Ion

Iliescu

Président de la Roumanie

Discours prononcé devant l'Assemblée

mardi, 4 octobre 1994

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs les parlementaires, je voudrais exprimer mes remerciements les plus cordiaux pour cette invitation à prendre la parole dans le forum le plus représentatif de la démocratie européenne. C’est un grand plaisir pour moi de pouvoir m’exprimer devant l’Assemblée parlementaire sous votre présidence, Monsieur le Président Miguel Angel Martinez, ami de longue date et constant de la Roumanie.

Nous autres Roumains attachons une signification particulière à ce moment, d’autant plus qu’il coïncide avec le premier anniversaire de l’admission de la Roumanie au sein du Conseil de l’Europe, sur recommandation de l’Assemblée parlementaire. Je saisis cette occasion afin d’exprimer toute notre gratitude pour l’appui accordé à notre demande. Les évolutions qui ont eu lieu en Roumanie, au cours de cette dernière année, ont mis en évidence, de manière éloquente, que par la décision du 4 octobre 1993 le Conseil de l’Europe a apporté une contribution substantielle à la mise sur pied et à la consolidation des institutions démocratiques en Roumanie. Nous voudrions souligner aussi l’activité remarquable et l’esprit de coopération dont ont fait preuve à cet égard M. Friedrich Konig et M. Gunnar Jansson.

Je profite également de cette occasion afin d’exprimer notre estime particulière à l’égard de Mme Catherine Lalumière, pour son activité d’exception déployée en sa qualité de Secrétaire Général, au cours des cinq années de transformations sans précédent qui ont eu lieu en Europe, ainsi que nos sentiments de reconnaissance sincère pour l’appui qu’elle a apporté à la candidature de la Roumanie.

De même, j’aimerais renouveler à M. Daniel Tarschys nos félicitations les plus chaleureuses pour avoir été élu à la fonction de Secrétaire Général de l’Organisation. Je lui souhaite plein succès dans l’accomplissement des hautes responsabilités dont il a été investi et l’assure de tout notre soutien.

Dans l’exposé que j’ai présenté à l’occasion de la Conférence du Sommet de Vienne, en octobre dernier, j’ai évoqué les causes et les conséquences de la révolution roumaine de 1989, l’engagement total de notre nation sur la voie de la démocratie en tant qu’élément fondamental, et sa décision irrévocable de s’intégrer dans les structures européennes. En outre, il y est fait mention de l’importance que nous attachons au rôle du Conseil de l’Europe dans le processus de régénération historique de la société roumaine et dans l’édification d’une Europe unie, démocratique, pacifique et prospère.

Je crois utile maintenant de présenter, succinctement, les évolutions qui ont eu lieu dans la société roumaine, au cours de cette dernière année, ainsi que nos préoccupations principales.

Sur le plan de la politique intérieure, nos deux priorités centrales restent les mêmes, à savoir le développement et la consolidation du cadre normatif, législatif et institutionnel de l’Etat de droit et le fonctionnement normal des institutions spécifiques d’une société démocratique moderne d’une part; ainsi que la transition vers l’économie de marché et la restructuration économique, d’autre part.

Par l’adhésion à la Convention européenne des Droits de l’Homme et à dix de ses protocoles, les dispositions du principal instrument du Conseil de l’Europe sont devenues, conformément à la Constitution de notre pays, partie intégrante du droit interne roumain. Aujourd’hui, nous avons déposé auprès du Secrétaire Général du Conseil les instruments de ratification de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants et ses deux protocoles. Cela complète le système de garanties et de protection des droits et libertés fondamentaux de l’homme en Roumanie. La Charte européenne sur l’autonomie locale a été également signée, en tant qu’expression du souci de redistribuer les responsabilités entre les organes aux niveaux central, départemental et local, en consonance avec les exigences du fonctionnement de la société moderne.

Le projet de loi sur l’enseignement, à l’élaboration duquel les experts du Conseil de l’Europe ont contribué avec leurs considérations et suggestions, se trouve sur l’agenda du Parlement roumain. On a également soumis à l’attention du Parlement le projet de loi sur les minorités dont les dispositions respectent fidèlement les standards du Conseil de l’Europe, de la CSCE et de l’ONU en matière de droits des personnes appartenant aux minorités nationales.

La liberté d’expression est une réalité dans la société roumaine. La presse, la radio et la télévision se manifestent vigoureusement comme des porte-parole de l’opinion publique. D’importants journaux nationaux et locaux ainsi que maintes télévisions et radios locales contribuent aux débats sur les principaux problèmes qui intéressent l’opinion publique roumaine.

Quant à la transition vers l’économie de marché et la restructuration économique, nous pouvons dire que le moment le plus difficile est passé. Au cours de cette année, le déclin de la production industrielle a été arrêté, celle-ci enregistrant même une légère augmentation, en tant que prémices du processus de relance économique du pays. L’agriculture a surmonté l’état de crise de ces dernières années. La récolte de cette année satisfait intégralement les besoins pour la consommation de la population et permet, en même temps, de compléter les réserves d’Etat et une exportation importante de produits agricoles. Grâce à la politique monétaire et fiscale, le taux d’inflation a diminué radicalement et la monnaie nationale et le taux d’échange se sont stabilisés. D’importants progrès ont été enregistrés pour redresser la balance commerciale externe et rétablir les réserves en devises de l’Etat.

Tout cela a conduit à l’augmentation de la confiance dans les perspectives et le potentiel de l’économie roumaine, tout en menant à l’accroissement visible de l’intérêt des investisseurs étrangers à l’égard de la Roumanie. Afin d’encourager cet intérêt, le parlement a amendé la loi sur le régime des investisseurs étrangers dans notre pays, en stipulant l’octroi de garanties supplémentaires et de facilités pour les grands investissements, particulièrement dans le domaine de la production.

A présent, la société roumaine est arrivée à un moment extrêmement significatif de la réforme, à savoir la «grande privatisation», concernant plus de six mille grandes entreprises d’Etat. Le parlement est en train d’examiner les mesures proposées par le gouvernement afin d’accélérer ce processus. Notre espoir est que, de cette façon, le cours de la réforme et de la restructuration économique soit stimulé en attirant non seulement les ressources internes, mais aussi le capital et les crédits externes, ce qui influencerait de façon positive la qualité de vie des gens.

Ayant en vue cette perspective, la Roumanie a décidé de signer, aujourd’hui, la Charte sociale européenne. Nous le faisons en ayant la conviction que le but suprême de toutes les réformes politiques et économiques que nous avons entamées vise l’amélioration des conditions de vie de chaque membre de la société.

Pour la Roumanie, pays situé au carrefour des grands axes géostratégiques du continent, assurer la paix et la stabilité à l’échelon européen est une question d’intérêt vital. Par conséquent, l’orientation principale de la politique extérieure roumaine puise son inspiration dans la décision stratégique adoptée le premier jour de la Révolution roumaine, soutenue – aujourd’hui tout comme alors – par toutes les forces politiques du pays visant à l’intégration plénière dans toutes les structures européennes – politiques, économiques et de sécurité. C’est une décision tout à fait naturelle, compte tenu du fait que, de par sa civilisation, sa culture, son histoire et sa position géographique, la nation roumaine a toujours été une partie inséparable de la culture et de la civilisation européennes. Par nous, la Révolution de 1989 a signifié le début du rétablissement et du développement de nos liens traditionnels avec les autres nations européennes. Il est à remarquer, en ce sens, le fait que, dans un délai de moins de trois mois depuis la victoire de la révolution de décembre, la Roumanie a exprimé officiellement son option en faveur de son adhésion au Conseil de l’Europe.

En outre, à part sa participation aux activités du Conseil de l’Europe et de la CSCE, la Roumanie développe une ample coopération qui s’élargit rapidement avec l’Union européenne, l’OTAN et l’Union de l’Europe occidentale. Nous éprouvons ainsi la satisfaction que, dès que les deux dernières ratifications seront obtenues, l’accord d’association à l’Union européenne entrera en vigueur dans un proche avenir. Cela assurera les conditions pour accélérer les préparations nécessaires – qui, nous le savons, ne seront pas faciles – pour l’admission de la Roumanie comme membre de cette organisation.

Dans le même esprit, nous avons salué l’initiative des Etats-Unis d’Amérique concernant le partenariat pour la paix et nous avons récemment signé le programme individuel de partenariat entre la Roumanie et l’OTAN.

Nous développons une coopération intéressante avec l’UEO, en tant que partenaire associé. Avec cette organisation nous avons déjà eu une expérience positive de coopération ayant trait à l’action de vérification, dans la zone du Danube, du respect des sanctions instituées par le Conseil de sécurité de l’ONU à l’égard de la Serbie et du Monténégro.

Monsieur le Président, c’est une réalité généralement reconnue qu’à l’accomplissement de l’objectif d’une Europe unie, démocratique, pacifique et prospère concourent plusieurs organisations et institutions, parmi lesquelles il faut noter la CSCE, le Conseil de l’Europe, l’UE, l’OTAN et l’UEO. Une contribution substantielle à la mise en œuvre de cet objectif est également représentée par les programmes européens de T ONU et de ses institutions spécialisées, particulièrement par l’Unesco, l’OIT, l’OMS et la FAO, ainsi que par la Commission économique de l’ONU pour l’Europe.

Il est à remarquer que, parmi ces organisations, le Conseil de l’Europe joue un rôle particulier. Il est l’unique organisation à vocation vraiment paneuropéenne qui offre un cadre politique aux échanges de vues entre tous les pays européens à l’égard des questions d’intérêt commun, liées au fonctionnement des institutions démocratiques et à la consolidation de la démocratie, à la garantie des droits de l’homme et au renforcement de l’Etat de droit. Ces questions représentent l’essence de l’activité du Conseil de l’Europe et se trouvent au premier plan des rapports entre les Etats. Les questions du respect et de la protection des droits de l’homme sont directement liées à la stabilité, tant à l’échelon national que paneuropéen. En conséquence, la création d’un espace démocratique européen constitue un élément essentiel de la stabilité et de la sécurité continentales.

Compte tenu de sa position, le Conseil de l’Europe déploie à présent, en vue de la mise en œuvre des décisions de la Conférence du Sommet de Vienne, des activités de haute importance pour l’avenir de la paix et de la sécurité européennes. Celles-ci sont destinées à consolider le fondement conventionnel de la protection des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant aux minorités nationales. D’autre part, le Conseil agit en vue d’élargir la coopération des Etats européens visant à combattre les manifestations de racisme, de xénophobie, d’antisémitisme et d’intolérance, qui affaiblissent la fibre démocratique des nations européennes et, implicitement, la stabilité sur le continent. Dans le cadre de ces deux objectifs prioritaires, l’action du Conseil constitue un véritable partenariat pour la démocratie et la stabilité en Europe, auquel la Roumanie s’attache à apporter une contribution constructive.

Vu la politisation excessive du problème des minorités, nous nous sommes trouvés tentés d’aborder ce thème comme source de tension et de conflit potentiel. Mais, en réalité, l’existence des minorités ethniques sur notre continent peut et doit être regardée de manière complètement différente.

Quand les personnes appartenant aux minorités nationales voient clairement leurs droits protégés, en tant que citoyens égaux et loyaux des Etats où elles habitent, y compris leurs valeurs culturelles et spirituelles qui confèrent éclat et unicité à la diversité culturelle européenne, elles doivent – en tant que parties intégrantes de la société – être regardées comme des facteurs de rapprochement, comme des ponts reliant les nations européennes. Une telle approche de la question des minorités représente le fondement solide sur lequel peuvent s’établir les vrais rapports de bon voisinage entre les Etats, exigence particulièrement importante et actuelle.

Nous avons la conviction que, pour atteindre cet objectif, il faut que les efforts déployés au sein du Conseil soient doublés par des actions aux niveaux régional, national et local. Dans cet esprit, nous avons salué l’initiative de l’Union européenne au sujet du Pacte de stabilité et manifesté notre disponibilité pour coopérer avec les autres Etats intéressés afin d’accomplir les objectifs de cette initiative. C’est de la même manière que nous développons une coopération positive avec le Haut Commissaire de la CSCE pour les minorités nationales.

Sur le plan des relations bilatérales, nous sommes contents que nos rapports avec la Hongrie évoluent vers l’instauration, entre ces deux Etats voisins liés par tant d’intérêts communs, de relations de bon voisinage et de coopération amicale, mutuellement avantageuses. Les pourparlers ayant eu lieu à l’occasion de la récente visite du ministre roumain des Affaires étrangères à Budapest, on a relevé l’aptitude des deux parties à intensifier les négociations afin de parachever, dans le plus court délai, le traité de bon voisinage et de coopération. Les problèmes qui demeurent ne sont pas insolubles. Dans l’Europe de cette fin de siècle, il ne saurait exister de réserves quant à la réaffirmation dans un traité de l’inviolabilité des frontières, alors que les normes du Conseil de l’Europe concernant les droits de l’homme rendent possible de convenir, sans difficultés, des dispositions réciproquement acceptables pour les minorités des deux pays.

Profondément persuadée que la tranquillité et la sécurité d’un pays découlent, tout d’abord, de ses bonnes relations avec ses voisins, la Roumanie se prononce et agit pour développer des rapports de bon voisinage et d’ample coopération avec tous les Etats voisins.

En ce qui concerne la République de Moldova, avec laquelle nous partageons l’histoire entière, ainsi que la culture, la langue et les valeurs spirituelles, nous avons appuyé et nous appuyons le développement de ce jeune Etat, conformément aux désirs et aux aspirations de son peuple. En même temps, s’agissant d’un autre Etat roumain, il est naturel que nous soutenions le développement de rapports de collaboration ample et étroite entre les deux Etats, sur le plan politique, économique et humain, afin d’édifier un espace économique et culturel commun.

Monsieur le Président, la Roumanie partage pleinement les préoccupations se manifestant au Conseil de l’Europe – dans l’Assemblée parlementaire, au Comité des Ministres et au Secrétariat – afin de rendre plus efficace l’action de cette Organisation visant à résoudre les problèmes découlant de sa sphère d’activité.

Un des thèmes faisant l’objet de vos débats au cours de cet après-midi même est lié à l’élargissement de la composition du Conseil de l’Europe et aux conséquences de cet élargissement. Dans ce contexte, on pose beaucoup de questions concernant l’admission de la Russie. En grande partie, ces questions proviennent du fait que, pour la première fois après la seconde guerre mondiale, cette puissance est en train de devenir partie à une organisation européenne sans qu’il y ait le contrepoids politique des Etats-Unis d’Amérique.

Notre position est basée sur quelques considérations de principe. Tout d’abord, par son Statut, le Conseil de l’Europe est une Organisation paneuropéenne et, pour atteindre notre but principal, à savoir la réalisation d’un espace démocratique à l’échelle de l’Europe tout entière, il faut que tous les Etats européens fassent partie de cette Organisation. Il n’y a aucun doute que la Russie est un Etat européen et que l’intégration de cet Etat dans le processus général de développement démocratique est dans l’intérêt majeur de la paix et de la sécurité sur notre continent. L’admission de la Russie dans le Conseil de l’Europe, tout en respectant les critères établis et en assumant les obligations supposées par la qualité de membre, constitue selon nous le meilleur appui que le Conseil puisse accorder aux transformations démocratiques de ce pays.

Dans le même esprit et pour les mêmes raisons, nous appuyons l’admission au Conseil de l’Europe, prochainement, de la République de Moldova, de l’Ukraine, de l’Albanie, de la Lettonie et de tous les autres Etats candidats.

Nous estimons aussi qu’il est dans notre intérêt de donner une réponse positive aux aspirations d’adhésion au Conseil de l’Europe de la Géorgie, de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan qui, par leur histoire, leur civilisation et leur position géographique, sont étroitement liés à l’Europe.

Je saisis cette occasion pour adresser à la délégation d’Andorre présente à cette session de l’Assemblée parlementaire nos plus chaleureuses félicitations pour l’adoption, pendant la séance d’hier, de la recommandation d’admission dans l’Organisation, de ce pays d’une ancienne culture latine.

Un autre problème d’intérêt commun, dont la solution revêt une signification décisive pour la réalisation de l’espace démocratique européen, concerne la réhabilitation économique des pays de l’Europe centrale et orientale et l’intégration effective de l’économie de ces pays dans l’économie européenne. Pour nous, il n’y a pas d’alternative rationnelle au succès des réformes et des restructurations économiques. L’échec des programmes de transformation dans lesquels nous nous sommes engagés signifierait non seulement la perpétuation de la pauvreté et le danger d’éclatement de nouveaux conflits, y compris ceux de nature sociale, dans les pays concernés, mais aussi l’accroissement des phénomènes d’émigration, d’intolérance, de terrorisme, de xénophobie, de trafic de drogues dans toute l’Europe. A notre avis, une Europe stable ne saurait être qu’une Europe démocratique et prospère, à l’abri des conflits ou des menaces régionales.

L’assistance et l’appui octroyés aux pays d’Europe centrale et orientale par le Conseil de l’Europe, et par d’autres organisations auxquelles nous sommes reconnaissants, sont extrêmement utiles pour les besoins immédiats des programmes visant à modifier la physionomie politique, économique et sociale de ces pays. Mais ils sont nettement insuffisants pour satisfaire les besoins de développement d’une économie moderne. Ce dont on a besoin, ce n’est pas d’une assistance ou d’une aide, mais d’un changement fondamental quant à l’approche des problèmes de transition visant le développement d’une coopération à l’échelle continentale, d’un partenariat économique rendant possible l’élimination des barrières qui continuent à maintenir l’Europe dans un troublant et dangereux état de scission, où le «rideau de fer» politique et idéologique risque d’être remplacé par un autre, économique celui-là.

Bien entendu, le Conseil de l’Europe ne dispose pas des moyens matériels nécessaires pour soutenir un tel effort. Mais en tant que principal forum politique paneuropéen, il est en mesure de contribuer à la formation d’une conscience européenne favorable à l’organisation d’un effort massif, d’une authentique solidarité européenne, d’un partenariat pour le développement assurant le succès des réformes en Europe centrale et orientale, dans l’intérêt commun de la paix, de l’entente et de la stabilité. Pour empêcher que l’idée d’organisation démocratique de la société soit compromise dans une partie étendue du continent, avec des répercussions imprévisibles pour l’Europe, assurer le succès de ces réformes est une condition sine qua non.

En ce qui nous concerne, notre option visant l’intégration dans l’Union européenne est claire et irréversible. Nous savons que le chemin que nous devons parcourir pour répondre aux exigences de coopération dans cette organisation n’est ni facile ni court. Nous sommes également conscients du fait que c’est nous-mêmes qui devons assumer l’effort principal visant à construire une économie moderne, rentable et compétitive. C’est notre seule chance de nous inscrire dans la voie des nations développées et prospères du monde.

Nous considérons que la coopération régionale joue un rôle important dans notre développement économique, dans notre marche vers l’intégration européenne. C’est pourquoi la Roumanie manifeste un intérêt actif aux programmes de coopération dans la zone de la mer Noire, du bassin du Danube et de l’Europe centrale. Ces projets ne sont pas et ne peuvent être envisagés comme des solutions alternatives à l’intégration européenne. Ils seraient des pas importants vers la stabilité et le développement, conditions nécessaires à l’intégration européenne. Après la solution du conflit de l’ex-Yougoslavie, nous envisageons d’appuyer par tous les moyens possibles le relancement de la coopération balkanique.

Notre approche d’une intégration européenne et d’une coopération régionale – comme moyen visant à accélérer le développement et le renforcement de la stabilité dans les zones précitées – ne perd pas de vue les tendances d’intégration économique à l’échelon global. Cela nous détermine, en conformité avec l’esprit et les réalités du temps présent, à développer des rapports de collaboration avec des Etats non européens, liés à nous de longue date, et notamment avec les Etats-Unis d’Amérique. A la suite des pourparlers que nous avons eus il y a quelques jours avec le Président Clinton à New York, nous pouvons conclure avec certitude que, par le rôle qu’ils jouent dans les structures de sécurité de notre continent et par l’amplification de leur coopération avec les pays d’Europe centrale et orientale, les Etats-Unis entendent continuer à assurer leur appui au maintien et à la consolidation de la sécurité et de la stabilité européennes.

Comme je viens de le dire, l’effort visant à construire une Europe unie, démocratique et prospère ne concerne pas le Conseil de l’Europe seul. A côté de lui agissent, dans des perspectives différentes, d’autres organisations dont la CSCE, l’Union européenne, l’OTAN et l’UEO. Aussi devons-nous entretenir avec ces organisations des relations non pas concurrentielles, mais de complémentarité.

En outre, pour accroître leur efficacité et assurer la cohérence de leur activité, ainsi que pour réduire et éliminer les parallélismes, il est essentiel d’instaurer entre elles une étroite coopération. En ce sens, nous saluons l’intérêt manifesté dans le cadre du Conseil de l’Europe pour le développement d’une coopération avec d’autres organisations comme la BERD, l’OCDE, T Unesco, TOIT, l’OMS et l’ONU qui développent d’amples programmes de coopération entre les Etats européens.

Les débats que votre Assemblée organise périodiquement sur les problèmes de coopération avec des organisations comme l’OCDE et la BERD méritent toute notre estime. Dans cette même optique, nous appuyons les propositions envisageant la rationalisation des activités du Conseil par leur focalisation sur les principales responsabilités qui lui reviennent, à savoir la consolidation des institutions démocratiques, la protection et la garantie des droits de l’homme et l’affirmation de l’Etat de droit dans tous les pays de l’Europe.

Monsieur le Président, j’ai présenté, brièvement, nos principales préoccupations. Notre avancée sur la voie choisie, celle de la démocratie et de l’économie sociale et de marché, est irréversible et évidente, mais difficile. Nous sommes confrontés à de grandes difficultés économiques et sociales. Nous avons à lutter contre des mentalités réfractaires aux changements.

Néanmoins, nous avons la conviction que nous avons surmonté le plus difficile et que nous pouvons passer à l’étape suivante: le fonctionnement efficace du cadre normatif et législatif démocratique, la promotion des droits et des libertés fondamentales de l’homme et la relance économique du pays. Ainsi, nous pourrons aborder avec plus d’efficacité les graves problèmes sociaux auxquels est confrontée la population du pays, offrir les moyens matériels et financiers nécessaires à la protection de la santé et de la sécurité de chaque citoyen, à l’essor de la science, de la culture et de l’éducation.

Le chemin parcouru jusqu’à présent et les perspectives qui s’ouvrent renforcent notre confiance dans la capacité de renaissance du pays, dans le changement positif de la Roumanie. Je voudrais assurer l’Assemblée parlementaire que, dans sa difficile mission d’édifier l’espace démocratique européen, le Conseil de l’Europe a et aura toujours avec la Roumanie un partenaire crédible, convaincu et fidèle aux règles de conduite établies et à ses engagements internationaux. (Applaudissements)

LE PRÉSIDENT (traduction)

Monsieur le Président, je vous remercie de votre intervention que les membres de l’Assemblée ont suivie avec la plus grande attention.

Mes chers collègues, M. Iliescu a indiqué qu’il était prêt à répondre aux questions des membres de l’Assemblée, ce dont je le remercie. Un nombre important de parlementaires ayant exprimé le souhait de s’adresser à lui directement, nous ne serons pas en mesure de suivre la procédure habituelle et de permettre des questions supplémentaires. Il vaut mieux donner l’occasion à tous les membres de poser une question plutôt que de permettre à la moitié d’entre eux d’en poser deux. Nous avons essayé de classer les questions par sujet. Néanmoins, l’expérience nous a montré qu’il est préférable que chacun de nos collègues reçoive une réponse personnalisée. Je rappelle aux membres de T Assemblée que leurs questions ne doivent pas dépasser trente secondes: il ne s’agit pas de soutenir une thèse de doctorat. Trente-cinq questions ont été déposées, et j’invite M. Iliescu à bien vouloir y répondre aussi brièvement que possible. La parole est à M. Iwinski.

M. IWINSKI (Pologne) (traduction)

J’aimerais demander à M. Iliescu s’il est en mesure de dresser un bilan des privatisations en Roumanie et d’indiquer quels en sont, selon lui, les avantages et les inconvénients. La raison qui me pousse à poser cette question, c’est que le sujet soulève d’importantes controverses dans le cadre des réformes entreprises dans les pays d’Europe centrale et orientale, et que la Roumanie a été l’un des premiers pays de cette région à adopter une loi sur les privatisations.

M. Iliescu, Président de la Roumanie

Nous considérons la privatisation comme un élément fondamental de toute réforme économique.

En Roumanie et dans tous les pays du centre et de l’est de l’Europe, l’histoire et l’expérience ont démontré que les systèmes étatiques supercentralisés étaient inefficaces.

Je pense que l’une des raisons de la faillite des systèmes – soviétique et prétendus socialistes de l’est et du centre de l’Europe – réside dans la rigidité de la structure d’une économie centralisée alors que, en cette fin de siècle, l’économie doit être caractérisée par le dynamisme tout à fait particulier du progrès technologique et de l’avancée économique et sociale.

Tous les systèmes mécaniques de gestion centralisée de l’économie ont fait preuve de leur inefficacité. En revanche, ceux fondés sur une conception et une structure modernes cybernétiques se sont révélés plus flexibles, capables de répondre aux besoins de dynamisme du progrès technologique et économique contemporain.

De ce point de vue, nous considérons comme une nécessité objective la prise de mesures de décentralisation de l’économie, de développement du système autonome des agents économiques, ce que nous avons fait immédiatement après la révolution. Le processus de privatisation est déjà engagé avec la mise en place de quelques mesures très importantes: privatisation des terrains agricoles, «petite privatisation» fondée sur une loi adoptée sous le Gouvernement provisoire roumain soutenant l’initiative privée.

Sur cette base, nous avons enregistré la création de plus de 500 000 entreprises privées, des initiatives individuelles dans le commerce, des petites et moyennes entreprises qui représentent déjà un secteur assez important. Il occupe un tiers de la force de travail et produit un tiers du produit national brut.

Nous nous trouvons aujourd’hui devant une mesure radicale et essentielle: la «grande privatisation» visant les grandes entreprises d’Etat, soit plus de 6 000. Bien que nous disposions de cette loi depuis 1991, le processus est plus difficile à mettre en œuvre. La difficulté majeure réside dans le manque de capitaux nécessaires pour promouvoir la privatisation. C’est la raison pour laquelle le gouvernement a présenté devant le parlement des mesures nouvelles visant à accélérer le processus de la grande privatisation.

Je n’entre pas dans les détails de la technologie, de la méthodologie ni des problèmes liés aux propositions et projets de loi, mais nous estimons que ces mesures nouvelles pourront participer à l’avancement du processus. La privatisation est une question clé pour développer la modernisation de l’économie roumaine. Bien sûr, nous ne la considérons pas comme un but en soi, mais comme un moyen pour forger une économie plus dynamique, plus flexible et plus compétitive. Toutes les forces politiques soutiennent en général le principe de la privatisation. Certes, comme dans tout système démocratique, les aspects pratiques sont sujets à de vives discussions, mais cela participe de la pratique politique normale.

M. GÜNER (Turquie)

Monsieur le Président, permettez-moi de vous féliciter pour votre excellent exposé. Nous suivons avec beaucoup d’intérêt les problèmes relatifs au marché libre. Je voudrais savoir quelles sont les mesures envisagées pour attirer en Roumanie davantage de capitaux et d’investissements étrangers.

M. Iliescu, Président de la Roumanie

Parmi les premières lois promues par le Conseil provisoire de l’unité nationale au début de l’année 1990 figurait un texte portant sur l’encouragement des investissements étrangers dans l’économie roumaine. Plus récemment, il y a deux ou trois mois, le parlement a voté une nouvelle loi pour leur assurer de nouvelles facilités. Une autre loi enfin concerne les zones franches. Nous voudrions développer cette activité, tout en prenant en compte l’expérience acquise en la matière par la Turquie ou par d’autres pays qui offrent des avantages à l’investissement étranger. Nous travaillons en ce sens.

Au total, les dispositions législatives de la Roumanie sont comparables à celles des pays voisins. Des flux positifs commencent à être enregistrés, les formes de coopération, les joint ventures, se multiplient, plus de 30 000 entreprises bénéficient de capitaux mixtes roumains ou étrangers ou de capitaux à 100% étrangers, lesquels viennent d’Europe mais aussi d’Amérique, du Japon et de Corée du Sud. Nous sommes optimistes quant au développement de cette forme de coopération dans un proche avenir.

M. PINI (Suisse)

Monsieur le Président, dans l’esprit de votre discours, je me permets de vous poser une question d’ordre économique et financier concernant votre pays et le nôtre.

Vous savez que, dans le cadre de l’aide financière attribuée par la Suisse aux pays d’Europe centrale et orientale après 1989, mon pays a accordé à la Roumanie une aide complémentaire d’environ vingt- cinq millions de francs suisses. Je crois savoir que la Roumanie manque surtout de structures sanitaires et hospitalières. Cette aide complémentaire est-elle épuisée? Quelle a été sa destination?

M. Iliescu, Président de la Roumanie

Je ne peux pas fournir de réponse précise à votre question. Je ne suis ni le chef de l’exécutif de la Roumanie ni le responsable de son système financier.

Nous vous sommes reconnaissants pour cette aide. L’année dernière, à Zurich, j’ai rencontré un grand nombre de représentants des banques suisses. Selon les informations dont je dispose, des progrès ont été accomplis, notamment en ce qui concerne la coopération directe entre le système bancaire roumain et celui de la Suisse. Nous avons ainsi demandé des conseils pour la réorganisation du système bancaire roumain.

En ce qui concerne votre aide, je sais qu’il existe des programmes concrets du gouvernement, du ministère de la Santé et d’autres ministères, afin de l’utiliser. Toutefois, je ne suis pas en mesure de vous fournir immédiatement des informations précises sur ce point. Nous pourrons vous les faire parvenir.

Je sais que des rencontres ont eu lieu, en vue de coordonner le programme de réformes économiques engagé en Suisse, entre le ministre d’Etat et un grand nombre de représentants économiques et financiers helvétiques. Il existe des intérêts communs dans la mise en œuvre de cette réforme. Nous avons participé activement au Forum international de Davos et de Crans-Montana. Nous avons organisé ensemble une réunion similaire à Bucarest où de nombreux responsables économiques du système financier et bancaire ont pu se rencontrer. Je pense qu’il existe maintenant un climat de coopération favorable au développement de ces relations.

M. MASSERET (France)

Monsieur le Président, vous nous avez fait part de votre souci d’engager l’économie roumaine dans l’espace économique européen. Une conférence importante s’est tenue récemment à Bucarest, qui réunissait des chefs d’entreprises d’Europe centrale et orientale. Elle était organisée et présidée par M. Volski, ancien rédacteur en chef adjoint de la revue économique de l’ex-parti communiste de l’Union Soviétique, qui dans ses conclusions a indiqué le chemin à suivre pour la Roumanie.

Selon lui, il consiste à intégrer l’espace économique qui se constitue autour de la Russie. Peut-être s’agit-il de reconstituer, en tout ou en partie, le Comecon.

Monsieur le Président, souhaitez-vous l’intégration de votre pays dans l’économie européenne ou l’intégration dans l’espace économique qui se constitue autour de la Russie? Ou les deux à la fois, si cela est possible?

M. Iliescu, Président de la Roumanie

J’ai mentionné dans mon exposé que toutes ces initiatives régionales visant l’espace de la mer Noire, l’espace du Bassin danubien, l’espace centre-européen, donc les pays ayant des relations traditionnelles de partenariat économique, ne doivent pas être considérées comme des alternatives à l’intégration européenne générale, mais au contraire comme des facteurs favorisant la mise en place des fondements économiques nécessaires à tous ces Etats pour s’intégrer dans l’espace général européen.

Je pense que des efforts doivent être réalisés par toutes les parties, en tout cas par les principales composantes du continent – les pays de l’espace ouest-européen et ceux du centre et de l’est-européen – pour réduire le fossé apparu sur le plan économique entre les pays du centre et de l’est de l’Europe et ceux de l’ouest, plus développés. Sinon, il pourrait en résulter des tensions sur le continent.

Une réunion a été organisée par les hommes d’affaires des pays de l’espace de l’ancienne Union Soviétique et des pays du centre de l’Europe. Ils se sont interrogés sur les possibilités de réactiver les relations bilatérales et multilatérales dans cet espace, en tenant compte de la tradition, mais sans aller à rebours de la tendance générale ni des aspirations de tous ces Etats à l’intégration dans l’espace européen et, en ce qui nous concerne, dans l’Union européenne. J’ai mentionné tout cela dans mon exposé.

LE PRÉSIDENT

Nous en venons à une série de questions sur l’Etat de droit. Monsieur le Président, je souhaiterais que vous y répondiez brièvement, car trente et un de mes collègues veulent encore vous interroger. La parole est à M. König.

M. KÖNIG (Autriche) (traduction)

Monsieur le Président, en tant que rapporteur de l’Assemblée pour la Roumanie, je tiens ici à vous remercier personnellement d’avoir, sur ma demande, gracié les huit jeunes gens d’origine hongroise qui avaient été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement au moment de la révolution. C’est véritablement un acte admirable, un geste de réconciliation.

Comme vient de le souligner le Président Martinez, la dictature a laissé en Roumanie de profondes blessures qui ne pourront cicatriser avant longtemps. Pour surmonter ses difficultés, votre pays peut compter sur notre aide, et c’est dans cet esprit que j’aimerais vous demander, Monsieur le Président, si vous êtes disposé à user de votre autorité pour que les propositions du Gouvernement roumain concernant la nomination des juges à la Cour européenne des Droits de l’Homme au titre de la Roumanie passent, conformément à la Constitution, devant le parlement pour permettre aux partis d’opposition de participer au débat.

M. Iliescu, Président de la Roumanie

En ce qui concerne la nomination des candidats roumains à la Cour européenne des Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, le Gouvernement roumain a réuni les conditions prévues par vos statuts. Sur la base de l’avis du Conseil supérieur de la magistrature, le gouvernement a élu trois candidats, proposés au Conseil de l’Europe.

Je n’ignore pas que des objections ont été formulées dans les rangs de la délégation parlementaire sur les propositions nominales, voire sur la procédure. En effet elle n’était pas conforme à celle recommandée par le Conseil de l’Europe. Cependant le gouvernement est prêt à discuter avec la délégation et avec le parlement, afin de trouver une solution commune. C’est à nous de régler cela chez nous.

M. FRANCK (Suède) (traduction)

Dans une de ses recommandations, le Conseil de l’Europe a invité la Roumanie à «reconsidérer favorablement la question de la libération des personnes détenues pour des motifs politiques ou ethniques». Je citerai, à titre d’exemple, le cas de M. Geresznye, d’origine hongroise, qui est maintenu en détention depuis quatre ans. Monsieur le Président, vous aviez vous- même, comme votre Premier ministre, promis de gracier M. Geresznye. Avez-vous l’intention d’user de votre droit constitutionnel pour lui accorder sa grâce ainsi qu’à plusieurs autres détenus, dont le cas avait été à l’origine de la recommandation du Conseil de l’Europe?

M. Iliescu, Président de la Roumanie

Personnellement, j’ai utilisé les droits que la Constitution donne au président pour gracier les huit personnes condamnées à la suite des événements de décembre 1989, pour des crimes jugés par des tribunaux à ce moment-là.

En ce qui concerne M. Geresznye, il était accusé pour des faits accomplis en mars 1990. Sans doute vous en souvenez-vous, on a pu voir dans toute l’Europe, dans les mass media, et même au plan mondial, une scène, au centre de la ville de Tîrgu Mure§: une personne était agressée sur la place centrale par des gens violents et tout le monde a été informé que les «barbares» roumains avaient agressé un «Hongrois» sur cette place. Or, ce Hongrois était un Roumain et celui qui était présenté à l’opinion publique était M. Geresznye, accusé par le tribunal pour cette tentative de crime.

La Cour suprême a jugé le recours introduit et l’a rejeté. Dans ces conditions, il ne m’était pas possible d’intervenir dans une décision de la Cour suprême de Roumanie. C’est la pratique démocratique des relations entre les pouvoirs.

Il y a des prévisions, d’un point de vue légal, pour aboutir à des mesures en vue d’un recours extraordinaire. En 1996, il serait possible d’obtenir la libération conditionnelle. Ces questions relèvent du pouvoir judiciaire. En tant que Président, je n’ai pas la possibilité d’intervenir après la décision de la Cour suprême.

M. RATHBONE (Royaume-Uni) (traduction)

Monsieur le Président, comment pouvez-vous garantir que l’engagement en matière de démocratie, de liberté d’opinion et de presse de vos ministres est à l’image du vôtre, sachant que certains membres du gouvernement actuel occupaient les mêmes postes sous le régime de M. Ceausescu.

M. Iliescu, Président de la Roumanie (traduction)

Je ne connais personne ayant occupé un poste identique dans le gouvernement Ceausescu. Ën ce qui concerne les médias, il n’y a aucune restriction juridique ou politique à leur liberté. En outre, nous nous portons garants de la liberté de la presse et de l’information. Je ne pense pas non plus qu’il y ait des problèmes en matière de liberté d’opinion au sein de la population.

M. ESPERSEN (Danemark) (traduction)

L’ancien Code pénal roumain, en totale violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme, punissait de lourdes peines d’emprisonnement les relations homosexuelles. Malgré les modifications apportées à la législation, nous continuons à recevoir des plaintes pour persécution et harcèlement de la part des autorités roumaines. Je ne sais pas dans quelle mesure ces allégations sont fondées. Je ne porte d’accusation envers personne, je me contente de les rapporter. J’aimerais que le Président Iliescu me donne son assurance que ces peines et ces persécutions n’ont plus cours actuellement. J’aimerais en outre savoir si les personnes purgeant des peines de prison ont été libérées depuis que la législation a été modifiée.

M. Iliescu, Président de la Roumanie

Cette question est liée, dans les prévisions, à divers changements à apporter au Code pénal. Elle fait l’objet de discussions au Sénat. Il appartiendra au parlement de trancher, après discussion dans les deux chambres.

Parmi les cas mentionnés, notamment par Amnesty International, il en est un qui concerne le viol de mineurs. Certains cas ont aussi été la source de dérèglements de l’ordre social. Des projets de loi prévoient des mesures pénales. En tout cas, je pense que sur le plan législatif le parlement réglera ce problème.

Il faut vous dire ouvertement que, dans l’opinion publique roumaine, il n’existe pas de grande sympathie pour les homosexuels et leurs mouvements. Les positions prises par les Eglises, par exemple, sont assez bien reçues par la grande majorité de la population roumaine. Mais nous sommes contre le fait que ces problèmes soient réglés par des mesures administratives et pénales. Ils doivent surtout être abordés par des mesures éducatives et médicales.

M. GRAU (Espagne)

Monsieur le Président, il semble que les autres partis de votre pays veulent interdire l’Union démocratique hongroise.

Or, vous avez accepté la résolution du Conseil de l’Europe relative aux minorités, qui est contre l’intolérance, la xénophobie, le racisme.

Pouvez-vous nous indiquer comment vous allez agir pour que ces partis n’empêchent pas l’Union démocratique hongroise de vivre?

M. Iliescu, Président de la Roumanie

C’est une question qui concerne l’opinion des personnes ou des groupes.

Bien sûr, certaines opinions ont été exprimées, même publiquement, sur l’existence des partis ethniques afin de savoir s’ils répondent aux principes démocratiques. Il existe des positions particulières qui ne sont pas celles officielles du parlement, du gouvernement ou des instances de l’Etat. Dans d’autres pays, on se demande s’il est possible dans le contexte démocratique d’avoir des partis politiques reposant sur le principe ethnique. C’est une question nouvelle.

M. ATKINSON (Royaume-Uni) (traduction)

Monsieur le Président, quand je suis venu vous rendre visite en juin 1993, avant le débat sur l’admission de la Roumanie au Conseil de l’Europe, je vous avais fait part de ma préoccupation au sujet de l’Eglise catholique uniate de Roumanie à qui l’on n’avait pas encore restitué les biens confisqués. Je crois que la situation n’a pas changé aujourd’hui. Malheureusement on constate actuellement une montée de l’intolérance vis-à-vis d’autres religions au sein de l’Eglise orthodoxe de Roumanie. Quelles nouvelles initiatives pourriez-vous proposer afin que la Roumanie remplisse son engagement de protéger la liberté de religion et de restituer les biens de l’Eglise uniate de Roumanie?

M. Iliescu, Président de la Roumanie (traduction)

Notre Constitution, assortie de mesures politiques pratiques, garantit à la fois la liberté d’expression, la liberté de religion et la liberté de culte. Nous avons créé un organe chargé de toutes les questions religieuses et nous assurons un dialogue permanent avec les Eglises. Ensemble, nous avons élaboré une nouvelle loi sur les Eglises, et nous travaillons de concert avec elles.

En ce qui concerne l’Eglise uniate, elle est apparue au xvne siècle. Interdite en 1946, elle avait vu une partie de ses biens confisqués au profit de l’Eglise orthodoxe. Ces deux Eglises ont des racines communes et ont toutes deux joué un rôle important dans l’histoire de la Roumanie. Le problème est double. Au début des années 90, le gouvernement a décidé de rétablir l’Eglise uniate dans ses droits, et tous les biens qui avaient été étatisés lui ont été restitués.

Mais en ce qui concerne les biens propres des Eglises, ils relèvent pour les uns de la juridiction de l’Eglise catholique, dont l’Eglise uniate fait partie, et pour les autres de la juridiction de l’Eglise orthodoxe. Or, dans le cas de l’Eglise catholique, toutes les décisions, y compris celles qui ont trait aux questions de patrimoine, sont prises par une administration centrale; l’Eglise orthodoxe, au contraire, fonctionne de manière décentralisée et l’Etat n’a aucun moyen d’intervenir dans la gestion du patrimoine, qui est partagée entre les différentes communautés. Le problème est donc délicat, et concerne essentiellement les relations entre les deux Eglises.

Je me suis souvent entretenu avec leurs représentants. L’Etat essaie d’apporter son aide en accordant le même salaire à tous les prêtres et en subventionnant la construction de nouveaux lieux de culte. Il subsiste cependant des différends fondamentaux entre l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe. Les fidèles considèrent qu’ils sont propriétaires des biens de l’Eglise. Il est difficile pour le gouvernement de trancher sur la délicate question de la propriété de ces biens.

LE PRÉSIDENT

Je suis désolé mais de toute évidence nous avons à peine le temps d’une ou deux questions de plus. Beaucoup de nos collègues seront frustrés car ils ne pourront s’exprimer. M. Demiralp étant absent, la parole est à M. Gjellerod.

M. GJELLEROD (Danemark) (traduction)

Nous connaissons tous les souffrances du peuple roumain, auxquelles M. Martinez faisait référence tout à l’heure, et nous savons que l’un de ses vœux les plus chers est de se tourner vers l’Europe. Pensez- vous que, tout en consolidant sa démocratie, la Roumanie pourra mettre à profit sa situation géographique et ses traditions culturelles pour devenir un pont entre l’Union européenne, la Russie et les pays riverains de la mer Noire?

M. Iliescu, Président de la Roumanie (traduction)

Nous essayons de tirer parti au mieux d’une situation géostratégique peu favorable. De grandes puissances telles que l’Empire ottoman, la Russie et l’Empire austro- hongrois se sont disputé le pays pendant des siècles, ce qui avait causé de graves problèmes. Mais je pense que l’évolution actuelle en Europe et dans le monde nous permettra de jouer de cette situation centrale entre l’Europe occidentale, la Russie, le Moyen-Orient, les pays riverains de la mer Noire et les pays méditerranéens, pour devenir un carrefour de la coopération entre tous ces pays. Nous travaillons dans cette direction à la fois pour assurer la stabilité de notre propre société et pour renforcer celle de la région, menacée par les conflits dans l’ex-Yougoslavie, dans l’ex-Union Soviétique — qui a envoyé quatorze régiments en Moldova — et dans le Caucase. Nous essayons de contribuer de manière constructive à la stabilité de la région ainsi qu’à la promotion d’une coopération à grande échelle, ce qui se situe dans le droit fil de la tendance actuelle d’intégration des anciennes économies dans le système mondial.

LE PRÉSIDENT

Le programme prévoyait une petite rencontre dans mon bureau avec les Vice-Présidents de l’Assemblée qui allaient ainsi avoir le plaisir de vous saluer. Cependant, vu la dimension sociale des questions suivantes, je pense qu’il est plus important d’entendre les questions de quatre autres collègues. Les Vice-Présidents vous salueront d’un peu loin mais il est plus intéressant de procéder ainsi. L’Assemblée vous en sera reconnaissante. La parole est à M. Cuco.

M. CUCO (Espagne)

J’aimerais questionner M. le Président de la Roumanie sur la situation actuelle de la minorité hongroise, après l’instauration de la démocratie en Roumanie.

Monsieur le Président, quels sont les changements réels qui sont survenus dans la situation des minorités, grâce à la nouvelle législation de la Roumanie? Pourriez-vous, brièvement, nous dresser un bilan de la situation passée et nous décrire quelles perspectives s’ouvrent pour un proche avenir?

M. Iliescu, Président de la Roumanie

Comme toujours, les problèmes des minorités sont délicats et différents d’un pays d’Europe à l’autre, en particulier dans cette zone. Tous les pays européens ont leurs minorités nationales et des ressortissants nationaux vivant sur le territoire d’autres pays.

Deux questions sont donc liées à celles que vous posez. Une question interne à chaque État qui consiste à se demander comment il règle ses relations avec ses citoyens, en incluant les minorités nationales. De ce point de vue, on trouve des pratiques assez différentes en Europe.

Nous avons dans notre Constitution un point précisant que toute réglementation européenne concernant les problèmes des droits de l’homme prévaut face à la réglementation interne, et que la Roumanie adopte les réglementations internationales.

Comme vous le savez, nous avons signé la convention relative à ces questions. Notre législation et notre Constitution offrent le cadre réglementaire afin de respecter les droits et les libertés des minorités nationales.

En ce qui concerne la minorité hongroise, je pense qu’elle bénéficie des plus grands droits et libertés possibles, en comparaison avec les autres minorités, et avec les législations, me semble-t-il, de presque tous les Etats européens.

La minorité hongroise a trente-neuf parlementaires au Parlement roumain, dans ses deux chambres. Toutes les autres minorités, même les plus petites, sont automatiquement représentées, en application de la Constitution, par un parlementaire. Elles sont aussi représentées dans tous les conseils élus au plan local. La minorité hongroise bénéficie d’un cadre institutionnel et d’une éducation dans le primaire, le secondaire et l’enseignement universitaire dans sa langue maternelle.

Il existe aussi des publications, des radios, des télévisions dans la langue des minorités.

Bien sûr, il y a et il y aura toujours des discussions concernant le perfectionnement nécessaire de la législation ou de la pratique concernant cette question. C’est une chose normale dans un cadre démocratique. Mais je pense qu’il n’y a pas d’opposition sur le fait d’aligner notre législation aux réglementations et critères européens.

Je serais très heureux si, par exemple, notre voisin, la Hongrie, avait les mêmes dispositions sur ce sujet, en ce qui concerne non seulement la minorité roumaine mais aussi les autres minorités, sur le plan tant politique que culturel ou éducatif.

La deuxième question concerne les relations entre Etats voisins confrontés au problème des minorités. Je vous ai déjà fait part, dans mon intervention générale, de notre point de vue sur cette question.

Je répète que nous vivons ensemble, que nous sommes voisins, nous avons une histoire commune depuis des siècles. Il est donc de l’intérêt de la Roumanie et de la Hongrie de vivre dans des conditions de bon voisinage. Et nous trouverons le langage nécessaire pour résoudre, avec notre expérience commune, les problèmes concernant les minorités dans nos deux pays.

M. BÄRSONY (Hongrie) (traduction)

Monsieur le Président, lors de l’adhésion de la Roumanie au Conseil de l’Europe, M. Melescanu, ministre des Affaires étrangères, s’était engagé devant cette Assemblée, en votre nom et en celui du Gouvernement roumain, à garantir l’application, dans la législation et dans la pratique, de la Recommandation n° 1201 (1993) relative à un protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l’Homme sur les droits des minorités nationales. Monsieur le Président, confirmez-vous cet engagement, et croyez- vous que la Roumanie doive à présent renforcer elle- même ces conditions librement acceptées?

M. Iliescu, Président de la Roumanie

Je ne pense pas qu’il y ait de problème de ce point de vue.

Comme je l’ai déjà mentionné, notre Constitution prévoit que toutes les réglementations internationales contenues dans les conventions et dans les chartes européennes, sur lesquelles nous nous alignons, prendront le pas sur la législation interne roumaine. Et nous le faisons en pratique.

Bien sûr, des discussions auront toujours lieu sur le point de savoir comment perfectionner toutes ces dispositions. En la matière, il n’y a aucune difficulté pour nous et nous n’avons aucun motif de faire un complexe si l’on analyse les différentes réglementations européennes relatives aux questions des minorités. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de pays qui pourront s’aligner sur la pratique roumaine en l’espèce.

En effet, vous savez que bien des pays européens considèrent comme seul critère celui de la citoyenneté, allant jusqu’à exclure l’idée de minorité nationale. Ainsi, pour la France, le principe dominant de sa Constitution et de sa législation est celui de la citoyenneté. Les Français sont ceux qui sont citoyens de la France. Il n’est pas admis de traitement différent pour les minorités. Mais quelle est la meilleure solution? Je ne le sais pas.

Cela étant, en Roumanie, nous essayons de traiter la question des minorités nationales en tenant compte de notre spécificité, de nos traditions culturelles, liées à l’histoire. Dans ce contexte, nous examinons les différents critères généraux européens. Cependant, ces critères ne peuvent pas imposer des mesures uniques pour tous les pays. Les différents Etats européens ont trouvé des solutions qui sont souvent éloignées les unes des autres. Il s’agit de questions internes et chaque Etat s’efforce de trouver les meilleurs remèdes.

M. BUGLI (Saint-Marin) (traduction)

Monsieur le Président, on a déjà répondu à la question que je voulais poser concernant la minorité hongroise; par conséquent, je la retire.

Sir Russell JOHNSTON (Royaume-Uni) (traduction)

Selon les Dernières Nouvelles d’Alsace de ce matin, M. Iliescu aurait déclaré lors d’une interview qu’il faudrait encourager M. Milosevic, tout en laissant entendre qu’il était un «pacificateur». Même si nous étions disposés — et je ne le suis pas — à minimiser le rôle personnel que ce dernier joue dans les affaires internes de la Bosnie, il n’en resterait pas moins indiscutable qu’il contrôle le Kosovo, où 90 % d’Albanais souffrent de la répression exercée par 8 % de Serbes. Monsieur le Président, comment pouvez-vous vous associer à un individu responsable de telles violations des droits de l’homme?

M. Iliescu, Président de la Roumanie (traduction)

Je ne m’associe à aucun homme politique étranger. Je ne m’associe pas à M. Milosevic. Je me contente d’évoquer des faits. La décision de M. Milosevic concernant les relations avec les Serbes de Bosnie constitue un pas important dans la résolution politique et pacifique du problème clé du conflit yougoslave. C’est pourquoi je pense qu’il fallait appuyer une initiative qui ouvrait de telles perspectives, initiative qu’avait d’ailleurs encouragée le Conseil de sécurité, ce dont je me félicite.

J’ai rencontré à New York M. Izetbegovic, Président de la Bosnie, qui a lui-même jugé positive cette initiative, car elle a valeur de reconnaissance de l’Etat bosniaque; et dans ce contexte, on pourrait appuyer la levée des sanctions contre la Serbie.

M. Izetbegovic a même suggéré devant l’Assemblée des Nations Unies de prolonger de six mois l’embargo sur la fourniture d’armes à la Bosnie. Il s’agit d’un problème délicat qui nécessite une approche réaliste, et nous pensons qu’il faut prendre en considération chaque pas qui pourrait mener à y trouver une solution politique et pacifique, qu’il vienne du pays même ou bien de l’étranger.

LE PRÉSIDENT

Nous devons malheureusement clore ce débat. Beaucoup de collègues seront terriblement déçus et frustrés, mais tel est le sort du parlementaire.

J’invite tous les membres de cette Assemblée à se rendre dans le hall pour assister à la cérémonie au cours de laquelle le chef de l’Etat roumain remettra un cadeau au Conseil de l’Europe.