Lars

Løkke Rasmussen

Premier ministre du Danemark

Discours prononcé devant l'Assemblée

mercredi, 24 janvier 2018

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, Excellences, Mesdames et Messieurs, c’est pour moi un honneur de me trouver aujourd’hui au cœur de l’Europe, au sein de l’hémicycle de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, comme d’autres dirigeants européens avant moi. Il y a près de 70 ans, 10 pays ont franchi un premier pas, préfigurant la constitution du Conseil de l’Europe. Le Danemark en faisait partie. Depuis lors, l’Europe a parcouru un long chemin, et cette institution avec elle.

Aujourd’hui, les 47 États membres forment l’une des plus importantes institutions d’Europe, créée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Depuis des décennies, le Conseil de l’Europe n’a cessé de protéger et de promouvoir avec succès les valeurs fondamentales de l’Europe, telles que les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit: l’Europe actuelle est bien meilleure que l’ancienne.

Aucun d’entre nous n’est capable de prévoir l’avenir, mais nous sommes contraints de tirer les enseignements du passé. Durant son histoire, l’Europe a été le berceau de la démocratie et un véritable centre de réflexion et de pensée. Mais, nous le savons tous, l’Europe n’a pas toujours été un continent de paix et de liberté: aucun autre continent sur Terre, au cours des deux derniers siècles, n’a produit autant de conflits, d’oppression et de dévastations dues à l’homme. Toutefois, sur les cendres et les ruines de la Seconde Guerre mondiale, de vrais dirigeants, de véritables visionnaires ont voulu faire en sorte que les ténèbres de la guerre et de la persécution ne viennent plus jamais hanter l’Europe. C’est bien pour maintenir la paix que la Convention européenne des droits de l’homme a vu le jour.

Le Conseil de l'Europe et la Cour européenne des droits de l'homme sont de véritables joyaux qu’il nous appartient de faire briller.

Aujourd’hui les principes de la Convention restent la référence morale et juridique pour notre famille européenne. Les normes en matière de droits de l’homme sont plus élevées que dans toute autre région du monde, et nous essayons constamment d’améliorer la protection de l’État de droit. Les normes de l’État de droit nous permettent de mesurer le succès de nos sociétés. Nous devons chérir cet héritage des dirigeants du passé, mais également veiller à ce que les solutions du passé soient adaptées à l’avenir et permettent de relever les défis qui se présentent à nous aujourd’hui.

Mon ambition est claire: je veux transmettre une Europe encore meilleure à mes enfants et à mes petits-enfants: une Europe où la démocratie, les droits de l’homme et l’État de droit sont protégés en tant que valeurs fondamentales et principes de base de notre quotidien; une Europe où personne ne serait exposé à la torture ou à des traitements dégradants; une Europe où les préjugés ne pèsent pas sur les relations humaines, où l’égalité des chances pour les hommes et les femmes est réelle et où nos enfants sont éduqués et élevés pour devenir les citoyens démocratiques de demain.

Cela requiert, bien entendu, une coopération internationale et des règles contraignantes, sur la base d’un véritable engagement des États membres et des peuples européens. Le Danemark est et a toujours été un fervent défenseur du système européen des droits de l’homme. C’est précisément pour cette raison que la priorité absolue de la présidence danoise sera de faire avancer le processus de réforme de ce système. Un système de droits de l’homme efficace ne pourra que bénéficier à l’ensemble de l’Europe. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin de mener un débat continu, ouvert et honnête sur la façon dont nous voulons veiller au bon fonctionnement du système de la Convention, à partir des succès obtenus et en essayant de relever les défis au fur et à mesure qu’ils se présentent – ils sont aujourd’hui nombreux et le seront tout autant à l’avenir.

Il y a, d’abord, le problème de la mise en œuvre inadéquate des arrêts de la Cour, notamment concernant certaines difficultés liées aux droits de l’homme, de nature systémique et structurelle dans certains États membres.

Permettez-moi de donner un exemple qui a provoqué un débat animé dans mon pays, le Danemark. Ces dernières années, la Cour a clairement identifié les problèmes auxquels un grand nombre d’États membres sont confrontés s’agissant du système carcéral et a formulé des recommandations pour y remédier. Pourtant, ces problèmes perdurent dans de nombreux pays. C’est inacceptable pour ceux qui purgent des peines de prison; c’est inacceptable de la part des pays qui ne respectent pas les normes fixées par la Convention. Il n’est pas juste qu’un pays comme le Danemark accueille des criminels étrangers au motif que les conditions d’emprisonnement dans leur pays d’origine ne sont pas conformes aux règles de la Convention.

Il y a, ensuite, le problème de l’interprétation de la Convention. On s’est demandé s’il la Cour n’allait pas parfois trop loin dans son interprétation et ne laissait pas des marges de manœuvre trop étroites aux États membres. Dans certains cas, on a considéré comme une violation du droit à la famille le fait d’extrader des criminels étrangers vers leur pays d’origine. J’ai du mal à comprendre des décisions de ce type. D’ailleurs, cela ne correspond pas à l’idée que l’opinion publique se fait généralement des droits de l’homme.

Le fait de s’interroger sur les décisions de la Cour est parfois perçu comme une attaque et un refus de respecter les droits de l’homme. Ce n’est pas du tout le cas; c’est même exactement l’inverse: si nous avons à cœur de défendre les droits de l’homme et si nous voulons préserver l’autorité de la Cour, nous devons être en mesure d’aborder en toute franchise et honnêteté les questions difficiles. Sinon, nous risquons de perdre le soutien de l’opinion publique s’agissant des droits de l’homme et de la coopération internationale. Ce serait là l’un des plus grands échecs dont notre génération serait responsable.

Le troisième défi est celui du retard dans le traitement des dossiers par la Cour. C’est un grave problème: les requérants qui déposent des plaintes fondées, relatives à de graves violations des droits de l’homme, doivent attendre des années avant qu’elles soient traitées. C’est inacceptable.

Nous devons nous attaquer tous ensemble à ces problèmes. Nous devons nous engager pour améliorer constamment le système de la Convention et prendre les mesures nécessaires pour veiller à son bon fonctionnement. Nous avons besoin d’un système plus strict à l’égard des pays qui ne respectent pas leurs obligations en matière de droits de l’homme. Parallèlement, nous avons besoin d’un système qui n’interfère pas trop avec les décisions de pays qui prennent les droits de l’homme au sérieux.

La Cour semble évoluer dans la bonne direction: Nous devons appuyer et encourager cette évolution. Des résultats importants ont été obtenus: l’efficacité de la Cour a été améliorée, on a insisté sur la nécessité d’une meilleure mise en œuvre des arrêts de la Cour et le principe de subsidiarité a été renforcé.

Afin de conforter ces évolutions positives, le Danemark accueillera au mois d’avril, à Copenhague, une réunion des ministres en vue d’adopter une déclaration politique visant à donner un nouvel élan à la réforme du système de la Convention. Ce processus, engagé à Interlaken en 2010 et poursuivi à Izmir, Brighton et Bruxelles, offre aux États membres l’occasion de se doter d’un système plus efficace, plus ciblé et plus équilibré.

L’objectif du système de la Convention n’a jamais été de remplacer nos institutions nationales ou de faire de la Cour un tribunal de quatrième instance. Il serait d’ailleurs totalement impossible pour 47 juges à Strasbourg de gérer les procédures en appel pour plus de 800 millions de personnes. Cela risquerait de porter atteinte au système de la Cour plutôt que d’en faire une partie intégrante de nos institutions nationales. En effet, les autorités nationales doivent avoir la possibilité de jouer leur rôle. N’oublions pas que ce sont les États membres qui doivent protéger les droits de l’homme garantis par la Convention. Pour ce faire, ils doivent avoir une certaine marge d’appréciation – sous le contrôle de la Cour, bien entendu. C’est ce que l’on appelle le concept de responsabilité partagée.

Avec le Protocole no 15, le principe de subsidiarité va être intégré dans le corpus du texte de la Convention européenne des droits de l’homme. C’est un important progrès. Cela permettra un meilleur équilibre entre le niveau national et le niveau européen.

L’une des priorités de notre présidence est de veiller à ce que le Protocole no 15 entre en vigueur. À ce jour, huit État membres l’ont ratifié et six autres doivent le faire. Nous encourageons les autres États membres à engager le processus de ratification.

Je ne vois aucune contradiction dans le fait de croire à l’importance des droits de l’homme tout en considérant que les décisions les concernant doivent faire être prises à l’échelon national. Il faut réformer pour préserver: c’est ainsi que nous pourrons avancer tout restant concentrés sur les piliers de l’Organisation que sont les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit.

Pour qu’un système de responsabilité partagée fonctionne, un dialogue continu doit s’établir entre les États membres et la Cour. Il n’est de l’intérêt de personne d’avoir un système de la Convention qui soit perçu par les États membres ou l’opinion publique comme étant décalé par rapport à la réalité. Cela requiert des efforts de tous: la Cour doit être à l’écoute des États membres et de leurs préoccupations, mais les États membres doivent aussi communiquer plus clairement et plus directement avec la Cour. Ils doivent exposer leurs préoccupations et leurs positions, y compris sur des questions sensibles.

Mesdames et Messieurs, nous espérons pouvoir compter sur le soutien de tous les acteurs au sein du Conseil de l’Europe, y compris l’Assemblée parlementaire, pour nous attaquer aux problèmes et relever les défis. Il y a 71 ans, le Premier ministre Winston Churchill, exprimant sa vision de l’Europe, disait qu’il fallait recréer la famille européenne en la dotant d’une structure régionale et que le premier pas dans cette voie prendrait la forme d’un conseil de l’Europe. Cette vision est devenue réalité. Churchill et les autres dirigeants européens voulaient réformer l’Europe, la faire briller pour que la lumière chasse les ténèbres. Ils y sont parvenus.

Aujourd’hui, nous devons nous demander comment veiller à ce que les droits universels édictés dans le passé continuent de nous guider à l’avenir. L’Histoire nous a enseigné que la meilleure façon d’avancer est d’engager un dialogue ouvert et constructif sur les enjeux de demain et sur les défis auxquels nous sommes confrontés. Mais il faut aussi avoir l’ambition de progresser.

C’est en mettant en œuvre des réformes aussi nécessaires qu’intelligentes que nous pourrons rétablir l’équilibre et, ce faisant, renforcer la protection des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit. Le Conseil de l’Europe ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme sont de véritables joyaux. Notre mission est de les faire briller. Notre vision est claire, des jalons ont déjà été posés. Il nous faut désormais avancer et, pour ce faire, nous espérons pouvoir bénéficier de votre soutien.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de votre discours qui a vivement intéressé les membres de notre Assemblée.

Un nombre important de collègues a déjà exprimé le souhait de poser une question. Mes chers collègues, je vous rappelle que les questions ne doivent pas dépasser 30 secondes et que vous devez poser une question et non faire un discours. Nous commençons par les porte-parole des groupes.

M. VAREIKIS (Lituanie), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen (interprétation)

Je viens d’un État balte. Il y a 25 ans, le Danemark, votre pays, a été le promoteur le plus actif de l’intégration de cette région dans les structures européennes. Cela a été très important pour nous.

Quelle idée géopolitique vous guide-t-elle aujourd’hui? Êtes-vous toujours favorable à l’intégration d’autres régions au plus tôt, comme c’était le cas voilà un quart de siècle?

M. Løkke Rasmussen, Premier ministre du Danemark (interprétation)

Je vous remercie de cette question. Comme ma réponse doit être brève, je me bornerai à dire que nous avons toujours la même approche et que je crois fermement en une Europe intégrée.

Je représente un petit pays dont l’économie est orientée vers le marché européen. Nous recherchons l’interaction avec nos pays voisins. C’est précisément pour cela que je pense que nous devrions davantage essayer de relever des défis communs et de nous investir plus encore dans l’Union européenne pour agrandir nos frontières vers l’extérieur. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons continuer à aller dans le sens d’une Europe plus ouverte et plus intégrée.

Mme STRIK (Pays-Bas), porte-parole du Groupe des socialistes, démocrates et verts (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, vous avez dit qu’il était important d’avoir un système de droits de l’homme effectif. Pensez-vous que l’indépendance de la Cour soit une condition nécessaire? Dans de nombreux pays, on constate que les juges sont moins indépendants. Vos propositions ne conduiront-elles pas à faire peser une pression supplémentaire sur les juges? Que proposez-vous pour répondre aux enjeux actuels et aux problèmes que vous évoquiez concernant l’absence de mise en œuvre des arrêts et de respect de la jurisprudence?

M. Løkke Rasmussen, Premier ministre du Danemark (interprétation)

Je puis vous assurer que je crois fermement à un système judiciaire indépendant. C’est la raison pour laquelle nous avons beaucoup participé à cette discussion.

De toute évidence, la Cour est confrontée à des retards très importants. Cela dit, certains États membres ont bel et bien ancré la Convention dans leur système judiciaire national. Cela mérite d’être souligné. Aussi l’idée de la responsabilité partagée et du renforcement du dialogue entre les États et la Cour est-elle d’une importante primordiale.

M. HENRIKSEN (Danemark), porte-parole du Groupe des conservateurs européens (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, je suis heureux de vous voir aujourd’hui dans cet hémicycle. Au nom du Groupe des conservateurs européens, je voudrais vous poser deux questions.

Tout d’abord, pourriez-vous indiquer à l’Assemblée la manière dont le Gouvernement danois agit pour autoriser différentes interprétations de la Convention par les différents États, afin de permettre à ces derniers, à l’avenir, d’expulser plus facilement les migrants ayant commis des délits et les clandestins? Il s’agit de permettre aux États de mener une politique migratoire.

Pourriez-vous ensuite nous dire comment vous percevez la situation des droits de l’homme en Russie et en Ukraine?

M. Løkke Rasmussen, Premier ministre du Danemark (interprétation)

Je vous renvoie à ce que j’ai dit dans mon discours et j’ajoute que nous avons très récemment facilité la tenue d’une conférence d’experts de haut niveau à Kokkedal. Nous y avons invité les États membres à participer à un débat portant sur des questions essentielles. Trente-neuf États membres y ont participé: j’y vois un engagement très clair de leur part pour aller de l’avant. C’est bien aussi notre intention: nous souhaitons avancer dans les négociations et, je l’espère, adopter une déclaration au mois d’avril à Copenhague.

Notre ambition est de faire adopter une déclaration politique faisant le point sur le processus de réforme en cours, proposant de nouvelles mesures en vue de renforcer le système de la Convention et fixant des directives pour les activités futures. Parmi les nombreuses idées avancées, l’une a été de faciliter la tâche aux États membres souhaitant saisir la Cour et plaider pour présenter leurs arguments. Ce sera sans doute l’une de nos priorités.

Ce matin même, j’ai eu l’occasion d’en discuter avec le président de la Cour et je ne vois pas la moindre opposition entre nous sur ce sujet. Je constate même que tout le monde partage le désir de protéger et de conforter le système des droits de l’homme mais, pour ce faire, il faut résoudre un certain nombre de problèmes. Je pense notamment à l’accumulation des dossiers que la Cour n’arrive pas à traiter. Cela dit, comme je l’indiquais dans mon discours, il faudrait aussi donner une marge de manœuvre plus importante aux pays qui respectent leurs obligations en matière de droits de l’homme.

Je répondrai brièvement à votre seconde question, sans entrer dans le détail. Il est parfaitement évident que les droits de l’homme sont méconnus dans certains États membres et dans certaines régions spécifiques. S’agissant de l’Ukraine, les droits de l’homme des habitants de Crimée doivent être garantis, conformément aux instruments du Conseil de l’Europe, à commencer par la Convention européenne des droits de l’homme. Toutes les parties doivent faire preuve d’un engagement constructif dans ce domaine et j’appuie les efforts du Secrétaire Général dans ce dossier. J’ajoute que le Danemark est très présent en Ukraine; nous avons joué un rôle important pour promouvoir la bonne gestion et l’État de droit, même si des difficultés subsistent.

M. BILDARRATZ (Espagne), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (interprétation)

Le Danemark a engagé une réforme institutionnelle il y a dix ans: vous avez modifié l’architecture territoriale et modifié les circonscriptions électorales en partant du principe que c’est au niveau local que l’on peut le mieux agir pour les citoyens. Quel bilan faites-vous de cette réforme? Après la réunion de Göteborg et l’adoption d’un nouveau pilier social européen, comment envisagez- vous l’articulation entre votre politique sociale nationale et ces nouvelles orientations?

M. Løkke Rasmussen, Premier ministre du Danemark (interprétation)

Je répondrai au second volet de votre question.

En qualité de Premier ministre d’un pays dont le système social fonctionne très bien, avec une longue tradition en matière d’égalité des chances entre les citoyens, le débat européen sur la cohésion sociale me semble fondamental. La réunion de Göteborg constitue une bonne initiative. Nous nous sommes mis d’accord sur les lignes directrices à suivre en matière sociale. Maintenant, il faut agir et mettre en œuvre ces idées. Nous devons nous doter d’une stratégie complète, améliorer la compétitivité, réduire les inégalités en matière de compétences et réformer le marché de l’emploi. Ce n’est pas là chose aisée. Il est impossible de réaliser ce programme depuis Bruxelles ou Strasbourg: chaque État doit travailler à son niveau. C’est le message que je voudrais transmettre aujourd’hui.

Je suis fier de notre tradition danoise qui amène les partenaires sociaux à la table des négociations. L’accord tripartite récemment signé pourrait servir de modèle pour d’autres pays.

Si nous n’essayons pas de résoudre les problèmes au plus près des gens, tels qu’ils se posent de manière concrète aux citoyens – qu’ils soient liés aux migrations ou au chômage, notamment celui des jeunes –, nous perdrons le soutien de nos opinions publiques. Je vous remercie d’avoir appelé mon attention sur ce sujet fondamental.

M. CROWE (Irlande), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne (interprétation)

L’Union européenne a mis en place la Coopération structurée permanente. Mon parti y est opposé tout comme à une possible armée européenne, qui serait dangereuse. Nous avons fait campagne contre l’implication irlandaise dans la CSP, qui menacerait la neutralité irlandaise. Le Danemark soutient-il cette approche? Pouvez-vous expliquer la position des Danois qui souhaitent adhérer à cette alliance militaire européenne?

M. Løkke Rasmussen, Premier ministre du Danemark (interprétation)

Je vais vous décevoir. Je suis favorable à ce que l’Union européenne prenne davantage de responsabilités dans le domaine de la sécurité compte tenu de la situation dans les pays voisins. Cependant, le Danemark ne peut participer à la politique de défense européenne pour des raisons juridiques. Pour participer, nous devrions organiser un référendum et je ne pense pas que cela soit opportun actuellement.

Le fait que nous ne rejoignons pas la CSP ne signifie pas pour autant que nous lui sommes hostiles. Nous appartenons à l’Otan. Il est évident, au regard de la nouvelle politique américaine et de la situation régionale en Europe, que l’Union européenne doit se préoccuper davantage des questions de défense. Ma priorité est de ne pas créer de doublon entre l’Otan et l’Union européenne. La stratégie européenne doit apporter une réelle valeur ajoutée.

Mme GAMBARO (Italie), porte-parole du Groupe des démocrates libres (interprétation)

Nous nous félicitons de votre engagement en faveur des droits de l’homme. Comment le Conseil de l’Europe peut-il rassembler ses membres afin que ces droits soient respectés partout?

M. Løkke Rasmussen, Premier ministre du Danemark (interprétation)

Il n’y a pas de réponse simple à cette question. Cela demande un travail considérable. Il convient de poursuivre le travail engagé ici, de rassembler des experts et des responsables politiques dans un dialogue ouvert et sans préjugés, afin de parvenir au meilleur système de protection possible.

Si j’avais une recette magique, j’en serais heureux, mais ce n’est pas le cas. La panacée n’existe pas. J’admire le travail effectué au sein de votre Assemblée: de très nombreuses personnes ont retrouvé la liberté ou vu leurs conditions d’existence s’améliorer grâce à votre travail. Il convient donc de le poursuivre.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

Nous prendrons les questions suivantes par séries de trois.

Mme DURANTON (France)

Monsieur le Premier ministre, parmi 175 États, le Danemark occupe depuis plusieurs années la première place du classement de l’indice de perception de la corruption établi par Transparency International. Je vous en félicite.

Quelles sont, selon vous, les raisons qui expliquent cette situation? Comment le Danemark pourrait-il aider d’autres pays à progresser?

M. HOWELL (Royaume-Uni) (interprétation)

Comme la presse l’a récemment souligné, le Danemark verse chaque année des millions de couronnes pour des arrestations et des détentions arbitraires.

Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous en dire davantage sur le fonctionnement du système judiciaire danois et sur votre politique en matière de lutte contre le terrorisme?

M. SCHWABE (Allemagne) (interprétation)

Le débat sur la Convention européenne des droits de l’homme n’est pas nouveau. En revanche, il est nouveau que l’on remette en question la Cour européenne des droits de l’homme aussi ouvertement que vous l’avez fait aujourd’hui, Monsieur Rasmussen.

L’Assemblée parlementaire a précisément pour mission de protéger cet organe du Conseil de l’Europe. Vous nous placez donc aujourd’hui dans une situation délicate. Au sein du Comité des Ministres, votre position est-elle suivie par d’autres pays?

M. Løkke Rasmussen, Premier ministre du Danemark (interprétation)

Monsieur Howell, je répondrai à votre question en soulignant l’efficacité du système judiciaire danois qui, et je réponds du même coup à la dernière question, pourrait en effet inspirer d’autres pays. C’est d’ailleurs pourquoi j’insiste sur la notion de responsabilités partagées entre le niveau national et le niveau européen, afin que nous puissions concentrer, au niveau européen, nos ressources et notre énergie sur les pays qui en ont le plus besoin.

Mme Duranton souhaite connaître notre position sur la question de la corruption. La transparence qui caractérise la société danoise explique sans doute notre première place au classement de Transparency International. Nous sommes un petit pays, de seulement 5,8 millions d’habitants, fort bien organisé. Il y a quelques années, nous avons réformé notre système administratif et nous avons mis l’accent sur l’efficacité des municipalités et des régions. La manière dont notre système est organisé et structuré, mais aussi l’importance que nous accordons à l’égalité entre tous les citoyens, expliquent sans doute aussi notre première place. Cela nous donne toutefois une obligation d’agir au niveau international, dans la lutte contre la corruption, dont dépendent les libertés individuelles au sein de nos sociétés.

M. De BRUYN (Belgique) (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, permettez-moi de vous dire combien j’apprécie l’idée d’organiser au mois de mars, à Copenhague, une conférence sur la vie privée en tenant compte des orientations de genre.

La prise en compte des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes – LGBTI – est actuellement problématique en Tchétchénie, en Azerbaïdjan et en Turquie. Le Danemark a-t-il l’intention de prendre des mesures au cours de sa présidence afin que le Conseil de l’Europe se saisisse de cette question?

M. SØNDERGAARD (Danemark) (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, dans votre discours, vous avez évoqué brièvement le problème de la non-exécution des arrêts de la Cour.

Que peut faire concrètement la présidence danoise? Avez-vous des propositions d’action dans la perspective de la future Déclaration de Copenhague?

Mme SCHOU (Norvège) (interprétation)

L’une des priorités de la présidence danoise est d’encourager la participation des jeunes à la vie démocratique. Je soutiens pleinement cet objectif, l’éducation à la citoyenneté et aux droits de l’homme étant indispensable pour défendre, à l’avenir, le système de la Convention.

Quel sera, Monsieur le Premier ministre, votre principale initiative pour encourager la participation des jeunes?

M. Løkke Rasmussen, Premier ministre du Danemark (interprétation)

Je vous remercie pour ces trois questions essentielles. Il m’est évidemment difficile, étant donné le temps qui m’est imparti, de vous apporter des réponses détaillées, et je m’en excuse.

En ce qui concerne les personnes LGBTI, promouvoir la tolérance est certainement la principale action à mener. Le droit des minorités à vivre leur vie comme elles l’entendent doit être protégé. C’est l’une des priorités de l’Europe, et en particulier du Danemark – pas seulement, du reste, au cours de sa présidence du Comité des Ministres. Je suis fier de vous dire que le Danemark a été choisi pour agir dans ce domaine à l’avenir dans le cadre d’événements sportifs importants liés à cette thématique. Nous avons déjà fait beaucoup, mais il reste des défis à relever, pas uniquement sur le plan juridique mais aussi pour sensibiliser la population.

Pour promouvoir l’égalité des chances et la possibilité pour chacun de vivre librement, il ne faut pas travailler uniquement aux niveaux politique et législatif, mais il faut aussi organiser le débat et le dialogue au sein de la société de manière constante. C’est pourquoi je vous encourage à continuer à critiquer les pays qui ne respectent pas les droits des personnes LGBTI, en interdisant par exemple qu’elles manifestent.

S’agissant de la question posée par mon compatriote, M. Søndergaard, il est clair que certains pays ne sont pas suffisamment volontaristes dans l’exécution des arrêts de la Cour, mais je ne suis pas ici pour les montrer du doigt. Nous devons nous saisir de cette question car les citoyens européens souhaitent un système de protection des droits de l’homme plus efficace en Europe. Nous allons en discuter à Copenhague. J’ai évoqué cette question avec le Président aujourd’hui même.

Nous devons trouver le moyen d’inclure, dans notre déclaration finale, une solution visant à aider les États membres à transposer la Convention dans leur système juridique.

Enfin, l’éducation des enfants et l’égalité des genres sont des sujets prioritaires pour la présidence danoise. Comme l’a certainement dit Son Altesse Royale, nous allons organiser une conférence à Copenhague, en liaison avec l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, sur les bonnes pratiques en termes de respect de la vie privée, en particulier s’agissant de familles composées autour de couples du même genre. Nous voulons également organiser une réunion en avril pour passer des paroles aux actes. La Conférence se fondera sur les instruments élaborés par le Conseil de l’Europe en matière de citoyenneté.

Vous avez raison: tout commence avec l’enfance. C’est la raison pour laquelle nous devons apprendre à nos enfants à vivre dans une société démocratique et tolérante – tolérante à l’égard des LGBTI, mais pas seulement. Cela nous permettra, par la même occasion, d’éviter la radicalisation.

Mme HOFFMANN (Hongrie)

L’immigration illégale et les sociétés parallèles résultant de ce phénomène sont des risques graves pour la sécurité et posent un défi majeur aux sociétés européennes. Il nous faut une politique d’immigration stricte et systématique, comme celles qui sont appliquées en Hongrie et au Danemark, afin de protéger les citoyens européens.

Monsieur le Premier ministre, selon vous, comment pourrions-nous réduire l’immigration illégale pour garantir la sécurité des citoyens?

M. ZINGERIS (Lituanie) (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, je vous remercie pour vos réponses précises et détaillées.

En 1960, sous l’impulsion de la présidente de la délégation danoise de l’époque, Mme Lowzow, l’Assemblée parlementaire a adopté une résolution relative à la reconnaissance de l’occupation des pays Baltes par l’Union soviétique. Comment pouvons-nous, ensemble, préserver la mémoire du rôle qu’a joué Mme Lowzow, figure importante de la vie politique européenne, décédée en 1985?

Mme De SUTTER (Belgique) (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, vous avez plaidé pour la réforme du système européen des droits de l’homme. Vous souhaitez faciliter la tâche aux États membres pour qu’ils puissent intervenir directement dans l’examen des cas portés devant la Cour. Vous appelez cela la «responsabilité partagée». Il me semble qu’une telle pratique comporte des risques: certains pays pourraient conclure que les droits de l’homme sont non pas universels, mais soumis au principe de subsidiarité.

M. Løkke Rasmussen, Premier ministre du Danemark (interprétation)

Madame De Sutter, les droits de l’homme sont universels; je tiens à le souligner. La question que nous posons est la suivante: quel serait le meilleur système permettant à chacun de jouir de ses droits et de se sentir véritablement protégé?

La Cour européenne des droits de l’homme a un retard important dans le traitement des affaires. Nous devons trouver une solution à ce problème. L’une des options est de faire plus au niveau national. Pour cela, la Convention européenne des droits de l’homme doit être transposée à l’échelon national dans les tous les États membres.

Cela dit, je souhaite préciser que ce n’est pas parce que, dans certains États membres, un grand nombre d’affaires sont portées devant la Cour que l’on doit forcément en conclure qu’ils ont davantage de problèmes que les autres. C’est peut-être tout simplement parce que, pour diverses raisons – des raisons techniques ou bien tenant aux traditions –, on n’accorde pas à la Convention, dans ces pays, la même importance que dans d’autres pays.

Quoi qu’il en soit, une meilleure coopération entre le niveau national et le niveau européen serait la bienvenue: si nous pouvions apprendre à certains pays à mieux mettre en œuvre la Convention, cela soulagerait la Cour, laquelle pourrait ainsi se concentrer sur les affaires les plus graves. Il est important d’affirmer que les droits de l’homme sont universels. Toutefois, il existe une responsabilité partagée dans leur mise en œuvre.

Monsieur Zingeris, vous avez raison: Marie Antoinette von Lowzow a joué un rôle extrêmement important dans l’histoire, à une époque où votre pays ne jouissait pas des mêmes libertés et de la démocratie. Comment pouvons-nous lui rendre hommage? Vous venez de le faire en la mentionnant et en rappelant la résolution relative aux pays Baltes, à l’époque du Rideau de fer.

Enfin, je suis pleinement d’accord avec Mme Hoffmann: pour assurer la cohésion sociale et culturelle en Europe, il nous faut trouver une façon de remédier au problème de l’immigration clandestine en Europe. Ce n’est pas chose facile. Nous devons mettre en œuvre une vaste stratégie afin de mieux protéger nos frontières extérieures, mais ce n’est pas suffisant. On ne peut résoudre les problèmes en érigeant des murs. Il faut tendre la main aux pays d’origine, travailler avec eux et leur demander de lutter plus efficacement contre les causes profondes de ces migrations.

Au cours de ces dernières années, notre politique à l’égard des États africains a avancé, même si la route est encore longue. Nous devons trouver une situation gagnante pour les deux parties. Il faut donner aux États africains un meilleur accès aux échanges avec l’Europe, les aider à développer leurs compétences et à trouver une bonne gouvernance; nous devons apporter plus d’assistance humanitaire et investir plus dans les infrastructures. En retour, les pays africains doivent s’engager à ce que nous puissions renvoyer les migrants clandestins vers leur pays d’origine. Nous avançons peu à peu dans cette voie. Si plus de pays voulaient se consacrer à cette tâche, nous pourrions aller plus vite. Je suis fier de dire que je représente un pays qui fait partie des cinq ou six pays dans le monde à atteindre l’objectif assigné par les Nations Unies, soit d’affecter au moins 0,7 % du PIB à l’aide au développement.

À long terme, à moins de donner de véritables espoirs aux jeunes Africains pour leur avenir, la pression pèsera sur l’Europe. À court terme, nous pouvons faire beaucoup à l’exemple du Danemark qui, après avoir renforcé sa politique en la matière, a reçu cette année beaucoup moins de demandeurs d’asile ou de clandestins par rapport aux neuf dernières années. Si nous voulons résoudre les problèmes, un meilleur partenariat entre l’Europe et l’Afrique est nécessaire.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, je vous remercie vivement pour votre discours et vos réponses à nos questions.