Doc. 9822
3 juin 2003

Trafic d’organes en Europe Rapport


Commission des questions sociales, de la santé et de la famille

Rapporteuse : Mme Vermot-Mangold, Suisse, SOC

Résumé

      Le succès des transplantations d’organes ne se dément pas, tandis que se creuse nettement l’écart entre l’offre et la demande. En raison de la pénurie chronique d’organes, 15 à 30 % des patients inscrits sur les listes d’attente décèdent avant d’avoir pu bénéficier d’une greffe. Les organisations criminelles internationales ont repéré ce « créneau » lucratif et font pression sur des personnes en situation de pauvreté extrême, particulièrement dans les pays d’Europe orientale, pour les inciter à vendre leurs organes.

      Cette situation soulève plusieurs questions d’ordre éthique : convient-il que les pauvres pourvoient à la santé des riches ? La pauvreté peut-elle être soulagée au prix de la santé humaine ? La pauvreté peut-elle compromettre la dignité humaine et la santé ?

      Le trafic d’organes – à l’instar de la traite des êtres humains et du trafic de drogue – est déterminé par la demande. Les pays d’Europe orientale ne peuvent assumer, à eux seuls, la responsabilité de la lutte contre ce type de criminalité. Les tendances récentes dans certains pays d’Europe occidentale en faveur de lois laxistes, autorisant plus facilement le don d’organes par des donneurs vivants non apparentés aux receveurs et donc d’abus, soulèvent de graves inquiétudes.

      L’Assemblée fait appel au Conseil de l’Europe pour concevoir, en collaboration avec les organisations compétentes, une stratégie européenne de lutte contre le trafic d’organes, et pour envisager l’élaboration d’un protocole additionnel à la future Convention européenne sur la lutte contre la traite des êtres humains. Par ailleurs, elle recommande que tant les pays dits « donneurs » que ceux dits « receveurs » prennent un certain nombre de mesures concrètes afin de diminuer le risque de trafic d’organes en Europe.


I.       Projet de recommandation

1.       Les progrès rapides de la médecine et de la technologie ont converti les transplantations d'organes, et les greffes de reins en particulier, en interventions médicales de routine pratiquées par les hôpitaux du monde entier. La plupart des programmes de transplantation d'organes atteignent à 70% des taux de survie de cinq ans, ce qui engendre une rapide augmentation de la demande de dons d'organes.

2.       La recherche médicale a démontré qu'une greffe de rein augmente les chances de survie des patients. L'obtention d'organes à partir de donneurs décédés, mais surtout de donneurs vivants, est très limitée et strictement réglementée en Europe. Rien qu'en Europe occidentale, 120 000 patients sont régulièrement en dialyse, et près de 40 000 patients attendent une greffe de rein. En raison de la pénurie chronique d'organes, de 15 à 30% des patients inscrits sur les listes d'attente décèdent avant de pouvoir être greffés. Le délai pour obtenir une greffe est d'environ 3 ans actuellement, et devrait atteindre près de 10 ans en 2010.

3.       Les organisations criminelles internationales ont repéré ce "créneau" lucratif généré par le décalage entre l'offre et la demande d'organes, et accentuent la pression sur des personnes en situation de pauvreté extrême pour les inciter à vendre leurs organes.

4.       A l'échelle de la planète, le trafic d'organes n'est pas un problème nouveau. Dans les années 1980, des experts ont commencé à remarquer une pratique baptisée par la suite "tourisme de transplantation": de riches Asiatiques se rendaient en Inde et dans d'autres régions du sud-est asiatique pour obtenir des organes de donneurs pauvres. Depuis, d'autres destinations ont vu le jour, telles que le Brésil et les Philippines. Selon certaines allégations, la Chine ferait commerce des organes prélevés sur les détenus exécutés. La vente d'organes se poursuit en Inde malgré les nouvelles lois du pays, qui rendent cette pratique illégale dans la plupart des régions.

5.       Si les estimations actuelles suggèrent que le commerce illicite d'organes se maintient à un niveau relativement modeste en Europe, ce problème ne perd rien de sa gravité, car il est très probable qu'avec les nouveaux progrès de la médecine, le décalage entre l'offre et la demande d'organes continuera de se creuser.

6.       La pauvreté a poussé des jeunes gens de certaines régions d'Europe orientale à vendre un de leurs reins pour 2 500 à 3 000 USD, alors que les receveurs verseraient de 100 000 à 200 000 USD pour la greffe. Il est très préoccupant de constater qu'après la transplantation illicite, l'état de santé du donneur se dégrade généralement à moyen terme faute de tout suivi médical, et à cause de leur travail physiquement éprouvant doublé d'un mode de vie malsain caractérisé par une malnutrition et une forte consommation d'alcool. La plupart des donneurs illicites risquent donc, à terme, de vivre sous dialyse ou d'attendre eux-mêmes une greffe de rein.

7.       Cette situation soulève plusieurs questions d'ordre éthique: convient-il que les pauvres pourvoient à la santé des riches? La pauvreté peut-elle être soulagée en échange de la santé humaine? La pauvreté peut-elle compromettre la dignité humaine et la santé? Et, sur le plan de l'éthique médicale, l'aide aux receveurs peut-elle être apportée au détriment des donneurs, et en négligeant ces derniers?

8.       C'est pourquoi l'Assemblée condamne la tendance de certains pays d'Europe occidentale à adopter des lois laxistes qui autorisent plus facilement le don d'organes par les donneurs vivants non apparentés aux receveurs.

9.       Le trafic d'organes, à l'instar de la traite des êtres humains et du trafic de drogue, est déterminé par la demande. Les pays d'Europe orientale ne peuvent pas assumer seuls la responsabilité de la lutte contre ce type de criminalité. Parmi les mesures que tous les Etats membres devraient prendre pour limiter autant que possible l'incidence du trafic d'organes en Europe, on peut citer à titre d'exemples : la réduction de la demande, la promotion plus efficace du don d'organes, le

maintien d'une législation stricte dans le domaine des donneurs vivants non apparentés avec les receveurs, les mesures visant à assurer la transparence des registres nationaux et des listes d'attente, la définition d'une responsabilité légale des professions médicales dans la recherche des irrégularités et le partage des informations.

10.       Par conséquent, l'Assemblée rappelle la Recommandation n° R(97)16 du Comité des Ministres sur la transplantation du foie prélevé sur des donneurs vivants apparentés, et la Recommandation  Rec(2001)5 sur la gestion des listes d'attente et des délais d'attente en matière de transplantation d'organes, et se félicite du projet de recommandation sur les registres de donneurs d'organes.

11.       Le principe selon lequel le corps humain et ses divers éléments ne peuvent en tant que tels faire l'objet de bénéfices fait partie des «acquis» juridiques du Conseil de l'Europe. Ce principe, qui figurait déjà dans la Résolution (78) 29 du Comité des Ministres et qui a, en particulier, été confirmé par la déclaration finale de la 3e Conférence des ministres de la Santé (Paris, 1987), a été consacré par l'Article 21 de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine. Ce principe a été réaffirmé dans son Protocole additionnel relatif à la transplantation d'organes et de tissus d'origine humaine (ouvert à la signature en janvier 2002).

12.       Alors que l'interdiction du trafic d'organes est légalement établie dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, il existe encore dans la plupart des pays des lacunes juridiques en la matière. Rares sont les Codes pénaux nationaux dans lesquels la responsabilité pénale pour le commerce d'organes est clairement spécifiée. La responsabilité pénale doit concerner les fournisseurs, les intermédiaires, le personnel hospitalier/infirmier et les techniciens de laboratoire impliqués dans la procédure de transplantation illégale. Le personnel médical qui encourage et favorise le « tourisme de transplantation » doit aussi être tenu responsable. Le personnel médical qui participe au suivi des patients ayant acheté des organes doit être tenu responsable s'il ne prévient pas les autorités sanitaires.

13.       Tout comme la plupart des activités criminelles, le trafic d'organes est difficile à démontrer. Les médias ne devraient pourtant pas être les seuls à mener les enquêtes. Les Etats membres ont la responsabilité commune de s'attaquer ouvertement à ce problème au plan national mais aussi, par le biais de la coopération multilatérale à l'échelle européenne, grâce à la collaboration des ministères de la santé, de l'intérieur et de la justice.

14.       Compte tenu de ce qui précède, l'Assemblée recommande que le Comité des Ministres:

(i)       invite tous les Etats membres à:

(ii)       engage les Etats membres à intensifier leur coopération sous les auspices d'Interpol et d'Europol afin d'améliorer l'efficacité de la lutte contre le problème du trafic d'organes, et à augmenter les crédits correspondants accordés à ces deux agences, ce qui est tout aussi déterminant, car toutes deux disposent de moyens financiers et humains extrêmement faibles dans ce domaine;

(iii)       invite les pays dits « donneurs » à:

(iv)       invite les pays dits « receveurs » à:

(v)       charge les organes pertinents du Conseil de l'Europe:

(vi)       use de son influence, par le biais d'une coopération régionale plus spécifique en Europe du sud-est, pour élargir les activités du Groupe d'action du Pacte de stabilité sur la traite des êtres humains (Table III) afin d'y inclure le problème du trafic d'organes;

(vii)       appelle tous les Etats membres à faire jouer la solidarité européenne en faveur des pays d'Europe orientale les plus durement frappés par le cercle vicieux de la pauvreté et de les assister, en collaboration avec les établissements financiers internationaux et la communauté internationale des donateurs, dans la conception de mesures susceptibles de réduire la pauvreté et de générer un environnement financier sûr, propice aux investissements.

II.       Exposé des motifs par Mme Vermot-Mangold

Introduction

1.       Lors de la préparation du présent rapport, la Commission des questions sociales, de la santé et de la famille a organisé plusieurs auditions avec des experts, à Bucarest, en mai 2002, et avec le secrétariat de la Division de la bioéthique du Conseil de l'Europe, la Division du droit pénal et de la justice pénale, et la Division de la santé, en juin 2002. En septembre 2002, la Commission a eu un échange de vues avec un représentant d’Europol et, en octobre 2002, la Rapporteuse s’est rendue en Moldova.

2.       Au cours de sa mission d’enquête, elle a rencontré des personnes qui ont vendu leurs reins par l’intermédiaire de réseaux de trafiquants qui opèrent entre la Moldova, la Turquie, l’Ukraine et Israël. Mme Vermot-Mangold a soulevé avec les autorités moldaves la question du trafic illégal d’organes, de la corruption et de la détérioration des soins de santé. Elle a également rencontré des représentants de la Banque mondiale, de l’OSCE et des donateurs, avec lesquels elle a évoqué les initiatives qu’ils prennent actuellement avec le gouvernement dans le but de briser le cycle de la pauvreté dans le pays. La rapporteuse est consciente que plusieurs autres pays d’Europe de l’Est sont confrontés à des problèmes similaires et que le trafic d’organes est donc un problème régional, sinon européen.

3.       En janvier 2003, la Commission s’est entretenue avec le professeur Wolf, chef du service de chirurgie générale et des transplantations de l’Hôpital de Hautepierre, à Strasbourg.

Transplantation d’organes : l’offre et la demande

4.       Avec les progrès rapides de la médecine et des techniques médicales, les transplantations d’organes, et plus particulièrement de reins, sont devenues pratique habituelle dans les hôpitaux du monde entier. Pour la plupart des programmes de transplantation, le taux de survie à cinq ans atteint les 70 %1, ce qui entraîne une augmentation rapide des demandes de dons d’organes.

5.       Grâce aux techniques modernes de conservation des organes et aux avancées réalisées dans le domaine de l’immunosuppression, une proportion significative de malades peut désormais escompter survivre longtemps avec une très bonne qualité de vie. Pour ce qui est de la gestion des coûts de santé, les greffes de reins sont, par exemple, moins coûteuses que le traitement permanent par dialyse, ce qui amène les gouvernements et les compagnies d’assurance à soutenir de plus en plus les programmes de transplantation et de don d’organes.

6.       En Europe, le prélèvement d’organes sur les personnes décédées et, plus encore, sur des donneurs vivants, dans le cas des transplantations rénales, est très limité et strictement contrôlé. L’Europe de l’Ouest compte actuellement 120.000 patients sous dialyse et pratiquement 40.000 patients en attente d’une greffe de rein2. En raison de la pénurie chronique d’organes, 15 % à 30 % des patients décèdent alors qu’ils sont sur liste d’attente. En réalité, ce chiffre est encore plus élevé, car seuls les patients présentant les meilleures chances de supporter la transplantation sont placés sur ces listes d’attente.

Trafic d’organes

7.       Ces dernières années, des organisations criminelles européennes se sont rendues compte que cet écart entre l’offre et la demande constitue un créneau très lucratif et se sont mises à exercer une pression croissante sur les personnes vivant dans une grande pauvreté pour qu’elles se résolvent à vendre leurs organes. Les lacunes des législations pénales nationales et le manque d’efficacité des mécanismes de répression de cette forme relativement nouvelle de trafic montrent qu’il est urgent d’agir aux niveaux national et international.

8.       Si le commerce illégal d’organes reste pour l’instant assez limité en Europe, d’après les estimations actuelles, la question n’en est pas mois préoccupante, car il est fort probable que les progrès de la médecine continueront de creuser l’écart entre l’offre et la demande d’organes.

9.       Le commerce d’organes n’est pas un phénomène si récent au niveau mondial. Dès les années 1980, des experts ont vu apparaître ce qu’on allait appeler le « tourisme de transplantation », lorsque de riches Asiatiques ont commencé à se rendre en Inde et dans d’autres pays du Sud-Est asiatique pour se faire greffer des organes prélevés sur des donneurs pauvres. Depuis, d’autres filières se sont ouvertes, du Brésil aux Philippines. Selon certaines allégations3, la Chine ferait commerce des organes prélevés sur les détenus exécutés. En Inde, les ventes d’organes se perpétuent, en dépit de nouvelles lois qui rendent ces pratiques illégales dans la plupart des Etats.

10.       Dans un article récent4, le professeur Friedlaender analyse la situation à la clinique de transplantation rénale du Centre hospitalo-universitaire Hadassah de Jérusalem et souligne la situation désespérée des malades condamnés à la dialyse à vie et qui, en l’absence de possibilités de transplantation à Jérusalem, sont allés en Inde ou en Irak se faire greffer des reins achetés à des donneurs vivants avec lesquels ils n’avaient aucun lien de parenté :

"… les transplantations réalisées en Inde sont une réussite, mais il apparaît aussi que les patients ne sont ni sélectionnés, ni préparés pour ces transplantations, qui coûtent environ 15.000 USD, voyage compris. Après la guerre du Golfe, Bagdad est devenue une destination plus proche et meilleur marché (7.000 USD) et nous avons rendu compte de l’état des 80 premiers receveurs de greffes de reins pratiquées en Irak admis dans notre centre. Là encore, les patients n’avaient pas été sélectionnés et nos collègues de Cisjordanie nous ont indiqué que nombre de leurs patients se rendent en Irak, contre leur avis, dans la semaine ou les quinze jours suivant le début de leur traitement par dialyse. Le taux de survie à un an de ces patients non préparés était de 85 %, ce qui est plus que le taux enregistré dans le cadre de notre programme de transplantation de reins prélevés sur des donneurs morts. Cependant, la mortalité à un an était de 10 % supérieure au taux jugé acceptable pour la plupart des programmes de transplantation modernes, trahissant plutôt une sélection insuffisante des patients qu’une mauvaise qualité du traitement. »

Il poursuit avec la situation en Europe de l’Est:

« …Les patients juifs se sont rendus compte que les patients arabes ne venaient plus aux séances de dialyse. Mais pour les Juifs, il n’est pas recommandé de se rendre en Irak. L’équipe chirurgicale du Rabin Medical Center de Tel Aviv a alors contourné la loi en pratiquant des transplantations de reins provenant de donneurs sans lien de parenté avec les malades vivant dans des pays accessibles, comme l’Estonie, la Bulgarie, la Turquie, la Géorgie, la Russie et la Roumanie. Cette équipe a dû mettre fin à ses pratiques dans plusieurs de ces pays après des campagnes de protestation nationales et internationales ; elle a néanmoins continué à prospérer. Les donneurs rétribués sont recrutés localement ou, dans certains cas, sont emmenés par avion privé avec des groupes de patients israéliens. Ces patients paient environ 200.000 USD pour ces prestations. Environ 26 de nos patients juifs ont suivi cette filière, en s’endettant parfois lourdement. Dans certains cas, ils ont réuni les fonds nécessaires par le biais d’associations privées créées dans ce but. Ces transactions bénéficient maintenant d’une reconnaissance semi-officielle de la part du ministère de la Défense, qui prend en charge les frais de santé des vétérans, et par les compagnies d’assurance du secteur de la santé, qui remboursent 40.000 USD (le coût d’une greffe de rein en Israël) aux patients qui se font opérer à l’étranger. Ces compagnies savent pertinemment qu’une transplantation rénale coûte moins cher qu’un traitement à vie par dialyse. De manière générale, ces transplantations réussissent bien et les soins médicaux semblent conformes aux critères internationaux. Cependant, les patients doivent signer des accords de confidentialité et nous avons peu d’informations à ce sujet, car les médecins israéliens prétendent qu’ils ne font qu’accompagner leurs patients. Ceux-ci ignorent généralement l’identité des médecins locaux. »

et de conclure:

« Si mes reins venaient à ne plus fonctionner, j’opterais pour la transplantation à partir d’un donneur vivant. L’équipe du professeur Wolfe5 a montré que la transplantation rénale améliore le taux de survie des patients. Comparé au risque de mortalité des patients sous dialyse qui peuvent être transplantés mais pour lesquels aucun organe n’est disponible, le risque relatif de décès après transplantation est plus important dans les trois mois suivant l’intervention, mais au bout d’un an, il n’est plus que d’un tiers. De plus, le taux de survie à un an est plus élevé pour les transplantations effectuées à partir de donneurs vivants que celles faites à partir de donneurs cadavériques, avec une survie médiane (50 %) respective6 du greffon de 21,6 ans contre 13,8 ans. Depuis quelques années et en dépit de l’augmentation considérable du nombre de patients en attente d’un rein, le nombre de donneurs cadavériques et de donneurs vivants est pratiquement stable aux Etats-Unis. Le délai d’attente pour une transplantation, qui est actuellement d’environ 3 ans, atteindra pratiquement 10 ans d’ici 20107. Il n’est donc pas très surprenant de constater que le nombre de transplantations à partir de donneurs non apparentés augmentent rapidement aux Etats-Unis (USRDS8). Certains de ces donneurs sont payés très chers et importés de l’étranger. »

L'exemple de la Moldova

11.       Durant sa visite en Moldova, la Rapporteuse s'est entretenue avec plusieurs "donneurs" de rein, tous des jeunes gens de 18 à 28 ans vivant pauvrement dans des régions rurales du pays. La pauvreté les avait conduits à vendre un de leurs reins pour une somme comprise entre 2.500 et 3.000 dollars des Etats-Unis, alors que les receveurs auraient payé, paraît-il, entre 100.000 et 200.000 dollars. Il fallait parfois plusieurs mois pour que l'appariement donneur-receveur puisse se faire par analyse biochimique croisée d'échantillons sanguins. Les transplantations avaient lieu en Turquie, dans des locaux hospitaliers loués. Les "donneurs" étaient invités à signer un consentement écrit avant de recevoir toute information préalable. Dans certains cas, ils rencontraient le receveur avant l'opération, mais ces cas étaient rares. Les contrôles médicaux étaient effectués de nuit. La phase post-opérationnelle et le suivi médical ne duraient d'ordinaire pas plus de cinq jours avant que les "donneurs" ne soient renvoyés en autocar dans leur pays d'origine. Après l'opération, l'état de santé des "donneurs" avait tendance à se dégrader à moyen terme en raison de l'absence de toute forme de suivi médical, d'un travail physiquement éprouvant et d'un mode de vie malsain se caractérisant par une malnutrition et une forte consommation d'alcool.

12.       Le chef de l'Unité de dialyse de l'Hôpital des urgences de Chisinau a déclaré que la plupart des "donneurs" seraient tôt ou tard obligés de vivre sous dialyse ou d'attendre à leur tour une transplantation. Il a néanmoins constaté la qualité extrêmement professionnelle des actes de chirurgie en examinant quelques "donneurs" ayant vendu un rein en Turquie.

13.       La plupart des personnes avec lesquelles la Rapporteuse s'est entretenue vivent dans des conditions insalubres : sans eau courante, ni alimentation suffisante, ni chauffage en hiver. Certaines se sont servies de l'argent pour agrandir leur maison, aider des membres de leur famille, acheter une voiture d'occasion ou simplement se procurer de l'alcool. La majorité des enfants du voisinage ne vont pas à l'école faute de chaussures et de manuels scolaires.

14.       Dans une situation générale tellement marquée par la pauvreté et l'absence de perspectives d'un avenir meilleur, les adolescents se laissent facilement recruter sur de vagues promesses de voyage à l'étranger permettant de gagner de l'argent. Dans sa Recommandation 1526 (2001), l'Assemblée a déjà traité le grave problème du trafic de femmes et d'enfants en Moldova. Par comparaison, le trafic d'organes se produit à une échelle très modeste en raison de la nature extrêmement complexe de ce type de commerce illicite.

15.       Il ressort toutefois des entretiens que le trafic d'organes est à traiter comme un problème régional, car le recrutement de "donneurs" se pratique de façon analogue dans d'autres pays d'Europe orientale : Ukraine, Russie, Bulgarie, Roumanie, Géorgie, etc. Le trafic d'organes, qui semble très bien organisé et très mobile, passe par un réseau de "courtiers", de médecins qualifiés et de personnel infirmier spécialisé. Des liens étroits sont noués, d'autre part, avec des fonctionnaires de la police et des douanes pour la délivrance de passeports et le franchissement "sûr" des frontières.

16.       À la lecture d'un récent communiqué de presse 9concernant deux arrestations opérées en Moldova, la Rapporteuse a relevé un signe de progrès dans la lutte contre ce genre de crime organisé:"

      "Selon Eugen Vitu, Directeur du Service des relations publiques du ministère de l'Intérieur de Moldova, les individus mis en arrestation sont Ruslan Cecati, médecin à l'Hôpital clinique républicain, de Chisinau, et Roman Popusoi, habitant la ville de Cimislia, dans le comté de Lapusna. L'un et l'autre furent placés en détention préventive après avoir été dénoncés à la police par quelqu'un ayant pris part à un trafic : Youri Sobetchi, âgé de vingt-et-un ans. Celui-ci a déclaré à la police qu'en janvier et février 2002, deux autres hommes l'avaient persuadé de vendre un de ses reins pour 7.000 dollars, ce qui devait ensuite faire de lui un handicapé. Sobetchi fut emmené au Centre de diagnostic de la capitale pour y subir des analyses médicales. Une fois les résultats obtenus, on le transporta le 21 février 2002 en Turquie, où son rein gauche fut prélevé. Le receveur était un ressortissant de la Fédération de Russie vivant en Israël."

17.       Néanmoins, la plupart des "donneurs" ne font l'objet d'aucune enquête, et on leur enjoint - menaces à l'appui - de ne rien dire aux pouvoirs publics. Lors de sa visite en Moldova, la Rapporteuse a rencontré M. Clipa, Ministre adjoint de l'Intérieur, et M. Bejan, Directeur du Service de lutte contre le trafic d'êtres humains du ministère de l'Intérieur. Devant eux, elle a soulevé la question de la corruption et souligné la nécessité urgente de mettre en place des mécanismes en vue de lutter plus efficacement contre les activités criminelles dans ce pays.

18.       C'est au mois de mai 2000 que le ministère de l'Intérieur a créé en son sein le Service de lutte contre le trafic d'êtres humains. Après avoir commencé par éprouver des difficultés à rendre le problème du trafic également prioritaire dans plusieurs secteurs de l'État, le gouvernement a créé en novembre 2001 le Comité national pour la lutte contre le trafic d'êtres humains, donnant suite ainsi aux fortes pressions de la société civile comme de plusieurs organisations internationales, dont le Conseil de l'Europe. Ce comité est présidé par le Vice-Premier Ministre de Moldova, et l'on trouve parmi ses membres de hauts fonctionnaires du gouvernement ayant rang de vice-ministres. Des ONG nationales et des organisations internationales y bénéficient du statut de "partenaire-observateur". Trois groupes de travail ont été créés en son sein : Prévention et éducation ; Poursuites et pénalisation ; Protection des victimes et aide à la réadaptation ainsi qu'à la réinsertion. Il reste maintenant à voir dans quelle mesure on réussira, par cette initiative, à lutter contre la forte criminalité constatée dans le pays.

19.       Les travaux des ONG locales et internationales sont cruciaux en la matière. La Rapporteuse cite deux exemples : "La Strada", ONG internationale qui aide à la mise au point d'un système d'actions préventives et de sensibilisation des victimes potentielles, et "Civil Initiative", organisation de femmes ayant tenu une série d'ateliers sur le trafic, à l'intention des agents de la force publique.

20.       Lors d'un entretien avec la Rapporteuse, le Président de la Commission des questions juridiques du Parlement moldave a attiré l'attention de son interlocutrice sur la nécessité, pour le Conseil de l'Europe, d'apporter une assistance juridique aux tribunaux et aux juges moldaves afin d'améliorer, dans le pays, l'application des normes juridiques européennes et internationales en la matière. La Moldova a signé la Convention des Nations Unies contre le crime organisé international et son Protocole pour la prévention, la répression et la punition du trafic de personnes, en particulier les femmes et les enfants, et elle est en train de réviser son Code pénal. Sur le plan concret, les services de police judiciaire britanniques ont publié à l'attention des policiers et des garde-frontières moldaves un manuel qui s'est avéré utile aussi aux procureurs et aux tribunaux.

21.       M. Morei, Ministre de la Justice, a décrit les réformes juridiques précitées, que son ministère avait entreprises, mais a reconnu avec franchise les difficultés que l'on rencontre en Moldova dans l'application de la loi. L'insuffisance de la discipline au niveau des organes d'investigation, du parquet, de la prokuratura et de la police, ainsi qu'un dédain général pour le respect de la loi sont l'héritage de l'ère soviétique et ont été amplifiés au cours des dix dernières années par la précarité de la situation socio-économique. Il a énuméré les mesures qu'il envisageait de prendre à l'avenir pour vaincre ces difficultés : renforcer la discipline à tous les niveaux (du haut en bas de la hiérarchie), éclaircir les responsabilités de chaque poste et prendre des sanctions, instaurer l'égalité de traitement devant la loi indépendamment des fonctions, du pouvoir ou du statut des individus concernés ; enfin, tirer parti de l'expérience acquise dans d'autres pays, notamment pour ce qui est de la lutte contre le trafic d'êtres humains.

22.       M. Gherman, Ministre de la Santé, est conscient du problème que pose le trafic d'organes en Moldova et considère que les États membres ont la responsabilité commune de traiter ouvertement ce problème sur le plan national, mais aussi sur le plan européen, en attelant conjointement à la tâche les ministères de la santé, ainsi que les ministères de l'Intérieur et la justice. Si l'on veut résoudre ce problème, il faut s'y attaquer par la coopération internationale, y compris du côté de la demande, en levant le tabou qui pèse sur lui dans les pays dits "receveurs". Il a décrit aussi la situation difficile du secteur national des soins de santé, les réformes en cours et le partenariat institué avec l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour créer en Moldova un système d'assurances sociales destiné à alléger le fardeau qui pèse sur le budget national.

23.       Parallèlement à la détérioration des soins de santé, l'ensemble du secteur social est soumis à de fortes contraintes depuis l'éclatement de l'Union Soviétique. Le brusque enchérissement des produits énergétiques, dû au passage d'un système étatique à la fixation des prix par le marché international, d'une part, la chute non moins rapide des prix à l'exportation des produits internationaux, d'autre part, ont mis l'économie pratiquement au point mort, avec un taux de chômage supérieur à 50%. Le service de la dette laisse à l'État peu de ressources aux fins d'investissement. En outre, la Moldova - pays en transition - se trouve aux prises avec de graves problèmes de corruption, un manque de capacité institutionnelle et une vaste économie parallèle. Les extorsions de fonds pratiquées aux frais des petites et moyennes entreprises créent un environnement peu sûr pour les investissements étrangers. C'est pourquoi la pauvreté s'est accrue - avec un salaire moyen réduit à 30 dollars par mois -, frappant aussi bien les villes que les campagnes et entraînant l'émigration de très nombreux jeunes, qui ne voient que cette issue. En 2002, l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a dressé le constat suivant :

"Selon des estimations approximatives officieuses, 600.000 à 1.000.000 de ressortissants moldaves travaillent à l'étranger. Ils sont partis illégalement, avec des visas arrivés à expiration, sans permis de travail, et parfois sans le moindre papier d'identité."10

24.       Selon la Banque Mondiale11, la situation macro-économique de la Moldova s'est lentement améliorée au cours des trois dernières années, ce qui permet d'espérer en l'avenir. Le principal objectif de la Banque est de contribuer à atténuer la pauvreté et à favoriser une croissance durable. Avec cet objectif en vue, la Banque est associée au gouvernement moldave dans l'élaboration d'une "Stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté" que ledit gouvernement devrait adopter en mars 2003. Ce processus comprend un dialogue avec les milieux d'affaires, les syndicats, la société civile, la communauté des donateurs et d'autres institutions internationales de financement. On espère que la stratégie du gouvernement marquera un premier pas vers la rupture du cercle vicieux de la pauvreté et la création d'un environnement plus stable pour les investissements à venir.

Domaines d'action : réduire au minimum le risque du trafic d'organes

Ethiques professionnelles

25.       En octobre 2000, l'Association Médicale Mondiale (AMM) a adopté sa déclaration12 sur les dons et transplantations d'organes et de tissus, qui établissait divers principes concernant les questions suivantes : obligations professionnelles des médecins, valeurs phares, aspects sociaux de l'obtention d'organes et de tissus, obtention d'organes et de tissus au niveau des institutions et des individus, pour une décision libre et prise en toute connaissance de cause en cas de don d'organe, établissement du décès, équité dans l'accès aux organes et tissus, méthodes de transplantation expérimentales et en voie d'élaboration.

"(3)       L'AMM considère qu'en élaborant les politiques et protocoles relatifs au don et à la transplantation d'organes, il faut tenir compte de l'éthique médicale sous-jacente à l'exercice de la médecine et aux relations patient-médecin. L'éthique médicale a trait aux devoirs qui incombent au médecin en ce qui concerne les personnes, l'équité, la bienfaisance, l'autonomie, la confidentialité et le respect de la vie privée...

(3.1)       L'obligation vis-à-vis du patient a prééminence sur toute obligation découlant des relations avec les membres de sa famille. Néanmoins, elle n'est pas absolue ; par exemple, la responsabilité du médecin vis-à-vis du bien-être d'un patient qui a besoin d'une transplantation ne justifie par que ce médecin se procure un organe ou des tissus de manière illégale ou contraire à l'éthique.

(3.2)       Les médecins ont vis-à-vis de la société des devoirs, parmi lesquels ceux de promouvoir l'usage équitable des ressources, de prévenir les préjudices et de favoriser la santé de tous, ce qui peut amener à favoriser le don d'organes et de tissus.

(3.3)       Les chirurgiens transplanteurs doivent s'assurer que les organes et tissus qu'ils transplantent ont été obtenus conformément aux présentes dispositions. Dans tous les cas, le médecin a pour responsabilité personnelle de s'assurer que l'organe à transplanter a été obtenu d'une manière légale et conforme à l'éthique.

(19)       La décision libre et éclairée résulte d'un processus qui requiert l'échange de renseignements intelligibles et l'absence de coercition. Parce que les prisonniers et autres détenus ne sont pas en mesure de donner librement leur consentement et qu'ils peuvent être l'objet de coercitions, il importe que leurs organes et leurs tissus ne soient pas utilisés à des fins de transplantation, sauf s'il s'agit de membres de leur famille proche.

(26)       S'agissant d'un donneur vivant, il faut s'efforcer particulièrement de veiller à ce que la décision de l'intéressé soit libre de toute coercition. Or, les stimulants financiers visant à fournir ou obtenir des organes et tissus aux fins de transplantation peuvent constituer une coercition et sont donc à prohiber..."

(30)       L'AMM estime qu'une politique explicite et se prêtant à l'examen du public doit régir tous les aspects du don et de la transplantation d'organes et de tissus, y compris une gestion des listes d'attente propre à assurer un accès équitable et approprié aux organes et tissus.

(34)       Le paiement d'organes ou de tissus aux fins de don et de transplantation doit être prohibé. En effet, tout stimulant financier compromet le caractère volontaire et altruiste du choix de faire don d'un organe ou de tissus. De plus, tout accès à des soins médicaux nécessaires qui est fondé sur la capacité de payer est incompatible avec les principes de justice. Les organes suspectés d'avoir été obtenus à la suite d'une transaction commerciale ne doivent pas être acceptés aux fins de transplantation. En outre, toute publicité pour des organes est à prohiber. Il est néanmoins licite de prévoir le remboursement équitable des frais supportés, par exemple, pour se procurer, transporter, traiter, conserver et implanter un organe ou des tissus."

26.       La Rapporteuse cite également les conclusions du rapport du Groupe d'action de Bellagio13 sur la transplantation, l'intégrité physique et le trafic international d'organes :

"Le Groupe d'action a conclu que les inégalités sociales et politiques actuelles étaient telles que la commercialisation ferait courir des risques encore plus graves à des personnes impuissantes et démunies. Étant donné que les personnes qui vendent leurs organes appartiendraient exclusivement aux milieux économiquement défavorisés, aucune réglementation ne peut prévenir des abus fondamentaux. En la matière, la transparence et l'équité ne sauraient être assurées."

Engagement politique

27.       Tout comme la plupart des activités criminelles, le trafic d'organes est difficile à démontrer. Mais il ne faut pas laisser aux seuls médias le soin de mener les enquêtes. Les Etats membres ont la responsabilité collective de s'attaquer ouvertement au problème non seulement au plan national, mais encore par le biais de la coopération multilatérale à l'échelle de l'Europe, et par la concertation des autorités sanitaires, des ministères de l'intérieur et des autorités judiciaires.

28.       Le trafic d'organes, à l'instar de la traite des êtres humains et du trafic de drogues, est déterminé par la demande. Les pays d'Europe orientale ne peuvent pas être considérés comme seuls responsables de la lutte contre ce type de criminalité. Parmi les mesures que tous les Etats membres devraient prendre pour limiter autant que possible l'incidence du trafic d'organes en Europe, on peut citer à titre d'exemples : la réduction de la demande, une promotion plus efficace du don d'organes, le maintien d'une législation stricte dans le domaine des donneurs vivants sans relations personnelles étroites avec les receveurs, les mesures pour assurer la transparence des registres nationaux et des listes d'attente, la définition d'une responsabilité légale des professionnels de la médecine pour les irrégularités dans le traçage, et le partage des informations.

29.        La Rapporteuse recommande que la Conférence européenne des ministres de la santé, à laquelle participent à la fois les pays des "donneurs" et ceux des "receveurs", lève les tabous et discute ouvertement de la question en vue de mettre sur pied des mécanismes de coopération dans ce domaine.

Réduire la demande et améliorer les mécanismes de coopération

30.       Parallèlement aux organisations nationales de transplantation, certains Etats membres ont mis en place des mécanismes de coopération responsables de la médiation et de l'affectation dans les procédures de don d'organe: Eurotransplant en Autriche, en Belgique, en Allemagne, au Luxembourg, aux Pays-Bas et en Slovénie; Scandiatransplant en Islande, en Norvège, en Finlande, au Danemark et en Suède; et Balttransplant en Estonie, en Lettonie et en Lituanie.

31.       Ce cadre international de collaboration bénéficie de la participation de tous les hôpitaux qui réalisent des greffes, des laboratoires de groupage tissulaire et des hôpitaux où les dons d'organes sont réalisés. L'objectif de ce mécanisme de coopération est d'améliorer, chaque fois qu'un organe de donneur devient disponible, la sélection du receveur qui correspond le mieux parmi tous les patients de la liste d'attente.

32.       Dans le passé, le Conseil de l'Europe a insisté sur le fait qu'une coopération internationale est indispensable pour encourager le don d'organe et assurer l'égalité entre les Etats en matière d'accès aux greffes.

33.       C'est pourquoi la Rapporteuse salue les travaux du Comité d'experts sur les aspects organisationnels de coopération dans le domaine de la transplantation d'organes (SP-CTO), qui relève du Comité européen de la santé (CDSP). Une liste des publications/recommandations/activités figure à l'annexe II.

Cadre juridique

34.       Le principe selon lequel le corps humain et ses divers éléments ne peuvent en tant que tels faire l'objet de bénéfices fait partie des "acquis" juridiques du Conseil de l'Europe. Ce principe, qui figurait déjà dans la Résolution (78) 29 du Comité des Ministres et qui a, en particulier, été confirmée par la déclaration finale de la 3e Conférence des ministres de la santé (Paris, 1987), a été consacré par l'Article 21 de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine. Ce principe a été réaffirmé dans son Protocole additionnel relatif à la transplantation d'organes et de tissus d'origine humaine.

35.       Dix Etats membres du Conseil de l'Europe ont déjà signé ce Protocole additionnel, ouvert à la signature en janvier 2002, et un l'a déjà ratifié. Ce Protocole additionnel énonce plusieurs principes importants: la non-commercialisation des organes; l'accès équitable des patients aux services de transplantation; la traçabilité des organes et des tissus; des relations personnelles étroites avec les receveurs, telles que définies par la loi, pour les donneurs vivants; le droit de recevoir des conseils et une information indépendante avant de donner son consentement; un suivi médical approprié proposé au donneur vivant comme au receveur; la promotion du don d'organes.

Chapitre III - Prélèvement d’organes et de tissus sur des personnes vivantes

Article 10 - Donneurs potentiels d'organes

Le prélèvement d’organes sur un donneur vivant peut être effectué en faveur d’un receveur ayant avec ce donneur des relations personnelles étroites telles que définies par la loi, ou, en l’absence de telles relations, uniquement sous les conditions définies par la loi et après autorisation d’une instance indépendante appropriée.

Chapitre VI - Interdiction du profit

Article 21 - Interdiction du profit

Le corps humain et ses parties ne doivent pas être, en tant que tels, source de profit ou d’avantages comparables.

Article 22 - Interdiction du trafic d’organes et de tissus

Le trafic d’organes et de tissus est interdit.

36.       La Rapporteuse attire l'attention sur une tendance préoccupante dans certains pays d'Europe (comme l'Allemagne et la Suisse) visant à voter des lois moins restrictives, qui autorisent plus facilement le don d'organes entre personnes vivantes sans relations étroites.

37.       Alors que l'interdiction du trafic d'organes est légalement établie dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, il existe encore dans la plupart des pays des vides juridiques en la matière, car la responsabilité pénale pour le trafic d'organes est rarement établie par le Code pénal. Doit-elle uniquement concerner les "fournisseurs" et les professionnels de la santé qui sont directement impliqués? Ou convient-il d'étendre cette responsabilité au personnel participant au suivi des receveurs qui ont bénéficié de greffes illégales, et à celui qui traite les donneurs rémunérés et sans relations personnelles avec les receveurs, parce qu'ils n'alertent pas les autorités? La responsabilité des receveurs et des donneurs rémunérés doit-elle être engagée? Faut-il instaurer des règles plus strictes de responsabilité dans le traçage et le contrôle des registres nationaux et des listes d'attente?

38.       La responsabilité pénale doit concerner les fournisseurs, les intermédiaires, le personnel hospitalier/infirmier et les techniciens de laboratoire impliqués dans la procédure de transplantation illégale. La Rapporteuse estime que les donneurs rémunérés ne devraient pas être tenus pénalement responsables, dans la mesure où la majorité d'entre eux connaissent des difficultés économiques inextricables, ou ont été incités à vendre un organe par des personnes qui les ont trompés. Toutefois, lorsque d'anciens donneurs deviennent des fournisseurs locaux, ils devraient être reconnus coupables d'une infraction pénale. Le personnel médical qui participe au suivi des patients ayant acheté des organes devrait être tenu responsable s'il ne prévient pas les autorités. La responsabilité devrait être clairement établie pour le personnel médical qui encourage les malades souhaitant bénéficier d'une transplantation illégale et les aide dans leur recherche d'un donneur. Dans le cadre des campagnes de prévention, les services de dialyse et les centres de transplantation devraient fournir aux patients des documents les informant des risques et des dangers médicaux, juridiques et éthiques liés à la vente et à l'achat de reins.

Activités d'assistance

39.       La Rapporteuse rappelle la Recommandation n° R(97)16 du Comité des Ministres sur la transplantation du foie prélevé sur des donneurs vivants apparentés et la Recommandation  Rec(2001)5 sur la gestion des listes d'attente et des délais d'attente en matière de transplantation d'organes, et se félicite du projet de recommandation sur les registres de donneurs d'organes.

40.       La Rapporteuse salue également l'initiative récente du Secrétaire général du Conseil de l'Europe, qui a collecté des informations détaillées sur les mesures prises par les Etats membres pour assurer la prévention du trafic d'organes14, et prie le Conseil de l'Europe de fournir à ces pays des orientations dans ce domaine.

41.       Le Conseil de l'Europe possède des structures capables d'étudier la pertinence de tout texte juridique et devrait s'efforcer de proposer, sur demande, les services d'experts des systèmes de transplantation d'organes disposés à se rendre dans les Etats membres pour conseiller sur les mesures à prendre dans le domaine de l'organisation afin de limiter au minimum l'incidence du trafic d'organes.

42.       A titre d'exemple, en 2002, un séminaire sur les mesures organisationnelles visant à établir des systèmes de transplantation efficaces a été mis en place, sous l'égide du Comité européen de la santé (CDSP), à l'intention des pays baltes, et un séminaire analogue devrait se tenir à Kiev en 2003. La Rapporteuse se réjouit de ces initiatives, et recommande de renforcer ce type d'activités en prévoyant des fonds supplémentaires dans le budget.

43.       Par ailleurs, le Conseil de l'Europe a déjà pris de nombreuses mesures dans le cadre de la lutte contre le crime organisé et le "blanchiment" correspondant des produits du crime et de la corruption. La Convention de 1990 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime (Série des traités européens (STE) 141) et les conventions contre la corruption - la Convention pénale sur la corruption (STE 173) et la Convention civile sur la corruption (STE 174) - sont des instruments déterminants pour harmoniser la qualification pénale des délits et renforcer les dispositifs internationaux de coopération correspondants, contribuant ainsi à dresser des barrières juridiques face au crime organisé.

44.       La Rapporteuse recommande également que les Etats membres signent et ratifient la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et son Protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants15, qui demande aux Parties contractantes de conférer le caractère d’infraction pénale à la traite des personnes en vue de les exploiter, notamment pour prélever des organes.


45.       De même, en vertu du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, les Parties contractantes doivent veiller à ce que la vente d'enfants, notamment aux fins de transférer les organes de l’enfant à titre onéreux, soit pleinement prise en compte dans leur droit pénal.

Exécution

46.       Les mécanismes chargés de veiller à l'exécution des lois sont encore relativement faibles dans certains Etats membres, et en particulier dans ceux qui sont le plus directement frappés par le trafic d'organes. C'est pourquoi la Rapporteuse lance un appel aux Etats membres pour qu'ils intensifient leur coopération sous les auspices d'Interpol et d'Europol et s'attaquent ainsi plus efficacement au problème. Il est tout aussi vital de consolider le rôle de ces deux agences et d'augmenter leurs budgets car elles ne disposent que d'un personnel et de moyens financiers extrêmement réduits dans ce domaine.

Soulager la pauvreté

47.       La Rapporteuse lance un appel à tous les Etats membres pour qu'ils démontrent à moyen et à long terme leur solidarité envers les pays d'Europe orientale les plus gravement touchés par le cercle vicieux de la pauvreté et les assistent, en collaboration avec les institutions financières internationales et la communauté internationale des donateurs, dans la mise en oeuvre de mesures de réduction de la pauvreté et dans la création d'un environnement sûr pour les affaires et les investissements. Une amélioration progressive des économies nationales permettrait aux personnes de réintégrer les circuits classiques de l'économie, de reprendre confiance, de retrouver leur dignité, et avec le temps d'améliorer la qualité de leur vie.

Conclusion

48.       La Rapporteuse prie instamment tous les Etats membres de reconnaître leur responsabilité commune dans la lutte pour réduire autant que possible le trafic d'organes en Europe en prenant les mesures suivantes:

ANNEXE 1

Programme de la visite de la Rapporteuse en Moldova 

(Chisinau, 6-10 octobre 2002)

Rapporteuse :       Mme Ruth Gaby VERMOT-MANGOLD (Suisse, Soc)

Secrétariat :        Mme Dana KARANJAC

Rapport sur le trafic d’organes en Europe de l’Est

Dimanche 6 octobre 2002

Arrivée de Mme Vermot-Mangold à Chisinau       18 h 15 vol RM 864 de Frankfort

Arrivée de Mme Karanjac à Chisinau       18 h 15 vol RM 864 de Frankfort

Hôtel :        « Nobil Club », 132 Stefan cel Mare Street, ChisinauT

      Tel: (3732) 22 85 80, Fax: (3732) 22 68 90

Lundi 7 octobre 2002

9 h 15       Rencontre avec M. Lars JONSSON, représentant du Bureau du HCNUR

      Adresse : 57-31 August Street, Chisinau

10 h – 11 h       Rencontre avec M. Pavel URSU, Acting Liaison Officer, OMS, Moldova

      Adresse : 29, Testimiteanu Street, deuxième étage

13 h – 20 h        Rencontre avec des « doneurs » dans un village à l’extérieur de Chisinau : Susleni

Mardi 8 octobre 2002

9 h 30       Rencontre avec M. Carlos ELBIRT, Représentant Résidant, Banque Mondiale

      Adresse : 76/6 Sciusev Street

10 h 30       Rencontre avec Mme Liliana SORRENTINO, Programme « Trafic des êtres humains » , OSCE

12 h – 17 h 30       Rencontre avec des « doneurs » dans des villages à l’extérieur de Chisinau : Mingir, Negrea

19 h – 20 h       M. Dumitru MASTAC, chirurgien, Chef de l’Unité de Dialyse, Hôpitel d’urgence de Chisinau

Mercredi 9 octobre 2002

9 h – 9 h 30       Délégation parlementaire du Conseil de l’Europe, Parlement de la Moldova

10 h – 11 h       Mme Ana PALANCEAN, Présidente, ONG « La Strada »

11 h – 11 h 30       Mme Liuba REVENKO, Directrice de programme, Bureau de l’OIM

14 h – 15 h 30       M. CLIPA, Vice-Ministre de l’intérieur et M. Ion BEJAN, Directeur du Département de lutte contre le trafic des êtres humains, ministère de l’intérieur

16 h – 16 h 45       M. Ion MOREL, Ministre de la justice

17 h – 17 h 45       M. Andrei GHERMAN, Ministre de la santé

18 h – 19 h        Mme Sarah PFISTER, Directeur adjoint de l’Agence suisse pour le développement et la coopération

Jeudi 10 octobre 2002

Départ de Mme Vermot-Mangold       7 h 35, vol RM 863 vers Frankfort

ANNEXE 2

Liste des recommandations/publications/activités émanant des travaux du SP-CTO

menés sous l’autorité du Comité Européen de la Santé (CDSP)

1.       Recommandation No. (94) 1 sur les banques de tissus humains

2.       Recommandation No. (97) 16 sur la transplantation du foie prélevé sur des donneurs vivants apparentés

3.       Recommandation No. (2001) 5 sur la gestion des listes d’attente et des délais d’attente en matière de transplantation d’organe

4.       Réunion sur la pénurie d’organes : situation actuelle et stratégies à mettre en œuvre pour développer le don d’organe – Document reflétant un consensus européen

5.       Guide sur la sécurité et l’assurance de qualité des organes, tissus et cellules. 1ère édition. ISBN 92-871-4891-0. Conseil de l’Europe, juin 2002

6.       Projet de recommandation sur les registres de donneurs d’organes adopté en novembre 2002 par le Comité européen de la santé (CDSP)

7.       TRANSPLANT NEWSLETTER. Publication annuelle sur le don et la transplantation

      d’organes

8.       Normaliser le dépistage chez les donneurs pour prévenir la transmission des maladies néoplastiques. Conseil de l’Europe, décembre 1977, ISBN 92-871- 3485-5

9.       Etat actuel des connaissances des méthodes de dépistage sérologique pour les maladies microbiologiques les plus pertinentes des donneurs d'organes et de tissus, SP-PB (96)21-E, Conseil de l’Europe, Strasbourg 1977

10.       Journée européenne pour le don d’organe et la transplantation






et de conclure:

« Si mes reins venaient à ne plus fonctionner, j’opterais pour la transplantation à partir d’un donneur vivant. L’équipe du professeur Wolfe
20232425


Domaines d'action : réduire au minimum le risque du trafic d'organes

Ethiques professionnelles


25.       En octobre 2000, l'Association Médicale Mondiale (AMM) a adopté sa déclaration2627




















Commission chargée du rapport: commission des questions sociales, de la santé et de la famille

Renvoi en commission: Doc. 8966 et renvoi n° 2579 du 13 mars 2003

Projet de recommandation adopté à l’unanimité le 7 mai 2003

Membres de la commission: Mme Ragnarsdóttir (Présidente), MM. Christodoulides, Surján, Mme McCafferty (Vice-Présidents), MM. Ahlqvist, Alís Font, Arnau, Mme Bargholtz, Mme Belohorská, M. Berzinš, Mme Biga-Friganović (remplaçante : Mme Bušić), Mme Bolognesi (remplaçant : M. Oliverio), MM. Brînzan (remplaçant : M. Tudose), Brunhart, Buzatu (remplaçant : M. Ionescu), Çavuşoğlu, Colombier (remplaçant : M. Cousin), Cox, Dees, Donabauer, Evin, Flynn, Mme Gamzatova, MM. Geveaux, Giertych, Glesener, Gregory, Gülçiçek, Gündüz, Gusenbauer, Hegyi, Herrera (remplaçante : Mme Torrado), MM. Hladiy, Høie, Jacquat, Kastanidis, Klympush, Baroness Knight (remplaçant: M. Hancock), MM. Lomakin-Rumiantsev, Mme Lotz, Mme Luhtanen, MM. Makhachev, Małachowski, Manukyan, Markowski, Marty, Maštálka (remplaçant : M. Cabrnoch), Milećević, Mme Milotinova, MM. Mladenov, Monfils (remplaçant : M. Timmermans), Olekas, Ouzký, Padilla (remplaçante : Mme Fernández-Capel), MM. Pavlidis, Podobnik, Popa, Poty, Provera, Pysarenko, Rauber, Riester, Rigoni, Rizzi (remplaçant : M. Piscitello), Mme Roseira, MM. Santos, Seyidov, Mme Shakhtakhtinskaya, MM. Slutsky, Mme Tevdoradze, Mme Topalli, MM. Truu, Vella, Mme Vermot-Mangold, MM. Vesselbo, Volpinari, Mme Wegener, MM. Van Winsen (remplaçante : Mme Zwerver), Zernovski, ZZ…., ZZ…, ZZ…

NB: Les noms des membres présents à la réunion sont indiqués en italiques

Secrétaires de la commission: M. Newman, Mme Meunier, Mme Karanjac, M. Chahbazian


1 Conseil de l’Europe : « Comment faire face à la pénurie d’organes : situation actuelle et stratégies à mettre en œuvre pour développer le don d’organes », document consensuel européen.

2 Idem.

3 Human Rights Watch Asia et Laogai Research Foundation.

4 The Lancet, Volume 359, number 9310, 16 March 2002

5 Wolfe RA, Ashby VB, Milford EL, et al. Comparison of mortality in all patients on dialysis, patients on dialysis awaiting transplantation, and recipients of a first cadaver transplant. N Engl J Med 1999; 341: 1725-30. [PubMed]

6 Hariharan S., Johnson CP, Bresnahan BA, Taranto SE, McIntosh MJ, Stablein D. Improved graft survival after renal transplantation in the United States, 1988-1996. N Engl J Med 2000 ; 342 : 605-12 [PubMed]

7 Neylan JF, Sayegh MH, Coffmann TM. The allocation of cadaver kidneys for transplantation in the United States, consensus and controversy. J Am Soc Nephrol 1999; 10: 2237-43. [PubMed]

8 United States Renal Data System (USRDS)

9 9.Eng/6824/AP FLUX Chisinau, 2 December 2002

10 "Trafic de femmes et de mineurs aux fins d'exploitation sexuelle : République de Moldova", Organisation Internationale des Migrations (OIM), 2002.

11 Rapport de la Banque Mondiale : Moldova - Programme de coopération de la Banque Mondiale, septembre 2002.

12 adoptée par la 52ème Assemblée Générale de l'Association Médicale Mondiale, Édimbourg, Écosse, octobre 2000.

13 Reconnaissant la nécessité de définir des normes éthiques pour la pratique internationale du don d'organes, en raison notamment des abus compromettant à la fois l'intégrité physique des personnes socialement défavorisées et la confiance qui doit fait partie intégrante du don, un groupe d'action composé de chirurgiens transplanteurs, de spécialistes de l'obtention d'organes, de militants des droits de l'homme et de professionnels des sciences sociales s'est réuni au Centre de conférences Rockfeller, à Bellagio, Italie.

14 Questionnaire adressé aux Etats membres en 2002

15 Ouvert à la signature le 15 novembre 2000








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