Prokopios

Pavlopoulos

Président de la République hellénique

Discours prononcé devant l'Assemblée

mercredi, 26 avril 2017

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les parlementaires, c’est un grand honneur pour moi de m’adresser à vous en tant que Président de la République hellénique. Mon émotion est grande. Je fus membre du Parlement grec pendant vingt ans. Je connais la signification de votre mandat, ici, dans cette salle, et la contribution très importante de l’Assemblée parlementaire à l’œuvre du Conseil de l’Europe. Je n’oublierai jamais, en m’adressant à vous, que vous êtes ceux qui donnent sa légitimité démocratique au Conseil de l’Europe. C’est vous, représentants de la souveraineté populaire, qui permettez au Conseil de l’Europe d’avoir un poids si important. Votre mission inspire un grand respect.

Je m’adresse aujourd’hui à vous, mais je n’ai pas choisi comme sujet de mon intervention un point particulier à mon pays, ni une question d’actualité politique. Je connais bien votre mission: le sujet de mon intervention sera donc plus général, et relatif à la mission du Conseil de l’Europe.

Mesdames et Messieurs les parlementaires, nous vivons une époque perturbée, troublée. L’Europe est dans la tourmente, mais pas seulement. Ces troubles ont une autre victime, et cette victime c’est l’homme, et les droits de l’homme. Quel est le rôle de l’Europe? Elle doit défendre l’homme et les droits de l’homme en ces moments difficiles et cruciaux. Si nous ne défendons pas l’homme et les droits humains, notre civilisation, la civilisation occidentale et européenne, perdra sa force. Elle ne pourra plus être un interlocuteur crédible des autres civilisations, et ne pourra plus contribuer à la marche du monde.

J’ai donc choisi de vous parler du Conseil de l’Europe et de la protection des droits fondamentaux. Nous devons tous prendre part à cette mission, et comprendre les facteurs qui minent les droits humains.

Les droits de l’homme fonctionnent à l’intérieur de certains cadres. C’est pour cela que je voudrais commencer mon propos en constatant que la démocratie représentative, comme système de gouvernance, est née de la notion des droits de l’homme. Et c’est elle, la démocratie représentative, qui garantit leur exercice. Les dangers qui guettent les droits de l’homme guettent également la démocratie représentative. C’est pourquoi le sujet de mon intervention, aujourd’hui, porte sur la démocratie représentative, sur les dangers qu’elle court et les moyens de les neutraliser. Je voudrais également vous parler du rôle du Conseil de l’Europe face à ces constatations.

Je considère aujourd’hui que tout le monde peut souscrire à cette définition de la démocratie représentative: c’est un système de gouvernement dans lequel le pouvoir est exercé par des organes élus – il ne s’agit pas d’une démocratie directe – et légitimes. Le pouvoir doit vraiment y être exercé dans le respect des droits de l’homme. Il faut évoquer, dans le cadre de cette démocratie représentative, le rôle très important de la liberté politique: c’est la matrice de tous les droits humains fondamentaux. La liberté politique, à travers l’élection des organes d’État, permet d’avoir des organes élus qui exercent le pouvoir dans le respect des valeurs et des droits humains, la valeur fondamentale de la démocratie représentative étant l’État de droit.

La démocratie représentative est vraiment le régime le plus apte à garantir les droits de l’homme, c’est le système qui fonde les droits de l’homme, il est le plus apte à permettre leur exercice et leur application. Nous pouvons y jouir des droits de l’homme et les protéger de ceux qui voudraient exercer un pouvoir absolu. Bien évidemment, la démocratie représentative n’est pas sans défauts, mais nous pouvons la qualifier de supérieure à tout autre régime de gouvernement. En évitant les abus de pouvoir et les restrictions des droits humains, la démocratie représentative protège les droits de l’homme face à toutes les menaces, lesquelles émanent non seulement du pouvoir de l’État mais aussi, à l’heure de la mondialisation, d’organes du privé. À l’heure actuelle, ces derniers peuvent même être beaucoup plus menaçants pour les droits humains que le pouvoir gouvernemental et l’État.

Pourquoi affirmé-je que la démocratie représentative est le régime le plus apte à la protection de l’homme et des droits de l’homme? L’organisation de la démocratie représentative est liée à qu’on appelle les contrepoids institutionnels, les checks and balances. Personne n’y exerce le pouvoir hors de tout contrôle, et le fonctionnement de ces contrepoids institutionnels – lorsqu’ils fonctionnent bien, et ils le doivent – est régi tant par le droit international que par la Constitution nationale. Ils constituent autant d’obstacles au non-respect ou à la violation des droits de l’homme.

En ce qui concerne le pouvoir de l’Etat ou celui des gouvernements, probablement la plus grande menace, c’est par exemple la règle de la majorité et de la minorité qui joue ce rôle de contrepoids institutionnel, et c’est en cela que la démocratie représentative est différente de la démocratie directe: dans un système de démocratie directe, la minorité ne peut contrôler la majorité. Au contraire, dans une démocratie représentative, la minorité peut exercer de différentes manières un contrôle sur la majorité. Ces contrepoids institutionnels, ces checks and balances garantissent l’État de droit. État de droit et démocratie représentative sont liés de façon indissoluble. Je n’entends pas seulement par État de droit, des règles relatives à l’exercice du pouvoir: dans tout système, des règles existent, qui concernent le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. Dans un État de droit, nous avons également des mécanismes pour sanctionner la violation de ces règles préétablies. Nous avons, d’un côté, une organisation, fondée sur des règles et des lois, et, de l’autre, des mécanismes de sanction pour le cas où ces règles seraient violées ou transgressées.

Je ne m’attarderai pas davantage sur l’existence des lois, je parlerai beaucoup plus des mécanismes de sanction. Par exemple, l’administration se contrôle elle-même – c’est l’autocontrôle de l’administration. De même le parlement contrôle le pouvoir exécutif – c’est le contrôle parlementaire. Cependant, nous savons que ces manières de contrôler le pouvoir exécutif ne sont pas très efficaces. Mon opinion personnelle, c’est que le meilleur mécanisme de sanction pour protéger les droits humains, c’est un pouvoir judiciaire organisé. Seul, le mécanisme de sanction d’une justice indépendante peut vraiment garantir le fonctionnement d’un État de droit et un vrai contrôle.

L’État ne peut pas être hors contrôle, son respect de la légalité est contrôlé, notamment par les organes responsables de la protection des droits humains. Le mécanisme de sanction le plus important est celui du pouvoir judiciaire.

Je parlerai donc également du renforcement des droits humains. Il s’agit là de la supériorité de la démocratie représentative face à d’autres systèmes: le contrôle du pouvoir est très important en matière de violation des droits de l’homme. Mais, aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation, les droits de l’homme, nous le savons tous, sont menacés non pas seulement par le pouvoir gouvernemental ou celui des États mais aussi par d’autres intérêts privés, par des individus, qui violent donc les droits de l’homme d’autres individus. Je pense que la démocratie représentative est précisément en mesure d’organiser une armure, une protection face à ces menaces émanant d’autres individus. Cette protection est déjà garantie, soit par les constitutions nationales, soit par le droit international, mais des droits de cette nature pourraient avoir pour effet une restriction des droits humains. Nous devons donc protéger l’homme, protéger les droits humains, face à ces menaces, face à ces nuisances qui proviennent d’autres individus. Aussi, selon toutes les constitutions, une limitation de droits ne peut contrevenir à aucune norme juridique européenne ou internationale, et elle doit se fonder sur un texte normatif lui-même conforme aux normes de rang supérieur.

Il ne s’agit pas seulement de droits sociaux, ni de droits individuels: les droits dont je parle sont essentiellement humains. Certes, ils ont une composante sociale, mais pour que chaque droit humain puisse être exercé selon sa finalité propre, il ne doit pas nuire aux autres droits. Il y a une sorte de solidarité nationale en faveur de toute personne qui veut exercer ses droits: bien sûr, je peux exercer mes droits, mais sans nuire aux droits des autres, sans limiter l’exercice, par les autres, de leurs droits. C’est bien évidemment ce que prévoit la loi.

Tel est le problème posé par les droits sociaux: comment prévenir les abus – ou, plus exactement, les usages abusifs des droits? Les abus sont interdits: c’est une protection importante contre ceux qui menacent les droits humains, les droits individuels, par l’usage abusif qu’ils en font.

Mais il ne s’agit pas seulement de déclarer des droits; pour qu’ils soient effectifs, applicables, dans une véritable démocratie représentative, l’État doit garantir aux citoyens les moyens de les exercer. S’il n’y a pas d’égalité dès le départ, alors l’exercice de ces droits peut devenir purement théorique, virtuel. Pour que la démocratie représentative soit effective, l’État de droit doit être aussi un État social: il doit permettre aux plus faibles sur le plan économique et social de se placer au même point de départ que les autres. En effet nous ne pouvons pas parler de droits humains si tout le monde ne part pas du même point de départ.

Il y a de grandes inégalités économiques, dont les effets sont particulièrement sensibles au moment où les jeunes commencent leurs études, et entrent à l’université. Il est évident, dans ce cas, que tout le monde ne part pas du même point de départ. Comment pouvons-nous parler, dès lors, d’exercice égal des droits de l’homme? C’est sur ce point que la démocratie représentative doit intervenir.

Il ne s’agit pas seulement de protéger les hommes du pouvoir arbitraire des organes d’État, mais aussi des atteintes exercées par ceux qui sont plus puissants économiquement ou socialement. Les limites des droits de l’homme doivent être prévues par les lois, les abus doivent être interdits, afin de faire exister les droits sociaux. L’État social doit organiser ces derniers de telle sorte que chacun parte du même point de départ. C’est le but de la démocratie représentative: or nous assistons aujourd’hui à des changements qui minent les bases de la démocratie représentative et rendent l’exercice des droits fondamentaux beaucoup moins efficace. J’y insiste: de graves dangers nous font face, qui ébranlent les fondements politiques et institutionnels de la démocratie représentative, laquelle est le cadre d’exercice de tout droit humain.

Quels sont ces dangers? Nous devons les identifier, les dénoncer: cela fait partie de la mission propre du Conseil de l’Europe. Quels sont les périls qui ébranlent, aujourd’hui, les fondements de la démocratie représentative, et nuisent à son essence même? Je voudrais décrire certains d’entre eux.

Face à la crise que nous affrontons, un véritable despotisme gouvernemental est apparu, de sorte qu’il n’y a plus, de nos jours, d’équilibre entre les pouvoirs. Or – vous le savez – l’équilibre des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire est nécessaire à une démocratie représentative. Aujourd’hui, le pouvoir exécutif, le gouvernement, a une nette supériorité sur les autres pouvoirs. Cette supériorité est clairement visible dans la manière dont fonctionnent les parlements. Que le texte en discussion soit issu d’une initiative gouvernementale ou parlementaire, dans bien des États – dont la Grèce –, le texte de loi finalement adopté est presque exclusivement l’œuvre du gouvernement.

Le pouvoir exécutif utilise la crise, et tire prétexte de l’urgence dans laquelle nous sommes d’y répondre, pour asseoir sa supériorité. Tant et si bien que désormais, cette supériorité gouvernementale a pour nous un caractère d’évidence. Elle est acceptée par tout le monde. Le parlement, le législateur, est démis de sa fonction propre, de son pouvoir, qui est de faire la loi: il est placé en dehors du processus de production des lois.

Nous devons donc rétablir l’équilibre entre les pouvoirs. C’est d’autant plus crucial que, comme je l’ai dit, le contexte de crise économique a tendance à renforcer le pouvoir exécutif, à lui donner la supériorité. Cette supériorité donnée à l’arbitraire de l’exécutif est dangereuse, car il n’est pas légitime comme le législatif, ni indépendant comme le judiciaire. C’est pourquoi j’ai parlé de despotisme gouvernemental.

Un autre élément caractérise surtout les pays en crise, comme la Grèce, et montre bien comment les fondements de la démocratie représentative sont ébranlés: l’inefficacité du pouvoir judiciaire. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, dans un véritable État de droit, des mécanismes de sanction des violations des droits de l’homme sont prévus. Le pouvoir le plus important, de ce point de vue, est le pouvoir judiciaire. En temps de crise, celui-ci ne peut jouer son rôle: dès lors, il est clair que la démocratie représentative et les droits de l’homme en sont diminués. De tels phénomènes sont multiples: la justice ne peut jouer le rôle qu’elle devrait jouer dans une vraie démocratie représentative, dans un véritable État de droit.

En raison de la crise, de très nombreuses affaires restent en suspens devant les tribunaux sans pouvoir être jugées. Je sais que vous connaissez bien ce phénomène, ici au Conseil de l’Europe! À cause de cela, les contentieux liés à la violation de la Convention européenne des droits de l’homme, surtout sur le fondement du droit à un procès équitable, ne sont jamais tranchés par la justice. C’est un des ennemis de la protection des droits de l’homme. Nous sommes tous résignés. Chacun d’entre nous se dit que, de toute façon, il ne peut rien faire, que personne n’y peut rien, même pas le pouvoir judiciaire.

Mais il est un deuxième danger. Ce danger est que justement, en temps de crise, la justice ne fonctionne pas avec la notion de protection judiciaire. Vous savez très bien que nous ne devons pas attendre la fin d’une procédure judiciaire et la décision d’un juge pour qu’une vraie justice soit rendue. Souvent, dès le début de l’affaire judiciaire, nous avons besoin de mesures de protection, avant même que la décision du juge soit annoncée. Aujourd’hui, cette protection judiciaire est très difficile à mettre en œuvre et, souvent, complètement négligée. Dans la mesure où la justice n’est pas rendue en temps et en heure, à la fin de la procédure, la justice rendue est vraiment théorique, pour ne pas dire virtuelle. Voilà exactement ce qui mine la justice et sa crédibilité.

Le troisième danger est que la justice ne soit pas rendue parce que, bien que le verdict ait été prononcé, il n’est pas appliqué. Nous connaissons beaucoup de situations de ce type, au nom de la crise, liées à la notion de salus populi suprema lex est – le salut du peuple est la loi suprême. Le danger est alors que la justice soit rendue mais de façon inefficace en raison de délais ou de problèmes administratifs divers. Le verdict n’est alors pas appliqué, parfois même au nom de l’intérêt public.

Troisièmement – et là, je vais me tourner vers le Conseil de l’Europe et son Assemblée parlementaire –, nous avons des organismes internationaux qui n’ont pas d’assise démocratique mais qui interviennent au plan international et n’obéissent qu’à leurs propres mécanismes. Dans le cadre de la mondialisation, de nouvelles formes d’intervention sont apparues, ayant des incidences non seulement sur les hommes, mais sur les États, voire sur plusieurs États. Aucune démocratie ne s’exerce dans ces organismes, mais nous n’avons plus les moyens d’empêcher leurs interventions, leurs prises de pouvoir.

Pour en donner un exemple, j’évoquerai ce que nous appelons «les marchés».

Certes, il existe des marchés de toute sorte. Je ne parle pas là de tous ces marchés, mais des marchés puissants, ceux qui prennent une forme extrême et sont capables d’influer sur l’action des États, voire de l’entraver en les empêchant de prendre les orientations qu’ils souhaiteraient. Ce phénomène global inclut les agences de notation. Sans citer de nom, il est arrivé qu’une de ces agences commette une erreur énorme à propos des États-Unis, qui a coûté plusieurs milliards de dollars. Certes, elle s’est excusée par la suite, mais nous ne pouvons pas céder à ce genre d’intervention. Au nom de la mondialisation, nous sommes parfois entraînés malgré nous, car c’est un système qui peut servir le développement mondial. Mais il faudrait créer un contrepoids car, souvent, nous manquons d’un contrepoids institutionnel équivalent à ces tendances qui nous mènent à une mondialisation sauvage. Il faut absolument créer des contrepoids. Parfois, même le pouvoir légitime d’un État démocratiquement élu est impuissant face à ces phénomènes. Sans aucun contrôle, ces agences peuvent conduire au désastre des sociétés, des États, des nations.

Enfin, j’évoquerai un quatrième danger, celui de la dissolution de l’État social.

S’il est un pilier dans la civilisation européenne, c’est bien l’État social. Celui-ci a été créé après le cauchemar de la Première Guerre mondiale. C’est un bien précieux. Nos pères fondateurs, après la fin de la Grande Guerre, se sont appuyés sur ce premier pilier. Par la suite, après la Seconde Guerre mondiale, la première annonce de Schuman constituant le marché commun, comme l’on appelait l’Union européenne à l’époque, était fondée sur cet État social.

Il n’existe pas de notion d’Europe unie sans État social. Je le redis ici: certes, les droits de l’homme sont importants, mais sans État social pour appuyer ces droits, de quels droits, de l’exercice de quels droits parlons-nous?

Il ne s’agit donc pas seulement d’une question de justice sociale ou de cohésion sociale, mais de démocratie réelle. Car si la démocratie représentative, qui est la seule réelle, ne peut servir les droits de l’homme et l’État social, elle n’existe plus. En raison même de la non-existence de cet État social, il ne peut y avoir d’égalité. Anatole France disait que l’égalité signifie que chacun peut dormir tranquillement sous les ponts de la Seine, mais cela n’est pas la véritable égalité. Cela ne correspond absolument pas aux droits de l’homme. Au sein de l’Europe dans laquelle nous vivons, nous devons comprendre qu’il ne peut exister de progrès social, d’union monétaire ou de règles comme celles que nous avons érigées sans État social pour assurer non seulement la cohésion sociale mais pour permettre à tous d’être sur un pied d’égalité.

J’ai parlé du despotisme gouvernemental, de la protection des individus, de la globalisation et de l’inexistence du droit social. Tout cela peut miner la démocratie représentative. C’est alors qu’intervient le Conseil de l’Europe. Permettez-moi donc de conclure par cette déclaration. Nous sommes tous face au même problème. Le Conseil de l’Europe est l’organisation européenne la plus ancienne, celle qui compte le plus grand nombre d’États. D’une certaine façon, ce vaste espace, ouvert et initiateur, offre la possibilité de pouvoir, un jour, adhérer à l’Union européenne.

Il est très important de connaître les activités ainsi que le cadre du Conseil de l’Europe, et d’écarter les dangers qui pèsent sur la démocratie, la subversion de ses valeurs ainsi que celles de l’Union européenne. L’Union européenne est appelée à jouer un rôle planétaire en ce moment. L’Europe a un rôle très important, il ne s’agit pas seulement de protéger ses sujets. Je ne sous-estime pas le pouvoir économique d’autres puissances, mais l’Europe est celle qui peut le mieux défendre des principes fondamentaux de l’homme, comme ceux de la paix, de la démocratie et de la justice. Si l’Europe s’effondre, qui viendra défendre ces principes?

Le rôle de l’Europe est donc historique, nous ne pouvons pas l’abandonner sous l’influence d’un populisme grandissant qui nous pousse à l’isolement. Je me félicite que le quatrième rapport du Secrétaire Général mette le doigt sur les dangers qui pèsent sur la démocratie et l’Europe. Nous vivons des temps difficiles, et ce rapport nous permet de percevoir et de comprendre ces dangers, et les moyens de les contrecarrer. Il est très important de promouvoir l’idéal européen et notre civilisation commune. Le Conseil de l’Europe doit comprendre qu’il a un rôle mondial, planétaire, pour défendre les députés qui siègent dans cette salle, mais aussi les droits de l’homme dans chacun de nos pays, et dans le monde entier.

L’Union européenne doit adhérer au Conseil de l’Europe le plus tôt possible. Je connais le problème de près, je sais que la Commission européenne a fait un grand effort de rapprochement concernant le droit primaire européen. Mais la conformité du droit primaire européen n’est pas suffisante. La route est pavée pour que l’Union européenne adhère au Conseil de l’Europe. Les droits de l’homme sont une source d’inspiration et fixent des principes généraux pour le présent et l’avenir de l’Union européenne. Ces deux institutions doivent se rapprocher, il ne faut pas que des problèmes formels nous arrêtent.

Il n’existe pas de charte des droits sociaux. Nous pouvons dire Lex minus quam perfecta, quelque chose existe, même s’il n’est pas parfait. Je respecte les efforts de la Commission européenne concernant les droits sociaux, mais nous n’avons qu’une seule partie des droits de l’homme, il en manque une part importante, et c’est un problème. Nous devons combler ce manque et aboutir à une charte sociale puissante, réelle, capable de défendre l’État social, pilier de l’Europe et de sa civilisation.

Concernant la démocratie et les droits de l’homme, nous devons nous souvenir qu’il faut essayer de les promouvoir au-delà des frontières de l’Europe. Ce sont des idées qui appartiennent à l’humanité tout entière. L’expérience du Conseil de l’Europe nous apprend beaucoup. La démocratie représentative ne peut pas être transplantée simplement parce que nous le souhaitons. Nous devons comprendre les autres peuples, les autres civilisations. Si nous essayons de réaliser une transplantation de manière despotique, elle échouera, nous ne servirons pas l’harmonie et la démocratie mondiales. Nous devons propager nos idéaux, mais aussi comprendre que cela ne peut s’effectuer que par l’intermédiaire d’un dialogue efficace, et pas au moyen d’une décision unilatérale. Voilà comment nous allons accéder à la paix internationale. Je pense que le forum du Conseil de l’Europe est celui qui convient le mieux pour promouvoir la démocratie dans le monde entier. La cible est de défendre l’homme, c’est le principe de base. Nous existons en tant que planète parce que nous défendons les droits de l’homme.

Je vous remercie de m’avoir écouté, je vous souhaite bonne continuation et vous félicite de l’œuvre immense que vous êtes en train d’accomplir.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

Merci beaucoup, Monsieur le Président, de votre allocution riche d’enseignements. Les représentants des groupes politiques souhaiteraient vous poser des questions.

Je vous rappelle, chers collègues, que les questions ne doivent pas dépasser 30 secondes. Vous devez poser une question et non faire un discours.

M. FEIST (Allemagne), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen (interprétation)

Merci, Monsieur le Président, de nous avoir rappelé les principes élémentaires et fondamentaux de la démocratie.

La démocratie vit de la participation, et c’est pourquoi je vous suis reconnaissant d’avoir mentionné la participation sociale et économique. D’après nos acceptions, il ne suffit pas d’avoir des diplômes en poche, il faut vraiment une participation réelle. Êtes-vous d’avis que dans cette enceinte, nous devons faire plus pour la formation professionnelle et l’éducation?

M. Pavlopoulos, Président de la République hellénique (interprétation)

Il est évident que nous devons faire beaucoup pour l’éducation. Tout commence à l’école, surtout au plus jeune âge. C’est à partir de là que l’égalité doit commencer, car l’éducation commence à cet âge. L’égalité du point de départ, dont j’ai parlé précédemment, commence à ce moment, avec la démocratie dès le plus jeune âge.

Si nous voulons combattre le populisme, nous devons le combattre à sa base. Aujourd’hui, avec tous les moyens de communication que nous avons, avec internet, le populisme commence à pervertir l’esprit des jeunes dès leur plus jeune âge.

Vous avez raison d’insister sur l’éducation. Ce que nous devons comprendre et analyser, c’est la notion d’excellence. En Grèce, nous connaissons la notion d’excellence depuis Homère, il est le premier à en avoir parlé. L’excellence, ce n’est pas l’élitisme, mais la justice. C’est la possibilité que nous donnons à chacun de proposer, d’avancer et de se développer.

Nous devons mettre l’accent sur l’école, une école qui donne le même point de départ à tous pour comprendre les notions de démocratie, de droits de l’homme, et aussi pour permettre à chacun de se développer. Je vous remercie de cette question, car vous me permettez de dire quelque chose que je n’ai pas pu dire pendant ma présentation.

M. SCHENNACH (Autriche), porte-parole du Groupe socialiste (interprétation)

Monsieur le Président, je vous remercie de votre impressionnante intervention. Je remercie également la Grèce qui prend à sa charge des milliers et des milliers de réfugiés.

M’appuyant sur les propos du pape François et les rapports d’ONG, j’aimerais vous demander quelles régions d’Europe doivent, selon vous, aider la Grèce pour garantir les droits de tous les réfugiés, surtout, à la lumière du débat précédent, les droits des filles et des femmes afin de les prémunir de la violence fondée sur le genre.

M. Pavlopoulos, Président de la République hellénique (interprétation)

La première chose dont nous ayons besoin, quant à la répartition des réfugiés, est la solidarité entre les peuples européens. La Grèce peut faire un grand nombre de sacrifices. Elle ne peut pas, en revanche, avoir des partenaires qui lui explique qu’elle ne garde pas ses frontières, d’autant qu’il s’agit de frontières maritimes. Nous demandons non pas un soutien économique mais la solidarité, afin de pouvoir répartir le nombre des réfugiés, auquel, souvent, nous ne pouvons pas faire face, d’autant que, vous le savez bien, parmi ces réfugiés se glissent de nombreux immigrés clandestins qui arrivent de cette façon chez nous. L’image triste de corps flottant sur la mer Égée, nous ne pouvons plus la supporter. La Grèce a surtout besoin, à l’heure actuelle, d’une meilleure répartition des réfugiés afin de mieux s’occuper d’eux, ainsi que de soutiens spécifiques dans des domaines spécifiques. Nous avons également besoin de reconnaissance. La critique est facile. Je connais très bien l’action des insulaires, je sais ce qu’ils font quotidiennement pour faire face à ces vagues de réfugiés qui déferlent. Nous avons donc besoin de reconnaissance, nous avons besoin de nous sentir soutenus et de sentir que l’Europe, notre famille, est à nos côtés.

Earl of DUNDEE (Royaume-Uni) (interprétation)

Monsieur le Président, à la suite de vos remarques, nous sommes tous ici conscients de la charge que la Grèce a assumée depuis 2015, depuis le début de la crise des réfugiés. Vous avez dû faire face à l’arrivée de tous ces migrants qui mettent pied sur le continent européen. Toutes les îles grecques ont vu arriver chaque jour parfois jusqu’à plusieurs centaines de migrants. Aujourd’hui, 60 000 migrants sont présents sur votre territoire. Ils sont parfois entre les mains de passeurs, de criminels et de trafiquants. Comme il est encourageant de savoir que le mois dernier, grâce à la collaboration de la Grèce et du Royaume-Uni, 130 migrants ont pu échapper à ces entreprises criminelles. Quels autres projets a votre pays? Quelles mesures de coopération peuvent être lancées avec des agences pour continuer la lutte contre la criminalité et améliorer le système d’accueil des migrants qui arrivent chez vous ainsi que dans d’autres pays membres du Conseil de l’Europe?

M. Pavlopoulos, Président de la République hellénique (interprétation)

Je vous remercie beaucoup de votre question. La Grèce, en effet, n’est pas hostile aux réfugiés. S’il y avait seulement les réfugiés syriens, nous serions capables de régler ce problème, parce qu’il est facile d’intégrer des réfugiés dans la population. Mais la majeure partie de ceux qui sont arrivés dans notre pays est constituée de migrants illégaux qui souvent ne rêvent pas d’un futur meilleur. Il y a parmi eux des éléments criminels. La Grèce a fait la distinction et a agi comme il convenait de le faire.

Un élément fait défaut dans la réponse de l’Union européenne et de l’Otan, puisque l’Otan a également participé à l’accord avec la Turquie. Nous devons avoir la possibilité de mieux contrôler nos ports afin de maîtriser le trafic. Comme vous le savez, il est très difficile d’assurer efficacement le contrôle des ports maritimes. Bien sûr, la Turquie fait partie de cet accord. Je ne dis pas qu’elle n’a pas joué son rôle après l’accord. La Turquie a joué son rôle. Nous vivons côte à côte. Nous savons que la Turquie héberge à l’heure actuelle des millions de réfugiés. Nous devons en être conscients et exprimer avec générosité notre reconnaissance à la Turquie. Toutefois, pour appréhender les trafiquants et les criminels, nous avons besoin d’une véritable coopération et de l’aide de l’Europe sur ce point.

L’Europe oublie souvent que l’Union européenne a prévu une politique spécifique en matière d’immigration irrégulière. Nous l’oublions souvent, notamment ici, mais cette politique, qui existe depuis 2008, n’a jamais été véritablement appliquée depuis cette date. Savez-vous que les textes donnent à l’Union européenne la possibilité de mettre en place des accords de réadmission avec les pays qui sont à la source des migrations irrégulières? Et cela, afin que les personnes en situation irrégulière puissent être renvoyées puisqu’elles doivent l’être en tant que telles?

Nous devons vraiment essayer d’éliminer tous les éléments criminels tout en secourant et sauvant, évidemment, toutes les personnes qui se noient, qu’il s’agisse de réfugiés ou d’immigrés clandestins. S’agissant des migrants en provenance de la région subsaharienne, je rappelle qu’à l’époque où j’ai été ministre de l’Intérieur, nous avons commencé à appliquer un accord de développement et de coopération avec les pays de cette région. Mais qu’avons-nous fait depuis 2008, année où a été adopté le Pacte européen sur l’immigration et l’asile? Nous ne faisons aujourd’hui aucune proposition en matière d’aide technique ou économique, alors même que l’article 5 de ce pacte le prévoit. Tout un travail doit être réalisé pour arrêter ces flux et prévoir la suite.

M. COMTE (Suisse), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe

Monsieur le Président, la question de Chypre est d’une grande actualité puisque des négociations sont en cours entre Chypriotes grecs et Chypriotes turcs sur la réunification de l’île. Nous connaissons le rôle important que joue la Grèce dans la question chypriote.

Quel regard, quelle appréciation la Grèce porte-t-elle sur ce processus de négociation? Quelle contribution compte-t-elle apporter à la résolution de la question chypriote?

M. Pavlopoulos, Président de la République hellénique (interprétation)

Je dois vous assurer que la Grèce et Chypre sont vraiment disposées à contribuer à la solution du problème chypriote. Depuis 1974 cette plaie reste ouverte. Chypre subit la présence d’une armée d’occupation. Il ne s’agit pas d’un problème grec, chypriote, voire européen. Il s’agit d’un problème international.

Je voudrais évoquer ce problème deux minutes devant vous. Dites-moi ensuite si vous êtes d’accord ou pas. Chypre est un État membre de l’Union européenne. L’île appartient à la zone euro. Donc, toute solution doit être conforme au droit de l’Union européenne, puisque, vous le savez bien, toute solution doit respecter le droit primaire européen, et y être conforme, notamment le droit régissant la souveraineté nationale.

Quelle est la souveraineté nationale d’un État membre de l’Union européenne? Une armée d’occupation ne saurait en aucun cas s’y maintenir. Nous avons le précédent de la réunification de l’Allemagne de l’Ouest et de l’Allemagne de l’Est. Vous vous rappelez très bien qu’en 1990 la réunification a été actée. Mais plusieurs années ont passé avant que l’acquis communautaire n’ait pu s’appliquer dans toute l’Allemagne. La réunification allemande n’a été effective qu’en 1993, le jour où le dernier soldat de l’armée russe a quitté le territoire allemand.

Le ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne, M. Steinmeier, a évoqué cette situation en parlant du problème chypriote. Vous comprenez bien que nous ne pouvons accepter que la solution du problème chypriote passe par la présence d’une armée d’un État tiers, au surplus non membre de l’Union européenne. Cela pourrait constituer un préalable et légaliser l’invasion d’un pays européen par une armée d’un pays tiers.

La présence de l’armée turque constitue une violation. Aucun de nous ne pourrait accepter cette présence ni le Traité de garantie. Le problème persiste depuis 1974, c’est une plaie béante. Nous voulons une solution, mais non une solution qui aille à l’encontre de la souveraineté nationale d’un pays membre de l’Union européenne. Nous ne défendons pas ici uniquement nos pays, nous devons être capables de défendre les valeurs européennes, le droit primaire européen et l’acquis communautaire. Je tiens des propos qui sont respectueux de la Turquie.

Vous connaissez notre position face à la Turquie. Elle peut être gagnante si nous parvenons à une solution qui respecte les principes du droit européen. Les communautés chypriotes grecque et turque pourront alors coexister dans une fédération – et non une confédération –, fondée sur les valeurs d’une fédération, d’un État qui fonctionne avec des citoyens européens. Tous seront des citoyens européens et auront les mêmes droits. Telle est la seule solution susceptible d’être acceptée car personne n’a intérêt à ce que la situation actuelle persiste. Les premières victimes en sont les Chypriotes.

M. NICOLINI (Saint-Marin), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne (interprétation)

Monsieur le Président, votre pays est magnifique, c’est un paradis pour les touristes, mais, à l’instar de nombreux pays européens, c’est aussi un enfer pour les animaux.

Je suis un défenseur du droit des animaux et en tant que tel je suis en contact avec nombre de bénévoles grecs, obligés de fouiller dans les ordures pour retrouver les chiots. Les chiens et les chats sont systématiquement exterminés et souffrent au seul motif qu’ils existent.

Votre pays a enseigné la civilisation au monde entier. Je vous prie, agissez pour changer l’état d’esprit des nouvelles générations et pour former les forces de police afin qu’elles mettent un terme à ces cruautés. Faites en sorte que les fonds européens destinés aux animaux soient utilisés comme ils le doivent.

M. Pavlopoulos, Président de la République hellénique (interprétation)

Je suis profondément attristé par ce phénomène que je vous remercie d’avoir mis en avant. Je puis vous affirmer que ces dernières années, nous avons produit un effort considérable: le Code pénal a été modifié, les interventions des forces de l’ordre sont fréquentes et nous avons lancé dans les écoles une campagne de sensibilisation, essentiellement auprès des jeunes et très jeunes enfants.

Certes, tous les problèmes ne sont pas résolus. Cela dit, je puis vous assurer que, malgré la crise, nous nous attachons à intensifier notre politique en faveur de la protection des animaux car la protection des animaux est un signe de civilisation. Sachez donc que nous allons poursuivre et intensifier nos efforts. C’est très important, pas uniquement pour l’image de notre pays à l’extérieur, mais pour nous-mêmes. Je vous remercie de votre question.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

Monsieur le Président, vous qui venez du berceau de la démocratie, vous nous avez rappelé fort opportunément que la démocratie représentative était la pierre angulaire de notre existence alors même qu’en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, sa résistance va de nouveau être testée.

Monsieur le Président, merci de votre venue, merci de votre allocution devant notre Assemblée parlementaire et de la manière dont vous avez répondu aux questions.