Guido
de Marco
Président de Malte
Discours prononcé devant l'Assemblée
mardi, 27 juin 2000
C’est pour moi un privilège, et j’ajouterai un plaisir, de prendre la parole devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Cette première visite au Conseil de l’Europe en tant que chef d’Etat de mon pays m’astreint à un exercice de mémoire.
Je suis venu pour la première fois à Strasbourg en 1967, comme membre de la délégation maltaise, et j’ai siégé à l’Assemblée près de vingt ans, jusqu’en 1987. Je suis arrivé ici en tant que jeune député, car j’avais alors 35 ans. Puis, à l’âge de 55 ans, j’ai quitté l’Assemblée pour devenir à la fois Premier ministre adjoint et ministre de l’Intérieur et de la Justice. L’un de mes premiers actes de ministre de l’Intérieur et de la Justice a consisté à présenter à la Chambre des représentants de Malte un projet de loi portant incorporation de la Convention européenne des Droits de l’Homme dans la législation interne.
Au cours de mes vingt années à Strasbourg, j’ai assisté à la maturation de l’idée européenne. Les cicatrices de la guerre sont devenues peu à peu des vestiges du passé. L’Espagne et le Portugal étaient encore des pays monopartites, la Grèce des colonels était en froid avec la démocratie et la Turquie éprouvait des difficultés avec son armée, mais les vingt années suivantes ont vu le retour à la démocratie de ces quatre pays, qui ont dès lors beaucoup apporté au Conseil de l’Europe. Je me souviens avoir écouté Mario Soares, alors ministre des Affaires étrangères du Portugal, et vu Sa Majesté le Roi d’Espagne inaugurer le buste de Salvador de Madariaga.
Ici, nous nous sentons vraiment chez nous, parmi les autres membres de la famille, qui partagent nos idées et notre philosophie fondamentales et qui sont prêts à construire sur le patrimoine de cette Europe, de notre Europe.
En tant que membre actif de la commission des questions culturelles, j’ai étudié et compris la révolte des jeunes, en Europe comme de l’autre côté de l’Atlantique, à la fin des années 60. J’ai assisté aux événements de Prague et à la dure application de la «doctrine Brejnev» en Europe centrale et orientale. Lorsque j’étais membre de la commission des questions juridiques, l’évolution des droits de l’homme, l’efficacité de la Cour et les premières expérience réalisées dans l’exercice du droit de requête individuelle ont contribué de façon décisive à me donner foi dans le Conseil de l’Europe en tant que phare de la démocratie et de l’Etat de droit. Le Conseil de l’Europe, et votre Assemblée en particulier, a été une source constante d’encouragement et de soutien pour mon pays dans les difficultés que celui-ci avait à affronter.
J’ai servi aussi à la commission du Règlement, où je me suis familiarisé avec les textes qui régissent l’Assemblée. Au cours de ces vingt premières années, j’ai vu l’Assemblée passer de ses premiers locaux rudimentaires à ce magnifique palais dédié à l’Europe. J’ai assisté à des débats de la plus haute tenue et entendu des parlementaires, des politiques et des hommes d’Etat marquer de leur sceau les valeurs démocratiques, ainsi que la stabilité et la sécurité en Europe. En tant que représentant d’un Etat européen de la Méditerranée, j’ai souvent pris la parole ici pour promouvoir la dimension méditerranéenne des activités du Conseil de l’Europe.
Le 5 mai 1990, Journée de l’Europe, j’ai été nommé Premier ministre adjoint et ministre des Affaires étrangères de mon pays. Je suis donc revenu à Strasbourg en tant que membre du Comité des Ministres, et j’ai pris part à la grande renaissance du Conseil de l’Europe, auquel ont adhéré à un rythme rapide la Finlande, la Hongrie, la République tchèque, la Pologne, la Bulgarie, l’Estonie, la Lituanie, la Slovénie, la Roumanie, la Lettonie, l’Albanie, la Moldova, l’Ukraine, «l’ex-République yougoslave de Macédoine» et la Fédération de Russie.
J’ai quitté le Comité des Ministres le 26 octobre 1996, après que le parti dont j’étais membre fut passé dans l’opposition. Cela devait avoir un effet positif, puisqu’on m’a nommé à nouveau dans la délégation de Malte auprès de l’Assemblée du Conseil de l’Europe. Il s’agissait d’un retour aux sources. L’Assemblée où j’ai alors repris place était pourtant différente de celle que j’avais quittée vingt ans plus tôt. A mes côtés se tenait un parlementaire russe, et non loin de moi un délégué ukrainien. Le suivi de la démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit, la restructuration de la Cour des Droits de l’Homme et la mondialisation de l’économie étaient les principaux points inscrits à l’ordre du jour.
J’ai eu l’éminent privilège d’être élu premier président de la commission de suivi, organe à la fois le plus récent et le plus grand de l’Assemblée. En cette qualité, avec mes collègues de la commission, la très aimable assistance du Secrétariat du Conseil de l’Europe et l’aide de Bruno Haller, Greffier de l’Assemblée, nous avons entrepris d’élaborer une philosophie du suivi, en reliant notre processus parlementaire à celui du Comité des Ministres et en mettant au point une procédure appropriée en la matière.
En septembre 1998, le parti nationaliste est revenu aux affaires, et j’ai retrouvé mes fonctions de ministre des Affaires étrangères. Sept mois après, j’étais élu Président de la République. Vous comprenez peut-être mieux, à présent, pourquoi j’ai dit que ma venue à Strasbourg m’astreignait à un exercice de mémoire.
Mais, aujourd’hui, je tiens à parler devant vous non pas tant de souvenirs que de l’avenir, celui du Conseil de l’Europe. Notre Organisation compte actuellement quarante et un Etats membres. Elle couvre un territoire qui s’étend de Reykjavik à Vladivostok, de Helsinki à La Vallette, de Lisbonne à Tbilissi. Jamais, dans toute leur histoire plurimillénaire, les peuples d’Europe n’ont été plus proches les uns des autres qu’ils ne le sont désormais au sein de cette Assemblée. Nous sommes unis derrière les principes qui ont guidé les pères fondateurs de notre Organisation il y a cinquante et un ans.
Entre 1989 et 1999, nous avons assisté à la renaissance de la démocratie en Europe centrale et orientale, où vingt et un Etats, auxquels la démocratie et la prééminence du droit avaient été refusées depuis plus de cinquante ans, ont retrouvé ces valeurs et ont recommencé à en assurer la défense. Le Conseil de l’Europe représente une population de 800 millions de personnes. Et, pourtant, force est de reconnaître que s’il dispose de l’Assemblée parlementaire européenne peut-être la meilleure qui soit, ainsi que d’une Cour qui s’est imposée comme régulatrice du développement des droits de l’homme fondamentaux, acquérant ainsi une dimension supérieure à sa juridiction, le Conseil fait montre d’une certaine faiblesse politique. Sur les quarante et un Etats membres, quinze appartiennent aussi à l’Union européenne, treize autres y sont candidats – dont douze, parmi lesquels mon pays, prennent part à des négociations sur l’élargissement de l’Union -, et au moins trois autres envisagent de demander leur adhésion à celle-ci dans un avenir point trop éloigné.
L’Union européenne – forte de ses compétences économiques, et notamment d’un marché unique comme d’une monnaie unique, de la naissance d’une politique étrangère et de sécurité commune, d’un parlement élu, de réunions mensuelles du Conseil des Ministres et de sommets au moins semestriels – est devenue en Europe une grande force politique possédant une efficacité politique et économique mondialement reconnue. Telle est la réalité à laquelle nous devons faire face, et qui agit principalement sur la pertinence et l’efficacité du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.
Une réalité ne se modifie pas, mais on peut en faire un défi à relever, voire une chance à saisir, une chance unique, qui plus est. La participation de la Fédération de Russie, de l’Ukraine, de la Moldova et de la Géorgie à nos travaux, ainsi que la nouvelle extension éventuelle du Conseil de l’Europe ont fait de cette organisation ce que François Mitterrand a un jour appelé la «Grande Europe».
Dans une interview donnée à Moscow News, le 4 mars 1990, Edouard Chevarnadze a déclaré: «L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a, selon moi, une excellente occasion de devenir la future tribune parlementaire paneuropéenne. Citons aussi le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, qui se compose des ministres des Affaires étrangères des Etats membres et se réunit deux fois par an: il pourrait préfigurer l’organe directeur d’une future Europe unifiée.»
Dans un avenir prévisible, les relations entre l’Union européenne et la Fédération de Russie – ainsi qu’en l’occurrence l’Ukraine, la Géorgie et la Moldova – devraient non pas aboutir à une adhésion, mais se trouver régies par des traités bilatéraux et des règlements. En revanche, la notion de «Grande Europe» est en train de se matérialiser au Conseil de l’Europe. C’est au sein du Conseil que notre patrimoine et nos intérêts communs peuvent le mieux être conservés, favorisés et discutés. La Russie et les Etats du Caucase ont foi en la dimension européenne que le Conseil de l’Europe représente si efficacement. Or, ce dernier a besoin de la Fédération de Russie, de l’Ukraine, de la Moldova et des Etats du Caucase en ce moment précis de la renaissance européenne.
L’Assemblée parlementaire continuera d’être la voix de l’Europe des valeurs, le catalyseur de la sécurité démocratique, la conscience des droits de l’homme. Le Comité des Ministres a besoin, me semble-t-il, d’acquérir le «sens de la réorientation». Les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne et les ministres des pays souhaitant adhérer à celle-ci sont pris par les activités en cours au sein de l’Union elle- même. Mais il serait très difficile – et ce serait une lourde erreur, selon moi – d’ignorer le défi d’une Grande Europe englobant une partie importante du continent qui – pour des raisons valables à ses yeux – n’appartient pas à l’Union européenne ou n’a pas demandé à y adhérer.
Au sein de cette même Assemblée, le 6 juillet 1989, le Président Gorbatchev a parlé de notre maison commune européenne en ces termes: «... l’architecture de notre “maison commune”,*la manière dont celle-ci doit être construite et même la manière dont elle doit être meublée». Cette dimension de Grande Europe dérivera de la pertinence politique de notre Organisation, qui procédera elle-même de cette Assemblée parlementaire et d’un Comité des Ministres revitalisé, ainsi que de la représentation de 800 millions d’Européens attachés à un espace de stabilité politique, de sécurité démocratique et de droits de l’homme.
L’Europe peut acquérir un supplément d’influence dans les affaires mondiales, non seulement par l’établissement de relations plus saines entre le Conseil et les Nations Unies, mais aussi par l’institution d’un dialogue permanent avec nos voisins du sud de la Méditerranée. Au sein du Conseil, Malte a particulièrement insisté sur la promotion de ce dialogue méditerranéen, car nous avons toujours cru que la stabilité en Europe et la stabilité en Méditerranée sont étroitement liées. Ignorer cette réalité pourrait avoir des effets nocifs durables. La Méditerranée ne saurait être un mur maritime infranchissable et, conçue comme un grand espace de division, elle serait porteuse de désastre pour les générations futures. De par sa ceinture d’Etats méditerranéens, le Conseil de l’Europe peut être un foyer de dialogue et de compréhension dans la région, car la Méditerranée est une mer qui nous unit et qui unit aussi nos destinées.
Dans cette intervention, Monsieur le Président, j’ai exposé ma vision de l’avenir du Conseil de l’Europe. C’est la vision de quelqu’un dont les opinions, la formation et la politique ont subi largement l’influence du Conseil, lequel est peut-être la meilleure école des femmes et des hommes politiques, qu’ils soient débutants comme moi en 1967, lorsque j’ai siégé pour la première fois dans cette Assemblée, ou confirmés comme je l’étais devenu à mon retour ici, en 1997. Car j’ai foi en le Conseil de l’Europe, et ce n’est pas là un exercice de rhétorique, c’est un exercice de politique quotidienne dans la mesure où la démocratie, l’Etat de droit et les droits de l’homme fondamentaux sont des plantes très sensibles exigeant des soins quotidiens. Nous voulons donner aux 800 millions d’Européens la possibilité de croire que leur avenir dépend de cette stabilité et de cette sécurité politiques, ainsi que de l’union plus étroite promue effectivement par le Conseil.
En mai 1965, lors de l’adhésion de notre pays au Conseil de l’Europe, le Dr Giorgio Borg Olivier, Premier ministre d’une République de Malte alors indépendante depuis peu, disait de l’Organisation: «Ici, nous nous sentons vraiment chez nous, parmi les autres membres de la famille, qui partagent nos idées et notre philosophie fondamentales et qui sont prêts à construire sur le patrimoine de cette Europe, de notre Europe.»
J’ajoute, Monsieur le Président, mes chers collègues, que, moi aussi, je me sens ici vraiment chez moi. Le Conseil existe depuis cinquante et un ans, et j’ai partagé avec lui trente années de ma vie politique. Y revenir aujourd’hui, ce n’est pas seulement se livrer à un exercice de mémoire, c’est s’exercer à imaginer l’avenir, notre avenir à tous.
LE PRÉSIDENT (traduction)
Merci, Monsieur de Marco, pour cet exposé fort intéressant. Comme vous le savez, un certain nombre de parlementaires ont exprimé le désir de vous poser des questions. Celles-ci ont été réparties en trois groupes et, si vous le voulez bien, je propose de nous y attaquer immédiatement.
J’appellerai tout d’abord M. Martinez Casan et M. Toshev, appartenant tous deux au Parti populaire européen, dont les questions portent sur la stabilité et la coopération dans la région méditerranéenne. Aucune question supplémentaire ne sera autorisée, faute de temps. La parole est à M. Martinez Casan.
M. MARTINEZ CASAN (Espagne) (traduction)
Bienvenue chez vous, Monsieur de Marco. Nous nous réjouissons de la décision de Malte de jouer un rôle fondamental dans le processus d’intégration européenne. Quelles initiatives votre gouvernement compte-t-il prendre en vue de promouvoir le développement de la stabilité et le respect des droits de l’homme dans la région méditerranéenne dans le cadre du processus de Barcelone et du forum parlementaire euroméditerranéen?
M. TOSHEV (Bulgarie) (traduction)
Je me joins à M. Martinez-Casan pour vous souhaiter à mon tour la bienvenue à Strasbourg.
Je me félicite du rôle que Malte joue en faveur du développement de la coopération méditerranéenne ainsi que des efforts que vous déployez à titre personnel pour éveiller la région à l’esprit européen. J’aimerais savoir comment vous envisagez une éventuelle participation des Etats arabes et d’Israël, dans le cadre de la coopération entre les pays européens du Bassin méditerranéen, à l’élaboration d’une politique commune en vue de garantir la paix, la stabilité et la sécurité démocratiques, le respect des droits de l’homme, la prééminence du droit et la protection de l’environnement dans la région méditerranéenne. Selon vous, quel rôle le Conseil de l’Europe peut-il jouer en la matière?
M. de Marco, Président de Malte (traduction)
Malte se considère comme étant au centre de la Méditerranée, mot qui signifie «le centre du monde» et – mais soyons prudents, car nous pensons tant de choses de nous-mêmes – mon pays se situe dans ce que les Anciens considéraient comme le centre des terres habitées. De ce fait, nous devons avoir une excellente connaissance de la Méditerranée. Or, nous sommes face à une crise: si nous n’accordons pas une priorité élevée à la question de la Méditerranée, celle-ci deviendra un élément de division.
Quelques minutes d’avion seulement séparent le Maroc de Gibraltar. Le vol est si court qu’on ne sait pas si l’avion vient de décoller ou s’il s’apprête à atterrir. Malte se situe à une centaine de kilomètres de la Sicile et à cent cinquante kilomètres de la Tunisie et de la Libye – sans compter qu’elle est également très proche de la Turquie, point de jonction entre l’Europe et l’Asie.
Lorsque nous prenons conscience de ce qu’implique la notion de «Méditerranée», comment ne pas s’inquiéter de ce qui se passe dans la partie sud de notre mer?
C’est Malte qui a lancé l’idée qu’il n’y aura pas de stabilité en Europe sans stabilité en Méditerranée – et vice versa -, idée qui a été consignée dans l’Acte final de la première conférence d’Helsinki. Et, en vérité, il n’y aura pas de stabilité en Europe tant que l’instabilité régnera dans la Méditerranée; il n’y aura pas de stabilité ni en Afrique du Nord ni au Proche-Orient s’il n’y a pas de stabilité en Europe. Ces deux aspects sont indissolublement liés.
Qu’est-ce que Malte essaie de faire? Je suis, si je puis dire, l’un des pères fondateurs, du processus de Barcelone dans le cadre duquel nous nous efforçons de renforcer les liens entre l’Union européenne et les pays méditerranéens qui n’en sont pas membres. Hier, je me trouvais à Barcelone, ville où cette idée a été lancée.
Je ne suis pas certain que le processus de Barcelone soit mis en œuvre avec toute l’énergie et l’esprit d’initiative souhaitables pour qu’il devienne un authentique processus euroméditerranéen, mais il en va toujours ainsi. Il y a des hauts et des bas. J’espère que la convergence de l’Union européenne avec les autres pays de la Méditerranée nous permettra de lui insuffler tout le dynamisme nécessaire; à défaut, nous risquerions de décevoir nos voisins méditerranéens.
Il faut également que l’on comprenne bien que l’Europe est plus impliquée qu’elle ne le pense dans les affaires du Proche-Orient. Et nous ne serons en mesure de trouver une solution pour l’ensemble de la Méditerranée qu’en menant à bien le processus engagé au Proche-Orient. L’essentiel, à mes yeux, ce n’est pas tant que Malte devienne membre de l’Union européenne, c’est qu’elle puisse participer à la recherche d’une solution. Et je suis convaincu qu’elle est en mesure d’apporter sa contribution.
Ce sont nos enfants qui souffriront si la discorde règne dans la région de la Méditerranée. Notre avenir sera bien meilleur si nous travaillons à garantir qu’au lieu de nous diviser cette mer nous unisse.
LE PRÉSIDENT (traduction)
Merci, Monsieur de Marco. Les deux questions suivantes, posées par M. Iwinski et M. Mota Amaral, ont trait à l’intégration de Malte à l’Union européenne. La parole est à M. Iwinski, du groupe socialiste.
M. IWINSKI (Pologne) (traduction)
Monsieur le Président, tout comme la Pologne, Malte fait partie du groupe des treize pays ayant posé leur candidature à l’Union européenne. J’aimerais connaître la position de La Vallette sur les réformes institutionnelles entreprises par l’Union ainsi que sur la nécessité d’établir un calendrier précis pour l’élargissement. Pensez-vous que 2003 soit un horizon réaliste?
M. MOTA AMARAL (Portugal) (traduction)
Merci, Monsieur le Président. C’est pour moi un grand honneur que d’avoir succédé à M. de Marco à la tête de la commission de suivi. Je m’efforce, dans l’exercice de mes fonctions, de maintenir la tradition de sagesse et de compréhension que vous avez instaurée. J’aimerais savoir si l’économie et la société maltaises sont prêtes à adhérer rapidement à l’Union européenne ou bien s’il sera nécessaire de négocier une période transitoire. Les autorités maltaises ont-elles l’intention de se servir de leurs liens traditionnels avec les pays d’Afrique du Nord comme d’un outil en vue de renforcer la coopération et le dialogue de la région méditerranéenne avec l’Europe?
M. de Marco, Président de Malte (traduction)
Je vous remercie de ces questions. Le Gouvernement de Malte a relancé sa demande d’adhésion. Selon mes informations, les négociations amorcées après le Conseil européen d’Helsinki progressent de manière satisfaisante.
Il est très difficile de dire si 2003 est une date réaliste, car l’état de préparation varie d’un pays candidat à l’autre. Peut-être est-il préférable de ne pas se fixer sur une date précise. Pour ma part, j’ai toujours évité – notamment lorsque j’étais ministre des Affaires étrangères – de fixer quelque calendrier que ce soit. Car si on peut dire ce que l’on compte faire soi-même, il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit des autres. Selon les informations dont je dispose, en ce qui concerne mon pays, les négociations avancent bien. Les discussions sur certains chapitres sont achevées et nous espérons que d’autres le seront bientôt.
Comme vous le savez, il n’y a pas, à Malte, une approche unifiée du dossier européen entre le gouvernement et l’opposition. Cela dit, c’est au peuple qu’appartiendra la décision finale: celui-ci sera appelé, par voie de référendum, à se prononcer sur l’adhésion du pays à l’Union européenne. Je pense d’ailleurs que la plupart des pays candidats adopteront la même procédure.
Je remercie M. Mota Amaral de la référence qu’il a faite à mon travail au sein de la commission de suivi. A l’origine, les choses n’étaient pas faciles étant donné que certains pensaient que la commission aurait un rôle de policier. Je remercie nos collègues et les membres du secrétariat qui nous ont fourni une aide précieuse, notamment à nos débuts. Je note que le premier secrétariat de notre commission se trouve aujourd’hui au grand complet dans l’hémicycle.
La commission a développé sa propre philosophie du suivi: il ne s’agit pas de faire la police, mais d’aider les Etats qui en ont besoin. Les pays membres du Conseil de l’Europe sont des Etats souverains: nous n’avons pas pour vocation de contrôler les pays souverains. Notre action doit reposer sur la logique de la persuasion. Au cours de ma vie politique, j’ai toujours été convaincu que c’est la seule façon d’aboutir.
Une nouvelle fois, je remercie les membres de la commission de suivi qui doit son succès à l’excellent travail qu’ils fournissent.
LE PRÉSIDENT (traduction)
La question de Mme Schicker, du Groupe socialiste, porte sur l’irrigation à Malte.
Mme SCHICKER (Autriche) (traduction)
Monsieur le Président, il ressort de votre discours très chaleureux que vous vous êtes toujours senti très l’aise au Conseil de l’Europe. La question que je me propose de vous poser a trait à l’agriculture dans votre pays.
Il y a quelques jours, j’ai eu l’occasion de me rendre à Malte avec une délégation de la commission de l’environnement. Au cours de cette visite, nous avons pu constater que votre pays consentait de grands efforts pour préserver le milieu naturel ainsi que pour améliorer l’approvisionnement en eau, qui pose toujours problème.
J’aimerais savoir, Monsieur le Président, comment les autorités entendent augmenter les capacités d’irrigation qui ne couvrent aujourd’hui les besoins que de 3% des terres arables. J’espère que vous serez en mesure de répondre à cette question très spécialisée.
M. de Marco, Président de Malte (traduction)
Mme Schicker vient de dire que je me sentais très à l’aise au Conseil de l’Europe; c’est tout à fait exact. En revanche, je le suis beaucoup moins lorsqu’il s’agit de questions ayant trait à l’agriculture, car je ne suis pas spécialiste en la matière.
Cela dit, l’approvisionnement en eau de Malte est assuré grâce au plus grand réservoir du monde, à savoir la Méditerranée elle-même. La moitié de notre eau potable est produite par osmose inverse, ce qui fait que nous n’avons aucun problème de ce côté-là. Toutefois, Mme Schicker s’inquiétait de l’approvisionnement en eau pour l’irrigation des terres. Cette eau est produite par l’usine de traitement qui fonctionne à St. Anthony. Mais je conviens qu’il faut déployer des efforts pour augmenter la production qui ne suffit pas à couvrir les besoins. J’espère que nous parviendrons à résoudre les problèmes que nous avons connus dans ce domaine.
LE PRÉSIDENT (traduction)
La dernière question émane de M. Van der Linden. Mais je ne sais pas s’il a l’intention de la poser... Monsieur Van der Linden?
M. Van der LINDEN (Pays-Bas) (traduction)
Ma question portait sur l’élargissement de l’Union européenne et l’adhésion de Malte, mais j’en ai déjà discuté avec mon ami. Peut-être M. de Marco pourrait-il ajouter quelque chose à ce qu’il a déjà dit à propos de l’avenir du Conseil de l’Europe. L’Organisation doit-elle, à son avis, se rapprocher davantage de l’Union européenne ou de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe?
LE PRÉSIDENT (traduction)
Un peu d’irrigation cérébrale, Monsieur le Président?...
M. de Marco, Président de Malte (traduction)
Cette question est certainement plus dans mes cordes que la précédente...
L’OSCE est une importante organisation régionale. J’étais l’un de ceux qui avaient proposé que l’OSCE soit chargée du maintien de la paix dans le cadre du chapitre 8 de la Charte des Nations Unies. Cette idée a été reprise à Helsinki. Au cours du XXIe siècle, la Charte des Nations Unies doit évoluer dans ce sens qu’il conviendra d’accorder plus d’importance que cela n’a été le cas jusqu’à présent aux arrangements régionaux. La plupart des conflits, en effet, sont régionaux. Ce qui fait qu’en multipliant les arrangements régionaux, le maintien de la paix sera plus effectif parce qu’il sera mis en œuvre par le biais d’un système de délégation des efforts politiques déployés dans ce sens.
Je m’arrêterai sur une question qui revêt, à mes yeux, une importance majeure, à savoir l’avenir du Conseil de l’Europe; L’OSCE est une conférence très importante dans le cadre de laquelle les pays atlantiques – et notamment les Etats-Unis et le Canada – ont la possibilité de dialoguer directement avec la Fédération de Russie. Toutefois, les problèmes de sécurité en Europe y sont abordés sous l’angle transatlantique. Nous avons besoin d’une approche différente; et cette approche, seule l’Europe est en mesure de l’adopter. Je suis fermement convaincu que notre Organisation possède une dimension paneuropéenne et un avenir. C’est, en effet, uniquement au sein du Conseil de l’Europe que sont unis tous les Européens, qu’ils viennent de l’ouest, du centre ou de l’est de notre continent, voire du Caucase. C’est là que se trouve la grandeur du Conseil de l’Europe.
Le Conseil n’a pas seulement un passé magnifique; il a aussi un véritable avenir. A condition toutefois de savoir ce que nous voulons en faire. Notre avenir, c’est de créer – comme diraient les Français – un «espace» de stabilité, de démocratie et de sécurité qui s’étendrait jusqu’à Vladivostock et engloberait les Etats caucasiens. Ce sont peut-être les pays qui doivent se rapprocher de l’Europe.
C’est pourquoi je pense que le Conseil de l’Europe a un avenir. Il sert de trait d’union entre tous les pays d’Europe qui, pour une raison ou une autre, ne poseront pas leur candidature à T Union, européenne, du moins dans un avenir prévisible. Mais ces pays veulent être considérés comme faisant partie de l’Europe dont ils partagent à la fois le patrimoine et les préoccupations. Mais le Conseil n’aura d’avenir que si nous prenons conscience de ce que l’Europe a bien changé entre 1967 et 1987, alors que j’étais membre de cette Assemblée. Elle a acquis une nouvelle dimension; le continent n’est plus divisé; il est, au contraire, uni au sein de ce Conseil.
Les pays d’Europe orientale – notamment la Russie, l’Ukraine et les Etats caucasiens – doivent se rapprocher de l’Europe. Nous avons besoin d’eux. Et c’est au Conseil de l’Europe qu’il incombe, à mes yeux, d’œuvrer à ce rapprochement.
LE PRÉSIDENT (traduction)
Merci beaucoup, Monsieur de Marco. Ainsi s’achève notre dialogue. Nous vous remercions pour votre allocution fort inspirée et pour la sagesse des réponses que vous avez apportées aux questions des parlementaires. A présent, un bon repas pour vous payer de retour.