Ingvar

Carlsson

Premier ministre de Suède

Discours prononcé devant l'Assemblée

mercredi, 28 juin 1995

Il n’y a pas lieu de se désoler de ma blessure à la jambe, mais faites attention la prochaine fois que vous jouerez au tennis! Monsieur le Président, je vous remercie des propos aimables que vous avez tenus à mon égard.

Le Conseil de l’Europe est l’enfant des grands visionnaires de l’après-guerre qui voulaient construire sur la base des acquis de la civilisation européenne démocratie, liberté, égalité, solidarité et diversité du patrimoine.

Nombreux sont les hommes politiques, les hauts fonctionnaires et les simples citoyens qui ont contribué aux réalisations du Conseil de l’Europe. La Convention européenne des Droits de l’Homme fixe des normes élevées. L’œuvre d’édification et de consolidation de la démocratie, et l’action pour défendre et renforcer les droits de l’homme se poursuivent jour après jour dans cette maison et dans le continent tout entier. Nous attendons avec impatience l’arrivée de nouveaux membres dans la famille du Conseil de l’Europe.

Le film épique de cinq heures de Bernardo Bertolucci 1900 commence par la naissance, dans la première année du XXe siècle, de deux garçons. L’un, incarné par Robert de Niro, est Alfredo Berlinghieri, fils d’un riche propriétaire foncier. L’autre, incarné par Gérard Depardieu, est Olmo Dalco, fils d’un pauvre valet de ferme. Le film est à l’image du siècle qu’il raconte et qui a connu fascisme, guerre et progrès social. Le tracteur remplace le cheval. Les deux hommes forcent leurs destins prédéterminés. C’est l’histoire des faibles qui s’unissent; enfin, c’est l’histoire de l’effondrement de l’ordre ancien.

Nous, les hommes politiques, nous ne faisons pas de films. Nous ne créons, ni ne recréons la réalité. Nous l’influençons par les lois, nous la façonnons par des décisions économiques, nous contribuons à la définir par la part que nous prenons au débat public. Aujourd’hui, nous aidons à poser les fondements de la société européenne du XXIe siècle. Imaginons deux enfants nés en Tan 2000. La question que nous devons nous poser est la suivante: comment aider à «planter un décor» dans lequel il puissent vivre le mieux possible leur vie? La mise en place d’une démocratie commune en Europe est à notre portée. C’est l’histoire de deux villes: Sarajevo et Maastricht. Sarajevo est le scénario de la désintégration. Maastricht est l’engagement pour l’intégration et Tordre démocratique.

Nous devons choisir Maastricht et non Sarajevo. Nous devons choisir l’intégration politique et non la désintégration ethnique. Nous devons élargir l’Union européenne, nous devons engager dans les meilleurs délais des négociations avec les Etats du Groupe de Visegrad, les Etats baltes et les autres pays candidats à l’adhésion. Les membres de l’Union européenne doivent procéder aux profonds changements nécessaires à l’élargissement. Nous devons être prêts à nous attaquer aux avantages acquis: les agriculteurs devront renoncer à voir subventionner les productions excédentaires, les collectivités locales ne pourront plus compter sur les subventions régionales, les élus devront céder des sièges pour faire de la place aux représentants de la Hongrie, de la Pologne, de la Lettonie ou de l’Estonie. Nous devons mettre en place un processus décisionnel qui soit efficace avec un nombre de membres qui sera peut-être deux fois plus élevé qu’actuellement, voire davantage.

Les pays qui demandent à adhérer doivent se préparer. La Suède, pour sa part, vient de mener à terme les indispensables opérations d’harmonisation. Nous sommes disposés à offrir aux candidats notre assistance technique et nos conseils.

Quand je parle aujourd’hui de l’avenir de l’Europe, y compris des défis de l’Union européenne, c’est dans l’esprit d’un engagement ferme et actif de mon pays pour l’élargissement de cette Union. Elle doit être véritablement européenne, avec un Conseil, une Commission, un Parlement véritablement européens, qui soient ceux de l’Europe tout entière et non ceux de la seule Europe occidentale.

Ensemble, nous devons créer une démocratie à l’échelon européen, digne de la confiance et de l’intérêt de nos concitoyens. Les préoccupations de la vie quotidienne – travail, environnement de qualité, protection des consommateurs, sécurité des personnes, droit des travailleurs – appellent des décisions aussi efficaces que les grandes ambitions et les symboles véhiculés par les projets communs. L’Europe des peuples requiert autant d’attention que l’Europe de la monnaie. Mettre l’économie au service des gens et non l’inverse – c’est là une tâche qui est à notre portée.

Dettes, déficits et dépendance à l’égard de subsides sont une plaie pour les économies européennes. Dès lors que les Etats sont tributaires d’emprunts, il a bien fallu donner voix au chapitre, en politique, aux marchés financiers. Si l’on ne remédie pas énergiquement à cette situation, les campagnes pour les élections de demain ne porteront plus sur les choix de l’avenir, mais sur le choix des coupes sombres à opérer dans les dépenses publiques.

En dépit de ces nuages noirs, je crois que l’horizon s’éclaircira pour l’économie européenne. On a parlé de la «fin de l’histoire». Si l’on en juge d’après leur apathie face au chômage de masse, d’aucuns semblent croire en la «fin du développement économique». N’y a-t-il plus de besoins à satisfaire? N’y a-t-il plus d’hommes capables et désireux de travailler?

Je reprocherai aux dirigeants qui ont abandonné la lutte contre le chômage de masse d’avoir une vision étriquée. Faut-il qu’ils soient aveugles pour ne pas voir les économies qui vont se développer à l’avenir, le changement spectaculaire de la société de l’information, les besoins sociaux des personnes âgées et la nécessité d’améliorer l’éducation et les soins médicaux, l’énorme potentiel économique d’une unification de l’Est et de l’Ouest? Ils ne voient pas les secteurs économiques en train d’éclore pour les jeunes générations, comme l’industrie de la musique, le besoin pressant de reconstruire l’Europe pour en faire une société écologiquement durable, les possibilités qu’offre la liberté des échanges commerciaux à l’échelle de la planète.

Le problème n’est pas tant celui d’une croissance sans emplois que celui d’un chômage sans croissance. Nous pouvons choisir d’offrir à l’économie du futur le cadre dont elle a besoin, par une discipline budgétaire, une stabilité monétaire, des normes pour les politiques de l’emploi, la formation et l’écologie qui soient aussi élevées que celles adoptées pour l’unité monétaire, et par un engagement, dans le long terme, d’imposer progressivement davantage la production et la consommation qui ne sont pas compatibles avec un développement durable.

Nous pouvons choisir de mettre en œuvre une stratégie de croissance commune. Le Livre blanc de la Commission, les rapports du parti des socialistes européens, les propositions, les plans existent. Utilisons-les! Nous ne pouvons pas laisser échapper cette opportunité. Les années actuelles ne devront pas s’inscrire dans les mémoires comme celles où chacun parlait de chômage, mais où trop peu de dirigeants avaient l’audace d’opter pour le changement. Dans une période de transition rapide, ceux qui, dans le monde des affaires, continuent à travailler comme ils l’ont toujours fait seront balayés tôt ou tard.

Nous pouvons choisir de convertir les dépenses de consommation publique en investissements. L’argent que nous utilisons à présent pour distribuer des allocations de chômage, pour subventionner des secteurs en déclin, pour maintenir une capacité militaire dimensionnée pour la guerre froide, pourrait être employé à meilleur escient pour donner du travail à ceux qui n’en ont pas. Assurément, rien n’est pire que le chômage. Rien ne coûte plus cher que les tensions sociales, l’endettement public et l’augmentation simultanée du chômage et des taux de délinquance.

Traditionnellement, en politique, la gauche se préoccupe de la demande, la droite de l’offre. La gauche se focalise sur les fluctuations de la conjoncture, la droite sur le changement structurel. La gauche s’intéresse à l’emploi et à la main-d’œuvre, la droite se penche plutôt sur les entreprises et les profits.

Si nous voulons éviter que les prochaines générations vivent plus mal que leurs parents, il est temps de sortir de ces ornières. Nous avons besoin d’une nouvelle stratégie économique, d’une stratégie commune de croissance et d’emploi pour établir une société durable et équitable. Il nous faut explorer pleinement les possibilités qu’offre une action européenne commune. Dès la prochaine récession, nous pouvons agir ensemble pour soutenir la demande, stimuler les investissements et la production, et faire ensemble ce qu’aucun pays, ne peut plus faire tout seul. Ensemble, nous pouvons être aussi audacieux et actifs que nous l’avons été autrefois individuellement, confirmant ainsi les thèses de Keynes.

Si nous relevons ce défi, nous pourrons réduire le chômage de moitié au cours de la prochaine décennie et donner aux jeunes le plus beau de tous les cadeaux: un bon emploi correctement payé.

Nous avons les moyens de mettre en place une véritable citoyenneté, axée sur les droits fondamentaux de l’homme et qui est au cœur du mandat du Conseil de l’Europe. Ceux qui ne sont pas convaincus par l’aspect moral de la question peuvent considérer son aspect économique. Chaque fois qu’une personne est exclue d’un emploi pour un motif fondé sur le sexe, la race, la couleur ou la croyance, il faut se dire qu’elle est remplacée par quelqu’un ayant moins de qualifications, de compétence, d’énergie et d’enthousiasme.

Aujourd’hui, les hommes et les femmes, les immigrés et les nationaux qui vivent dans un même pays ont des expériences extrêmement différentes. Les lieux de travail mixtes recèlent dès lors des compétences plus complètes et la question n’est donc pas de savoir si l’Europe peut se permettre une politique d’égalité des chances, mais plutôt si elle peut se permettre le sexisme et le racisme.

Permettez-moi de faire une comparaison en me référant à l’Histoire. On estime qu’Athènes a été le berceau de la démocratie. Pourtant, le droit de vote y était extrêmement restreint: il était réservé aux hommes adultes et libres. Nous considérons que notre économie est avancée. Mais nous commençons tout juste à progresser dans ce domaine au plan de l’égalité des chances et des salaires. Les possibilités de carrière et les hauts salaires ne concernent encore qu’une minorité de la population: les hommes, d’un âge assez avancé pour avoir de bonnes relations, dont les parents ont pu payer les études, mais non les immigrés ou les personnes de couleur.

Le respect des droits de l’homme, c’est ce qui fait que vous êtes perçus et jugés, non parce que vous êtes un homme ou une femme, mais en fonction de vos qualités personnelles; non sur la couleur de votre peau, mais sur la vivacité de votre esprit; non sur votre religion ou votre origine ethnique, mais sur la chaleur de votre cœur.

Certains parlent d’un affrontement entre les civilisations chrétienne et musulmane. Lors de la conférence sur l’Europe et l’Islam à Stockholm, un participant a déclaré: «Il ne peut y avoir d’affrontement entre des civilisations. Les civilisations ne s’affrontent pas. Si elles le font, elles ne sont pas civilisées.»

A quelqu’un qui lui demandait ce qu’il pensait de la civilisation occidentale, le mahatma Gandhi a répondu: «Ce serait une bonne idée.» Je suis tout à fait d’accord avec lui.

Il est dans nos possibilités de donner à l’Europe une identité globale dont elle puisse être fière. C’est un grand privilège d’élaborer une nouvelle identité européenne globale. Nous pouvons décider de faire en sorte que cette identité commune soit plus grande et plus forte que la somme de ses parties nationales. Elle peut se libérer des périodes noires de son histoire.

L’Union européenne est déjà le partenaire le plus important de la coopération au développement. Mais si elle donne d’une main, elle défend de l’autre l’ancien ordre économique international. L’Union européenne est le premier marché du monde industrialisé. Elle doit être la championne du libre-échange. Il faut élaborer des normes sociales et écologiques, et forger une identité culturelle, mais sans en faire un prétexte pour ériger des barrières commerciales. Cela n’est pas accepté au sein de l’Union européenne. Cela ne doit pas être accepté autour de l’Union européenne.

L’Europe doit être un partenaire pour le reste du monde, et notamment le tiers monde, qui recherche un nouvel ordre, juste et démocratique, favorisant la croissance et le développement communs, et qui est en quête d’une direction globale et d’une sécurité commune.

Il y a quelques années encore, les progrès obtenus récemment en matière de désarmement étaient inimaginables. C’est ce qui explique que la Suède ait été choquée de la décision récente d’un membre de l’Union européenne – la France — de reprendre ses essais nucléaires. Nous regrettons profondément cette décision. Les générations futures doivent pouvoir compter sur notre engagement en faveur de la paix et du désarmement nucléaire. L’Europe ne doit pas montrer aux autres un mauvais exemple en revenant sur ses pas alors qu’elle est engagée sur la voie du désarmement nucléaire.

'La sécurité n’est plus seulement une question de menace militaire. Elle ne doit plus concerner seulement les Etats, mais être étendue aux peuples et aux individus. Comme dans les précédentes périodes qui ont suivi une guerre, les normes, les institutions et les instruments devront s’adapter aux nouvelles réalités d’après la guerre froide. Nous pouvons aujourd’hui concrétiser l’idée de sécurité commune consistant à remplacer un système de sécurité reposant sur la terreur par un système de sécurité plus large fondé sur la transparence, la coopération, les mesures de confiance.

Le Conseil de l’Europe peut jouer un rôle essentiel pour inclure, dans les normes de sécurité, la démocratie, les droits de l’homme et la primauté du droit, pour intégrer les dimensions sociale et humaine dans les mécanismes de prévention et de résolution des conflits, pour promouvoir auprès des Etats l’idée d’interventions menées sur la base d’instruments multilatéraux, pour résoudre les problèmes de sécurité des gens et trouver une solution aux situations risquant de déboucher sur des conflits entre Etats.

La politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne doit disposer de meilleures ressources en matière d’analyse et d’initiative. Je propose de doter l’Union européenne d’une force d’intervention permanente et d’alerte précoce, comprenant des experts de la résolution des conflits. Cette force d’intervention devrait travailler en étroite collaboration avec l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Nous pouvons construire une Europe immunisée contre la guerre par des institutions et la coopération, réglant les conflits par le droit plutôt que par la force.

J’ai souligné ce qui est possible en insistant davantage sur ce qui devrait se passer plutôt que le moment où cela devrait se passer. Je voulais partir non d’un calendrier et d’un mécanisme, mais d’une carte et d’une image. Plus l’on progressera dans le cadre de la Conférence intergouvemementale de l’Union européenne, mieux cela vaudra. Je ne m’attends pas à des révisions profondes, car Maastricht n’a pas été testé ni poussé jusqu’à ses limites. Moyennant une force d’impulsion et une volonté politique réelles, le traité actuel fournit un bon cadre juridique, mais il a besoin d’être amélioré dans certains domaines.

J’ai cependant bon espoir que le débat public mettra l’accent sur le type d’Europe que nous voulons. Ce débat public a surtout besoin d’être nourri par une bonne information sur ce qui se passe. Tout effort commun doit être ouvert et transparent, et la prise de décisions doit être claire et faire l’objet de discussions. Mais que verront les citoyens? J’espère qu’ils verront des dirigeants soucieux de répondre aux préoccupations du plus grand nombre et non pas aveuglés par les idées grandioses d’une minorité.

L’Europe ne peut pas se permettre de perdre son élan. Le conflit entre fédéralisme et confédéralisme peut être résolu en grande partie par une répartition politique des tâches. Des institutions communes puissantes – c’est-à-dire fédérales – comme la Commission et le Parlement, sont nécessaires pour amorcer les procédures et le travail. Mais la prise de décisions doit être fortement enracinée dans les nations. Je suis fermement partisan d’un droit d’initiative accru de la Commission et du Parlement. J’ai remarqué que le Parlement parle plutôt de codécision que d’initiative. Mais gardons cette idée à l’ordre du jour. Je crois qu’il faut accroître la participation nationale à la prise de décisions ainsi que le rôle des parlements nationaux.

Le changement au sein du Conseil européen doit, par-delà la pondération des votes, concerner la transparence de ses décisions. Dans un avenir lointain, lorsque l’Europe, abstraction faite des problèmes de langue, aura un débat politique commun, avec des partis politiques communs, le besoin des liens nationaux diminuera. Mais, en attendant, ce n’est pas aux petits pays d’accepter de n’être pas représentés, mais aux grands pays de diminuer leur représentation.

L’Europe ne peut pas se permettre de se perdre dans d’interminables débats idéologiques sur l’interprétation de la subsidiarité et de la souveraineté. Le principal défi lancé à la démocratie à Bonn, Lisbonne et Stockholm ne vient pas de Bruxelles et de Strasbourg, mais plutôt des puissances supranationales qui n’ont aucune identité géographique. Il nous faut plus d’Europe, plus de coopération, plus de politique, plus de dirigeants politiques qui se consacrent à la réalisation du potentiel de ce magnifique continent.

Il est dans nos possibilités de planter le décor, de jeter les bases d’une société qui permettra aux enfants qui naîtront au siècle prochain de réussir leur vie plus que ne l’ont fait Alfredo Berlinghieri ou Olmo Dalco, plus que nous ne l’avons fait nous-mêmes au XXe siècle. C’est à nous de regarder au-delà des prochaines élections vers le XXIe siècle et de penser non seulement à nos électeurs, mais également aux générations futures.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Merci beaucoup, Monsieur Carlsson, de nous avoir offert un discours aussi inspiré et aussi émouvant. Un certain nombre de parlementaires ont exprimé le souhait de vous poser une question. Je leur rappelle qu’ils disposent de trente secondes pour ce faire et les invite à être brefs. Connaissant M. le Premier ministre, je sais qu’il sera en mesure de répondre de façon concise à un grand nombre d’entre vous, si bien que vous aurez la possibilité de poser une question supplémentaire.

La parole est à Muehleman.

M. MÜEHLEMANN (Suisse) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, nous avons été touchés de vous entendre exprimer votre foi dans une Europe qui cherche à s’élargir en 1996. La Conférence intergouvemementale s’efforcera d’accroître l’efficacité démocratique dans tout le continent. Je déplore toutefois qu’elle n’ait pas développé davantage l’idée de donner plus de pouvoirs aux régions européennes dans un cadre fédéraliste. J’aimerais connaître votre point de vue à cet égard.

M. Carlsson, Premier ministre de Suède (traduction)

Nous voulons élargir l’Union afin de créer un espace démocratique commun en Europe. Nous voulons nous concentrer davantage sur les préoccupations des citoyens telles que l’emploi, l’environnement, les droits sociaux et l’égalité entre les hommes et les femmes. Nous voulons que l’Union devienne une puissance radicale et progressiste à l’échelon mondial, et nous voulons lutter pour la paix. Il sera donc nécessaire de traiter avec les institutions.

M. GROSS (Suisse) (traduction)

Merci, Monsieur le Président. Monsieur le Premier ministre, tout porte à croire que vous ayez réussi à convaincre les Suédois d’adhérer à l’Union européenne précisément en raison des réformes que vous proposez, réformes auxquelles je m’intéresse plus particulièrement en tant que Suisse. Dans votre allocution, vous évoquiez une «démocratie commune pour l’Europe». Ne pensez-vous pas qu’il sera nécessaire de doter cette «démocratie commune» d’une Constitution européenne allant au-delà des accords conclus dans le cadre de l’Union? A votre avis, comment serait-il possible d’inclure un débat relatif à une telle Constitution dans la discussion sur le processus de révision du Traité de Maastricht?

M. Carlsson, Premier ministre de Suède (traduction)

Je crois que ce qui a décidé la majorité des Suédois à se prononcer en faveur de l’adhésion à l’Union européenne, c’est que nous pensions que le pays aurait de meilleures chances de résoudre les problèmes quotidiens de la population s’il pouvait faire entendre sa voix et participer aux discussions. Pour ma part, je pense qu’on ne pourra s’attaquer efficacement au problème du chômage sans coopération transfrontalière. Certes, on pourra toujours s’occuper de ce problème à l’échelon national; c’est ce que nous faisons depuis de nombreuses années avec un certain succès puisque les taux de chômage ont baissé à 2 ou 2,5 %. Mais à présent que la main-d’œuvre se déplace rapidement d’un pays à l’autre, il faut pouvoir faire face de manière offensive à la récession; et, pour cela, il est indispensable d’instaurer une coopération politique.

J’estime que l’adhésion à l’Union européenne ouvre de nouvelles possibilités à cet égard, et je me félicite que la majorité de la population suédoise partage mon point de vue. Il faut faire preuve de souplesse et se préparer à la réforme des institutions qui sera d’autant plus nécessaire dans la perspective d’un élargissement. Il faut étendre le débat institutionnel et y faire participer les gens. Je ne crois pas que les Suédois s’opposent à des réformes institutionnelles à long terme, surtout si elles débouchent sur plus de bien-être; mais il sera très difficile de convaincre la population de l’importance de la coopération européenne si Ton engage un débat institutionnel sans aborder les problèmes quotidiens.

L’Union doit faire ses preuves vis-à-vis de la population; elle ne doit pas se contenter de lui apporter un soutien passif, mais montrer plus d’enthousiasme. A cet égard, nous avons, en tant qu’hommes politiques, un enseignement à tirer des dix dernières années. Eh bien, tirons-le ensemble!

M. SINKA (Lettonie) (traduction)

Je remercie M. le Premier ministre d’avoir exprimé son soutien à la candidature des Etats baltes à l’Union européenne. Cependant, en ce qui concerne la sécurité, j’aimerais savoir si, depuis la déclaration du gouvernement Bildt relative à la sécurité des Etats baltes, l’actuel gouvernement suédois social-démocrate a modifié sa politique envers la Lettonie et les autres Etats baltes, et si la Suède a l’intention de prendre cause pour la sauvegarde de leur souveraineté.

M. Carlsson, Premier ministre de Suède (traduction)

Oui, comme vous le savez sans doute, je me suis rendu au printemps en Estonie, en Lettonie et en Lituanie. J’ai eu la chance de pouvoir m’adresser directement au peuple balte et à ses élus à propos de la question que vous venez de soulever. Je confirme ici les déclarations que j’avais faites à cette occasion. Il est exact que la Suède appartient au groupe des pays non alignés, mais cela ne signifie pas qu’elle resterait indifférente ou pourrait représenter une quelconque menace pour les Etats baltes.

Il existe de nombreuses façons de marquer notre soutien aux Etats baltes. Tout d’abord, comme vous avez pu le constater aujourd’hui, nous pouvons les assister dans leur développement démocratique et nous pouvons soutenir leurs aspirations à devenir membres de l’Union européenne. Nous pouvons également faire jouer notre appartenance à l’Union européenne, à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et aux Nations Unies. Je puis donc vous assurer, ainsi que la population de votre pays, qu’avec le soutien du Gouvernement, du Parlement et du peuple suédois nous poursuivons notre politique de solidarité. Le fait que la Suède soit un pays non aligné ne changera rien à cet égard.

M. GRICIUS (Lituanie) (traduction)

Ma question va dans le même sens que la précédente, mais elle couvre un champ plus vaste. Pendant la guerre froide, deux blocs militaires et politiques se partageaient la mer Baltique. J’aimerais savoir comment le Gouvernement suédois conçoit la neutralité du pays dans une Europe en mouvement et comment il se propose de participer au renforcement de la stabilité dans la région de la Baltique, pays Baltes et région de Kaliningrad compris.

M. Carlsson, Premier ministre de Suède (traduction)

La Suède a foi dans l’avenir de la coopération baltique, et ce pour plusieurs raisons. En premier lieu, nous sommes tous responsables envers la mer Baltique: il convient de travailler à éliminer les menaces qui pèsent sur l’environnement en pensant aux générations futures. En deuxième lieu, étant donné les problèmes d’infrastructures qui se posent dans la région, il convient d’instaurer une coopération économique qui – et c’est capital – doit être effective, puisque des pays comme la Pologne et les Etats baltes demanderont à adhérer à l’Union européenne. Vous avez également mentionné la sécurité. C’est un aspect qui me tient particulièrement à cœur; c’est pourquoi je tiens à amener la Russie à participer à cette coopération. Nous pourrons ainsi rapprocher les populations de façon concrète.

Le fait que, durant la période de l’après-guerre, la Suède ait été neutre ne nous empêche pas d’être actifs et de travailler à la sécurité de tous. Bien au contraire, notre expérience à l’échelon tant européen que mondial montre qu’il a été possible de progresser, même durant l’époque de la guerre froide.

Aujourd’hui, avec la chute du mur de Berlin, avec la nouvelle politique d’adhésion de l’Union européenne, avec le processus de l’OSCE et un certain nombre d’autres possibilités, nous sommes déterminés à travailler à la sécurité commune. Comme vous le disiez, la région de la mer Baltique constitue un excellent terrain pour une telle coopération.

Au cours de ma visite en Lettonie, j’ai invité tous les Premiers ministres des pays de la Baltique à assister à un sommet à Gotland – au centre de la région – en mai l’année prochaine. J’espère que la perspective de ce sommet donnera l’impulsion nécessaire à l’élaboration d’un certain nombre de propositions en vue, notamment, d’assurer le renforcement de la sécurité.

M. IWINSKI (Pologne) (traduction)

C’est un récent échange de vues qui inspire ma question. En janvier 1995, la Suède a pris la suite de la Pologne à la présidence du Conseil des Etats de la mer Baltique. J’aimerais savoir comment vous concevez la coopération dans la région de la Baltique pendant votre présidence.

M. Carlsson, Premier ministre de Suède (traduction)

Je suis heureux que nos deux pays – le vôtre en la personne de M. Mazowiecki – aient pris l’initiative d’instaurer une coopération plus étroite dans la région de la Baltique, coopération qui a assurément pris un bon départ avec la Conférence de Brondby tenue il y a cinq ans. Aujourd’hui, nous sommes heureux d’avoir, en mai dernier, pris la suite de la Pologne à la présidence du Conseil. Il est bien entendu que nous travaillerons en étroite collaboration avec la Pologne et que nous tirerons profit de l’expérience qu’elle a accumulée l’année dernière. Je crois que tous les pays concernés ont pris conscience des principes en jeu qui ne concernent pas uniquement l’environnement ou la mer Baltique en tant que telle. J’espère être en mesure de convaincre d’autres pays membres de l’Union européenne de l’importance politique d’une extension de la coopération dans la région.

Hier, j’ai proposé au Sommet de Cannes un amendement à la déclaration dans laquelle l’Union européenne souligne l’importance de la coopération baltique. Cet amendement a été accepté, ce qui donne une dimension nouvelle à nos travaux et nous offre une possibilité supplémentaire de poursuivre la coopération dans le sens d’un renforcement de la sécurité en Europe. Je crois qu’il faut profiter de cette occasion pour instaurer un dialogue avec l’Union européenne.

M. IWINSKI (Pologne) (traduction)

Hier, lors du Sommet de Cannes, M. Josef Olesky, Premier ministre de la Pologne, a proposé d’organiser un sommet spécial entre les pays de l’Union européenne et les pays d’Europe centrale et orientale dans le but de garantir à ces derniers l’adhésion à l’Union. Que pensez-vous de cette proposition?

M. Carlsson, Premier ministre de Suède (traduction)

De telles réunions existent déjà. Je me demande s’il est vraiment nécessaire d’organiser un sommet supplémentaire; néanmoins, je suis disposé à examiner les arguments développés dans cette proposition, dont j’ai pris connaissance, mais dont je n’ai pas encore eu le temps de discuter avec mes collègues. Dans la pratique, nous avons déjà institué un dialogue bilatéral encourageant. Le Premier ministre hongrois, M. Hom, et moi-même avons d’ailleurs abordé cette question lors des entretiens que nous avons eus lors de la visite que j’ai effectuée à Budapest il y a quelques semaines. Un dialogue permanent a été institué et je veillerai à ce qu’il se poursuive sur le même rythme en vue d’un élargissement progressif.

M. KELAM (Estonie) (traduction)

Monsieur le Premier ministre, je me félicite que vous vous soyez prononcé aujourd’hui en faveur d’un élargissement rapide de l’Union européenne aux pays du Groupe de Visegrad et aux Etats baltes. Vous êtes un de nos voisins et de nos proches amis; à ce titre, pouvez-vous nous indiquer quelles sont, en attendant, les garanties dont peuvent disposer les Etats baltes pour leur sécurité? Pensez-vous que l’Union européenne et les organisations de défense occidentales s’intéressent directement à la région ou bien, au contraire, qu’elles la considèrent comme une espèce de zone d’ombre entre l’Europe de l’Ouest et la Russie?

M. Carlsson, Premier ministre de Suède (traduction)

Je pense qu’il appartient à chaque pays de définir sa propre politique en matière de sécurité: c’est à la fois son droit et son privilège. Les tentatives d’influence étrangère sont bien trop nombreuses de certains pays qui estiment avoir le droit de décider pour les autres. Pour ma part, je poserai en principe que chaque pays doit avoir toute latitude de définir sa propre politique en matière de sécurité. Heureusement, c’est à présent le cas pour l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie, et c’est pourquoi je ne voudrais pas me mêler de vous dispenser des conseils en la matière. C’est à votre parlement national et à votre gouvernement de prendre leurs propres décisions.

La Suède a décidé de ne pas demander à adhérer à l’OTAN. Nous bénéficions du statut d’observateur auprès de l’UEO et nous sommes membres de l’Union européenne, ce qui comporte certaines implications en matière de sécurité. La politique étrangère que la Suède a menée après la seconde guerre mondiale a contribué à rétablir la stabilité en Europe du Nord et cette expérience a présidé à notre décision de ne pas devenir membre de l’OTAN. Pour ce qui est de l’Estonie, Monsieur Kelam, c’est à elle de faire son choix au mieux de ses intérêts.

M. KELAM (Estonie) (traduction)

Imaginez-vous une situation susceptible d’amener la Suède à réexaminer sa politique de neutralité et de non-alignement?

M. Carlsson, Premier ministre de Suède (traduction)

Oui. Le nom de mon prédécesseur, Olaf Palme, a été mentionné. Il a été le premier à employer les termes de «sécurité collective»; je crois que c’est ce vers quoi doit tendre l’Europe. Il convient de nous doter d’un système de sécurité collective, ce qui permettrait de réduire progressivement les forces de défense à l’échelon national et d’instaurer une démocratie commune. Voilà pour moi l’idéal, et j’espère que nous pourrons y parvenir. Dans ce cas, la politique de sécurité changerait d’orientation, mais nous en sommes encore loin. Et c’est pourquoi le Parlement suédois s’en tiendra à sa décision de poursuivre sa politique de non- alignement.

Mme BAARVELD-SCHLAMAN (Pays-Bas) (traduction)

Ma question a également trait à la neutralité de la Suède dans le contexte de la sécurité. Dans son discours, M. le Premier ministre a mentionné à plusieurs reprises la position de la Suède au sein de l’Union européenne. J’aimerais avoir quelques précisions à ce sujet. Il est certain qu’il existe un lien entre l’UEO et le Traité de Maastricht. La Suède a adopté une position différente de celle de la majorité des pays membres tant de l’Union européenne que de l’UEO. Qu’en est-il exactement? J’aimerais savoir si la position du Premier ministre pourrait se refléter dans les discussions de la Conférence intergouvemementale qui se tiendra l’année prochaine et s’il pense que la neutralité de la Suède pourrait figurer à l’ordre du jour des débats.

M. Carlsson, Premier ministre de Suède (traduction)

Oui, je suis certain que l’on parlera longuement de la politique de sécurité. La coopération entre les Etats représentera le deuxième pilier des débats. La Suède a décidé de devenir un observateur actif. Il est difficile de présager du développement à long terme; il est également difficile de prévoir la position du Royaume-Uni. Pour ce qui est de la Suède, elle n’a pas l’intention d’user de son droit de veto pour s’opposer à une coopération militaire plus étroite au sein de l’UEO, si tel est le souhait de la majorité des pays membres. Certes, l’OTAN représente l’axe fort de la coopération militaire; si celle-ci devait toutefois être renforcée au sein de l’UEO, la Suède n’a pas l’intention de s’y opposer. Bien entendu, cela ne veut pas dire qu’elle y participera, mais, je le répète, elle n’empêchera pas les autres pays de renforcer leur coopération dans ce domaine.

Il semblerait à présent que l’UEO prenne une orientation différente et qu’elle pourrait se transformer en instrument pour le maintien de la paix. La participation de la Suède a toujours été très active, même du temps où elle poursuivait une politique de neutralité plus stricte qu’aujourd’hui. Le pays a d’ailleurs pris part à presque toutes les opérations de maintien de la paix depuis la fin de la seconde guerre mondiale. C’est ainsi par exemple qu’elle a envoyé 1 300 hommes dans l’ex-Yougoslavie, ce qui montre bien que nous ne prenons pas prétexte de notre politique étrangère pour nous isoler ou nous soustraire à notre part du fardeau. Nous cherchons au contraire à coopérer en proposant, notamment – comme je l’indiquais tout à l’heure – la mise en place d’un système d’alerte précoce qui pourrait se révéler fort utile pour prévenir les conflits. J’espère vous avoir donné un aperçu assez clair de notre position. Mais, dans ce domaine, l’évolution est rapide et l’on peut espérer que de nouvelles possibilités se feront jour dans les cinq ou dix prochaines années.

M. VALLEIX (France)

Monsieur le Président, nous n’avons jamais autant parlé de défense dans cette enceinte. Vous-même, Monsieur le Premier ministre, avez introduit avec force le sujet, en évoquant les expériences nucléaires françaises. A cet égard, les observateurs ont pu vous rendre compte du débat qui s’est instauré, la semaine dernière, à l’UEO.

J’ai noté votre engagement au sujet de la Bosnie, mais j’ai relevé des propos contradictoires. Vous souhaitez une sécurité commune, tout en parlant de pays «militairement non alignés».

Vous avez aussi parlé d’une capacité militaire qui pourrait s’orienter – pourquoi pas, étant donné la fin de la guerre froide? – vers une réduction. Cependant comment pourrons-nous assurer la sécurité commune si tous les pays réduisent leurs moyens?

Ma question est par conséquent la suivante, Monsieur le Premier ministre, comment conciliez-vous un désengagement, vers lequel vous semblez orienter votre propre pays – sur le plan militaire, compte tenu des réductions budgétaires, et dans un contexte de repli de l’industrie des armements générant des problèmes d’emploi – avec une sécurité tant de la Baltique que de l’Europe à laquelle vous avez porté intérêt?

Se dessine, à mon sens, plutôt une contradiction qu’une perspective de conciliation.

M. Carlsson, Premier ministre de Suède (traduction)

Comme le montre son histoire, la Suède ne s’est pas isolée du reste du monde. Elle est un membre très actif des Nations Unies, et ses troupes de maintien de la paix s’élèvent à 50, 60, voire 75 000 hommes. La Suède a mis au point des matériels militaires à la pointe de la technologie; elle construit ses propres avions de combat et contribue ainsi à la stabilité en Europe.

Mais il est vrai que l’Europe a beaucoup changé: le communisme s’est effondré et la guerre froide a pris fin. Dans le contexte de cette nouvelle Europe, nous avons adhéré à l’Union européenne et en sommes devenus un membre très actif. C’est d’ailleurs ce qui devait ressortir de mon exposé et j’espère avoir été bien entendu. A présent, les problèmes de sécurité se posent d’une manière différente: l’environnement joue un rôle au moins aussi important que l’armement nucléaire. Il conviendra donc d’adapter nos politiques et nos institutions à ces nouvelles données.

Il faut renforcer la coopération transfrontalière: les parlements nationaux ne peuvent plus faire face tous seuls à un certain nombre de tâches qui leur étaient naguère dévolues; il faut trouver de nouvelles formes de coopération et, à cet égard, votre Assemblée a un rôle important à jouer. Je puis vous assurer que la Suède ne s’isolera pas; j’espère au contraire qu’elle saura donner, comme elle l’a déjà fait, la preuve tangible de sa clairvoyance et de son sens des responsabilités. Il est quelquefois bon d’avoir une optique différente: cela permet de donner une base plus large à nos travaux.

M. FIGEL (Slovaquie) (traduction)

Puisque la question que je me proposais de poser à propos de la sécurité a déjà été traitée de façon exhaustive, j’aimerais ici féliciter M. Carlsson et la Suède de la politique étrangère et de sécurité menée par le pays. Les réponses que M. le Premier ministre a données ainsi que son discours m’ont convaincu que la politique étrangère de la Suède revêt un caractère européen, qu’elle est transparente, qu’elle entre dans le cadre de Maastricht et qu’elle s’applique à éviter que ne se reproduisent des drames semblables à celui qui ravage Sarajevo.

M. ELO (Finlande) (traduction)

On sait que la Finlande et la Suède ont toujours entretenu d’excellentes relations qui pourraient être un modèle pour d’autres pays européens. Il existe cependant un problème mineur qui concerne les quelque 400 000 Finlandais qui résident en Suède. La situation de ces personnes s’est certes nettement améliorée au cours des dernières années, mais il n’en reste pas moins que le Gouvernement suédois refuse toujours de leur accorder le statut de minorité conformément à la Charte du Conseil de l’Europe sur les langues régionales et minoritaires. J’aimerais savoir quelles sont les mesures que le Gouvernement suédois envisage de prendre à cet égard.

M. Carlsson, Premier ministre de Suède (traduction)

Il est vrai que l’apport des immigrants finlandais à la Suède a été très important. Le finnois est abondamment parlé dans le pays et c’est pourquoi la question d’un statut particulier a été soulevée récemment. Mon gouvernement a constitué une commission parlementaire chargée d’étudier la ratification de la Charte des langues régionales et minoritaires et ses conséquences sur l’utilisation du finnois. Cette commission rendra l’année prochaine un rapport qui servira de base de – discussion.

M. ELO (Finlande) (traduction)

Je vous remercie de cette réponse. Il y a en Suède plusieurs groupes ethniques; cependant, étant donné l’histoire et les traditions de la minorité finlandaise, ne pensez-vous pas que celle-ci devrait bénéficier d’un statut spécial, identique à celui des Suédois de Finlande?

M. Carlsson, Premier ministre de Suède (traduction)

Il est certain que, quelquefois, j’aimerais pouvoir faire prévaloir mes préférences personnelles; mais, en tant que Premier ministre, je dois me conformer aux règles démocratiques: je représente à la fois mon pays et mon parlement. Nous avons décidé de charger un groupe de travail d’examiner cette question et de nous remettre un rapport qui servira de base de discussion; j’espère que nous serons en mesure de régler ce problème à la satisfaction générale.

Je vous rappelle que la Suède s’est toujours efforcée de mener une politique d’immigration généreuse. Près de 20 % de la population du pays est d’origine étrangère; dans certaines écoles, on parle jusqu’à cinquante langues; les musulmans sont plus de 200 000. D’une manière générale, nous nous efforçons d’assumer nos responsabilités en la matière et de contribuer à créer une bonne atmosphère en Europe.

La Suède se trouve confrontée au problème aigu des réfugiés, qu’elle a du mal à maîtriser. Le problème de la langue est important, et je partage à cet égard l’avis de M. Elo. Vous ne serez dès lors pas surpris d’apprendre que les Finlandais, originaires eux aussi d’un pays nordique, ont toujours joui, en Suède, d’un traitement particulier. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons constitué le groupe de travail que je viens d’évoquer.

M. RODRIGUES (Portugal)

Monsieur le Premier ministre, je suis heureux – et les membres de cette Assemblée partagent certainement ce sentiment – d’avoir entendu un aussi beau discours humaniste que le vôtre.

J’ai pris connaissance de vos déclarations relatives à la reprise des essais nucléaires français dans le' Pacifique. Je vous félicite: votre position est dans la tradition pacifiste du peuple suédois.

Ma question est donc la suivante: la Suède, en tant que membre de l’Union européenne, est-elle disposée à prendre au sein du Conseil des ministres de l’Union européenne l’initiative de demander à la France de ne pas procéder aux essais prévus à Mururoa?

M. Carlsson, Premier ministre de Suède (traduction)

Comme vous le savez, nous nous sommes réunis hier et avant-hier à Cannes. Au cours d’un dîner, le Chancelier autrichien, M. Vranitzky, a évoqué cette question au nom de plusieurs pays membres et a fait part au Président français des graves préoccupations que suscitait la reprise des essais nucléaires. Le document adopté à l’issue du sommet – y compris par la France – souligne la nécessité d’interdire complètement les essais nucléaires en 1996 au plus tard.

Le danger, c’est que certains pays possédant l’armement nucléaire pourraient suivre l’exemple français et reprendre leurs essais et que d’autres pourraient en prendre prétexte pour se doter de l’armement nucléaire qui leur fait défaut. J’espère toutefois qu’il n’en sera rien. Le message de l’Union européenne est clair: il faut arrêter les essais nucléaires et adopter définitivement le traité de non-prolifération. J’espère que l’on suivra cette politique, ce qui permettra de se concentrer davantage sur les autres menaces qui pèsent sur l’humanité. Dans le domaine de l’environnement, par exemple, que j’ai déjà mentionné, mais aussi – et c’est d’une importance capitale – dans le domaine de la sécurité démocratique. Il faut construire la démocratie, renforcer le respect des droits de l’homme et instaurer la prééminence du droit: voilà une autre facette de la sécurité à laquelle nous devons accorder une grande attention.

M. RODRIGUES (Portugal)

Monsieur le Premier ministre, je vous félicite pour la position que vous avez définie. Si vous demandiez qu’au lieu d’être effectués en Polynésie les essais nucléaires soient réalisés dans le Massif central, dont la composition géologique est comparable à celle des atolls français, des déclarations du type de celle que vous venez de faire n’auraient-elles pas un caractère de protestation plus ferme?

M. Carlsson, Premier ministre de Suède (traduction)

Je suis un homme assez calme, mais il est certain que je réagirais de façon bien plus véhémente si ces essais avaient lieu plus près de mon pays. Je vous rappelle que mon gouvernement s’efforce depuis de nombreuses années de faire cesser les essais nucléaires et que mon pays a déployé une intense activité diplomatique à cet effet. Pour ma part, j’ai participé à l’initiative qui s’était donné pour tâche principale de lutter pour la destruction des armes nucléaires. La Suède a été l’un des premiers petits pays – sinon le premier – à acquérir, à la fin des années 50, les connaissances techniques qui lui auraient permis de fabriquer la bombe atomique; il a aussi été le premier à refuser de le faire.

Il y a longtemps que la Suède s’est engagée dans la lutte contre le nucléaire. Elle estime que l’arme nucléaire est inhumaine et qu’elle représente une menace pour l’avenir de l’humanité; il faut donc s’en débarrasser le plus tôt possible.

M. BANKS (Royaume-Uni) (traduction)

Je remercie M. le Premier ministre de son discours qui est celui d’un visionnaire. Je souhaiterais que d’autres chefs politiques, en exercice ou en puissance, exprimassent des points de vue similaires.

J’aimerais savoir si le Conseil nordique a abordé la question de la position de la Norvège vis-à-vis de la chasse à la baleine, qui va à l’encontre de toutes les décisions prises par la Commission baleinière internationale et de l’avis exprimé par l’opinion publique européenne et nord-américaine.

M. Carlsson, Premier ministre de Suède (traduction)

Bien que la chasse à la baleine ait fait l’objet d’un débat au sein du Conseil nordique, celui-ci n’a pris aucune décision à ce sujet. En prévision de la réunion annuelle de la Commission baleinière internationale, les ministres nordiques ont l’habitude de procéder à un échange d’informations, et la Suède estime qu’il appartient à la Commission baleinière de prendre toutes les décisions se rapportant à cette question.

M. BANKS (Royaume-Uni) (traduction)

J’aimerais savoir si, au cours de la prochaine réunion du Conseil nordique, le Premier ministre et le Gouvernement suédois ont l’intention d’inciter la Norvège à cesser toute activité de chasse à la baleine.

M. Carlsson, Premier ministre de Suède (traduction)

Dans un message adressé au Gouvernement norvégien, nous déplorions sa décision et ce d’autant plus que nous ne possédons aucune information précise quant à la population des baleines. Nous nous sommes abstenus lors de la dernière réunion de la Commission baleinière internationale.

M. GJELLEROD (Danemark) (traduction)

Demain dans cet hémicycle, nous tiendrons un débat sur la situation en Bosnie-Herzégovine. Pensez-vous que la communauté internationale sera en mesure d’influencer positivement la situation en adoptant une politique de création de la paix plutôt qu’en poursuivant sa politique de maintien de la paix?

M. Carlsson, Premier ministre de Suède (traduction)

Les Nations Unies célèbrent cette année leur cinquantenaire; à cette occasion, elles reçoivent plus de critiques que d’éloges. D’aucuns se demandent pourquoi elles ne déploient pas plus d’activités et pourquoi elles n’ont pas réussi à faire revenir la paix en ex-Yougoslavie. N’oublions pas que la plupart des pays membres – dont certains siègent au Conseil de sécurité – négligent de payer leurs cotisations. Or, l’efficacité des Nations Unies dépend entièrement des moyens mis à leur disposition.

Je suis favorable à un système d’alerte précoce – une stratégie progressive dont la dernière étape devrait être le recours à la force. Les Nations Unies ont été prises de court devant l’évolution de la situation en ex-Yougoslavie qu’il leur a été impossible de maîtriser. La voie diplomatique reste pour moi la seule solution acceptable. Je suis favorable à la présence dans le pays de la Forpronu qui doit s’efforcer de mener à bien sa tâche difficile. Toutes les autres solutions seraient désastreuses à la fois pour la population de Bosnie et pour l’Europe; en outre, elles seraient humiliantes pour les Nations Unies, particulièrement en cette année du cinquantenaire; de plus, leur efficacité n’est pas assurée.

Je sais que la mission de M. Bildt est extrêmement délicate; j’ai été heureux d’apprendre qu’il viendra s’adresser à cette Assemblée, ce qui pourrait contribuer à relancer le dialogue sur de nouvelles bases. Je pense qu’il faut poursuivre le dialogue; il faut, avec les moyens dont nous disposons à l’heure actuelle, tenter de convaincre toutes les parties à ce terrible conflit de cesser les hostilités, de mettre fin aux massacres et de trouver une solution pacifique. L’Union européenne et les Nations Unies souhaiteront assurément participer à ce processus. Je pense que la grande majorité des Européens est en faveur d’une solution pacifique pour mettre fin à la guerre.

M. GJELLEROD (Danemark) (traduction)

Je vous remercie de cette réponse. Pouvez-vous, en quelques mots, évaluer la coopération des pays nordiques au sein de la Forpronu?

M. Carlsson, Premier ministre de Suède (traduction)

Oui. Il s’agit là d’un exemple tangible de la coopération unique qui a été instaurée entre les pays nordiques qui se retrouvent certes au sein du Conseil nordique, mais qui joignent leurs efforts au sein de la Forpronu. Les pays nordiques forment un groupe: ce ne sont plus quatre ou cinq pays isolés, mais un groupe de personnes qui travaillent ensemble. Peu importe si nos hommes viennent du Danemark, de Norvège ou de Suède, peu importe qu’ils se servent de matériel finlandais: ils ont le même but et j’espère que leur solidarité pourra servir d’exemple aux autres nations européennes. Je suis convaincu qu’ainsi l’Europe deviendra meilleure qu’elle ne l’est aujourd’hui.

LE PRÉSIDENT (traduction)

Je vous remercie, Monsieur Carlsson. La discussion est close. Je vous remercie vivement d’avoir répondu aux questions des parlementaires. Vous venez d’écrire une des pages les plus brillantes de l’histoire récente de notre Assemblée. Je crois qu’il est indispensable de diffuser largement votre discours et les réponses que vous avez fournies aux questions qui vous ont été posées. Je vous remercie derechef de nous avoir honorés de votre présence. Vous serez toujours le bienvenu parmi nous.