Demetris

Christofias

Président de la République de Chypre

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 30 septembre 2008

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, mesdames, messieurs les membres de l’Assemblée, je souhaite remercier le Président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe de m’avoir invité à prendre la parole devant vous. Je le remercie également de ses aimables propos de bienvenue. C’est un honneur pour moi que de m’exprimer devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe pour la première fois depuis mon élection à la Présidence de la République de Chypre.

L’institution du Conseil de l’Europe, ainsi que la Convention européenne des droits de l'homme de 1950 et ses protocoles additionnels, sont des réalisations uniques dont tout Européen peut être fier. Quarante-sept pays européens ont embrassé un système codifié de valeurs et ont adopté et mis en œuvre des procédures importantes pour la sauvegarde des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme, le Comité des Ministres, le Commissaire aux droits de l’homme et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe elle-même, accomplissent une mission très importante, dont je souhaite les féliciter.

La République de Chypre s’est fermement engagée à respecter les principes et les valeurs du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne. Elle reconnaît le rôle unique du Conseil de l’Europe dans l’accomplissement de la noble mission qui lui a été confiée. L’Assemblée parlementaire constitue l’outil démocratique de promotion des principes fondamentaux du Conseil de l’Europe et, en tant que telle, sa contribution est vivement appréciée par le peuple chypriote.

Je saisis l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer ici pour remercier le Conseil de l’Europe, qui a toujours œuvré à la sauvegarde des droits de l’homme des chypriotes. Ces derniers ont souffert à la suite de l’invasion et de l’occupation d’une grande partie du territoire chypriote par des troupes armées turques, alors que la Garde nationale de la République de Chypre ne compte que 9 000 hommes. Nous sommes très reconnaissants à la Cour européenne des droits de l’homme d’avoir contribué à la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales de tous les Chypriotes. J’ajoute que les arrêts de la Cour européenne des Droits de l’homme doivent être pleinement respectés et suivis d’effet.

Le 1er octobre prochain, nous célébrerons l’anniversaire de la création de la République indépendante de Chypre, en 1960. En dépit des nombreuses difficultés rencontrées par la République de Chypre tout au long de son histoire, nous souhaitons que Chypre soit réunifiée, dans le cadre d’un Etat fédéral dans lequel les libertés et les droits fondamentaux de tous les chypriotes, sans exception, seront respectés. Malheureusement, des interventions étrangères et des choix erronés de la part des deux communautés ont empêché un développement favorable aux Chypriotes.

Au lieu d’une coopération quotidienne dans le cadre des institutions d’un nouvel Etat, qui aurait été la continuation d’une longue histoire commune, les deux communautés ont croisé le fer à la suite de l’intervention étrangère et de l’action de groupes disons «chauvinistes». Les interventions étrangères dans les affaires internes de Chypre ont atteint leur sommet avec le coup d’Etat militaire de la junte grecque et l’invasion turque en juillet et en août 1974.

J’ai personnellement toujours combattu le nationalisme et le chauvinisme. Ce combat, au nom du mouvement populaire de Chypre, je l’ai mené aux côtés du dirigeant actuel de la communauté chypriote turque, M. Talat, et ce, depuis le début des années 80. Ensemble, nous allons œuvrer pour le bien de tous les chypriotes. Je suis engagé en faveur de la vision commune que nous avons élaborée avec M. Talat et avec son prédécesseur, feu M. Ozgur dont je salue la mémoire.

La même vision s’est reflétée lors des décisions communes et des déclarations publiques des deux communautés après des rencontres entre les deux délégations emmenées par ses deux dirigeants. Est prévue une réunification fondée sur les résolutions des Nations unies et les accords de 1977 et de 1979 entre les dirigeants des deux communautés sous les auspices du Secrétaire général des Nations unies.

Ensemble, avec M. Talat, nous avons envisagé la transformation de l’Etat unitaire en une fédération par le biais de la mise en œuvre du principe d’égalité politique entre les deux communautés tel que défini dans les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Ensemble, nous souhaitons une Chypre pour les Chypriotes sans la présence de troupes étrangères, sans la présence massive de ressortissants étrangers, de colons, qui changeraient la composition démographique de la population.

Nous avons envisagé une Chypre unifiée et fédérale où les différences et identités de chaque communauté seraient respectées. Par la même occasion, elle permettrait de cultiver les traditions et les pratiques que nous avons en commun et que les Chypriotes des deux communautés ont développées au fil des siècles dans le cadre d’une coexistence et d’une coopération pacifiques. Nous avons envisagé une Chypre où tout conflit entre les communautés serait replacé dans le contexte d’une économie unifiée, avec une concurrence saine et un alignement des intérêts de tous, indépendamment de la communauté d’appartenance.

Monsieur le Président, mesdames, messieurs, j’ai foi dans l’identité chypriote qui est née au fil des siècles. Je suis fier d’être Chypriote, de mes racines et de mon identité, mais je respecte aussi le droit de M. Talat d’être fier de ses racines et de son identité. En tant qu’homme politique et en tant que Président de la République de Chypre, le bien de mon pays est ce qui me tient à cœur. Je suis un Chypriote qui souhaite servir tous ses concitoyens et qui souhaite créer les conditions qui permettent à Chypre de vivre de façon unie.

Tous les Chypriotes ont souffert; nous avons été victimes de plusieurs tragédies qui ont frappé notre île. Nous devons tous œuvrer pour la restauration des droits de l’homme dont nous avons été privés pendant de longues décennies.

Monsieur le Président, un nouvel effort intensif pour résoudre le problème de Chypre vise à surmonter les terribles problèmes auxquels nous sommes confrontés depuis trente-quatre ans. Ces pourparlers ont lieu sous les auspices du Secrétaire Général des Nations unies dans le cadre de sa mission des bons offices que le Conseil de sécurité des Nations unies lui a confiée dans le cadre des résolutions qui définissent le cadre juridique et politique dans lequel ces négociations ont lieu.

La mission de bons offices du Secrétaire Général des Nations unies prévoit des négociations entre les dirigeants des deux communautés. Les Chypriotes eux-mêmes devront veiller au succès des négociations. Le rôle du Secrétaire Général et de la communauté internationale consiste à offrir leur aide et leur soutien. Les bons offices ne sont pas un arbitrage. L’expérience récente a montré que tout plan importé qui ne sert pas les intérêts des Chypriotes est rejeté par le peuple chypriote.

Le cadre d’une solution prévue par les résolutions des Nations Unies implique une fédération bizonale et bicommunale avec une seule identité, une souveraineté indivisible et unique et une seule nationalité. Les institutions fédérales garantiront le respect du principe d’égalité politique tel que défini dans les résolutions des Nations Unies. Cette égalité politique n’est pas une égalité numérique, mais une participation effective de la communauté chypriote grecque et de la communauté chypriote turque à tous les organes de l’Etat fédéral. Il est important de rappeler qu’une telle fédération bizonale et bicommunale est la seule solution qui ait fait l’objet d’un accord depuis 1977 et qu’elle a été récemment réaffirmée par les dirigeants des deux communautés. C’est le seul compromis possible sur la base duquel un nouvel accord politique pourra être construit.

Les résolutions du Conseil de sécurité et des Nations Unies ainsi que la constitution de Chypre excluent la partition, la sécession ou l’unification avec un autre pays.

Monsieur le Président, mesdames, messieurs, je tiens à vous assurer que je suis animé par la volonté politique nécessaire pour résoudre ce problème. Je fonde mes affirmations sur mes actions au sein du Mouvement populaire de Chypre, qui est fier de sa longue histoire de combats et de sacrifices pour soutenir l’amitié, la coopération et la coexistence pacifique entre les Chypriotes grecs et turcs. Je figure parmi les Chypriotes qui ont été touchés par l’invasion militaire de 1974. Ma famille et moi-même avons été déplacés. Nous sommes devenus des réfugiés dans notre propre pays.

Permettez-moi de vous faire part des quelques suggestions spécifiques qui permettront, je le pense, d’améliorer l’atmosphère entourant les négociations et qui augmenteront leur chance de succès. Lors de ma récente rencontre avec le Secrétaire Général des Nations Unies à New York la semaine dernière, j’ai suggéré qu’il propose un accord pour mettre un terme aux exercices militaires annuels qui sont organisés chaque automne à Chypre et autour de Chypre. Je pense en particulier à l’exercice Nikiforos mené par la garde nationale de Chypre et à l’exercice Toros organisé par les forces militaires turques à Chypre. En outre, je propose que des mesures soient prises pour que l’on mette fin à l’escalade militaire.

Un désengagement des forces s’impose, en particulier dans la région de Nicosie, y compris la démilitarisation pleine et entière de l’ancienne ville de Nicosie à l’intérieur des murs d’enceinte vénitiens, la désignation d’une zone démilitarisée et d’autres mesures encore. Si nous sommes conscients que des mesures ont déjà fait l’objet d’un accord avec M. Talat, elles n’ont pu encore être mises en œuvre. Nous sommes également conscients que tout cela est loin d’être facile.

De notre côté, nous mettrons tout en œuvre pour que les pourparlers soient couronnés de succès. Nous ne pouvons nous permettre le luxe d’échouer. L’absence de solution n’est pas une solution. Elle entraînerait vraisemblablement la partition permanente de l’île, ce qui serait le scénario le plus mauvais tant pour les Chypriotes grecs que pour les Chypriotes turcs.

Les électeurs ont voté pour nous, m’ont élu Président sur la base de promesses que nous avons faites de tout mettre en œuvre pour réaliser des avancées vers la solution des problèmes de Chypre. Nous ne pouvons décevoir ni nos électeurs ni la communauté internationale. Nous devons et nous pouvons réussir. C’est ce qui guide mes actions politiques. C’est d’ailleurs un encouragement qui m’a poussé à me présenter à la présidence de la République de Chypre, mais le peuple chypriote veut une solution. C’est fondamental, mais non suffisant.

La Turquie aussi doit apporter sa contribution au processus. Elle maintient à Chypre plus de 40 000 hommes et des dizaines de milliers de colons. Cela peut indéniablement avoir une incidence sur le résultat des négociations. Nous sommes convaincus que la solution doit permettre à tous d’être gagnants. Elle permettra aux Chypriotes grecs comme aux Chypriotes turcs de vivre ensemble dans un Etat prospère et indépendant, au sein de la famille européenne, sans la présence de troupes étrangères et de colons illégaux dans des conditions de sécurité, où l’identité et les droits de tous seront respectés.

Une solution au problème de Chypre aidera aussi la Turquie à rejoindre l’Union européenne, dont Chypre est déjà un membre à part entière. Nous souhaitons que la Turquie respecte ses obligations découlant de sa demande d’adhésion à l’Union européenne. C’est ainsi que la Turquie contribuera de façon positive aux efforts visant à trouver une solution qui respectera le principe de base du droit international, les principes et les valeurs de l’Union européenne et de la Convention européenne des droits de l’homme.

LE PRÉSIDENT

Monsieur le Président de la République, je vous remercie vivement de votre discours. Son contenu est encourageant pour notre assemblée. En tant que Président de la République, vous manifestez votre volonté de vous engager dans la voie de la réunification. Vous avez également avancé des suggestions pour dépasser le temps des discours et l’absence de concrétisation dans les faits.

Un grand nombre de nos collègues ont exprimé le souhait de vous poser une question. Je rappelle que celles-ci doivent revêtir un caractère interrogatif et ne pas dépasser trente secondes.

Le premier orateur sera M. Pourgourides, auquel je cède aussitôt la parole.

M. POURGOURIDES (Chypre) (interprétation)

Mon groupe m’a autorisé à vous dire à quel point nous étions satisfaits de votre engagement véritable pour la réunification de Chypre. Nous pensons toutefois que l’on pourrait faire davantage pour aider la communauté chypriote turque à élever son niveau de vie et à s’intégrer dans la communauté internationale. Quelle est votre position sur ce point, monsieur le Président?

M. Christofias, Président de la République de Chypre (interprétation)

La République de Chypre offre la possibilité à nos compatriotes chypriotes turcs, s’ils le souhaitent, si leur chef le désire et si la Turquie le veut, d’exporter et d’importer des biens, de commercer donc, par le biais des ports et aéroports libres de la République de Chypre. C’est une déclaration officielle, que je fais devant vous.

Tous les jours, sept mille Chypriotes turcs traversent la frontière et travaillent avec les Chypriotes grecs. Ils reçoivent des salaires bien plus élevés qu’ils n’auraient dans l’autre partie de l’île. A tout moment, tous les Chypriotes turcs ont le droit de se rendre dans les hôpitaux, dispensaires et établissements de santé de la République. Des mesures sont donc déjà en vigueur pour faciliter la vie des Chypriotes turcs.

En quatre ans, le revenu des Chypriotes turcs a doublé. Leur revenu moyen par habitant et par an atteint aujourd’hui 12 000 dollars. Nous espérons que leur situation s’améliorera encore, mais il y a un obstacle: c’est l’occupation. Les dirigeants turcs insistent, malheureusement, pour que soit consacré l’existence d’un second Etat chypriote à l’intérieur de l’île. Ce n’est pas possible; les Résolutions 450 et 451 de l’Onu disposent qu’il n’y a qu’un seul État à Chypre, à savoir la République de Chypre, et un seul gouvernement légitime, celui de la République de Chypre. Nous nous efforçons de réunifier l’île pour que les populations bénéficient de meilleures conditions dans le cadre d’une structure bicommunautaire fédérale.

M. IWINSKI (Pologne) (interprétation)

Le Groupe socialiste suit avec bienveillance les discussions en cours entre Chypriotes turcs et Chypriotes grecs. Nous espérons qu’elles aboutiront à la réunification de l’île, mais nombre d’entre nous sont préoccupés par les répercussions possibles d’événements récents tels que l’indépendance du Kosovo ou le conflit dans le Caucase sur la situation à Chypre. Pouvez-vous nous rassurer et nous dire qu’ils n’auront pas d’impact négatif sur le processus de réconciliation en cours à Chypre?

M. Christofias, Président de la République de Chypre (interprétation)

Il faut en revenir à la légitimité internationale et aux principes de la communauté internationale et du Conseil de l’Europe. Si ces principes et les valeurs européennes sont respectés, nous ne vivrons plus de tels événements et ceux-ci n’auront pas de répercussions négatives sur le processus en cours à Chypre, pour autant que l’on s’en tienne à la légitimité.

Les textes internationaux et la constitution chypriote excluent la partition, la sécession ou l’unification avec un autre pays. M. Talat est d’accord avec moi sur ce point. Chypre est une petite île, trop petite pour être divisée, mais suffisamment grande pour héberger les deux communautés mais aussi les Maronites, les Chrétiens ou les Arméniens qui y vivent. Nous nous efforçons donc de rétablir l’unité du pays dans le cadre d’une structure fédérale.

Nous sommes opposés à la sécession du Kosovo et à tout séparatisme dans d’autres pays. C’est une position de principe, que nous maintiendrons.

Baroness KNIGHT of COLLINGTREE (interprétation)

Monsieur le Président de la République de Chypre, le Groupe GDE regrette que quatre ans se soient écoulées depuis le referendum qui aurait pu permettre un règlement à l’amiable de la question chypriote. Quelles sont les perspectives d’aboutir cette fois?

M. Christofias, Président de la République de Chypre (interprétation)

J’ai déjà dit que les solutions imposées de l’extérieur ne convaincront pas les populations de l’île et ne seront pas acceptées par la communauté chypriote. Le plan Annan faisait partie de cette catégorie. Nous sommes une petite île, relativement peu peuplée, mais nous voulons vivre en paix et vivre libres. Nous ne voulons pas qu’une solution nous soit imposée de l’extérieur.

Cela dit, je suis pressé. Voilà pourquoi je me suis porté candidat à la présidence de mon pays. J’étais hostile à la stagnation, au maintien du statu quo, je voulais une solution. Or, pour la trouver, nous devons en revenir au langage de la paix, de la fraternité. Avec M. Talat, nous avons essayé de développer des solutions innovantes, progressistes pour sortir de l’impasse et trouver un règlement définitif. Nicosie doit tout faire pour trouver un terrain d’entente, mais Nicosie ne parviendra pas à résoudre toutes les difficultés. Il faudra, en particulier, que la Turquie contribue à ce que la solution puisse être trouvée.

M. LEYDEN (Irlande) (interprétation)

Monsieur le Président de la République de Chypre, au nom du Groupe ADLE, je vous félicite pour vos efforts de réunification de l’île de Chypre avec M. Talat. Vous connaissez certainement l’histoire de l’Irlande, qui a connu des difficultés pendant encore plus longtemps que Chypre. Il importe de résoudre les questions de propriété. Il faut que celles-ci soient restituées à leurs propriétaires légitimes.

M. Christofias, Président de la République de Chypre (interprétation)

Nous vivons dans un pays où le principe de la propriété privée est bien établi. La propriété privée doit être respectée mais c’est un principe qui doit être admis par les deux communautés et la Turquie.

Les propriétaires au moment du déclenchement des hostilités restent les légitimes possesseurs de ces biens. Il va effectivement falloir trouver une solution négociée à ce problème. Plusieurs options s’offrent à nous: la restitution ou l’indemnisation. Il faut laisser le choix aux gens. Ceux-ci doivent avoir la possibilité de rentrer dans leur foyer d’origine mais, s’ils ne le souhaitent pas, ils peuvent opter aussi pour une indemnité. C’est une solution qu’il faut mettre sur la table. Il existe une troisième possibilité: celle d’un échange de propriété entre Chypriotes grecs et Chypriotes turcs. Toutes les options peuvent se discuter, mais la pré-condition, qui n’est pas négociable, est le principe de propriété, du respect de la propriété et du choix laissé aux propriétaires quant à la restitution de leurs propriétés.

M. KOX (Pays-Bas) (interprétation)

Monsieur Christofias, vous êtes un homme courageux. Quand vous dites que vous ne pouvez vous payer le luxe d’un échec dans vos tentatives de réunification, vous le démontrez. Dites-nous, ce que nous pourrions faire en tant que parlementaires du Conseil de l’Europe pour vous aider à avancer sur la voie de la réunification de Chypre, ce que nous ne devons pas faire, ce qui serait maladroit de notre part et vous mettrait des bâtons dans les roues.

M. Christofias, Président de la République de Chypre (interprétation)

Sur la base des principes du Conseil de l’Europe, dans le respect de la Convention européenne des droits de l’homme et des principes des Nations Unies et du droit international, si pour préserver divers intérêts et en contradiction avec ces principes, certains pensaient jouer plutôt le jeu de certaines entités, ce serait tout à fait contre-productif.

Je tiens absolument à ce que l’île soit réunifiée, mais je n’accepterai jamais qu’il y ait deux Etats à Chypre. Je demande que l’on suive les principes. M. Talat doit comprendre qu’il existe des principes de base de droit international et des valeurs de l’Europe unie que nous devons tous respecter, lui comme moi. C’est ainsi que nous pourrons ouvrir un nouveau chapitre pour l’île de Chypre.

M. ÇAVUSOGLU (Turquie) (interprétation)

Monsieur Christofias, considérez-vous que cette assemblée fait partie des «intervenants extérieurs», tout comme l’Onu? La communauté chypriote grecque étant hostile à certaines de vos thèses, comment entendez-vous préparer les Chypriotes grecs à accepter une solution? Est-il envisageable que les Chypriotes grecs rejettent à nouveau une proposition en ce sens, comme lors du référendum, il y a quatre ans?

M. Christofias, Président de la République de Chypre (interprétation)

Pensez à ceci: les Chypriotes turcs peuvent promouvoir des activités culturelles et sportives. Ils ont déjà acté le principe de la réunification des fédérations de football des deux parties de l’île, mais la difficulté réside dans la mise en œuvre de l’accord. Certains s’opposent à ce que les Chypriotes turcs respectent les conventions signées.

Depuis le début de mon mandat, je parle le langage de la vérité, vis-à-vis aussi bien des Chypriotes turcs que des Chypriotes grecs. Je leur dis que nous voulons un Etat unifié qui ne soit ni turc ni grec, mais chypriote. Nous voulons un Etat chypriote, la République fédérale unifiée de Chypre, où les Chypriotes partageront le pouvoir. C'est courageux de ma part. J'ai d'ailleurs été très critiqué par certains de mes compatriotes chypriotes grecs mais tel est mon discours et je n'en changerai pas. D'autres milieux me critiquent aussi.

J'ai également indiqué que j'acceptais le principe d'une présidence tournante, avec un président chypriote turc, pas nécessairement sous la forme de l’alternance d’un quinquennat chypriote grec et d’un quinquennat chypriote turc, car je prône non une égalité arithmétique mais une égalité des droits, et une égalité des possibilités de participer à la vie publique. Certains m'ont reproché de me précipiter. Je considère, pour ma part, que je présente une bonne proposition à la communauté chypriote turque et à la Turquie. J'espère que ces démonstrations de bonne volonté seront bien accueillies.

LE PRESIDENT

M. Béteille n'étant pas présent dans l'hémicycle, la parole est à M. Breen.

M. BREEN (Irlande) (interprétation)

Monsieur le Président de la République, nous vous rendons hommage pour vos tentatives de réduire les divisions de l’île, depuis trente ans. Des points de passages ont été ouverts. Les gens sont-ils encouragés à traverser la frontière? Ne pourriez-vous envisager avec M. Talat l’ouverture de nouveaux points de passage?

M. Christofias, Président de la République de Chypre (interprétation)

Lors de notre toute première réunion, le 21 mars dernier, vingt jours à peine après mon élection, M. Talat et moi-même sommes convenus d’ouvrir le point de passage de la rue Ledra, l’artère principale de Nicosie. Enfant, je parcourais cette rue commerçante, dont je savais qu’elle reliait les quartiers chypriotes grecs et les quartiers chypriotes turcs. Aujourd’hui les gens sont de plus en plus nombreux à traverser la ligne de démarcation. D’autres accords ont été conclus, notamment en vue de restaurer quelques immeubles aux abords des points de passage mais, du côté chypriote turc, pour l’instant, rien n’avance. Nous préconisons aussi le retrait des troupes, des deux côtés. Nous souhaitons démilitariser toute la région de Nicosie.

Le même jour, nous sommes convenus de l’ouverture d’un autre point de passage, au nord-ouest, où une enclave a été créée en 1964. Grâce à l’ouverture de ce point de passage, il ne faudra plus qu’une heure pour se rendre à Nicosie, contre trois actuellement. Ce sera un progrès considérable pour la vie quotidienne des gens. Les habitants des villages chypriotes turcs et chypriotes grecs insistent pour que les choses bougent, mais des réticences existent parmi les militaires et, tant que la Turquie n’acceptera pas les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, la mise en œuvre restera difficile.

N’oublions pas que des résolutions du Conseil de sécurité exigent la réouverture de la ville fantôme de Famagouste. La Turquie reste sourde à ces appels. Nous avons proposé la réouverture de Famagouste à ses habitants, sous les auspices de l’Union européenne. Dans le même temps, le port de Famagouste devrait être rouvert, notamment aux échanges de la communauté chypriote turque, mais cela n’a pas encore été accepté. Nous avons envisagé une série de mesures de confiance qui amélioreraient le quotidien des populations concernées et renforceraient la confiance de l’homme de la rue dans le processus de réunification. Déjà les gens se rencontrent, commercent, mais il faut aller beaucoup plus loin.

M. BRANGER (France)

Monsieur le Président de la République, chacune et chacun ici connaît mon engagement en faveur des droits des femmes et, plus particulièrement, de la lutte contre les diverses formes de violence qui leur sont infligées. Plusieurs enquêtes ont appelé l’attention sur la situation de jeunes femmes originaires d’Europe centrale et orientale qui, en arrivant à Chypre, où elles sont sensées exercer une profession artistique, sont en réalité contraintes de se prostituer dans les nombreux cabarets, bars et night-clubs ouverts dans l’île qui a vu naître Aphrodite.

Cette situation tient notamment à ce que Chypre délivre des visas dits d’ «artistes de cabaret» qui, sous couvert de légalité, permettent l’entrée sur son territoire de jeunes femmes qui tombent aux mains de proxénètes. Je sais, monsieur le Président de la République, que les autorités chypriotes se sont engagées à lutter contre la traite des êtres humains qui sévit jusque sur le territoire de l’Union européenne. Des mesures concrètes ont-elles prises et lesquelles?

M. Christofias, Président de la République de Chypre (interprétation)

Je vous remercie, monsieur Branger, pour cette question de la plus haute importance. En tant que responsable politique et militant des droits de tous et de toutes les Chypriotes, je tiens à ce que nous progressions sur ce plan aussi.

Depuis mon entrée en fonction, nous avons fait adopter des lois très innovantes dont l’Europe a d’ailleurs reconnu le caractère progressiste. Il y a quinze jours, le ministre de l’intérieur annonçait que des visas pour «artistes» ne seraient plus délivrés. Nous sommes contre la traite des personnes. Nous prendrons d’ailleurs des mesures supplémentaires pour mettre un terme à ces pratiques inacceptables dont les femmes sont les premières victimes.

Mme KEAVENEY (Irlande) (interprétation)

Chypre, comme l’Irlande, ont été déchirées par des conflits. Quel est le rôle joué par l’enseignement de l’histoire à Chypre pour contribuer à l’émergence d’un nouveau climat favorable à la réconciliation? L’imbrication et l’interaction des cultures des différentes communautés est-elle clairement présentée?

M. Christofias, Président de la République de Chypre (interprétation)

Tous les citoyens et toutes les citoyennes de la République constituent un seul peuple. Il n’y a pas plusieurs peuples, il n’y a que des citoyens chypriotes qui appartiennent à l’une ou à l’autre communauté. Mon gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre une réforme de l’éducation portant notamment sur l’enseignement de la réconciliation. Sans passer sous silence les ingérences étrangères ni l’occupation, qui sont des faits, nous souhaitons que cette année soit celle de la réconciliation. Nous réviserons les manuels d’histoire afin d’inculquer aux jeunes des notions objectives capables d’éviter de susciter la haine. Nous ne haïssons pas le peuple turc. Les peuples sont toujours innocents, seuls les dirigeants sont coupables. En tout cas, nous prenons des mesures concrètes allant dans le sens que vous souhaitez.

M. O’HARA (Royaume-Uni) (interprétation)

Monsieur le Président, votre carrière vous a bien préparé à la tâche difficile que vous accomplissez. Je vous souhaite beaucoup de succès dans vos négociations. J’aimerais que vous répétiez que vous êtes favorable à une action pour restaurer le patrimoine de Famagouste et reconstruire Varocha.

M. Christofias, Président de la République de Chypre (interprétation)

Je vous ai répondu par anticipation. Ce serait un miracle si tout cela pouvait se faire. Il serait nécessaire que la Turquie respecte la résolution 550 pour que l’on puisse restaurer Famagouste et Varocha. Le centre ancien de Famagouste pourrait être un lieu de cohabitation pacifique pour les deux communautés, un lieu d’échanges sur les plans culturel, économique et autres. L’objectif toujours d’actualité.

M. ÇAGLAR (Représentant de la communauté chypriote turque) (interprétation)

Nous espérons que les deux leaders prendront des décisions courageuses pour trouver un règlement rapide, conforme aux normes internationales. Dans votre négociation liminaire à l’ouverture des négociations, vous avez déclaré qu’il n’y aurait pas de concession supplémentaire car, il y a trente ans, nous avons déjà fait toutes les concessions nécessaires en acceptant le principe d’une fédération. Ceux qui n’ont pas fait de concession sont-ils les chypriotes turcs?

M. Christofias, Président de la République de Chypre (interprétation)

Cher compatriote, je vous remercie pour votre question. Soyons réalistes et osons dire la vérité: l’Etat chypriote créé en 1960 était unitaire. Il réunissait des chypriotes grecs et turcs. Pourquoi un Etat unitaire? Parce que, pendant des siècles, les communautés de chypriotes turcs et grecs ont cohabité dans l’île. Elles étaient mélangées. Il n’y avait pas les bases d’une fédération. C’est au moment de l’intervention militaire qu’une séparation a été imposée, en violant l’intégrité territoriale de la République de Chypre, sa souveraineté et les principes du droit international. Il y a eu des déplacements forcés de populations à Pafos, Limassol, dans le Sud. Les populations ont été envoyées au Nord.

Le président Makarios, personnalité célèbre, a eu le courage de déclarer – il était le seul à pouvoir le faire – que si les Chypriotes turcs se sentaient plus en sécurité en se regroupant dans le Nord de Chypre, il était prêt à faire évoluer l’Etat vers une forme bizonale, bicommunautaire, fédérale. Ce fut historiquement une concession. Je n’ai pas dit qu’il n’y avait plus aucune marge de manœuvre, plus la moindre concession possible. J’ai rappelé les principes qui ne pouvaient pas être remis en cause dans la négociation.

Quand la partie chypriote turque ou la partie turque demandent des garanties de sécurité, c’est une ligne rouge pour nous. Et nous, que pouvons-nous avoir? Une ligne bleue ou d’une autre couleur? Chacun doit être raisonnable. Il faut comprendre qu’un certain nombre de principes doivent être respectés. L’un de ces principes est le retrait des militaires et la possibilité donnée à tous les Chypriotes de vivre ensemble dans la sécurité, conformément à leur propre décision et non à des décisions imposées de l’extérieur. Nous voulons un Etat unitaire à structure fédérale où les pouvoirs seront partagés, un Etat qui veillera au bien-être de toute sa population.

Chypre, mesdames, messieurs, est bénie des dieux et de la nature. Chypre pourrait être un paradis sur terre. Actuellement, seuls les hommes ne permettent pas à Chypre d’être ce paradis. Laissons les Chypriotes grecs et turcs créer sur terre un paradis où ils seront heureux d’accueillir leurs amis et les touristes qui voudront venir dans l’île d’Aphrodite.

LE PRÉSIDENT

Je vous remercie monsieur le Président de la République de Chypre pour votre intervention et pour vos réponses aux questions. Elles nous incitent à vous soutenir dans vos efforts pour la réunification de l’île de Chypre. J’espère qu’un jour nous pourrons tous nous y rendre, pour fêter avec vous la réunification de votre pays.