Ahmet

Davutoğlu

Premier ministre de Turquie

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 19 avril 2016

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, Mesdames, Messieurs les parlementaires, c’est pour moi un grand plaisir que de m’adresser à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, symbole de la démocratie, de l’Etat de droit et des droits de l’homme.

Permettez-moi de vous dire, Monsieur le Président, ma profonde gratitude pour votre invitation.

L’Europe connaît aujourd’hui une période difficile, qui aura des répercussions sur notre avenir immédiat et à plus long terme. Tout ce que nous faisons, tout ce que nous disons en cette période charnière aura un impact sur le moyen terme et sur le long terme. Chaque fois que la Turquie et l’Union européenne ont agi de concert, ensemble, avec une vision commune d’un avenir commun, cela a permis une solution plus aisée aux problèmes de portée régionale.

« La Turquie est inséparable de l’Europe »

Ce jour a une signification toute particulière. C’est en effet la première fois qu’un Premier ministre de la Turquie s’exprime devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en turc depuis que cette langue est devenue l’une des langues de travail de l’Assemblée. Le turc est désormais utilisé dans votre Assemblée, ainsi que dans d’autres instances du Conseil de l’Europe; je remercie tous ceux qui ont rendu cela possible.

Le peuple turc fait partie de l’Europe et la langue turque est l’une des plus anciennes de la famille des langues européennes.

Mesdames, Messieurs les parlementaires, nous disons en turc que les amis disent toujours la vérité, même si elle est douloureuse à entendre. Dire les choses franchement, c’est une marque d’amitié et de confiance. Si nous sommes amis, nous pouvons nous critiquer mutuellement, nous pouvons nous dire la vérité en face. C’est dans cet esprit que j’aimerais revenir sur les problèmes que vous avez évoqués, Monsieur le Président.

Voilà cinq ans, je me suis exprimé devant vous en qualité de ministre des Affaires étrangères. J’avais alors partagé avec vous mon point de vue sur la nécessité de construire une région tournée vers l’avenir de l’Europe. Je me souviens très bien de mon intervention ce jour-là dans cet hémicycle – M. le Secrétaire Général Jagland et moi-même avons évoqué nos souvenirs communs. C’était l’époque où le printemps arabe commençait. L’atmosphère était très particulière. Nous nous étions rendus en Tunisie. Notre pays, qui assurait à l’époque la présidence du Comité des Ministres, était responsable de la politique de voisinage. Nous étions bien conscients des risques, des problèmes potentiels, et nous avions un certain nombre de préoccupations.

Cinq années ont passé, et on peut aujourd’hui tirer un premier bilan de cette période historique. J’aurais souhaité pouvoir m’adresser à vous aujourd’hui en des termes plus positifs. J’aurais souhaité pouvoir vous dire que nous vivons aujourd’hui dans une Europe plus forte, plus libre et plus prospère; une Europe où l’extrémisme et la xénophobie auraient disparu, où l’on ne verrait plus de discriminations pour des raisons de religion, de langue ou d’appartenance ethnique; une Europe dans laquelle les peuples vivraient en paix, ensemble; une Europe dans laquelle les libertés et les droits fondamentaux seraient une réalité pour toutes les personnes et pour tous les groupes; une Europe dans laquelle le terrorisme aurait été éradiqué, et l’antisémitisme et la xénophobie vaincus.

Malheureusement, il n’en est pas ainsi. La situation est plus grave aujourd’hui. Nous constatons une montée de l’intolérance et de la xénophobie en Europe. Nous voyons les répercussions de la crise économique. Des flux migratoires massifs poussent malheureusement les gouvernements à chercher refuge dans des mesures protectionnistes et des politiques plus sévères.

Ce climat est un terreau favorable aux tendances xénophobes et racistes. Les musulmans, les immigrés, les Roms deviennent malheureusement les premières cibles de la discrimination, et certaines tendances politiques les associent aux problèmes de chômage, de pauvreté, de criminalité et de sécurité.

Tout cela va à l’encontre de l’esprit européen et contraste de manière frappante avec les valeurs européennes de démocratie, d’égalité et de l’Etat de droit.

Mes chers amis, une fois encore le terrorisme a frappé à Paris, à Bruxelles, à Istanbul. La Turquie a toujours affirmé que des mesures globales devaient être prises pour s’attaquer aux problèmes globaux. Notre avis n’a pas varié sur ce point: nous considérons qu’il est très important que l’on réagisse aux attaques terroristes en Europe, que l’on exprime sa sensibilité à ces actes condamnables, mais nous souhaiterions voir la même sensibilité s’exprimer, les mêmes réactions lorsque de telles attaques se produisent en Turquie. Rien ne justifie qu’il puisse y avoir des approches différentes face aux actes terroristes. Si nous pensons que la réaction au terrorisme doit être commune, alors ne faisons pas de différence. Les vies humaines perdues à la suite d’une attaque terroriste ont toutes la même valeur, quelles que soient la tendance politique, la religion, la culture des personnes touchées.

Mesdames, Messieurs les parlementaires, ce n’est pas là un propos rhétorique. C’est une position fondamentale qui découle des valeurs européennes et de notre vision d’un avenir commun. Nous devons donc agir ensemble, de concert, de manière unie face à la menace terroriste.

Cependant, il y a toujours des lacunes en matière juridique en Europe, et certaines de nos exigences restent malheureusement sans réponse. Par exemple, nous n’avons pas beaucoup progressé sur le processus d’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme. Nous constatons que l’Europe ne parvient pas à surmonter des crises comme celles qui touchent la Crimée, l’Ossétie du Sud, le Haut-Karabakh ou la Transnistrie. Ce sont des lignes de fracture qui subsistent en Europe et, comme ces crises ont lieu dans des pays qui sont proches de ses frontières, la Turquie en ressent les effets. C’est pourquoi nous attachons une grande importance au règlement de ces conflits, dans le respect du droit international.

Mesdames, Messieurs les parlementaires, l’Europe est confrontée aujourd’hui à des flux migratoires massifs, qui sont certainement les plus importants de son histoire. Selon les données du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, il y a aujourd’hui 230 millions de réfugiés ou de personnes déplacées dans le monde. Ces chiffres confrontent l’Europe et le reste du monde à une épreuve d’une difficulté sans précédent.

Je suis donc fier de pouvoir rappeler aujourd’hui devant vous que la Turquie est le pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés dans le monde. Des Syriens qui arrivent dans des provinces comme celle de Kilis s’y installent, et aucun mouvement de protestation contre les réfugiés arabes et syriens n’a été constaté. L’accueil de ces réfugiés est une position humaine, et nous en sommes très fiers.

Aider des gens qui fuient une crise est une responsabilité qui incombe à toute l’Humanité; c’est une obligation tant morale que politique. La mondialisation concerne en effet tous les domaines de la vie, et nous devons apporter une réponse globale en matière de justice et d’égalité. On ne peut pas parler de justice, de liberté ou de sécurité sans considérer que ces valeurs sont des exigences à respecter dans le monde entier.

Depuis six ans que la crise syrienne a éclaté, la Turquie a adopté une politique de porte ouverte. Elle assume pleinement ses responsabilités humaines et morales. Ainsi que je l’ai répété à maintes reprises, notre porte est ouverte à ces personnes; notre pays et nos cœurs sont ouverts, et le resteront, aux personnes qui fuient ce drame.

Selon les données des Nations Unies, la Turquie est le pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés au monde. À l’heure actuelle, nous accueillons 2,7 millions de frères et de sœurs syriens et près de 300 000 Irakiens et ressortissants d’autres pays. Jusqu’à présent, pas la moindre manifestation de xénophobie n’est à déplorer, il n’y a eu aucune protestation dans mon pays. Je suis fier de mon peuple, je tiens à le répéter. Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance à mes 78 millions de concitoyens à cet égard.

Il est curieux et regrettable que des cas de mauvais traitements aient été signalés. Près de 270 000 personnes qui ont fui la Syrie se trouvent actuellement dans des camps à la frontière turque et reçoivent une aide du gouvernement turc. Ceux qui vivent en dehors de ces camps bénéficient d’un régime de protection temporaire et leurs besoins sont également satisfaits par les autorités turques à titre gratuit.

Mesdames, Messieurs, nous courons le risque d’une génération perdue; nous devons songer à la responsabilité morale, à la dimension politique et aux problèmes dont pourraient hériter les générations futures. Cette question mérite toute notre réflexion.

J’aimerais vous communiquer quelques chiffres. Au cours des quatre ans et demi qui viennent de s’écouler, 152 000 enfants syriens sont nés en Turquie et y vivent aujourd’hui sans avoir jamais vu leur pays d’origine. Nous accordons la plus haute priorité à l’éducation des enfants syriens en Turquie. Nous fournissons des possibilités d’éducation à 78 700 enfants dans des abris et des refuges, avec un taux de scolarisation de 90 %. Nous offrons également des services d’éducation à 200 000 enfants syriens vivant en dehors de ces centres d’accueil, avec un taux de scolarisation de 35 %. Cependant, les 400 000 enfants restants n’ont pas accès à l’éducation.

Nous aurons besoin de nouvelles salles de classe et d’enseignants.

À ce jour, nous avons dépensé plus de 10 milliards de dollars pour les réfugiés qui vivent dans les camps en Turquie, et nous avons dépensé une somme encore bien plus élevée pour l’ensemble des Syriens. Or les contributions internationales que nous avons reçues à ce jour ne représentent même pas 500 millions d’euros. Le partage est donc loin d’être équitable.

Je souhaite simplement que ce que nous avons fait pour nos frères et sœurs syriens soit apprécié à sa juste valeur et, si je dis cela, c’est que je tenais à appeler votre attention sur l’ampleur et la gravité du problème.

Mes chers amis, les migrations irrégulières sont également un défi majeur.

Nous avons pris de nombreuses mesures pour combattre l’immigration illégale et le trafic d’êtres humains. Depuis janvier 2015, les navires des garde-côtes en mer Egée ont recueilli 92 000 migrants irréguliers. Nous avons réussi à réduire leur nombre, au cours de l’année 2015, de 6 800 par mois à 2 000; en mars 2016, il était tombé à 860 et, pour la première quinzaine d’avril, nous en sommes à 327 personnes. Mais, à l’évidence, la Turquie ne pourra pas à elle seule sauver toutes ces personnes.

Il y a une multitude d’îles en mer Egée, et nous avons pris avec Mme Merkel, la chancelière allemande, des initiatives conjointes visant à renforcer les efforts engagés au niveau international afin de venir en aide aux personnes déplacées. Les Etats membres doivent remplir les obligations qui découlent des conventions et des traités internationaux. Il convient de leur rappeler à tous quelles sont leurs obligations et leurs responsabilités politiques.

Vous le savez, nous avons conclu un accord avec l’Union européenne pour lutter contre les flux de migration illégaux. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de rencontrer tout à l’heure M. Juncker à ce sujet.

Cet accord a trois objectifs principaux: éviter les décès en mer Egée, démanteler les réseaux de trafic d’êtres humains et convertir les migrations irrégulières en migrations légales par le biais de programmes de réinstallation.

L’accord, entré en vigueur le 4 avril dernier, adopte la formule dite du «un pour un». À compter de cette date, nous avons en effet engagé un processus de réadmission des migrants en situation irrégulière ayant gagné des îles grecques et, sur le fondement de cette même formule, nous avons commencé à envoyer des migrants syriens en Europe. Le nombre moyen de personnes prises en charge est ainsi passé de 6 800 à 60 par semaine, ce qui constitue un progrès remarquable.

J’appelle aussi votre attention sur le fait que, face à cette migration illégale, la Turquie ne peut agir sans l’Union européenne: l’une ne va pas sans l’autre. Il ne s’agit pas seulement de faire face à un problème commun, la relation entre les deux doit être stratégiquement conçue comme une relation fondée sur des valeurs communes: le processus de négociation engagé en octobre 2005 est le moteur de notre relation avec l’Union européenne. Je tiens à le redire à nouveau devant vous: si cet accord est appliqué de manière efficace, nous parviendrons à améliorer fortement la situation en mer Egée pour prévenir l’immigration irrégulière, et surtout nous pourrons sauver des vies.

Mais cela ne suffira pas pour trouver une solution permanente. Nous devrons avant tout traiter les causes profondes de ce conflit. Après six ans de crise en Syrie, la communauté internationale ne parvient toujours pas à prendre des mesures efficaces contre ces flux migratoires considérables, à endiguer le flot des personnes fuyant la guerre et la violence. Si nous voulons vraiment prévenir ces flux migratoires, il faut trouver des solutions qui permettent à toutes ces personnes de rentrer dans leur pays.

La Syrie est aujourd’hui devenue une base pour Daech et le radicalisme. Nous avons donc plaidé pour qu’une zone de sécurité soit instaurée en Syrie. Notre objectif principal, en termes de sécurité, est d’être le voisin d’une Syrie stable et prospère, dont l’intégrité territoriale soit respectée. Pour combattre Daech, il faut mettre un terme au conflit en Syrie. Il faut qu’une nouvelle Constitution soit adoptée et que des élections libres et équitables puissent s’y dérouler. Il faut donc une transition politique dans ce pays mais, aussi longtemps que le régime d’Assad sera en place, ce ne sera pas possible.

La Turquie plaide pour une solution politique en Syrie qui soit conforme à la Déclaration de Genève. Dès le premier jour nous avons été favorables au processus de Genève. De manière très cohérente, nous avons plaidé pour que l’opposition syrienne soit incluse dans le processus politique, mais les soutiens du régime d’Assad continuent à la frapper. La population syrienne se retrouve prise en otage. Il faut absolument mettre un terme à cette situation. C’est notre responsabilité. La communauté internationale doit faire pression sur les pays qui ont la possibilité d’influer sur le régime d’Assad, et celui-ci doit être convaincu que la solution politique est la seule issue.

La seule manière d’éradiquer Daech en Syrie est de trouver une issue politique au conflit. Appuyer une autre organisation terroriste contre Daech ne saurait représenter une solution à ce problème. Cela ne ferait que légitimer et propager le terrorisme. Je voudrais rappeler à nos amis européens que le Parti des travailleurs du Kurdistan – le PKK – et le PAD utilisent les mêmes méthodes et la même idéologie. Le PKK et le Parti de l’union démocratique sont deux organisations terroristes qui méprisent les valeurs humaines au même titre que Daech.

En Irak également le sectarisme apparaît comme le principal problème. Si l’on veut parvenir à la paix et à la stabilité dans ce pays, il faut offrir des perspectives aux personnes opprimées par les politiques actuelles.

Nous devons donc voir les choses de manière globale: la relation entre l’Union européenne et la Turquie est donc obligatoire si l’on veut résoudre tous ces problèmes. Comme je le disais au début de mon intervention, nous devons adopter une position commune dans la lutte contre le terrorisme. Sans cela, nous ne parviendrons pas à rétablir une atmosphère de paix et de sécurité.

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs, pour la Turquie, la lutte contre le terrorisme n’a jamais été une simple déclaration rhétorique. La Turquie combat le terrorisme sous bien des aspects, que ce soit le PKK, le Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple – le DHKP-C –, Al-Qaida ou Daech. L’un des enseignements les plus importants que nous avons tirés de notre lutte contre le terrorisme est que l’on ne peut vaincre celui-ci sans une coopération internationale. À cet égard, les mécanismes du Conseil de l’Europe sont une plateforme de la plus haute importance. Dans cette lutte, nous avons posé un certain nombre de principes essentiels.

Tout d’abord, le terrorisme est une menace contre la paix et la sécurité internationales. Quels qu’en soient les motifs, quelle que soit la manière dont elle est menée et quels qu’en soient les auteurs, aucune activité terroriste ne saurait être considérée comme légitime.

Ensuite, nous devons renforcer la coopération internationale. Il est totalement erroné d’assimiler le terrorisme à la religion. Le terrorisme et l’islam n’ont rien de commun. Il ne faut pas faire d’amalgame. Le terrorisme et les organisations terroristes s’internationalisent. Elles ont d’ores et déjà bien plus de capacités et utilisent les médias internationaux pour relayer leur discours incitant les jeunes à se tourner vers la violence. La Turquie se félicite des actions conduites par le Conseil de l’Europe dans ce domaine.

Nous savons que pas un jour ne se passe sans qu’un acte terroriste soit commis. La Turquie fait tout ce qui est en son pouvoir pour combattre ce problème. Elle est un membre actif de la coalition mondiale contre Daech; elle est aussi coprésidente du groupe de travail sur les combattants terroristes étrangers.

À ce jour, la Turquie a expulsé 3 200 personnes qui envisageaient de se rendre en Syrie ou en Irak et nos groupes d’analyse des risques ont empêché l’entrée de plus de 2 000 personnes dans notre pays. Le 22 novembre 2015, le protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme a été ouvert à la signature: la Turquie a été l’un des premiers pays à le parapher. Nous entendons le ratifier à brève échéance et nous espérons que tous les Etats membres du Conseil de l’Europe signeront et ratifieront ce protocole additionnel, montrant ainsi leur détermination commune à combattre le terrorisme.

En matière de terrorisme, il ne s’agit pas d’identité culturelle, religieuse ou autre. Nous ne vaincrons le terrorisme que si nous adoptons une attitude extrêmement ferme à son égard. Nous ne pouvons donc pas recourir aux anciens réflexes de l’époque de la guerre froide et voir les camps adverses s’accuser mutuellement de terrorisme. Les attaques de février et mars à Ankara ont été perpétrées par des membres du PKK formés dans des camps en Syrie.

Que les attentats soient commis à Paris, Ankara ou Bruxelles, nous les voyons exactement de la même manière. Ces organisations visent les jeunes et les personnes âgées; elles recourent aux attentats suicides pour tuer des innocents. Nous ne voyons pas en quoi ce terrorisme présenterait la moindre différence par rapport au terrorisme de Daech. Je le répète, le terrorisme c’est le terrorisme, quels que soient les auteurs des actes de terreur; nous devons le combattre ensemble, sinon nous ne le vaincrons jamais.

Pour en revenir aux attentats commis en Turquie, nous savons exactement qui en sont les auteurs. Les preuves matérielles dont nous disposons ont été partagées avec le reste du monde. Toute tentative de légitimer le PKK équivaudrait à légitimer Daech. Des campagnes de financement pour ces organisations existent en Europe; on leur donne des armes. Il est ainsi difficile de parler de solidarité dans la lutte contre le terrorisme.

Nous sommes tout aussi inquiets des activités terroristes en Europe qu’ailleurs dans le monde. Certaines de ces organisations ont creusé des tranchées, bloquent des routes et tuent des civils. Le PKK s’est rendu coupable d’assassinats brutaux en Turquie; il est pourtant traité en interlocuteur légitime dans certaines capitales d’Europe. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui parle de démocratie et des droits de l’homme, a été le théâtre de tentatives de retrait du PKK de la liste des organisations terroristes. Cela va à l’encontre de la conscience sociale collective de l’Europe. Le terrorisme ne souffre aucune exception ni nuance. Le fait qu’une organisation terroriste lutte contre une autre organisation terroriste ne saurait en rien justifier ses actions. Rien ne peut justifier le terrorisme. La justification du terrorisme constitue une infraction à tous les principes de l’Europe et de l’Union européenne.

Par ailleurs, le Conseil de l’Europe devrait peut-être envisager de créer une plate-forme de lutte contre toute forme de racisme et de xénophobie.

Les crises que connaît le continent européen persistent. Voilà deux années que, depuis l’occupation et l’annexion illégitimes de la Crimée, les violations des droits de l’homme perdurent. Deux des leaders des Tatars de Crimée, Moustafa Qirimoglu et Renat Chubarov, ne peuvent plus entrer dans cette région. Le vice-président de l’Assemblée des Tatars de Crimée a été arrêté illégalement et détenu pendant plus d’un an sans procès. Plus de 20 000 Tatars de Crimée ont quitté la région à la suite de son annexion illégale. Cette question mérite que la communauté internationale continue de s’y intéresser et d’en parler. Il faut défendre les intérêts des Tatars de Crimée.

Toutes les organisations doivent œuvrer pour obtenir l’accès à la Crimée. Nous apprécions particulièrement l’approche du Conseil de l’Europe en la matière, ainsi que le travail de l’Assemblée parlementaire. Nous nous félicitons aussi des efforts du Secrétaire Général, M. Jagland, qui ont permis à une délégation de se rendre en Crimée. Un rapport a été rédigé à sa demande. Même s’il contient certaines faiblesses, il confirme toutefois les violations des droits de l’homme dans la péninsule.

En outre, les attaques en Azerbaïdjan et la violation du cessez-le-feu dans la région du Haut-Karabakh ont coûté la vie à des soldats et à des civils. L’escalade de la violence a prouvé, une fois de plus, que le statu quo n’est plus tenable au Haut-Karabakh. Les violations du cessez-le-feu ont débordé sur la république autonome limitrophe. La communauté internationale et les coprésidents du Groupe de Minsk doivent lancer des avertissements à l’Arménie. Il faut trouver des solutions pour surmonter l’occupation des territoires appartenant à l’Azerbaïdjan.

Il faut également trouver une solution aux conflits en Ossétie du Sud et en Abkhazie, tout en tenant compte des frontières de la Géorgie reconnues internationalement. Nous devons respecter l’intégrité et la souveraineté territoriales. Il est très important que nous rétablissions la paix dans cette région. À la suite des décisions prises en 1999, la Géorgie a pris des engagements qu’il lui faut aujourd’hui respecter. Nous espérons qu’à l’avenir les négociations de Genève seront tout aussi fructueuses que par le passé. La Géorgie s’est engagée à rapatrier des Turcs de souche: nous suivons ces questions de très près, et nous espérons que ce rapatriement sera une priorité dans le plan d’action du Conseil de l’Europe pour la Géorgie. Je rappelle que la Turquie est tout à fait disposée à apporter son plein soutien sur cette question.

Les événements en Méditerranée orientale montrent qu’il faut trouver une solution au problème de Chypre, en tenant compte des intérêts des deux peuples vivant sur l’île. Il est important que nous continuions à soutenir la recherche d’une solution politique juste et permanente à Chypre. Nous apportons notre soutien aux efforts constructifs des dirigeants de l’île, et nous espérons que, au cours des négociations qui auront lieu cette année, toutes les parties montreront leur détermination à trouver une solution. La solution au problème chypriote sera une étape importante pour la paix dans cette région de la Méditerranée. Il est dans l’intérêt de l’ensemble du Conseil de l’Europe que l’on trouve une solution à ce problème.

L’avenir de l’Europe dépend des réponses que nous apporterons aux nombreux défis qui nous sont posés et qui constituent autant de tests pour nos valeurs fondamentales. Une fois de plus, nous devons en revenir aux valeurs fondamentales qui nous ont réunis ici, dans cette Organisation, il y a 67 ans. Nous avons surmonté des guerres fondées sur les religions, des guerres mondiales, nous avons été en mesure de construire une solidarité commune, et je suis convaincu qu’ensemble nous pourrons trouver des solutions justes et démocratiques. Je suis convaincu que le Conseil de l’Europe a une mission essentielle. Il crée des normes juridiques importantes, ensuite utilisées pour identifier les meilleures pratiques dans les Etats membres.

Cela constitue selon nous un potentiel important pour l’efficacité du travail de l’Organisation, que nous souhaitons voir renforcée. Je rappelle que la Turquie continue à soutenir les activités de réforme engagées par le Secrétaire Général, l’Assemblée parlementaire et la Cour. Notre objectif principal est de nous assurer que le Conseil de l’Europe consolide son rôle et sa place en Europe.

Du fait de l’importance accrue de la Turquie dans les relations internationales, nous avons augmenté de 20 millions d’euros notre contribution au budget du Conseil de l’Europe. Nous sommes devenus ainsi un pays grand contributeur. Nous avons également augmenté le nombre de nos membres au Congrès et le turc est devenu l’une des langues de travail. Notre principal objectif est de renforcer le rôle politique du Conseil de l’Europe. Pour ce faire, nous continuerons à lui offrir notre soutien afin de renforcer son rôle dans le processus démocratique en Europe.

La proposition du Secrétaire Général d’organiser un nouveau sommet est une excellente idée. Je me félicite que l’Assemblée l’approuve également. Nous approuvons aussi la proposition d’examiner à cette occasion les questions de démocratie et de sécurité. Il est en effet important de renforcer la sécurité démocratique et nous soutenons toutes les initiatives internationales en ce sens.

A une époque critique, où nous avons à affronter un grand nombre de crises humanitaires, Istanbul a décidé d’accueillir le Sommet humanitaire mondial les 23 et 24 mai prochains. Il devrait accueillir un grand nombre de participants.

La Turquie a démontré l’importance qu’elle accorde à l’Etat de droit et aux droits de l’homme, qui sont les fondements de la paix et du bien-être dans le monde. J’aimerais vous redire aujourd’hui que notre pays est engagé dans la défense et la promotion de ces principes. Au cours des dernières années, nous avons engagé un grand nombre de réformes sur la voie de la démocratisation. Les droits constitutionnels ont été élargis et les mécanismes de protection de ces droits ont été améliorés. La Cour constitutionnelle permet aujourd’hui les recours individuels et nous avons engagé des réformes pour renforcer les libertés individuelles. Les partis politiques ont davantage de moyens pour s’organiser au niveau local. Les citoyens turcs bénéficient par ailleurs de nouveaux droits dans le domaine culturel. Les élections du 1er novembre dernier ont témoigné des progrès accomplis grâce à ces réformes puisque 85 % de la population ont participé au scrutin. Mon parti politique a accédé au pouvoir avec 49 % des voix. Je suis très fier de cette évolution. Le niveau de participation électorale est bien plus élevé en Turquie que dans certains pays européens.

Après les élections, nous avons préparé un nouveau programme gouvernemental, qui doit s’atteler à de nouvelles réformes. Le Vice-Premier ministre dispose d’un nouveau mécanisme pour coordonner ces réformes, dans le cadre d’un calendrier précis. Nous avons en outre adopté des lois pour protéger les données personnelles au regard des normes les plus strictes. Un organe spécifique garantit désormais la protection des données privées. Nous venons par ailleurs de promulguer une loi sur les droits de l’homme et l’égalité, et nous avons adopté une meilleure définition de la discrimination, qui inclut l’origine ethnique.

Dans le cadre du processus de réforme, nous commencerons bientôt à rédiger une nouvelle loi sur les partis politiques, dans le but de nous assurer une Constitution plus libérale. Dans les années 1980, la Constitution turque était issue d’un coup d’Etat politique. Aujourd’hui, nous voulons nous donner une Constitution beaucoup plus moderne. Elle nous permettra de renforcer notre position sur la scène internationale. Nous souhaitons accélérer la ratification de certains instruments du Conseil de l’Europe. M. Çavusoglu a signé aujourd’hui même le Protocole additionnel relatif à l’incrimination d’actes de nature raciste et xénophobe.

Toutes ces réformes ont été engagées en Turquie en dépit de la menace du terrorisme, du conflit qui fait rage dans la région et du fait que notre pays est durement éprouvé par le très grand nombre de réfugiés qu’il accueille. Ces réformes répondent à l’attente légitime de nos citoyens. Le Conseil de l’Europe est notre partenaire principal dans les efforts que nous fournissons pour les mener à bien, dans le cadre d’un plan d’action qui garantit leur mise en œuvre. Ces réformes sont menées parallèlement à la poursuite du dialogue sur la libéralisation des visas au sein de l’Union européenne. Nous attachons une grande importance aux mécanismes du Conseil de l’Europe et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs, il y a cinq ans, alors que je m’exprimais devant votre Assemblée, j’avais appelé à une vision conjointe sur l’Europe. Permettez-moi d’insister sur ce point. L’Europe doit être exempte de xénophobie, de racisme, d’antisémitisme, d’islamophobie et d’instabilité économique. Nous devons veiller à protéger véritablement ses valeurs et les peuples européens pensent que le Conseil de l’Europe est l’enceinte appropriée pour cela. Nous devons donc coopérer étroitement au sein de notre Organisation. Nous avons tous des responsabilités et nous devons les assumer. Il nous faut surmonter nos préjugés et nous concentrer sur nos objectifs dans l’intérêt de nos enfants et de nos petits-enfants.

Je remercie chacun de vous pour son attention et je salue, à travers vous, les parlements que vous représentez. Je forme, pour finir, le vœu que vos travaux soient couronnés de succès.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

Monsieur Davutoglu, je vous remercie pour votre discours. Plusieurs collègues ont exprimé le souhait de vous poser une question. Je leur rappelle que leurs questions doivent avoir un caractère vraiment interrogatif et ne pas dépasser 30 secondes.

Mme BAKOYANNIS (Grèce), porte-parole du Groupe du Parti populaire européen (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, je vous souhaite la bienvenue au Conseil de l’Europe au nom du Groupe du Parti populaire européen. Vous avez dit qu’entre amis, il fallait se dire la vérité. C’est exactement ce que je souhaite faire ce matin.

L’Union européenne et la Turquie ont signé un accord que vous avez longuement évoqué. Malheureusement, il semblerait que votre pays ralentisse sa mise en œuvre, s’agissant notamment de la lutte contre les trafiquants. Notre ami, M. Çavusoglu a menacé hier l’Union européenne de ne pas appliquer l’accord qui a été conclu. Par ailleurs, la Turquie bloque le déploiement des forces de l’Otan en mer Egée, au risque de faire échouer l’opération en cours.

La Turquie compte-t-elle coopérer pleinement avec l’Europe pour mettre en œuvre l’accord? Allez-vous coopérer avec l’Otan et accepter, comme prévu, le plein déploiement des forces de l’Alliance en mer Egée?

M. Davutoğlu, Premier ministre de Turquie (interprétation)

Madame Bakoyannis, il s’agit pour moi d’une excellente occasion de vous revoir – vous avez, en effet, été ministre des Affaires étrangères.

Vous connaissez les relations qui existent entre la Grèce et la Turquie, vous savez à quel point la question de la mer Egée est importante de ce point de vue. Nous avons établi avec l’Union européenne des relations extrêmement étroites. Avec notre collègue, M. Tsipras, nous avons coopéré étroitement pour surmonter le défi. Nous sommes confrontés, non pas une tension entre la Grèce et la Turquie, mais à un problème commun aux deux pays. La Turquie a rempli tous les engagements de l’accord. Peut-être n’avez-vous pas suivi l’actualité de près, Madame Bakoyannis, mais sachez que M. Tsipras, comme l’ensemble des leaders de l’Union européenne se sont toujours abstenus de toute critique concernant quelque disposition que ce soit de l’accord.

Nous nous sommes entendus sur toutes les dispositions de l’accord, qui, toutes, ont été mises en œuvre, notamment pour permettre aux migrants syriens de trouver du travail. Le nombre des passages de la frontière turque vers la Grèce a chuté pour atteindre 60 personnes par jour, il arrive même que personne ne passe. L’accord est excellent. C’est une valeur essentielle pour l’Europe. Nous mettons en œuvre nos engagements et l’Union européenne fera de même.

Samedi 23 avril, M. Frans Timmermans et d’autres collègues de l’Union européenne se rendront à la frontière entre la Turquie et la Syrie, étudierons de près le problème sur le terrain. Il n’existe aucun obstacle. La Turquie pourrait, quant à elle, évoquer des difficultés, tant il est vrai que les trois milliards d’euros prévus pour les réfugiés syriens arrivant en Turquie n’ont pas encore été versés. Nous agissons néanmoins pour éviter que des bébés n’arrivent morts, noyés sur nos côtes.

Avec l’Union européenne, nous avons reconnu que le principal différend en matière territoriale concernant la Grèce et la Turquie en mer Egée existait bien, mais l’Otan n’est pas là pour s’ingérer. D’ailleurs, les forces de l’Otan agissent avec le soutien tant de la Grèce que de la Turquie, les opérations se déroulent favorablement et la Turquie n’a bloqué aucune opération de l’Otan, mais, aux termes de notre accord, un certain nombre d’îles doivent être désarmées. Cette condition fait partie intégrante de notre accord et des accords avec l’Otan qui prévoient, à cet égard, le déroulement de négociations.

Soyez assurée, Madame Bakoyannis, que les relations étroites que nous avons établies lorsque vous étiez ministre des Affaires étrangères, sont intactes. Plutôt que de le critiquer, merci de soutenir notre dialogue avec la Grèce et faites entendre votre voix pour la paix en mer Egée et en Méditerranée.

Mme ROJHAN GUSTAFSSON (Suède), porte-parole du Groupe socialiste (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, vous avez débuté votre intervention en évoquant les droits de l’homme et la démocratie. Or, en contrôlant les médias, les réseaux sociaux, en emprisonnant des journalistes et en les jugeant comme des terroristes, votre gouvernement a plutôt reculé en matière de démocratie. Le traitement de la minorité kurde est également brutal.

Si votre ambition est encore que la Turquie adhère à l’Union européenne, pensez-vous que ce soit compatible avec la dérive totalitaire de votre pays?

M. Davutoğlu, Premier ministre de Turquie (interprétation)

Madame Rojhan Gustafsson, je ne sais si vous vous êtes déjà rendue dans mon pays. Mais pour peu que vous ayez suivi les évolutions en Turquie – ma réponse vaut aussi pour tous ceux qui critiquent la démocratie en Turquie –, vous aurez noté que quatre élections ont eu lieu en Turquie sous l’observation d’organisations européennes au cours des deux dernières années. Chacun a pu s’exprimer librement et mener campagne comme il l’entendait. Avant les élections du 1er novembre, tous les médias turcs ont pu exprimer leurs critiques comme ils l’entendaient. Aucune pression n’a été exercée sur eux.

Sur les cinq grands quotidiens turcs, trois sont des quotidiens d’opposition dont la ligne éditoriale est opposée à notre politique, rien que de très normal. En tant que Premier ministre, je ne suis jamais intervenu, nous n’avons jamais exercé de pressions sur la presse.

Les critiques font partie de toute campagne électorale. Si vous suivez les médias turcs, vous aurez relevé que je suis exposé à de multiples critiques au même titre que le Président. Aussi, vous ne pouvez pas dire que les médias turcs sont contrôlés par le pouvoir.

J’en viens à vos observations sur les Kurdes. Les Kurdes sont des arabes. Toutes les religions toutes les ethnies sont égales devant la loi en Turquie.

Voilà quelques années, des Kurdes étaient détenus parce qu’ils écoutaient de la musique kurde. Aujourd’hui, la situation a évolué. J’ai même essayé d’apprendre le kurde pour m’adresser à eux. Par ailleurs, des émissions sont diffusées en kurde à la radiotélévision publique. C’est sous mon gouvernement que de telles avancées ont été rendues possibles.

Chaque week-end, je me rends dans la partie orientale ou méridionale de la Turquie qui connaît des faits terroristes. Les Kurdes et nous-mêmes travaillons main dans la main pour lutter contre ce fléau. J’ajoute que des responsables politiques kurdes font partie de mon gouvernement. Les Kurdes ne sont donc ni isolés ni ne font l’objet de discriminations, bien au contraire! Depuis notre guerre de libération, ils ont joui de droits égaux, ils se sont battus avec nous et continuerons à coexister avec nous. Personne ne fera l’objet de discriminations sur la base de son origine ethnique, personne ne sera écarté en raison de sa religion ou de son appartenance ethnique. Jamais nous ne permettrons de telles restrictions ou discriminations. La Turquie est très différente de ce que vous pensez ou de ce que vous croyez. La Turquie est un pays où règne l’Etat de droit et où tous les citoyens jouissent des mêmes droits. Vous rendant en Turquie, vous constaterez que vous pouvez critiquer le gouvernement. La critique est libre.

Une véritable prise de conscience est à l’œuvre: le peuple turc, ses différentes ethnies et religions doivent coexister en paix. J’espère que vous viendrez vous en rendre compte par vous-même. Il est préférable que vous ne repreniez pas ce qui relève de la propagande.

Mme OEHRI (Liechtenstein), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, quel est votre avis quant à l’affirmation que les femmes sont de plus en plus réprimées en Turquie?

Par ailleurs, si vous avez mis en avant votre approche humanitaire, Amnesty International assure que la Turquie jette les réfugiés en prison, les renvoie chez eux, les menace de mort ou de torture.

M. Davutoğlu, Premier ministre de Turquie (interprétation)

Dans mon intervention, j’ai cité le fait que si l’on mettait en place une épreuve d’humanité internationale, la Turquie serait le seul pays à même de la réussir. Peut-être que certains n’y sont pas sensibles, que d’autres n’en sont pas heureux ou ne veulent pas le reconnaître parce qu’ils ont quelque chose contre la Turquie, pour une raison ou une autre. Mais cela est clair pour moi, ainsi que pour les Syriens.

Je me suis déjà référé au rapport d’Amnesty International. Aucun Syrien n’a été renvoyé en Syrie contre sa volonté; aucune femme, aucun enfant. Cent cinquante-deux mille bébés sont nés en Turquie; pensez-vous vraiment que nous allons renvoyer des femmes et des enfants alors que nous accueillons des nouveau-nés? Trois millions de Syriens sont accueillis par la Turquie; allons-nous retirer à des centaines de milliers de personnes notre hospitalité? Certainement pas.

Un groupe de Syriens a été arrêté à la frontière avec la Hongrie; je l’ai accueilli. Et ces personnes m’ont dit qu’elles protestaient, non pas contre la Turquie, mais contre l’Europe et la politique mondiale. Et elles ont ajouté que la Turquie leur avait ouvert son cœur, plus encore que la Syrie. Un homme m’a même raconté qu’il avait emmené sa femme enceinte à l’hôpital pour accoucher, sans un sou en poche. Quand il a demandé combien il devait, les autorités turques lui ont répondu qu’il les avait payées par leur présence. L’hôpital lui a même payé le taxi pour repartir.

Mon épouse est gynécologue, et si une seule femme enceinte est privée de quoi que ce soit, avertissez-nous et elle sera la reine de nos cœurs; elle aura le meilleur que nous puissions lui offrir.

En tant que Premier ministre de la Turquie, comme tous les Turcs qui accueillent les Syriens, je ne veux priver quiconque de quoi que ce soit. Nous ne laisserons personne faire du mal aux Syriens. Alors pourquoi causerions-nous du tort à une femme syrienne? Nous avons une politique du cœur ouvert et de la porte ouverte.

Mme GODSKESEN (Norvège), porte-parole du Groupe des conservateurs européens (interprétation)

Monsieur le Premier ministre, les autorités turques ont décidé de rédiger une nouvelle «Constitution civile». Je suis corapporteure pour la commission du dialogue avec la Turquie, et nous souhaitons que la nouvelle Constitution garantisse la séparation des pouvoirs, un système de poids et de contrepoids et de respect des valeurs fondamentales. Avez-vous l’intention de collaborer avec la Commission de Venise pour veiller à ce que la future Constitution de la Turquie soit parfaitement conforme aux normes du Conseil de l’Europe?

M. Davutoğlu, Premier ministre de Turquie (interprétation)

Je vous remercie, Madame, pour cette question que j’ai abordée au cours de mon allocution.

En septembre 1980, un coup d’Etat a eu lieu en Turquie. Tous les partis politiques ont été interdits et des responsables politiques – dont certains sont ici aujourd’hui – ont été jetés en prison. A l’époque, les relations avec le Conseil de l’Europe ont été suspendues. Et j’ai encore en ma possession le discours du représentant de la Turquie de l’époque qui avait lancé un appel au Conseil de l’Europe pour que la Turquie ne soit pas isolée.

Aujourd’hui, je me tiens ici devant vous en tant que Premier ministre d’un pays qui est une véritable démocratie européenne; et j’en retire beaucoup de fierté. En 1980, j’étais étudiant et la première fois que j’ai pu voter, c’était pour le référendum sur la Constitution, et j’ai voté «non». A cette époque, nous ne pouvions pas voter de manière secrète, la couleur du bulletin en révélait la teneur. Mais j’étais fier de voter «non».

J’ai également dirigé un mouvement étudiant qui était opposé au coup d’Etat. Aujourd’hui, je voudrais faire en sorte que les choses se passent autrement dans mon pays. La réforme de la Constitution n’a d’ailleurs rien à voir avec celle de 1980. Il s’agit d’une réforme qui ne va pas jouer en notre faveur, bien au contraire, puisque nous souhaitons faire en sorte qu’il ne puisse plus jamais y avoir de coup d’Etat en Turquie. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons adopter une constitution civile, qui garantisse les libertés. Les droits de l’homme et les libertés fondamentales seront au cœur de cette constitution.

La Constitution que nous envisageons de rédiger dépendra de la volonté du peuple et non pas de celle des dirigeants. Et la Convention européenne des droits de l’homme formera l’assise, la base de cette nouvelle constitution; je vous le garantis. Le texte ne contiendra aucun article qui puisse être invoqué pour enfreindre les droits de l’homme.

Nous avons une culture très ancienne qui repose sur les droits de l’homme et qui sera reflétée dans la loi fondamentale. Que l’on ait un système présidentiel ou parlementaire, cela ne détermine pas la nature du régime. La Constitution actuelle ne repose pas sur un système démocratique, puisqu’elle prévoit que le Président n’exerce aucune responsabilité mais détient tous les pouvoirs, alors que le Premier ministre a toutes les responsabilités mais n’a guère d’autorité. Nous allons donc mettre en place un système plus équilibré.

Nous sommes ouverts à la discussion sur tous les points. Un seul ne sera pas négociable: la future Constitution reposera sur les notions des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La Turquie va se doter d’une Constitution basée sur les libertés individuelles et la démocratie.

M. KÜRKÇÜ (Turquie), porte-parole du Groupe pour la gauche unitaire européenne (interprétation)

Depuis juillet 2015, la reprise du conflit entre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et les forces turques a provoqué la mort de 874 personnes dont 202 femmes et enfants, sans compter 300 membres des forces de sécurité. On compte quelque 3 000 personnes déplacées dans le pays. Des rapports de l’Union européenne et des rapports américains critiquent acerbement votre gouvernement pour de très nombreuses violations des libertés pendant les opérations de sécurité.

Croyez-vous encore que la Turquie soit un pays sûr pour les réfugiés qui fuient la guerre en Syrie? Votre gouvernement envisage-t-il d’autres moyens que la guerre pour résoudre la question kurde et le conflit en Syrie?

M. Davutoğlu, Premier ministre de Turquie (interprétation)

Je regrette, Monsieur Kürkçü, que vous qui représentez ici le Parlement turc, vous ne vous soyez pas exprimé en turc – c’est pourtant une des langues de travail du Conseil de l’Europe.

Je suis sûr que vos électeurs auraient été plus heureux de vous entendre parler turc.

Le gouvernement a des obligations envers ses citoyens. Les premières d’entre elles sont d’assurer la sécurité puis la liberté. Or si l’on ne peut pas garantir la sécurité, on ne peut plus profiter des libertés. Si vous voulez garantir la dignité humaine, il faut être certain que chacun habite dans un lieu sûr, libre et prospère. Dans nos sociétés modernes, y compris celles des Etats membres du Conseil de l’Europe, l’ordre public est nécessaire et n’aboutit pas immanquablement à l’instauration d’un Etat autoritaire.

On ne doit pas parler de guérilla, concernant le PKK, mais de terrorisme. Quand un enfant qui marche sur une route est victime de mines que l’on y a posées, quand des membres de votre propre famille sont blessés dans une attaque au missile ou meurent dans un attentat, je pense à ce qui s’est passé à Ankara, on ne parle pas de guérilla mais bien, je le répète, de terrorisme.

Lors des dernières élections, j’ai été élu par 49,5 % des suffrages de mon peuple auquel j’ai promis que la sécurité et la liberté seraient assurées partout en Turquie.

Que ces terroristes appartiennent à Daech, au PKK ou à d’autres organisations, s’ils posent des mines sur les routes, s’ils se transforment en tireurs embusqués, s’ils organisent des attentats-suicides contre mes concitoyens, c’est ma responsabilité d’y mettre un terme. Et, que cela vous plaise ou non, je poursuivrai cette politique jusqu’à ce que chaque citoyen, en Turquie, se sente en sécurité.

En mai 2013, nous avons annoncé un processus de relocalisation. Or, si vous aviez déposé les armes, comme vous vous y étiez engagés, eh, bien, ces attentats n’auraient pas été perpétrés.

Des organisations terroristes organisent des attentats, des attentats-suicides et vous me demandez quand je vais mettre un terme aux opérations sécuritaires? Elles ne seront interrompues que lorsque, j’y insiste, la sécurité sera garantie partout en Turquie.

Vous pouvez vous exprimer librement au sein de notre parlement. Vous en empêche-t-on? Votre question aurait du reste trouvé meilleure réponse si vous aviez appris à écouter la langue turque et à parler en turc. La Turquie est un pays démocratique, un Etat de droit.

Vous pouvez interroger tous les réfugiés syriens: ils vous répondront qu’en Turquie ils se sentent en paix, une paix qu’ils viennent tous y trouver. Pas un seul ne se sent menacé. Et personne ne transformera la Turquie en Syrie. La Turquie poursuivra son combat de façon déterminée pour que l’Etat turc dure toujours.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

Je vous remercie pour votre présence, Monsieur le Premier ministre; ce fut un honneur et un plaisir de vous accueillir et de vous écouter. Encore une fois, la Turquie peut compter sur l’appui sans réserve de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.