Nikol

Pashinyan

Premier ministre de l'Arménie

Discours prononcé devant l'Assemblée

jeudi, 11 avril 2019

Madame la Présidente de l’Assemblée parlementaire, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, les invités de haut rang qui interviennent à cette tribune commencent très souvent leur discours par la phrase suivante: «C’est un grand honneur pour moi de prendre la parole depuis la tribune de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.» C’est effectivement un grand honneur. Permettez‑moi cependant de dire que prendre la parole depuis cette tribune revêt pour moi une importance et un sens tout particuliers. Je vais m’efforcer de vous expliquer pourquoi.

Durant l’été 1999, j’attendais que soit prononcée la peine qui était l’aboutissement d’une procédure pénale me visant, liée à un article que j’avais publié dans le quotidien Oragir, dont j’étais le rédacteur en chef. Le procureur a requis une peine de trois ans d’emprisonnement, ce qui aurait dû m’envoyer derrière les barreaux. À l’époque, il était pratiquement impossible qu’un tribunal s’écarte des réquisitions du parquet. C’est alors que s’est produit un miracle: la cour, tout en me condamnant à 1 an de peine de prison, s’y est pris de telle façon que ma mise en détention soit reportée.

Il s’est révélé par la suite qu’il n’y avait à cela qu’une seule raison: l’Arménie était sur le point de devenir membre du Conseil de l’Europe et le Président de l’APCE, Lord Russell‑Johnston, préparait sa visite en Arménie pour évoquer de questions liées à l’adhésion de mon pays. En ces circonstances, au moment de la visite d’un si haut représentant, il est apparu aux autorités nationales que l’emprisonnement d’un rédacteur en chef ne serait pas d’un très bon effet. Lors de sa visite, Lord Russell‑Johnston a effectivement abordé ma situation et les autorités ont apparemment promis de ne pas m’envoyer derrière les barreaux. Après cette visite, ma condamnation a été assortie de diverses conditions mais, du fait du processus d’adhésion de l’Arménie au Conseil de l’Europe, qui s’est déroulé entre 1999 et 2000, j’ai réussi à ne pas être jeté en prison.

Au cours des années qui ont suivi, j’ai été visé par plusieurs procédures pénales, mais les peines de prison ont toujours été reportées, jusqu’au jour où je me suis finalement retrouvé derrière les barreaux, après les événements du 1er mars 2008, lorsque les actions illicites des autorités ont provoqué la mort de dix citoyens arméniens, parmi lesquels huit manifestants pacifiques. À l’époque, des milliers de membres des mouvements d’opposition ont été interpellés au seul motif d’avoir participé à une manifestation. Plus d’une centaine de dirigeants et militants politiques ont été détenus, en tant que prisonniers politiques.

Les citoyens privés de leur droit de réunion, les représentants politiques enfermés, leurs proches ainsi que les proches des victimes des événements du 1er mars ont alors placé tous leurs espoirs dans le Conseil de l’Europe et son Assemblée parlementaire. Il faut comprendre qu’après le 1er mars, la Constitution arménienne avait été abrogée et la population, privée d’accès à toute voie de recours, n’avait plus d’espoir. Les cinq résolutions adoptées par l’APCE en réponse à ces événements ont apporté une véritable bouffée d’oxygène pour l’Arménie, ravivant l’espoir: tout n’était pas perdu.

Placé en détention préventive depuis 2009 et condamné à sept ans d’emprisonnement en 2010, je n’ai passé que deux années derrière les barreaux, avant d’être à nouveau remis en liberté, grâce au soutien des citoyens de la République d’Arménie, mais aussi à celui du Conseil de l’Europe. En effet, au cours de l’été 2011, Thomas Hammarberg, alors Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, m’a rendu visite en prison. Cette visite a été décisive car elle a appelé l’attention de la communauté internationale sur la situation des prisonniers politiques en Arménie de façon générale, mais également sur ma situation en particulier. Peu de temps après, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré que ma requête revêtait un caractère d’urgence. Deux mois plus tard, les autorités m’ont remis en liberté, prononçant ma grâce, sachant trop bien que l’étape suivante du Conseil de l’Europe aurait été de me déclarer officiellement prisonnier politique. C’est en décembre 2018 que je suis entré en contact étroit avec le Conseil de l’Europe et l’APCE. À l’époque, j’étais déjà le Premier ministre de l’Arménie, fonction à laquelle je suis parvenu grâce à la révolution de velours, non violente et populaire, qui s’était déroulée en avril et mai 2018.

Nous étions alors parvenus à un tournant de la révolution: la convocation d’élections parlementaires anticipées. Lors de ce scrutin, notre parti politique a obtenu plus de 70 % des suffrages mais, plus important encore, la mission d’observation de l’APCE a conclu que les élections s’étaient déroulées de façon démocratique. Permettez‑moi ici de citer les conclusions de la mission d’observation de l’APCE: «La révolution pacifique dite “révolution de velours”, associée à la volonté politique des autorités actuelles, a permis la tenue d’élections démocratiques.» Les autres missions d’observation internationales ont, elles aussi, reconnu que les élections parlementaires anticipées de décembre avaient été libres, transparentes, démocratiques, ouvertes – une appréciation qui n’avait jamais été émise pour aucune des élections organisées précédemment en Arménie. Le résultat officiel n’a du reste pas été contesté devant la Cour constitutionnelle: c’était aussi, dans mon pays, la première élection parlementaire dont le résultat était accepté sans réserve par toutes les forces politiques ainsi que par l’opinion publique.

Alors que je suis ici en ma qualité de Premier ministre, élu par le peuple de la République d’Arménie, je souhaite exprimer ma gratitude au Conseil de l’Europe et à son Assemblée parlementaire pour le soutien qu’ils apportent aux droits de l’homme et au développement de la démocratie en Arménie.

La démocratie a triomphé en Arménie. Ce fut possible grâce à la révolution de velours, non violente et populaire, qui s’y est déroulée voilà près d’un an. Je souhaite souligner que cette révolution est née dans l’âme et le cœur du peuple arménien et qu’aucune puissance étrangère – aucune, j’insiste – n’a d’une quelconque façon participé à notre révolution. Notre révolution n’a été traversée d’aucun courant géopolitique.

Si elle s’est produite et a réussi à porter ses fruits, c’est qu’en 2015, alors qu’arrivait la fin de son second mandat, le dirigeant de facto de l’Arménie, Serge Sarkissian, a introduit des amendements constitutionnels visant à faire passer l’Arménie, en avril 2018, d’un système de gouvernement semi‑présidentiel à un système parlementaire. Alors qu’il préparait l’introduction de ces amendements constitutionnels, il a promis de ne plus jamais prétendre au poste de Premier ministre de l’Arménie. Toutefois, en 2018, il est apparu clairement qu’il était le candidat de la majorité au pouvoir, en lice pour le poste de Premier ministre.

Ayant appris cela, mes amis et moi‑même avons entamé une marche, le 31 mars 2018, qui nous a menés de Gyumri, la deuxième ville d’Arménie, à Erevan, sa capitale. Chemin faisant, nous avons encouragé les citoyens arméniens à empêcher Serge Sarkissian de mener à bien son tour de passe‑passe politique. Nous avons marché 13 jours durant, nous avons parcouru 200 kilomètres. Toute la marche a été couverte en temps réel par les médias sociaux. Dans la capitale, à Erevan, un nombre incalculable d’élèves, garçons et filles, ont d’abord rejoint notre mouvement, suivis bientôt par leurs frères et sœurs aînés, suivis à leur tour par leurs pères et mères, suivis à leur tour par leurs grand‑pères et grand‑mères. Même si, le 17 avril 2018, Serge Sarkissian a été élu Premier ministre par le parlement, et même si, une fois encore, j’ai été emprisonné le 22 avril, Serge Sarkissian, soumis à la pression populaire, a été contraint dès le lendemain à nous remettre en liberté, mes amis et moi‑même, et à présenter sa démission. Quinze jours plus tard, le 8 mai 2018, ce même parlement m’a élu Premier ministre de la République d’Arménie, parce que c’était ce qu’exigeait toute la population arménienne.

Telle a été notre révolution, cette révolution que nous avons baptisée «révolution de l’amour et de la solidarité» parce que, dès le début, elle a reposé sur la logique de la lutte non violente. Nos mains ouvertes et levées vers le ciel ont été le symbole de notre révolution. Elles ont symbolisé notre engagement renouvelé et le fait que, quelles que soient les circonstances, et même si la police et les dirigeants devaient recourir à la violence contre nous, nous n’y répondrions pas par la violence. L’amour et la foi en une lutte non violente l’ont emporté sur le système oligarchique et corrompu qui a prévalu en Arménie durant des années. Ils ont triomphé sans violence et sans faire de victime. Ils ont triomphé sans recours aux armes. Ils ont triomphé grâce à nos seules mains, ouvertes, que nous avons levées vers le ciel.

Chers amis, de profonds changements politiques s’opèrent actuellement en Arménie. Nous avons réussi à éradiquer la corruption systémique, à mettre à bas les structures économiques fondées sur le monopole et à instaurer des mécanismes permettant de garantir l’égalité de chacun devant la loi.

Chaque jour, nous repoussons les frontières de l’économie souterraine. Au fil des 10 derniers mois, plus de 50 000 emplois ont été créés ou sortis de l’économie grise, soit 10 % du nombre total d’emplois sur le marché du travail. Nos recettes fiscales ont de loin dépassé les objectifs fixés, et nous pensons percevoir, pour l’exercice 2019, au moins 70 millions d’euros supplémentaires, soit 2,6 % de la totalité des recettes fiscales. Ces fonds supplémentaires nous permettront de bâtir des routes, d’investir dans le système de santé, d’assurer un développement homogène de nos régions et de revoir les salaires à la hausse.

Les activités du gouvernement sont menées de façon transparente et responsable et notre pouvoir découle de l’expression libre de la volonté du peuple. Désormais, l’Arménie est incontestablement un pays démocratique, où prévalent, sans aucune restriction, la liberté d’expression et la liberté de réunion.

Le chapitre de notre histoire qui a été marqué par le trucage des élections et une corruption endémique a été refermé une fois pour toutes, et notre gouvernement continue d’adopter des mesures visant à renforcer le respect des droits de l’homme. Cependant, notre démocratie doit encore être renforcée et consolidée, notamment par la mise en place de garanties économiques et institutionnelles. Le développement des institutions démocratiques, l’existence d’un pouvoir judiciaire indépendant, la création et le renforcement des institutions de lutte contre la corruption sont autant de domaines pour lesquels nous avons besoin du soutien du Conseil de l’Europe.

C’est important, non seulement parce que nous devons consolider les résultats de notre révolution politique, mais également parce que notre révolution économique, récemment entamée, doit elle aussi aboutir. Cette révolution vise à encourager l’activité économique de nos concitoyens, à faire naître de nouvelles possibilités, à rendre l’Arménie plus séduisante encore aux yeux des touristes et des investisseurs et à faire de notre pays un véritable pionnier dans le domaine des nouvelles technologies. Nous sommes convaincus que nous saurons mener à bien cette difficile mission car notre population a retrouvé la foi en sa force et son avenir.

Mesdames et Messieurs, le conflit du Haut‑Karabakh reste un défi majeur pour toute notre région. À l’instar de tout gouvernement démocratique, le Gouvernement arménien s’est engagé sur le principe selon lequel seule une solution pacifique peut être apportée à cette question. Cependant, les changements démocratiques qui ont eu lieu dans notre pays ont apporté de nouvelles nuances quant à la façon dont elle peut être réglée. Nous sommes parvenus à engager un dialogue plutôt constructif et positif avec Ilham Aliev, le Président de l’Azerbaïdjan. C’était crucial. Je suis toutefois convaincu que le dialogue entre dirigeants ne permettra pas à lui seul de régler la question du Haut‑Karabakh: il est également important d’engager un dialogue entre les sociétés. Nous devons préparer nos sociétés respectives à la paix plutôt qu’à la guerre.

Lors de la conférence de presse que j’ai récemment donnée à Erevan, j’ai déclaré que les médias sociaux pourraient être des plateformes permettant un tel dialogue. Malheureusement, les Arméniens et les Azerbaïdjanais continuent à recourir, les uns envers les autres, à un langage fait d’injures et de haine. En 30 ans de conflit, il aurait été concevable de penser que nous réussirions à épuiser le vocabulaire de l’injure et de l’obscénité et que nous tenterions, à tout le moins, de comprendre nos positions respectives et de trouver les raisons qui nous empêchent de nous comprendre.

J’ai personnellement lancé ce message en déclarant, à plusieurs reprises, notamment devant le Parlement arménien, que toute solution à la question du Haut‑Karabakh devait être considérée comme acceptable par le peuple d’Arménie, par le peuple d’Azerbaïdjan et par celui du Haut‑Karabakh. Non seulement une telle déclaration est sans précédent, mais elle a également permis d’esquisser la formule qui pourrait ouvrir le chemin menant à une résolution pacifique de la question du Haut‑Karabakh.

Malheureusement, nous n’avons pas entendu de déclaration similaire venant d’Azerbaïdjan. J’espère donc que ce message, transmis aujourd’hui de cette tribune de la paix, suscitera une réaction adéquate au sein la société azerbaïdjanaise.

Mesdames et Messieurs, si j’ai parlé de «tribune de la paix», ce n’est pas sans raison. Nous sommes dans un lieu où le dialogue devrait l’emporter sur les injures, où l’engagement constructif devrait primer sur les provocations. Malheureusement, la tribune de l’Assemblée parlementaire est parfois utilisée aussi pour fomenter les guerres. Ainsi, force est de constater que les débats sur le Haut‑Karabakh qui se sont déroulés ici au mois de janvier 2016 ont été le prélude à la guerre dite des «quatre jours», qui a commencé en avril 2016. Ces débats ont préparé le terrain pour l’offensive lancée par les forces de l’armée azerbaïdjanaise. Je n’affirmerai pas que cela s’est fait de façon consciente, mais les acteurs de ces échanges, les auteurs des documents discutés à ce moment‑là ont déclenché une guerre qui a coûté la vie à plusieurs centaines de personnes, en Arménie, au Haut‑Karabakh et en Azerbaïdjan.

À ce jour, que ce soit à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ou dans d’autres enceintes internationales, nous sommes les témoins de tentatives visant à entraîner ces organisations dans des jeux et des conflits géopolitiques et à les transformer en parties prenantes au conflit. Un tel comportement est rigoureusement contraire à l’essence même de ces organisations.

Il convient d’analyser les fondements et la nature de chaque conflit. Porter un jugement sur quelque conflit que ce soit, sans comprendre son origine, ses causes, sa nature et ses spécificités, ce serait jouer avec les vies et les destinées humaines.

C’est la raison pour laquelle nous continuons de croire que les coprésidents du Groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe – l’OSCE – doivent être les seuls à traiter de la question du règlement du conflit du Haut‑Karabakh, aux côtés des trois parties au conflit. Il s’agit là du seul format dans le cadre duquel les participants ont des informations, non seulement sur le statu quo, mais également sur l’évolution des négociations depuis le premier jour, ainsi que sur les subtilités du processus de négociation. Le Groupe de Minsk est le format qui a été mis en place, la plateforme permettant le dialogue entre toutes les parties au conflit: le Haut‑Karabakh, l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Nous prenons en ce moment des mesures visant à renouer le dialogue entre le Haut‑Karabakh et l’Azerbaïdjan, dans le cadre du Groupe de Minsk.

Mesdames et Messieurs, ce qui précède ne veut en aucune façon dire que le Conseil de l’Europe n’a pas de rôle à jouer dans la zone de conflit du Haut‑Karabakh. Cette Organisation, soucieuse de promouvoir les droits de l’homme et les institutions démocratiques en Europe, n’a accordé aucune attention aux organisations non gouvernementales présentes au Haut‑Karabakh. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe n’a pris aucune mesure pour consolider les institutions démocratiques et le développement de la société civile au Haut‑Karabakh. Cela s’explique par le fait que des divergences de vues existent sur le statut du Haut‑Karabakh, qui n’est pas reconnu en tant qu’État au niveau international.

L’engagement de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe n’aurait pourtant rien à voir avec la reconnaissance de la souveraineté du Haut‑Karabakh. Certes, ce territoire n’est pas encore reconnu en tant qu’État au niveau international, mais un débat international est‑il nécessaire pour savoir si les habitants du Haut‑Karabakh sont des êtres humains? Ici, au Conseil de l’Europe, cette Organisation pionnière en matière de droits de l’homme, les documents l’emportent‑ils sur les populations?

Je voudrais lancer de cette tribune un appel au Conseil de l’Europe et à toutes les organisations qui, en Europe, travaillent à la promotion des droits de l’homme, de la liberté d’expression et des institutions démocratiques: aidez le peuple du Haut‑Karabakh à améliorer ses lois et ses institutions, à promouvoir les droits de l’homme, l’État de droit et l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Les êtres humains valent bien plus que tous les documents ou les intérêts politiques, quels qu’ils soient. Je suis convaincu que cette Assemblée parlementaire saura entendre notre appel, conformément à ses valeurs.

Madame la Présidente, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire, c’est un immense honneur pour moi que de prendre la parole devant vous alors que nous célébrons le premier anniversaire de la révolution arménienne de l’amour et de la solidarité. L’hebdomadaire britannique The Economist a désigné l’Arménie «pays de l’année 2018», tout en s’interrogeant: le pays saura‑t‑il continuer sur le chemin du succès?

Du haut de cette tribune, j’ai la fierté de vous déclarer que la démocratie en Arménie est désormais irréversible, pour une bonne et simple raison: la victoire a été remportée non pas par des dirigeants ou des partis politiques, mais par le peuple, les citoyens, la jeunesse du pays. Tous les Arméniens savent désormais qu’ils sont le moteur du progrès. Ils ne passeront pas à côté de la chance exceptionnelle qui leur est donnée de faire de l’Arménie un phare de la démocratie et de l’État de droit, un exemple de transparence et de tolérance.

L’Arménie, espérons‑le, saura donc continuer à l’avenir à être une source de bonnes nouvelles pour tous ceux qui croient en la démocratie.

LA PRÉSIDENTE

Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de cet appel lancé de la «tribune de la paix», comme vous l’avez nommée.

Le rappel de la situation de l’Arménie et de l’importance du rôle du Conseil de l’Europe doit nous conduire à nous souvenir de l’importance de nos responsabilités et du devoir qui est le nôtre de continuer à défendre nos valeurs.

Un nombre important de parlementaires ont exprimé le souhait de vous poser une question.

Je leur rappelle que les questions ne doivent pas dépasser 30 secondes et qu’ils doivent poser une question et non faire un discours.

Nous commençons par les porte‑parole des groupes.

M. VAREIKIS (Lituanie), porte‑parole du Groupe du Parti populaire européen (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, vous avez évoqué en quelques phrases vos relations avec l’Azerbaïdjan. Quelles relations l’Arménie entretient‑elle avec ses autres voisins? En êtes‑vous satisfait et, si ce n’est pas le cas, quelles améliorations envisagez‑vous?

M. Pashinyan, Premier ministre de l'Arménie (interprétation)

Je vous remercie beaucoup de cette question. Les relations que nous entretenons avec certains de nos voisins ne sont pas, en effet, excellentes. Avec d’autres, elles sont bonnes, voire très bonnes – je pense en particulier à la Géorgie et l’Iran, avec lesquels nous entretenons des relations de haut niveau et un dialogue intense. Nous souhaitons aller encore plus loin avec ces pays.

Malheureusement, comme vous le savez, nos relations avec l’Azerbaïdjan et la Turquie sont plus difficiles. Nous n’avons d’ailleurs pas de relations diplomatiques avec ces pays. La situation avec l’Azerbaïdjan est, je le crois, claire pour tout le monde. La Turquie, quant à elle, lie l’établissement de relations diplomatiques avec l’Arménie au fait que nous engagions des relations diplomatiques avec l’Azerbaïdjan. Nous avons indiqué que nous étions prêts à ouvrir le dialogue avec ce pays sans conditions préalables. J’ai d’ailleurs précisé tout à l’heure les progrès qui nous semblent possibles vis‑à‑vis de l’Azerbaïdjan. Nous souhaitons placer nos relations avec nos voisins dans le cadre du programme pour la paix présenté par notre Gouvernement.

M. SCHÄFER (Allemagne), porte‑parole du Groupe des socialistes, démocrates et verts (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, votre exposé sur la démocratisation de l’Arménie était très impressionnant. Je vous félicite pour les progrès accomplis par votre pays.

Si des procès sont ouverts contre certains politiciens de votre pays, garantirez‑vous l’indépendance de la justice?

M. Pashinyan, Premier ministre de l'Arménie (interprétation)

Je vous remercie de cette question. La réforme de la justice est prioritaire pour le Gouvernement de l’Arménie. Des changements radicaux sont intervenus dans le pays, mais il n’y a pas eu encore de révolution dans le monde judiciaire. Nous avons cependant la volonté d’instaurer une justice indépendante à 100 %, dont les décisions susciteraient la confiance des Arméniens et de la communauté internationale. Il s’agit d’un impératif vital.

Récemment, une délégation de l’Union européenne s’est rendue en Arménie et des questions très directes m’ont été posées sur le sujet. On m’a notamment demandé jusqu’où j’étais prêt à aller pour garantir l’indépendance de la justice. J’ai répondu, en toute franchise, que nous avions la volonté d’aller jusqu’au bout, c’est‑à‑dire de donner à la justice sa pleine indépendance. Sans justice indépendante, en effet, nous ne pourrions pas garantir le caractère irréversible des changements institutionnels et démocratiques intervenus en Arménie.

La justice arménienne est‑elle aujourd’hui indépendante à 100 %? Je ne pourrais pas vous le garantir. En revanche, je peux vous assurer que nous avons mis un terme à certaines pratiques, en particulier au contrôle par le gouvernement du fonctionnement des tribunaux et du travail des juges. Nous avons totalement abandonné ce type d’ingérence.

Cela peut vous paraître étrange mais, pour ma part, je ne puis exclure que d’autres influences pèsent encore sur la justice arménienne, ni vous affirmer que notre système judiciaire est exempt de toute corruption. Il y a une dizaine de jours, un juge a été arrêté en flagrant délit: il était en train de recevoir un pot‑de‑vin. Sachez‑le, nous tenons absolument à rendre la justice indépendante.

M. HOWELL (Royaume‑Uni), porte‑parole du Groupe des conservateurs européens (interprétation)

Ma question porte sur les relations avec l’Iran, qui entretient avec l’Europe des relations assez compliquées. Quelle est votre vision de l’évolution des relations bilatérales entre l’Iran et l’Arménie, et quelles en seraient selon vous les conséquences pour l’Europe?

M. Pashinyan, Premier ministre de l'Arménie (interprétation)

Je vous remercie pour cette question. Lors de mes échanges avec de hauts représentants européens, j’ai toujours remarqué que les Européens comprenaient fort bien l’importance des relations entre l’Arménie et l’Iran et reconnaissaient la nécessité de maintenir des relations positives avec l’Iran.

La situation internationale est, il est vrai, compliquée: nous avons des amis de part et d’autre de cette ligne de fracture. Nous appelons de nos vœux la résolution des désaccords politiques entre l’Iran et l’Union européenne par le biais du dialogue, car le dialogue est la seule issue dans le monde actuel.

Je le répète, je retiens de mes échanges avec nos amis européens que chacun comprend la situation. Je n’ai pas encore eu l’occasion de rencontrer tout le monde, mais les contacts que j’ai eus avec mes partenaires de l’Union européenne et avec les représentants d’un certain nombre de pays confirment que chacun comprend cette vision, et la partage.

M. van de VEN (Pays‑Bas), porte‑parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (interprétation)

En avril 2018, cette Assemblée a adopté la Résolution 2218 (2018) «Lutter contre le crime organisé en facilitant la confiscation des avoirs illicites», dont j’étais le rapporteur. Je sais que la lutte contre la criminalité, y compris à haut niveau, figure parmi les priorités de votre gouvernement. Comment, selon vous, votre pays pourrait‑il coopérer avec les partenaires internationaux afin de mieux mettre à profit l’expérience internationale et les mécanismes existants dans ce domaine?

M. Pashinyan, Premier ministre de l'Arménie (interprétation)

Je me félicite de cette question: nous sommes justement en train de nous demander si notre pays pourrait connaître des confiscations de produits illicites n’ayant pas été précédées de condamnations. Cette question préoccupe dans différents milieux, y compris bien sûr parmi les membres du gouvernement précédent.

La pratique des confiscations extrajudiciaires de produits illicites fait partie des engagements internationaux qu’a pris l’Arménie, notamment en 2015, auprès du Conseil de l'Europe, dans le cadre du Comité d'experts sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, dit Moneyval. Je voudrais d’ailleurs rappeler que ce mécanisme est cité dans les enquêtes conduites dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent. Outre les conventions du Conseil de l’Europe se rapportant à ces sujets, il existe la Convention des Nations Unies contre la corruption. L’Arménie a donc souscrit un certain nombre d’engagements vis‑à‑vis de ce mécanisme. Je pense personnellement qu’elle pourrait et devrait le mettre en œuvre.

Comme je le disais, l’Arménie est un pays démocratique: une personne seule ne saurait s’arroger le droit de prendre des décisions. Avant d’aboutir à une décision, nous devons mener de larges consultations publiques. Il nous sera d’ailleurs très utile de continuer à dialoguer avec le Conseil de l'Europe en la matière. Nous voulons bien sûr veiller à ce que personne ne s’efforce d’interpréter ou d’utiliser ce mécanisme comme un outil de persécution ou de harcèlement. De telles pratiques sont révolues en Arménie.

M. HUNKO (Allemagne), porte‑parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne (interprétation)

La semaine dernière, nous avons eu, au Bundestag, un excellent débat sur un nouvel accord entre l’Union européenne et l’Arménie. Personne ne s’y est opposé. Nombre d’intervenants ont souligné qu’il était bon et positif que l’Arménie entretienne d’excellentes relations avec la Russie et l’Union européenne. Cela contraste avec d’autres accords, à l’occasion desquels les États se voient contraints de se déterminer en faveur de la Russie ou de l’Union européenne. Pourriez‑vous nous expliquer comment vous êtes parvenus à conserver de bonnes relations avec les uns et les autres? L’Arménie pourrait être une source d’inspiration pour d’autres...

M. Pashinyan, Premier ministre de l'Arménie (interprétation)

Dans mon intervention, j’ai souligné le fait qu’aucune puissance étrangère n’a eu d’influence sur la révolution arménienne. Des rumeurs ont circulé ici ou là, à l’occasion de mes visites ou conférences de presse. On prétend que notre révolution aurait été guidée de l’extérieur. Tel n’est pas le cas: notre révolution n’a été inspirée que par la solidarité et par l’amour. Elle n’a subi aucune influence, aucune ingérence de quelque puissance étrangère que ce soit. Personne n’est en mesure de prouver le contraire. Je l’ai dit et répété: c’est pour nous une véritable question de dignité nationale. Il y va également, d’ailleurs, de ma dignité personnelle. La démocratie est ancrée dans l’esprit de notre peuple. C’est la raison pour laquelle la situation est, effectivement, telle que vous la décrivez.

Permettez‑moi d’être franc. Mes propos ont été mis en doute par certains, dans les médias internationaux. D’aucuns prétendent encore ceci et cela; j’ai pu lire des allégations évoquant un contexte géopolitique particulier. Chacun pourra s’assurer que les choses se sont bien passées comme je le les ai décrites.

La révolution intervenue en Arménie n’est dirigée contre aucune organisation ni contre aucun pays. Le peuple arménien a fait cette révolution dans l’intérêt de son propre avenir, qu’il veut libre et heureux. Nous sommes libres de déterminer nos relations avec nos partenaires. Nous sommes membres de l’Union économique eurasiatique, que nous présidons actuellement. À nous de rendre cette organisation plus efficace. Nos relations avec la Russie sont d’ordre stratégique. Nous ferons ce qu’il convient pour les développer.

Pour ce qui est de la sécurité, nous sommes membres de l’Organisation du traité de sécurité collective, l’OTSC. Nous ferons de notre mieux pour renforcer notre participation et notre appartenance à cette organisation. Nous entretenons aussi de bonnes relations avec l’Union européenne, pour l’excellente raison que le contenu de l’accord de partenariat que nous avons signé avec elle correspond parfaitement aux intentions et aux projets du Gouvernement arménien: il répond au programme de réforme qui a toujours été le nôtre.

M. ŠEŠELJ (Serbie), porte‑parole du Groupe des démocrates libres (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, merci pour votre exposé et pour cet échange de vues.

En 2013, lors de sa présidence du Comité des Ministres, l’Arménie voulait promouvoir le dialogue interculturel, les sociétés démocratiques, le pluralisme et renforcer le rôle du Conseil de l’Europe dans l’architecture européenne. Pensez‑vous que, depuis lors, le Conseil et son Assemblée sont allés dans le sens que vous préconisiez et se sont rapprochés des objectifs fixés?

M. Pashinyan, Premier ministre de l'Arménie (interprétation)

Merci pour votre question.

J’espère qu’on ne se méprendra pas sur mes propos. Chaque fois que l’on parle de démocratie et de liberté d’expression, on dit qu’il s’agit de valeurs européennes. Tel est évidemment le cas, mais permettez‑moi de dire que ce sont aussi des valeurs arméniennes. À nos yeux, la démocratie n’a pas été importée en Arménie. La démocratie est naturelle pour les Arméniens, elle fait partie de leur héritage. Notre engagement au Conseil de l’Europe est fondé sur une interprétation partagée de la signification du concept de démocratie. Dans mon exposé, je l’ai dit: aucun pays étranger n’est intervenu lors de notre révolution.

L’Arménie appartient au Conseil de l’Europe depuis 18 ans. Ensemble, depuis lors, nous avons fait beaucoup. Ensemble, nous avons contribué au renforcement des institutions démocratiques arméniennes. De ce point de vue, l’engagement du Conseil de l’Europe au côté de mon pays a été fructueux. J’en ai d’ailleurs bénéficié personnellement puisqu’une première fois, j’ai échappé à la prison grâce au Conseil de l’Europe et, la seconde, j’ai été libéré grâce à l’intervention du Conseil. Je peux donc dire que cette interaction a été très fructueuse pour moi et mon pays.

LA PRÉSIDENTE

Mes chères et chers collègues, je propose de prendre les questions suivantes par séries de trois, afin de permettre au plus grand nombre d’entre vous de prendre la parole.

Mme DALLOZ (France)

Monsieur le Premier ministre, une grande partie de l’opinion publique est convaincue que dans certaines républiques de l’ex‑Union soviétique, les dirigeants et les membres de leurs familles deviennent très riches, très vite. Votre gouvernement a mis en œuvre un plan de lutte contre la corruption, y compris au plus haut niveau – il semblerait qu’un ancien président se trouve en prison. Pourriez‑vous nous indiquer quelles mesures concrètes vous avez adoptées pour lutter contre la corruption et les effets déjà constatés dans votre pays?

Mme AGHAYEVA (Azerbaïdjan) (interprétation)

Lors de son adhésion au Conseil de l’Europe, en 2001, l’Arménie a accepté de chercher une résolution pacifique au conflit du Haut‑Karabakh, dont l’occupation est une violation du droit international et des droits de l’Azerbaïdjan. Dans cette Assemblée, pourriez‑vous nous dire à quel moment vous comptez respecter cet engagement et les nombreuses résolutions et autres documents votés par les organisations internationales?

Mme TOMIĆ (Slovénie) (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, en novembre de l’année dernière, une conférence relative à la question des personnes lesbiennes, gays, bi, transsexuelles et intersexes – LGBTI –, qui devait se tenir à Erevan, a été annulée du fait d’incitations à la haine par certaines personnalités publiques et par souci de la sécurité des participants. Cela pose la question de la sécurité de ces personnes en Arménie, qui ont du mal à exercer leurs droits les plus fondamentaux tels que la liberté de réunion et d’expression. Quelles mesures votre gouvernement entend‑il prendre pour réparer ces torts?

M. Pashinyan, Premier ministre de l'Arménie (interprétation)

Merci beaucoup pour ces questions.

Lorsque je réfléchis à ce que je pourrais faire de mieux pour lutter contre la corruption, je me dis que je dois déjà en être moi‑même totalement indemne. À mon sens, tel est l’outil le plus efficace pour lutter contre la corruption: m’y engager moi‑même totalement. Il est important que la lutte que je mène contre la corruption soit visible. Je ne pense pas que, dans quelque pays que ce soit, un Premier ministre puisse dire: «J’ai l’intention de céder progressivement à la corruption.» Chacun annonce son intention de lutter contre la corruption, mais il importe d’être crédible et qu’il y ait adéquation entre les paroles et les actes.

En tant que dirigeant de mon pays, il est important que je sois engagé, mais cela n’a de sens que si mon peuple a confiance en moi. Cette confiance est la condition principale de la capacité à lutter efficacement contre la corruption. Nous savons tous, en effet, que la corruption a existé pendant de nombreuses années en Arménie, qu’elle se nourrit de ressources financières considérables et qu’elle pourrait revenir, surtout si la confiance de la population fait défaut. Vous avez donc raison.

Moi‑même, mon entourage et ma famille sommes les premiers à accepter d’être contrôlés. La transparence est un outil important et nous accomplissons, dans ce domaine, de grands progrès. Je ne dis pas que tout est parfait, mais la transparence a beaucoup progressé. Une procédure judiciaire a été engagée, il y a peu de temps, à l’encontre d’un de mes proches. Sans violer le principe de la présomption d’innocence pour qui que ce soit, je puis dire qu’une enquête judiciaire indépendante et impartiale aura lieu, ce qui montre la réalité de notre volonté à poursuivre dans cette voie.

S’agissant du Haut‑Karabakh, je viens de réitérer mon engagement en faveur d’une résolution pacifique du conflit. J’ai dit au cours de mon intervention que celle‑ci est, depuis peu, une priorité pour nous et que nous avons fait des propositions en ce sens lors de nos discussions avec l’Azerbaïdjan. Je suis satisfait que nous soyons parvenus à établir un dialogue franc et direct avec le Président Aliev. Nous n’avons malheureusement pas encore une vision commune des moyens de résoudre ce conflit, mais un meilleur climat a été créé entre nous, ce qui permet d’envisager un dialogue constructif. Nous sommes d’accord sur le fait que si nous voulons aboutir à une résolution pacifique du conflit, il convient d’apporter des réponses à un certain nombre de questions essentielles.

L’une d’entre elles porte sur le format des négociations. Il faut que le Groupe de Minsk travaille efficacement. Pour cela, il est nécessaire que les représentants du Haut‑Karabakh participent aux négociations. En effet, il est difficile de croire que l’on pourra résoudre le conflit en l’absence de la partie concernée au premier chef et sans établir le moindre contact avec elle. Nous nous efforcerons, comme je le mentionnais tout à l’heure, de rétablir le dialogue au sein du Groupe de Minsk.

Peut‑être ne le savez‑vous pas, mais il y a déjà eu des entretiens directs entre les dirigeants de l’Azerbaïdjan et les représentants du Haut‑Karabakh par le passé. Il existe des précédents. Pendant des années, des élus du Haut‑Karabakh furent représentés aux négociations, et cela non jusqu’en 1998, comme on l’a prétendu, mais jusqu’en 2018. N’oublions pas en effet qu’avant de devenir le Président de l’Arménie, Robert Kocharyan fut le Président élu de la République du Haut‑Karabakh, et que Serge Sarkissian, qui a représenté l’Arménie dans les négociations, était l’un des leaders du Haut‑Karabakh.

Notre objectif est de créer les meilleures conditions pour ce dialogue, qui ne doit pas être interrompu. C’est très important.

Pour ce qui est de la communauté LGBTI, comme je l’ai dit, l’Arménie est engagée sur la voie de l’État de droit; au sein de notre République, tous les citoyens doivent donc avoir les mêmes droits et les mêmes obligations. J’ai été informé du cas qui a été évoqué. Malheureusement, je ne peux pas vous dire les raisons pour lesquelles la manifestation a été annulée, ni quelle en était la cause. J’ai été informé du problème par des messages postés sur les réseaux sociaux. Je ne connais donc pas assez le sujet pour vous répondre avec précision.

M. Pashinyan, Premier ministre de l'Arménie (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, votre élection a suscité beaucoup d’attentes concernant le règlement pacifique du conflit du Haut‑Karabakh. Vous avez récemment pris position en faveur d’un changement du format des négociations. S’agirait‑il d’un pas en arrière? Pensez‑vous utiliser votre popularité pour favoriser la paix, et ce malgré les pressions venant de l’extérieur et l’action de certains oligarques?

M. ARIEV (Ukraine) (interprétation)

Il semblerait que l’Arménie ait voté contre la résolution des Nations Unies condamnant l’agression de la Russie contre l’Ukraine et l’annexion de la Crimée. Comptez‑vous faire évoluer la position de l’Arménie? Selon vous, à qui appartient la Crimée?

M. MASIULIS (Lituanie) (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, je vous félicite, parce que vous avez fait souffler un vent nouveau sur votre pays. Quelles sont vos priorités pour celui‑ci? À l’avenir, l’Arménie sera‑t‑elle davantage tournée vers l’Europe et moins vers la Russie? Comment jugez‑vous la présence de troupes russes sur votre territoire?

M. Pashinyan, Premier ministre de l'Arménie (interprétation)

Monsieur Aydin, comme je l’ai déjà indiqué, je ne demande nullement un changement du format des négociations sur le Haut‑Karabakh. Telle n’est pas la logique que nous privilégions. Le format au sein duquel les pourparlers de paix se déroulent est celui du Groupe de Minsk de l’OSCE, avec ses coprésidents. Or, si l’on reprend l’historique de ce Groupe et les raisons qui ont motivé sa création, on voit bien que l’objectif était de faire en sorte que des représentants du Haut‑Karabakh soient présents à ces négociations – et c’est bien ce qui s’est passé. Je ne me souviens plus de la date exacte, mais vers le milieu des années 1990, il y eut une rencontre entre le Président de l’Azerbaïdjan, M. Aliev, et le Président de l’Arménie, M. Kocharyan. Cette rencontre eut lieu à Moscou. Des documents l’attestent. Cela montre qu’une communication avait été établie, dans le cadre du Groupe de Minsk, au niveau de la coprésidence, avec la représentation de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan et du Haut‑Karabakh.

Nous ne demandons donc pas que soit changé le format des négociations, nous suggérons simplement de reprendre ce format‑là pour poursuivre les pourparlers. Le problème est relativement simple. Il ne s’agit pas d’une condition préalable, c’est simplement un vœu que nous émettons. D’aucuns essaient de présenter cela comme une position non constructive, alors que c’est exactement l’inverse.

Souhaitons‑nous, oui ou non, régler ce conflit? Si tel est notre souhait, comment cela serait‑il possible sans la participation du Haut‑Karabakh? On utilise le terme d’«occupation», mais les personnes qui vivent aujourd’hui dans le Haut‑Karabakh y sont nées; elles y ont vécu, tout comme leurs parents, leurs grands‑parents et même les grands‑parents de leurs grands‑parents – on pourrait remonter encore plus loin. Comment une personne pourrait‑elle occuper la terre où elle est née, où sont nés ses enfants et où sont enterrés ses ancêtres? Voilà pourquoi j’ai dit, dans mon allocution, que chaque conflit, chaque situation doit être étudiée, car la réalité est pleine de subtilités. Notre proposition est de faire asseoir autour de la table toutes les parties prenantes au conflit et d’aborder toutes ces subtilités afin d’aboutir à un accord. Si l’on négocie, c’est bien pour régler le conflit.

Il s’agit d’avoir un programme non de destruction mutuelle, mais bien de règlement des conflits. C’est ainsi qu’il convient de se comporter au XXIe siècle, a fortiori lorsque l’on est membre du Conseil de l’Europe. C’est la façon dont les problèmes doivent être résolus. C’est bien notre logique également.

Récemment, j’ai pris un certain nombre d’initiatives qui peuvent sembler surprenantes. Ainsi, lors d’une conférence de presse, j’ai demandé – c’était une question rhétorique – si la présidence de l’Azerbaïdjan n’avait rien à dire aux peuples du Haut‑Karabakh et de l’Arménie. Pour ma part, j’aimerais avoir la possibilité de m’adresser à la population de l’Azerbaïdjan. Pour l’instant, ce n’est pas possible, car je ne souhaite pas que les choses soient unilatérales, ni que cette démarche soit perçue comme un acte de provocation.

J’aimerais qu’un débat entre les gouvernements, les populations et la jeunesse puisse se tenir. Je promeus un programme pour la paix mais, je le répète, je ne propose pas un changement de format.

Je répondrai dans cette même veine aux questions sur la Crimée, la résolution des Nations Unies et la manière de remédier aux difficultés.

En tant qu’ancien parlementaire, je considère qu’il est surprenant que certains utilisent les enceintes et les tribunes prévues pour la paix afin, au contraire, d’attiser les tensions et d’inciter à la guerre. Nous devons demeurer dans un cadre de dialogue, quoi qu’il arrive. Quels que soient les conflits dans le monde, je ne crois pas que la solution soit la violence à l’encontre des autres. Les tribunes et les forums internationaux doivent être utilisés à bon escient, conformément à leur raison d’être. Je ne sais pas si l’on y parvient toujours. Souvent, en effet, la réalité est que nous avons des amis dans chaque camp d’un conflit. Or il est bien difficile d’avoir à choisir entre deux amis. Parfois, nous sommes contraints de le faire mais, en tout état de cause, au niveau mondial, nous sommes pour la paix, pour la prospérité et pour le développement.

Devons‑nous être pour l’Europe ou pour la Russie? Quand je siégeais dans mon parlement, j’avais déclaré que je n’acceptais pas que l’on doive choisir entre être prorusse ou proaméricain. Je me considère comme un homme politique pro‑Arménie. De la même façon, je pense qu’un homme politique français serait pro‑France et que les Russes seraient pro‑Russie. Le fait d’affirmer que nous sommes pro-Arménie sur la scène internationale revient à dire que nous devons bâtir des relations constructives et fructueuses avec tous nos partenaires internationaux, que nous devons nous efforcer de résoudre les problèmes et d’entretenir de bonnes relations avec tous nos voisins.

LA PRÉSIDENTE

Il nous faut maintenant interrompre la liste des orateurs. Monsieur le Premier ministre, je vous remercie très vivement.