependant, s’ouvre à nous avec précaution. Jalousement, il défend à nos marchandises d’avoir accès sur son marché. C’est une mauvaise démarche. Le marché de la Pologne, le marché d’un pays de quarante millions d’habitants, élargi par nos voisins, est ouvert à vos produits. Nous en importons des quantités vraiment importantes. Vous gagnez. Est-ce juste? Est-ce du partenariat? Est-ce d’une telle vision de l’Europe qu’il s’agit?

Nous avons nos atouts: des travailleurs qualifiés, une société instruite, beaucoup de personnes pragmatiques et laborieuses.

Deux années viennent de s’écouler. Essayons de faire l’évaluation de notre collaboration. L’afflux en Pologne du capital investisseur reste toujours réduit. L’Occident devait nous aider à nous organiser suivant de nouveaux principes, mais il s’est limité principalement à drainer notre marché. Une vague de vos produits envahi nos magasins. C’est à vous que la révolution polonaise a permis de faire des affaires. Nous, nous étions bons comme instrument pour faire éclater le vieux système qui menaçait l’Europe. Et, aujourd’hui, avons-nous perdu votre sympathie?

J’estime que l’Europe occidentale doit – dans son propre intérêt aussi – soutenir les pays de notre région. Vous devez comprendre que votre ouverture à l’Europe de l’Est contribuera à l’accroissement du potentiel économique de notre continent, que la prospérité de nos pays renforcera la démocratie nouvellement conquise. Pourquoi tant parler de ces questions justement ici, sur le forum du Conseil de l’Europe? C’est parce que je me trouve au cœur de l’Europe démocratique, parce que c’est justement ici que je peux compter sur votre compréhension d’une vérité évidente: la démocratie sans prospérité aura une vie douteuse, difficile, très difficile.

Dans le cas contraire, les citoyens des pays orientaux ne comprendront pas pourquoi ils ont lutté pour elle. La démocratie n’est pas un but en soi. C’est un moyen menant à une vie meilleure, plus sûre, plus abondante.

Mais, aujourd’hui, notre société ne sent pas qu’elle vit mieux. Les fruits de la victoire ont été amers. On entend déjà des voix dire: «A quoi cela nous a-t-il servi?» La démocratie perd ses adeptes. Certains conseillent de revenir aux pouvoirs autoritaires.

Mesdames, Messieurs, nous sommes témoins des événements, qui sont un coup de semonce. La vision de l’Europe tranquille se défait. La Yougoslavie en est l’exemple. Pendant que l’Ouest s’intègre, l’Est se divise. Des nationalismes agressifs prennent la parole, même des chauvinismes. Vu notre expérience historique, nous savons ce que nous devons craindre. Nous sommes au centre, et la Pologne peut de nouveau se trouver en «première ligne». Nous le craignons. Nous désirons la paix. La liberté n’est pas accompagnée par le bien-être longtemps attendu. Les conflits peuvent détruire les nouvelles démocraties. L’Europe rassasiée peut être surprise par la déstabilisation. Il faut voir cette menace.

Certains l’aperçoivent déjà. La diplomatie occidentale fait des démarches pour neutraliser les forces nucléaires de l’ancienne Union Soviétique. Contre l’aide alimentaire, elle attend le désarmement militaire. Ainsi, les pays qui possèdent des ogives nucléaires peuvent forcer l’obtention d’une assistance économique venant de l’Occident, en recourant à la menace nucléaire. Mais de tels arguments, tous les pays de l’ancien bloc soviétique ne les possèdent pas. La Pologne ne les a pas.

C’est la révolution polonaise qui est parvenue à franchir les murs du Kremlin. Nous avons défait le communisme. Nous avons libéré le monde occidental de la menace du totalitarisme soviétique. En velours, en gants blancs, sans effusion de sang. Nous risquions beaucoup. Aujourd’hui, une tâche difficile nous attend, celle de construire un nouveau système.

Nous travaillons. Nous entreprenons un effort énorme. Mais, seuls, nous y arriverons avec difficulté. Nous avons besoin de votre aide.

Nos intérêts sont communs. Coopérons. Notre prospérité rendra vos lendemains plus sûrs. Nos difficultés peuvent s’avérer néfastes pour l’Europe tout entière.

Mesdames, Messieurs, le Conseil de l’Europe est une grande acquisition de nos nations. Il est pour nous le gardien de la démocratie, de la liberté et des droits de l’homme. Il joue le rôle de la conscience de notre continent. Il témoigne toujours qu’il n’existe qu’une vérité. La même pour l’Est et pour l’Ouest.

Surmontons les limitations qui nous divisent. Europe, je fais appel à ton imagination! Notre succès garantit la sûreté de lendemains communs à l’Ouest et à l’Est de l’Europe, au nom duquel je me permets de parler ici.

Nos difficultés peuvent nous menacer tous. Et cela, nos fils ne nous le pardonneraient pas. (Applaudissements)

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci beaucoup, Monsieur le Président, pour votre discours à l’Assemblée, à la fois réconfortant et riche en sujets de réflexions et de préoccupations. Vous avez aimablement accepté de répondre à des questions spontanées des membres de l’Assemblée. Vous ne l’auriez peut-être pas fait si vous aviez su que j’ai déjà une liste de quinze membres qui souhaitent vous interroger.

En raison de la longueur de cette liste, il n’y aura pas de questions supplémentaires et, conformément au Règlement, j’interromprai les questions qui dépasseront trente secondes. La première question est posée par M. Scovacricchi, d’Italie.

M. SCOVACRICCHI (Italie) (traduction)

Je vous remercie, Monsieur le Président. Monsieur Walesa, votre intervention est une dénonciation et un diagnostic que je partage, que j’ai toujours partagés, car nous sommes tous conscients de la contribution de la Pologne à la démocratie européenne. Nous nous inclinons devant les sacrifices de la Pologne, cette Pologne chrétienne et démocratique qui a payé pour tous.

Toutefois, votre exposé marque une préoccupation qui, pour moi qui ai beaucoup voyagé dans les pays de l’Est, y compris la Pologne, reflète l’inquiétude que j’ai ressentie chez tous les gens qui protestent, qui prétendent que ce n’est pas là la démocratie, car la démocratie va de pair avec le bien-être. Ils disent que les choses allaient mieux lorsque tout était au pis, mais ce sont là des propos que j’ai déjà entendus en 1945 en Italie.

C’est pourquoi je vous demande, Monsieur le Président, si ce mécontentement peut entraîner un retour en arrière et un regain du communisme, du moins partiel, dans l’opinion publique.

M. Wałęsa, Président de la Pologne (interprétation)

répond qu’un retour en arrière lui paraît impossible, en raison même du développement de la liberté, du multipartisme et des progrès techniques. L’homme libre a plusieurs choix, mais le matérialisme n’est pas possible sans matériaux!

M. BUHLER (Allemagne) (traduction)

Monsieur le Président, en janvier, l’hebdomadaire allemand Der Spiegel vous a demandé ce que vous aviez l’intention de faire contre l’afflux de réfugiés en provenance de l’ancienne Union Soviétique. Vous aviez répondu, je cite: «Nous ne retiendrons pas ces personnes, nous ne sommes absolument pas en mesure de le faire. Nous leur ferons une haie d’honneur, puis nous les enverrons chez vous.» Ma question est la suivante: n’y a-t-il pas d’autres moyens de régler ce problème? Je pense par exemple à un effort commun de tous les pays européens pour offrir aux populations des ex-Etats socialistes un avenir. Je vous remercie.

M. Wałęsa, Président de la Pologne (interprétation)

reconnaît qu’il a déclaré que ne pas voir les problèmes tels qu’ils sont conduit à des solutions absurdes. Certains ont dit que la Pologne avait une armée et pouvait en l’occurrence s’en servir. Cela serait oublier que le mur de Berlin s’est effondré. Il n’est pas possible d’arrêter ces populations avec des armes, lorsque l’on sait qu’elles comptent femmes et enfants. On risquerait de faire sauter l’Europe tout entière. La seule solution, comme il l’a souvent dit, c’est la coopération et non pas l’aide. Il ne faut pas donner des poissons mais des cannes à pêche!

M. SPEED (Royaume-Uni) (traduction)

Monsieur le Président, je suis persuadé que vous reconnaissez avec moi la nécessité que nos concitoyens puissent se rendre facilement et rapidement les uns chez les autres. Les procédures d’obtention d’un visa pour un ressortissant britannique désireux de se rendre en Pologne sont bureaucratiques, longues et onéreuses. Il en est de même pour les Polonais qui veulent se rendre au Royaume-Uni. Je suis d’ailleurs certain que beaucoup d’autres pays connaissent les mêmes problèmes. Ne pensez-vous pas qu’il est temps de simplifier les conditions d’obtention de visa afin que nos ressortissants puissent se rendre plus facilement dans les pays voisins?

M. Wałęsa, Président de la Pologne (interprétation)

pourrait être d’accord avec ce principe, s’il s’agissait de coopération au sein d’un monde stabilisé. Mais la Pologne est toujours en révolution, en quête de réformes. L’ouverture sur l’Occident lui a permis d’acheter des marchandises alors qu’il eût été préférable que ces marchandises soient produites en Pologne. En effet, ce pays a des usines et des salariés qui veulent travailler; mais pourquoi produire si l’Occident lui envoie des marchandises qui finalement inondent un marché où les gens sont incapables d’acheter ces produits, trop chers pour eux? L’orateur éprouve les mêmes craintes pour l’ex-Union Soviétique. La seule solution pour elle a été de dissoudre l’union. Elle doit maintenant se regrouper sur de nouvelles bases et l’Occident doit l’aider à le faire sans répéter les erreurs qu’il a commises en Pologne.

M. BAUMEL (France)

Monsieur le Président, dans le nouvel ordre européen, comment envisagez-vous la sécurité de votre indépendance? Pensez-vous que la CSCE ou une éventuelle fédération européenne peut vous être utile ou préférez-vous étendre la garantie d’un OTAN modifié en conséquence?

M. Wałęsa, Président de la Pologne (interprétation)

rappelle qu’il ne s’agit plus aujourd’hui, pour un pays, de se fermer sur lui-même, mais bien de s’ouvrir et d’envisager des solutions communes. Il faut changer les anciennes manières de penser, et des institutions comme l’OTAN doivent également évoluer. En effet, il n’est plus possible de penser en termes de combat.

M. NÛNEZ (Espagne) (interprétation)

souhaiterait savoir dans quel délai la Pologne pourra approuver sa nouvelle Constitution démocratique. Quelle sera la répartition des pouvoirs et instaurera-t-on la séparation de l’Eglise et de l’Etat? Ce dernier problème préoccupe l’orateur.

M. Wałęsa, Président de la Pologne (interprétation)

répond qu’il s’agit non pas de séparation, mais bien de compréhension entre l’Eglise et l’Etat. La Pologne a sa spécificité et l’Eglise ne s’est jamais dressée contre le peuple. Lorsque la Pologne a retrouvé sa liberté, l’Eglise a retrouvé sa place. Mais que faut-il comprendre par Eglise? S’agit-il des monuments? S’agit-il de la hiérarchie? En fait, l’Eglise est la communauté des croyants: toute la Pologne fait partie d’une grande église. Les questions de l’orateur pourraient dès lors s’adresser à la hiérarchie; mais ce serait oublier que la hiérarchie est issue du peuple. Chacun doit trouver sa place pour le bien du pays. L’Eglise ne s’est jamais mêlée de la politique et il n’y a aucun problème de ce côté. Par ailleurs, le pluralisme religieux est admis en Pologne. Toutes les confessions sont sur un pied d’égalité. Il est toutefois évident que la grande majorité du peuple est catholique.

M. TALAY (Turquie) (traduction)

Monsieur le Président, nous savons que la Pologne a réussi à mettre en oeuvre depuis quelques années un programme de privatisation et une économie de marché libre. Votre pays a accompli des progrès importants en matière de développement économique sous votre habile direction. Comment voyez-vous la mise en oeuvre de mesures analogues dans les républiques de l’ancienne Union Soviétique, et la Pologne peut-elle les aider ou leur servir de modèle dans ce domaine?

M. Wałęsa, Président de la Pologne (interprétation)

observe que chacun peut suivre les modèles qui ont réussi ailleurs, mais en choisissant son propre rythme. La Pologne a déjà atteint d’importants objectifs pour sortir d’un système où 70% des orientations étaient décidées à Moscou. Aujourd’hui, le marché soviétique n’existe plus. M. Walesa déclare que, si la Pologne pouvait encore compter sur un débouché de cette ampleur, elle serait une nouvelle Amérique.

M. PAPADOGONAS (Grèce) (traduction)

Monsieur le Président, j’aimerais poser une question analogue sur la privatisation, en particulier celle des entreprises industrielles. Quel est l’état d’avancement des privatisations et quels objectifs principaux ont été atteints selon vous?

M. Wałęsa, Président de la Pologne (interprétation)

déclare que c’est une tâche de très grande ampleur que de sortir de cinquante ans de communisme. Le Gouvernement a entrepris de restituer les immeubles à leurs anciens propriétaires, ce qui a donné des espoirs aux héritiers des familles dont les forêts avaient été expropriées par les derniers rois de Pologne... Quant aux propriétaires du terrain où a été bâti l’immense Palais de la culture soviétique, ils exigent que le domaine soit remis dans son état originel. C’est dire si ces questions sont délicates et exigent des délais, d’autant que la population est très pauvre. M. Walesa rappelle que, si certains secteurs économiques peuvent être ouverts au capital étranger, d’autres doivent rester dans le cadre de l’Etat ou de la nation. Il invite ses interlocuteurs à coopérer davantage, mais il craint qu’ils n’en aient pas tellement envie.

M. BONDEVIK (Norvège) (traduction)

Monsieur le Président, je tiens tout d’abord à exprimer ma sympathie pour les efforts que vous consentez en vue de renforcer la démocratie et le pluralisme en Pologne. Nous savons que votre pays est confronté à d’énormes problèmes économiques et qu’il s’efforce de stabiliser sa monnaie, et nous avons essayé en Occident d’aider la Pologne au moyen de ce que l’on appelle un fonds de stabilisation. J’aimerais avoir votre commentaire sur la manière dont le fonds a fonctionné et savoir s’il a rempli vos attentes. Peut-être pourriez-vous nous dire aussi comment vous voyez le rôle de l’Etat dans le futur régime économique, notamment en matière de protection sociale en Pologne?

M. Wałęsa, Président de la Pologne (interprétation)

précise que la Pologne a suivi le modèle occidental. La stabilité monétaire est désormais acquise et l’inflation a été stoppée, mais le problème de la récession demeure. Tant que durait la lune de miel entre le Gouvernement et la population, lors du retour à la liberté, l’opinion acceptait tous les sacrifices. Il n’en va plus de même aujourd’hui, et les Polonais sont irrités de voir que les investisseurs occidentaux ne profitent pas davantage des opportunités offertes par une population instruite, un parc industriel important et un marché considérable. Le système communiste était comparable à une voiture qui avançait, mais seulement au pas; il s’agit aujourd’hui d’avancer à cent à l’heure et non pas de revenir en arrière. Le Président Walesa reprend sa formule: «Pour vous, le business; pour nous, la production et le développement.»

M. VALLEIX (France)

Monsieur le Président, vous êtes volontiers provocant, parfois agressif. Cela ouvre le dialogue.

Estimez-vous que, dans votre révolution économique actuelle, vous ayez fait des choix clairs pour développer votre économie industrielle et pas seulement agricole? Elle est d’ailleurs encore à dominante agricole.

Au-delà des concours que nous pouvons vous apporter, développez-vous un effort systématique d’information et d’éducation dans lequel le Conseil de l’Europe pourrait vous apporter une aide? Quelle aide désireriez-vous en la matière?

M. Wałęsa, Président de la Pologne (interprétation)

précise que, dans tous les domaines, la rénovation de l’Etat exige un effort de formation tel qu’il dépasse les capacités d’un seul pays. D’autres nations contribuent donc à former des experts économiques et juridiques polonais. Le Président Walesa déplore toutefois que les Occidentaux, qui n’hésitent pas à utiliser les ordinateurs pour prendre des décisions rapides, restent trop timides à l’égard de son pays. Or, un peuple qui vit une révolution ne sait pas être patient. Si les Polonais n’ont pas les moyens d’acheter des Mercedes, pourquoi ne pas les fabriquer chez eux? Tout le monde y trouverait son compte. Le Conseil de l’Europe a un rôle à jouer pour garantir aux investisseurs qu’à long terme ils seront gagnants.

M. GABBUGGIANI (Italie) (traduction)

Monsieur le Président, vous avez dit à plusieurs reprises que l’Europe centrale et orientale se trouve dans une phase délicate du processus de transformation qui affecte la stabilité interne de la zone et de toute l’Europe. Nous connaissons votre engagement, l’engagement politique de la Pologne, mais aussi de la Hongrie et de la Tchécoslovaquie, afin que, dans le cadre international, la stabilité s’instaure dans cette région d’Europe. Je vous demande donc quelles sont les perspectives de coopération avec les pays Baltes et comment vous envisagez les rapports avec l’Allemagne, au vu notamment de la réunification allemande? Merci.

M. Wałęsa, Président de la Pologne (interprétation)

constate que la géographie impose sa logique et que l’Ukraine, l’Allemagne et les pays Baltes seront toujours plus proches de la Pologne que Londres ou Paris. Actuellement, cette coopération n’est pas assez développée, mais elle doit prendre son essor avec des objectifs précis et en partant d’expériences communes. On pourrait songer par exemple à des investissements dans l’industrie lourde. Il est bon d’avoir un voisin riche et puissant qui peut vous aider le cas échéant.

M. FOURRÉ (France)

Monsieur le Président, permettez-moi de revenir sur la question de mon collègue Nûnez concernant la séparation des pouvoirs entre l’Eglise et l’Etat, mais à propos du dossier relatif à la contraception. Selon un sondage récent, 74 % des Polonais interrogés ont répondu «non» à la question suivante: «A votre avis, la position de l’Eglise, qui interdit l’utilisation des méthodes contraceptives autres que naturelles, doit-elle être imposée par une loi?»

Dans le domaine de la planification familiale en Pologne, quelle évolution vous semble possible?

M. Wałęsa, Président de la Pologne (interprétation)

déplore un malentendu. En Pologne, l’Eglise remplit son rôle dans la société, participe à la vie de celle-ci, et il n’appartient pas au Président de la République de se substituer au primat de l’Eglise polonaise. Mais il n’est pas possible de séparer les pouvoirs, tant l’Eglise polonaise est consubstantielle à la société polonaise. La question de la planification familiale et, en fait, de l’avortement, n’est pas simple. Il faut une vision plus globale qui fasse entrer en ligne de compte la recherche du bonheur véritable. Comment faire en sorte qu’à l’ère des ordinateurs personne n’ait plus envie de tuer?

M. COLOMBO (Italie) (traduction)

Monsieur le Président, je renonce à poser ma question; je préfère méditer sur ce que le Président Walesa nous a dit et je le remercie.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

La méditation est bonne pour l’âme... (rires) La parole est à M. Koritzinsky.

M. KORITZINSKY (Norvège) (traduction)

Monsieur le Président, une croissance économique rapide, par exemple dans le domaine agricole ou industriel, est théoriquement compatible avec une prise en compte des besoins écologiques. Dans tous les pays représentés à cette Assemblée et, je le suppose, dans tous les pays du monde, nous connaissons de nombreux exemples de croissance rapide des investissements, de la production et des revenus, ayant entraîné des dommages pour la nature et l’équilibre écologique. Comment la nouvelle politique économique de la Pologne compte-t-elle respecter le principe d’un développement durable? Quels sont les lois et les règlements dont vous disposez ou les conditions que vous envisagez de poser pour ce qui concerne les investissements et les entreprises de toutes sortes pouvant endommager l’environnement et nuire à l’équilibre écologique, non seulement dans votre pays, mais aussi dans une zone géographique plus vaste?

M. Wałęsa, Président de la Pologne (interprétation)

rappelle que la Pologne est désormais membre du Conseil de l’Europe et qu’elle entend respecter les normes européennes en matière de protection de la nature. Le progrès économique a déjà trop fait souffrir la planète. Mais il faut bien voir qu’actuellement la situation économique de la Pologne est très médiocre. Le Président de la République évoque à ce propos sa rencontre avec le Président de la République fédérative tchèque et slovaque, M. Havel, dans les montagnes qui forment la frontière entre leurs deux pays. L’environnement est à ce point dégradé dans cette région que les arbres et les oiseaux ont disparu. Comment l’homme fait-il pour tenir bon?

M. REDDEMANN (Allemagne) (traduction)

Monsieur le Président, l’Assemblée est en train de rédiger une charte des minorités. Il y a dans votre pays des minorités nationales qui semblent se plaindre assez fréquemment. Ma question est donc la suivante: comment la République de Pologne entend-elle préserver les droits des minorités et contribuer ainsi au sein de l’Assemblée parlementaire et du Conseil de l’Europe à la réalisation des droits des minorités?

M. Wałęsa, Président de la Pologne (interprétation)

estime que dans la Pologne libre et pluraliste d’aujourd’hui le problème des minorités ne se pose pas. Aujourd’hui, ces minorités nationales sont représentées au Parlement. La Pologne est une nation hospitalière.

M. Friedrich PROBST (Autriche) (traduction)

Monsieur le Président, vous avez dressé un tableau fort sombre de l’économie de votre pays. Je puis dire en ma qualité d’Autrichien que mon pays entretient des relations commerciales intenses depuis plusieurs dizaines d’années avec le vôtre. Je suis de ceux qui se chauffent avec votre charbon. Mais il y a aussi à Vienne 100 000 clandestins polonais dont la présence pose quelques problèmes aux autorités. L’Assemblée se préoccupe activement du sort des minorités, vous l’avez entendu. Il y a des normes européennes que la Pologne se sent également tenue de respecter. Vous n’avez pas de problèmes, dites-vous. Ma question est la suivante: Monsieur le Président, que pouvez-vous faire personnellement pour que les minorités vivant en Pologne puissent aussi avoir des écoles, des journaux, apprendre leur langue maternelle et l’utiliser comme il est de règle ailleurs? Car, vous l’avez dit vous-même, une bonne politique des minorités est un facteur de stabilisation ethnique en Europe.

M. Wałęsa, Président de la Pologne (interprétation)

réaffirme que les minorités sont libres en Pologne d’avoir des écoles, mais il invite les pays de l’Ouest à être accueillants envers les personnes qui sont venues et qui viendront de l’Est. Cela dit, il rappelle que c’est le Gouvernement qui doit régler les problèmes techniques et qu’il a, lui, la responsabilité des grandes orientations et du respect de la démocratie. Il espère avoir répondu assez clairement aux questions des parlementaires et pouvoir être un jour une nouvelle fois invité par le Conseil de l’Europe lorsque l’évolution en cours se sera stabilisée.

M. LE PRÉSIDENT (traduction)

Monsieur le Président, merci beaucoup pour ces réponses que l’Assemblée a beaucoup appréciées.