Alfred

Gusenbauer

Chancelier fédéral de la République d'Autriche

Discours prononcé devant l'Assemblée

lundi, 25 juin 2007

dit que c’est un grand honneur et un grand plaisir pour lui de s’adresser à une assemblée dont il a été membre pendant plus de seize ans et au sein de laquelle il a beaucoup appris: désormais à la tête d’une grande coalition, il lui est utile d’avoir acquis dans cette enceinte le sens du compromis pour dégager les consensus nécessaires.

L’Autriche est devenue membre du Conseil de l’Europe le 16 avril 1956. Cette date a été d’une importance particulière pour le pays, et différentes personnalités autrichiennes ont activement participé aux travaux de l’Organisation. A trois reprises, le poste de Secrétaire général a été occupé par un Autrichien, l’Assemblée a eu deux Présidents autrichiens, et le CPLRE a eu aussi, en la personne de M. Van Staa, un Président venu d’Autriche. Plus largement encore, de nombreux Autrichiens ont contribué à l’approfondissement de l’intégration européenne, à commencer par Léopold Figel, le Ministre des Affaires étrangères qui a signé l’adhésion de l’Autriche au Conseil de l’Europe. Comment, encore, ne pas souligner l’action énergique de Peter Schieder lors de sa présidence? C’est à son instigation que la Serbie et le Monténégro ont été admis au sein de l’Organisation, malgré une forte opposition, et il a activement contribué à la création du Parlement panafricain et au renforcement du parlementarisme. Il s’est également fortement engagé dans la lutte contre la peine de mort et pour la protection des minorités.

Il était logique que l’Autriche, patrie du père de l’idée paneuropéenne, s’implique beaucoup au sein du Conseil de l’Europe. Il était pour elle évident de participer activement au processus d’unification européenne et de jouer un rôle important dans les activités du Conseil de l’Europe. C’est ainsi que l’Europe est devenue une communauté de droits et de valeurs. Mais cette participation a aussi été déterminante dans l’évolution de la société autrichienne elle‑même. Ainsi, la Convention européenne des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales a rang constitutionnel en Autriche, où tout le système de protection juridique s’en inspire largement.

Ce n’est donc pas par hasard que le 1er Sommet du Conseil de l’Europe s’est tenu en 1993 à Vienne; il a été consacré surtout à la protection des minorités nationales et à la lutte contre l’intolérance, le racisme et la xénophobie, ainsi qu’à la paix sur le continent européen. C’est sans doute à la suite des décisions prises en 1993 que de nombreux États de l’Est et du Sud‑Est de l’Europe sont devenus par la suite membres du Conseil.

Dès la création du Conseil de l’Europe, en 1949, après la Seconde guerre mondiale, chacun savait que c’était le fait d’être une communauté de valeur qui constituait la force de l’Europe. Dès l’origine, le Conseil s’est consacré à la promotion des droits de l’homme, au renforcement de la démocratie pluraliste, à l’ancrage de l’État de droit. Les droits fondamentaux et sociaux sont apparus aussi importants, de même que l’idée d’une identité commune européenne respectueuse de la diversité culturelle.

Le visage de l’Europe a bien sûr évolué de façon spectaculaire depuis la chute du mur de Berlin. Fort désormais de 47 membres, le Conseil de l’Europe regroupe presque tous les pays du continent. Pour sa part, l’Union Européenne compte 27 États membres, tous membres du Conseil de l’Europe.

Samedi dernier, à 5 heures du matin, l’Union européenne a réussi à se mettre d’accord sur les grandes lignes d’un traité réformé. Si certains compromis sont douloureux, en particulier pour l’Autriche dont le Parlement avait ratifié le traité constitutionnel à une large majorité, ce Sommet constitue un véritable progrès. Il faut en particulier se réjouir que la Charte des droits fondamentaux, qui comprend les droits classiques mais aussi les droits sociaux, ait désormais une valeur contraignante pour l’Union comme pour ses États membres. C’est ce qui fait la valeur ajoutée de l’Europe pour ses citoyens. C’est aussi un élément de plus dans cette communauté de valeurs qui fait l’Union européenne. On mesure ainsi que tout n’a pas trait au marché: c’est ce qui donne toute sa légitimité au projet politique européen.

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe souhaite que l’Union se dote de la personnalité juridique afin de pouvoir adhérer à la Convention européenne. Cet objectif important doit être atteint le plus rapidement possible et le Chancelier entend y oeuvrer. (Applaudissements)

La dimension sociale est le deuxième élément positif du Sommet qui a repris toutes les dispositions sociales importantes du premier texte mais qui a aussi affirmé que les systèmes de prévoyance sociale étaient partie intégrante du modèle social européen. Il était important de dire qu’il ne s’agit pas seulement d’être compétitif mais qu’il existe des biens non commerciaux auxquels les règles de la concurrence ne s’appliquent pas. Il fallait aussi insister sur la possibilité pour chaque citoyen de participer à la vie de la société, indépendamment des ressources dont il dispose. Le Chancelier se félicite que l’on ait fait le constat que le commerce n’est pas un but en soi mais un moyen au service de la croissance, du plein emploi et de la justice sociale. L’Europe ne doit devenir ni un super État, ni un super marché, il faut faire évoluer son modèle social en remettant l’homme au centre de la démarche.

Le Chancelier se réjouit également que le Sommet ait donné la priorité à la protection de l’environnement. La qualité de vie des citoyens doit en effet être remise au centre du débat politique en tant que bien échappant à la logique économique et à la seule recherche du profit. Il semble qu’une nouvelle génération de dirigeants politiques se rendent compte qu’il est important, dans le contexte de la mondialisation et de l’interpénétration des marchés qui provoquent de nouveaux déséquilibres, que l’Europe renforce ses valeurs sociales.

Le développement des échanges commerciaux et des investissements directs dans un certain nombre de pays aggrave ces déséquilibres et met en péril des secteurs d’activité traditionnels, ce qui rend plus que jamais nécessaire de donner vie à la Charte sociale du Conseil de l’Europe, adoptée dès 1961 à Turin. Celle‑ci n’a rien perdu de son actualité, d’autant que de nombreux citoyens de l’Europe ne se voient toujours pas appliquer ces principes. Il faut déployer d’importants efforts pour faire prévaloir l’importance de la cohésion sociale, du droit à la sécurité sociale et à des systèmes de prévoyance. Il s’agit de valeurs du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, en faveur desquelles le Chancelier milite aujourd’hui comme il l’a fait hier lorsqu’il présidait la commission des affaires sociales de l’Assemblée. Il est en effet convaincu que l’Europe doit devenir plus sociale pour que les citoyens y adhèrent plus volontiers.

Si l’Union et le Conseil défendent les mêmes valeurs, ils ne sont pas dotés des mêmes structures. Le Conseil a une compétence particulière en matière de droits de l’homme, de démocratie, de primauté du droit, domaines dans lesquels il jouit d’une vaste expérience, qui peut profiter à l’Union. Il convient, évidemment de coordonner ses actions avec celles des autres organisations. En ce sens, le protocole d’accord avec l’Union européenne est une bonne base. De même, le Chancelier est persuadé que le Conseil travaillera de façon efficace et utile avec l’Agence européenne des droits fondamentaux.

Le Conseil est une plate-forme très importante pour les pays qui souhaitent devenir membres de l’Union mais aussi pour ceux qui ne le seront jamais. Il s’agit du seul forum où tous les pays peuvent agir sur un pied d’égalité, en tant que partenaires.

Il y a plus de deux ans, lors du Sommet de Varsovie, les chefs d’État et de gouvernement ont tracé les grandes lignes des activités de l’Organisation. Un certain nombre de décisions ont déjà été mises en oeuvre, par exemple avec la campagne contre les violences faites aux femmes ou avec celle en faveur de l’Europe «Des enfants pour les enfants». Beaucoup reste à faire, le Sommet de Varsovie ayant rappelé en premier lieu que toutes les activités du Conseil doivent aller dans le sens de la protection des droits de l’homme, de la démocratie et de la primauté du Droit. La protection des droits de l’homme est une tâche privilégiée, inaliénable du Conseil de l’Europe qui a adopté de nombreuses recommandations afin de garantir, partout, la protection des populations.

Pour que le système de protection des droits de l’homme et les libertés fondamentales reste efficace, il importe que la Cour européenne des Droits de l’Homme soit digne de la confiance que lui manifeste la population et donc qu’elle ait les moyens de mener à bien ses tâches. Il ne faudrait pas qu’elle soit, en quelque sorte, victime de son succès: les citoyens doivent conserver la possibilité de défendre leur cause devant elle. L’élargissement du Conseil ayant accru la fréquence des saisines et donc le nombre des affaires pendantes, il importe que la Cour dispose des ressources et des moyens nécessaires à la poursuite de ses activités. C’est dans cet esprit que l’Autriche a ratifié, en janvier dernier, le Protocole additionnel n° 14, comme l’ont fait tous les autres États membres, à l’exception de la Fédération de Russie. Le Chancelier lance un appel solennel à la Fédération de Russie afin qu’elle opère au plus tôt cette ratification indispensable à la mise en oeuvre des réformes nécessaires. L’ensemble des membres de la Délégation russe doivent aussi militer en faveur de cette ratification.

Dans différentes régions du monde, en particulier en Amérique latine et en Asie du Sud‑Est, de plus en plus de communautés économiques se construisent en s’inspirant du modèle européen. Les États d’Europe ont donc le devoir de prouver que le succès de l’intégration européenne n’est pas seulement économique et que la protection des individus, l’instauration de l’État de Droit, le respect des principes de la justice sociale sont des préalables importants. L’intégration économique seule n’est pas un gage de succès, tel est le message que doit lancer le Conseil de l’Europe.

L’intégration économique doit être complétée par des dimensions politique et sociale. C’est le message que doit porter le Conseil de l’Europe.

Les droits de l’homme continuent d’être violés dans de nombreux pays du monde. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe doit poursuivre son combat pour les défendre, en particulier aux portes du continent européen. S’il ne peut approuver, en tant que chancelier, tout ce qui est écrit dans le rapport du Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, en revanche M. Gusenbauer salue ses recommandations. Les droits concrets de chaque individu doivent être respectés et, pour ce qui concerne l’Autriche, il conviendrait de régler les problèmes que rencontrent certaines minorités, notamment les Slovènes, dans l’utilisation de leur langue d’origine.

Pour conclure, M. Gusenbauer souligne que l’architecture européenne est complexe, mais qu’elle vit de la complémentarité des pays qui la sous‑tendent. Le Conseil de l’Europe a une place bien définie dans cette architecture, nullement menacée par les autres organisations internationales, qui lui sont complémentaires. Il revient désormais aux Européens de dégager les synergies de cette architecture que certains considèrent comme baroque. Le Chancelier fédéral autrichien rappelle que le baroque est une tradition de son pays (sourires) et invite l’ensemble des membres de l’Assemblée à s’atteler à la tâche! (Applaudissements)

LE PRÉSIDENT (interprétation)

déclare que l’Assemblée est fière du rôle actif et déterminant que joue M. Gusenbauer comme ardent défenseur du Conseil de l’Europe auprès des institutions de l’Union européenne.

Pour la première question, il donne la parole à M. Ager.

M. AGER (Autriche) (interprétation)

au nom de son Groupe, appelle M. Gusenbauer, ancien membre de l’Assemblée, à plaider avec force la cause du Conseil de l’Europe dans le cadre de ses nouvelles responsabilités européennes.

M. Gusenbauer, Chancelier fédéral de la République d'Autriche (interprétation)

assure qu’il sera très vigilant sur cette question, d’autant que le Président de l’Assemblée lui a fait part des contraintes budgétaires qui pèsent sur l’Organisation, risquant de mettre à mal ses différentes missions. Les Chefs d’état doivent prendre leurs responsabilités pour donner au Conseil de l’Europe les moyens d’un fonctionnement efficace.

M. MOTA AMARAL (Portugal) (interprétation)

constate que le Chancelier autrichien a souligné l’importance de l’Assemblée parlementaire au sein du Conseil de l’Europe. Ne pense‑t‑il pas qu’une assemblée interparlementaire serait nécessaire pour examiner les questions relevant de la coopération intergouvernementale en matière de défense et de sécurité?

M. Gusenbauer, Chancelier fédéral de la République d'Autriche (interprétation)

considère que cette proposition est très intéressante puisque la sécurité ne se limite pas aux seules questions de défense. La notion de règlement pacifique des conflits mériterait d’être introduite dans les relations internationales. On pourrait donc envisager de réunir les représentants des parlements nationaux pour débattre de ces questions.

Mme DURRIEU (France)

J’adresse d’abord nos félicitations au Chancelier et ami Alfred Gusenbauer. Vous avez insisté sur l’Europe, espace social, bien sûr. S’agissant de l’Europe, espace de paix, les Balkans sont au cœur de notre problématique, et le Kosovo est au cœur des Balkans. Or il semble que la décision finale sur le statut du Kosovo appartient aux Américains et qu’il soit décidé que ce sera l’indépendance sous condition. Monsieur le Chancelier, qu’en pense l’Europe? A-t‑elle une position?

M. Gusenbauer, Chancelier fédéral de la République d'Autriche (interprétation)

déclare que le plan présenté par M. Ahtisaari constitue une excellente base de règlement du conflit aux yeux de l’Union européenne. Ce plan s’inscrit dans un programme plus global de négociations avec la Serbie et permettra d’engager la discussion au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Les autres solutions avancées ne sont pas meilleures, en particulier l’idée de mener des actions unilatérales, émise par une certaine partie, ne ferait qu’aggraver la situation.

M. EÖRSI (Hongrie) (interprétation)

déplore que certaines industries autrichiennes polluent certaines parties du territoire hongrois et forme le vœu que la politique de protection de l’environnement que l’Autriche met si souvent en avant ne s’arrête pas à ses propres frontières...

M. Gusenbauer, Chancelier fédéral de la République d'Autriche (interprétation)

précise qu’il s’agit d’une question bilatérale et que les normes de protection de l’environnement autrichiennes sont au moins aussi strictes que celles qui sont appliquées en Hongrie, comme partout ailleurs en Europe.

Il existe, en effet, une usine de transformation de cuivre qui pollue une rivière, mais dans les limites autorisées par la législation. Des négociations ont été ouvertes par le Gouvernement autrichien avec les acteurs concernés, sans qu’il puisse leur apporter un soutien financier, qui contreviendrait à la législation anticoncurrentielle de l’Union. Une usine d’incinération de déchets qui produit de l’électricité est également en cause, même si une unité similaire fonctionne actuellement au centre de Vienne, ce qui témoigne de la confiance des autorités envers de telles installations.

M. Gusenbauer, qui a rencontré le Premier ministre hongrois la semaine dernière, assure M. Eörsi que l’Autriche a à cœur de respecter les exigences qu’elle s’est fixées en matière de protection de l’environnement, exigences qui font d’elle un véritable exemple au niveau européen.

M. EÖRSI (Hongrie) (interprétation)

estime que l’environnement n’est pas une question bilatérale et que rien ne justifie qu’un pays pollue l’eau ou l’air de son voisin. Il remercie toutefois le Chancelier autrichien pour ses paroles et sa bonne volonté.

M. Gusenbauer, Chancelier fédéral de la République d'Autriche (interprétation)

souligne que les populations subissent la même pollution de part et d’autre de la frontière et que les Autrichiens concernés n’ont pas protesté, alors qu’on les sait très sensibles aux questions d’environnement. Le gouvernement autrichien a l’intention de suivre ces deux dossiers avec une extrême vigilance. Ils ne doivent toutefois pas devenir le symbole d’un différend bilatéral disproportionné. La région se développe et les populations vivent en bonne entente. Il faut éviter d’envenimer la situation.

M. LAAKSO (Finlande) (interprétation)

demande au Chancelier autrichien comment il pense possible d’inciter les gouvernements à coopérer davantage sur la question des centres de détention secrets, notamment dans le cadre de l’Otan.

M. Gusenbauer, Chancelier fédéral de la République d'Autriche (interprétation)

rappelle que l’Autriche n’étant pas membre de l’Otan, son influence sur cette organisation sera limitée. Néanmoins, elle a découvert ce problème avec inquiétude et se félicite que l’Assemblée l’ait abordé. Les citoyens ne peuvent admettre que des activités secrètes s’organisent, au mépris de toute transparence politique.

M. GROSS (Suisse) (interprétation)

demande à M. Gusenbauer, son vieil ami, comment il compte rendre l’économie et la mondialisation plus humaines au sein des différentes organisations internationales, notamment de l’Onu.

M. Gusenbauer, Chancelier fédéral de la République d'Autriche (interprétation)

déclare qu’il s’agit là d’un point très important, les organisations intergouvernementales ne fonctionnant pas comme des organisations interparlementaires telles que l’Union européenne et le Conseil de l’Europe. Une assemblée parlementaire des Nations Unies constituerait‑t‑elle une bonne solution? Ce n’est pas sûr. En revanche, la Banque Mondiale, le FMI et l’OMC, qui jouent un rôle majeur dans la mondialisation, auraient intérêt à se doter d’une assemblée parlementaire.

M. Gusenbauer a d’ailleurs fait partie, au sein du Parlement autrichien, d’une sous‑commission qui militait pour cette solution et réclamait des échanges entre les parlementaires et les représentants des grandes organisations internationales. La dimension parlementaire assure la publicité des débats et donc l’information des citoyens: elle est nécessaire si l’on souhaite «civiliser» les marchés – autrement dit, donner à la mondialisation un visage plus humain. Cela vaudrait tout particulièrement pour l’OMC, la Banque mondiale ou le FMI.

M. GROSS (Suisse) (interprétation)

remercie M. Gusenbauer, avec lequel il se mettra en relation au moment de rédiger son rapport.

M. PANGALOS (Grèce) (interprétation)

observe que la presse s’est montrée sceptique sur les résultats atteints par le Sommet européen de Bruxelles. Pourtant, les chefs d’État et de gouvernement, M. Blair, M. Sarkozy ou le Premier ministre grec, dont personne n’avait remarqué la présence,… sont apparemment repartis tout à fait satisfaits. En est‑il de même pour le chancelier autrichien? Que pense‑t‑il du nouveau mécanisme adopté, qui ne s’appliquera… qu’en 2014?

M. Gusenbauer, Chancelier fédéral de la République d'Autriche (interprétation)

se réjouit de pouvoir répondre à M. Pangalos, lui qui avait si fortement soutenu l’adhésion de l’Autriche à l’Union européenne. Il va sans dire que l’Autriche, dont le Parlement a ratifié le Traité constitutionnel par 182 voix sur 183, aurait préféré que le texte demeure en l’état. Mais il fallait prendre acte que le mouvement intégrationniste a décliné. Les États nations essayant désormais d’avoir plus de poids dans la construction européenne, était‑il judicieux d’attendre que la tendance s’inverse à nouveau? Les choses auraient pu être pires, et il convenait de sauver ce qui pouvait l’être. Un compromis a été trouvé, même s’il n’est pas spectaculaire.

Quant à la date choisie pour l’application du nouveau dispositif, elle n’est pas dénuée de logique puisque, en 2014, la Commission changera et prendra un format plus resserré. Bien sûr, le gouvernement autrichien aurait préféré que les choses se fassent plus vite, mais le compromis est bon, surtout si l’on compare les résultats obtenus à la situation actuelle et non à un texte devenu hypothétique. Le consensus s’est fait sur un texte bien meilleur que le Traité de Nice, qu’il s’agisse de la Charte des droits fondamentaux, des droits juridiques et sociaux ou de l’extension des décisions prises à la majorité simple. Pour toutes ces raisons, le compromis est acceptable, et chacun sait que l’histoire de l’Europe en temps de paix est faite de compromis.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

partage sans réserve l’opinion exprimée par M. Gusenbauer. Un compromis était nécessaire, et il espère que celui auquel les chefs d’État et de gouvernement sont parvenus permettra à l’Union européenne de sortir de l’impasse, dans l’intérêt, aussi, du Conseil de l’Europe. Il donne la parole à M. Margelov.

M. MARGELOV (Fédération de Russie) (interprétation)

dit que les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne sont parfois satisfaisantes mais que, le plus souvent, elles ne le sont pas. Comment le chancelier les voit‑il évoluer d’ici une décennie?

M. Gusenbauer, Chancelier fédéral de la République d'Autriche (interprétation)

dit avoir quelques difficultés à jouer les prophètes mais observe que les décisions récemment prises par l’Union européenne forment le socle d’une coopération entre les deux Organisations. L’Union ne sera jamais en mesure d’étendre ses activités dans le domaine des droits de l’homme comme le fait le Conseil de l’Europe, qui dispose pour cela d’excellents mécanismes. Du reste, le respect des droits de l’homme est une question qui, au‑delà de l’Union européenne, concerne le continent tout entier. En ce sens, il n’y a pas à redouter la remise en cause de l’existence du Conseil de l’Europe.

Il reste à lui donner les ressources nécessaires à l’accomplissement de ses tâches, et c’est à quoi les gouvernements doivent s’attaquer. M. Gusenbauer lance donc un appel à tous ses collègues pour qu’ils débloquent les ressources nécessaires. Il ajoute qu’un Conseil de l’Europe renforcé aurait des relations plus équilibrées avec l’Union européenne.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

souligne la nécessité d’investir dans le meilleur des systèmes existants. Or le budget total du Conseil de l’Europe équivaut à celui que l’Autriche ou les Pays‑Bas consacrent à la construction de quatre ou cinq kilomètres d’autoroute… La protection des droits de l’homme et de l’État de droit mérite bien davantage! Le danger vient de ce que l’on alloue des ressources à une Organisation, l’Union européenne, et que l’on charge une autre, le Conseil de l’Europe, d’appliquer les normes définies. Chacun se félicitera donc que M. Gusenbauer se fasse le défenseur du Conseil de l’Europe auprès de ses collègues. Il donne la parole à Mme Barnett.

Mme BARNETT (Allemagne) (interprétation)

se félicite que M. Gusenbauer se propose de promouvoir l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des Droits de l’Homme. Encore faudra‑t‑il pour cela doter l’Union européenne de la personnalité juridique. D’autre part, le chancelier fédéral plaide en faveur de l’allocation à la Cour européenne des Droits de l’Homme de moyens suffisants pour lui permettre de mener un travail efficace. Ne pourrait‑on la doter comme l’est l’Agence de Vienne?

M. Gusenbauer, Chancelier fédéral de la République d'Autriche (interprétation)

répond que donner à l’Union européenne une personnalité juridique pour lui permettre d’adhérer à des conventions internationales ne présente pas de difficultés particulières. Là où le bât blesse, c’est dans le fait que le Royaume‑Uni ait voulu une clause dite d’«opting out» pour ce qui concerne la Charte des droits fondamentaux. C’est un choix regrettable, dont le gouvernement britannique devra d’ailleurs se justifier auprès de son opinion publique, mais il n’est pas sûr que le dernier mot ait été dit à ce sujet.

La Cour européenne des Droits de l’Homme doit se voir allouer davantage de moyens mais il faut, au préalable, que le protocole additionnel n° 14 soit ratifié. Si l’on souhaite véritablement garantir la primauté du droit, il faut donner aux organismes chargés de la faire respecter les moyens d’être efficaces. La question est donc éminemment politique.

LE PRÉSIDENT (interprétation)

constate que la liste des questions à M. Gusenbauer est épuisée et le remercie très cordialement. (Applaudissements) La chaleur de l’accueil qui lui a été réservé dit assez que l’Assemblée voit dans le chancelier fédéral un ardent défenseur du Conseil de l’Europe. Il lui souhaite un plein succès et espère que les résultats réels du Sommet européen seront à la hauteur des attentes.