Doc. 11108

15 décembre 2006

La propagation du VIH/sida chez les femmes et les jeunes filles en Europe

Rapport

Commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes

Rapporteuse : Mme Catherine FAUTRIER, Monaco, Groupe du Parti populaire européen


Résumé

L’Assemblée parlementaire constate avec inquiétude que, plus de 25 ans après son apparition, la pandémie du VIH/sida continue de s’étendre, y compris en Europe. En particulier, le VIH/sida touche de plus en plus de femmes et de jeunes filles, en Europe et dans le monde entier.

Les femmes sont physiologiquement plus vulnérables que les hommes vis-à-vis du virus. A cette vulnérabilité peuvent s’ajouter la dépendance sociale et économique, les attitudes sexistes et la violence domestique. La combinaison de ces facteurs peut avoir des conséquences fatales : les femmes qui, d’une manière ou d’une autre, sont dépendantes des hommes avec lesquels elles ont des rapports sexuels, n’ont pas toujours la possibilité de refuser des rapports sexuels ou d’exiger l’utilisation de préservatifs.

L’émancipation des jeunes filles et des femmes en Europe est donc un élément clé de la lutte contre le VIH/sida. Les jeunes filles comme les femmes doivent être correctement informées des risques liés à certains comportements, et doivent se voir donner la possibilité d’agir en conséquence.

Par conséquent, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres de veiller à ce que la perspective de genre soit prise en compte dans tous les travaux menés sur le VIH/sida au sein du Conseil de l’Europe et de ses Etats membres, et que ceux-ci concentrent leurs efforts afin de stopper la progression de l’épidémie du VIH/sida concernant les femmes et les jeunes filles en Europe.

L’Assemblée recommande en outre au Conseil de l’Europe de mener, dans un proche avenir, une campagne européenne de sensibilisation de lutte contre le sida à l’image de celle qui est menée cette année pour lutter contre la violence domestique.

A.       Projet de recommandation

1. L’Assemblée parlementaire constate avec inquiétude que, plus de 25 ans après son apparition, la pandémie du VIH/sida continue de s’étendre, y compris en Europe. L’incapacité apparente des gouvernements européens à enrayer la propagation de la maladie, alors même qu’ils pensent connaître le mode de transmission du virus et les comportements favorisant cette transmission, est particulièrement préoccupante.

2. En particulier, le VIH/sida touche de plus en plus de femmes et de jeunes filles, en Europe et dans le monde entier. L’épidémie présente une grande hétérogénéité, d’un pays à l’autre comme à l’intérieur de chaque pays (en Europe orientale, le principal mode de transmission est la consommation de drogues injectables ; dans le reste de l’Europe, ce sont les rapports sexuels). Mais il existe aussi une tendance commune : les infections au VIH nouvellement diagnostiquées concernent de plus en plus souvent des femmes, notamment des jeunes femmes.

3. Cette évolution ne saurait surprendre dans la mesure où l’épidémie, depuis longtemps déjà, gagne la population générale en partant des groupes « à haut risque » (homosexuels, consommateurs de drogues injectables et prostituées). Cependant, depuis la découverte d’un traitement, la trithérapie, capable de retarder considérablement le développement du virus, de nombreuses personnes, notamment parmi les jeunes adultes, semblent abandonner toute prudence. Cette attitude explique en grande partie l’augmentation du nombre d’infections chez les jeunes femmes.

4. Mais ce n’est pas la seule explication. Les femmes sont physiologiquement plus vulnérables que les hommes vis-à-vis du virus. A cette vulnérabilité peuvent s’ajouter la dépendance sociale et économique, les attitudes sexistes et la violence domestique. La combinaison de ces facteurs peut avoir des conséquences fatales : les femmes qui, d’une manière ou d’une autre, sont dépendantes des hommes avec lesquels elles ont des rapports sexuels, n’ont pas toujours la possibilité de refuser des rapports sexuels ou d’exiger l’utilisation de préservatifs.

5. L’émancipation des jeunes filles et des femmes en Europe est donc un élément clé de la lutte contre le VIH/sida. Les jeunes filles comme les femmes doivent être correctement informées des risques liés à certains comportements, et doivent se voir donner la possibilité d’agir en conséquence. Les hommes ont eux aussi un rôle à jouer dans la lutte contre la propagation de l’épidémie : ils doivent mettre fin à certains comportements dangereux typiquement masculins, et doivent coopérer avec les femmes afin de briser la spirale de l’inégalité des sexes et de la violence fondée sur le sexe.

6. Parallèlement, il est important de combattre la discrimination contre les femmes et les jeunes filles séropositives. Les tests de dépistage du VIH, notamment les tests prénatals, doivent être confidentiels ; ils exigent un consentement éclairé et doivent s’accompagner de conseils et d’informations sur les possibilités de traitement (y compris les traitements destinés à empêcher la transmission du virus de la mère à l’enfant). L’accès à de tels services ne doit pas dépendre du sexe de la personne concernée.

7. L’Assemblée rappelle les recommandations formulées dans sa Résolution … (2006) et dans sa Recommandation … (2006) sur le VIH/sida en Europe, et recommande que le Comité des Ministres veille à la prise en compte d’une perspective de genre dans tous les travaux sur le VIH/sida au sein du Conseil de l’Europe et dans ses Etats membres.

8. L’Assemblée recommande au Conseil de l’Europe de mener, dans un proche avenir, une campagne européenne de sensibilisation de lutte contre le sida à l’image de celle qui est menée cette année pour lutter contre la violence domestique.

9. L’Assemblée recommande en outre que le Conseil de l’Europe et ses Etats membres concentrent leurs efforts sur les mesures suivantes pour enrayer la propagation du VIH/sida parmi les femmes et les jeunes filles en Europe :

9.1.       promouvoir et développer des programmes scolaires, y compris d’éducation sexuelle, qui prennent en compte les spécificités des deux sexes ;

9.2.       soutenir la mise en place de programmes de prévention et de campagnes de sensibilisation relatifs au VIH/sida, en veillant notamment à la diffusion auprès des jeunes adultes d’informations adéquates et ciblées, par les médias et par d’autres canaux d’information ;

9.3.       mettre en œuvre des politiques de dépistage et de traitement adaptées aux spécificités des deux sexes et fondées sur les droits de l’homme, y compris un accès gratuit à tous les soins médicaux ;

9.4.       combattre la discrimination contre les personnes séropositives, notamment les femmes séropositives, mettre en œuvre des programmes de réinsertion des personnes infectées victimes de cette discrimination;

9.5.       œuvrer à l’échelle nationale et internationale à la mise en place de cadres juridiques et institutionnels permettant de garantir le respect, la protection et l’exercice des droits fondamentaux des femmes et des jeunes filles, y compris en Europe.B

B.       Exposé des motifs par Mme Fautrier, rapporteuse

I.       Introduction

1.        L’Assemblée parlementaire prévoit d’organiser un débat sur le VIH/sida lors de sa partie de session de janvier 2007. La commission des questions sociales, de la santé et de la famille a déjà adopté un rapport et déposé un projet de résolution et de recommandation sur le VIH/sida en Europe (doc. 11033 du 27 septembre 2006). La commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes est invitée à apporter sa contribution au débat, sous la forme d’un rapport sur la propagation de l’épidémie de VIH/sida chez les femmes et les jeunes filles en Europe.

2.        Le sida n’est plus une nouvelle maladie : il entre en ce moment dans sa troisième décennie. Le facteur de plus en plus marquant, cependant, est que l’épidémie est passée des personnes dites « à haut risque » à la population générale. Alors que les femmes et les jeunes filles ne faisaient auparavant pas partie des personnes considérées comme « à haut risque », elles sont maintenant touchées par l’épidémie, et ce même en Europe.

3.        Dans ce rapport, je m’efforcerai d’expliquer cette nouvelle évolution de l’épidémie – selon moi intimement liée au manque d’égalité entre les sexes, qui empêche certaines femmes et jeunes filles de s’affirmer et donc de se protéger du virus. Je soulignerai ensuite ce qui est et devrait être fait pour empêcher l’épidémie de continuer à se propager en donnant aux femmes et aux jeunes filles les moyens de s’en protéger.

II.       Faits et constats 

4.       L’épidémie du VIH/sida a 25 ans ; 65 millions de personnes ont été infectées en 25 ans. Plus de 50 % des séropositifs sont des femmes, et 60% d’entre elles sont africaines. On peut donc dire sans doute qu’il y a aujourd’hui une féminisation du VIH/sida. Cela fait 10 ans que la trithérapie existe et qu’elle a été introduite dans les pays riches, mais 95 % des malades du Sida se trouvent dans les pays pauvres. En Afrique australe, 46% des femmes enceintes sont séropositives.

5.        Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de deux millions de personnes vivent avec le VIH/sida en Europe1. Bien que ce chiffre soit faible comparé au nombre de malades dans la région la plus durement touchée, l’Afrique subsaharienne, il traduit une augmentation sans précédent des nouveaux cas (y compris parmi les femmes et les jeunes filles), à savoir 80 000 à 250 000 nouveaux cas par an2. Étant donné que les pouvoirs publics européens semblent connaître le mode de transmission du virus et les comportement associés à cette transmission3, on ne peut que s’inquiéter de leur impuissance à enrayer la propagation de la maladie en Europe.

6.        La situation est très hétérogène selon les pays européens et au sein de ces pays, la consommation de drogues injectables représentant le principal mode de transmission en Europe orientale tandis que les rapports sexuels restent le facteur prédominant dans le reste de l’Europe. Malgré ces différences, une part importante des nouveaux diagnostics d’infection par le VIH en Europe concernent des femmes (37 %, 31 % et 38 % respectivement en Europe occidentale, centrale et orientale en 20034), ce qui tient aussi au fait que les femmes sont physiologiquement plus susceptibles d’être contaminées. Les femmes et les jeunes filles de 15 à 24 ans sont les plus touchées. En France 150 000 personnes sont porteuses du VIH et on dénombre environ 7 000 nouveau cas par an. Les femmes représentent 43% de ces nouvelles infections diagnostiquées chaque année.

7.        Le VIH/sida est une épidémie exceptionnelle. Bien qu’elle ne soit pas isolée (elle est loin d’être la première épidémie mortelle ou maladie sexuellement transmissible que le monde ait connu), elle est exceptionnelle en ce qu’elle se prête tout particulièrement à des débats moralistes. Les prises de position du Vatican par exemple à l’égard du port du préservatif, dont on sait qu’avec l’abstinence il est le seul moyen aujourd’hui de lutter efficacement contre l’évolution de la pandémie, sont en ce point édifiantes. À partir du moment ou les risques de transmission non sexuelle de la maladie ont été atténués (par exemple à travers une amélioration de l’hygiène personnelle ou des interventions efficaces de santé publique, comme la mise à disposition d’aiguilles jetables ou l’encouragement des tests sanguins), le sida est devenu la maladie de ceux qui « recherchent aveuglément le plaisir à travers le sexe ou la drogue, le plus souvent dans le cadre d’un espace privé5 ». Dans de nombreux pays, y compris en Europe, les politiques de santé publique ont souvent réagi d’une façon discriminatoire et qui portait atteinte aux droits des personnes infectées ou malades.

8.        Il semble que l’impuissance des pouvoirs publics européens devant la propagation de la maladie soit, dans une certaine mesure, liée à ces débats moralistes. Par exemple, aux côtés de la consommation de drogues injectables ou des rapports homosexuels non protégés, la prostitution féminine a été rapidement pointée comme une activité « à haut risque ». Cependant, dans de nombreux pays européens, l’accent a d’abord été mis sur la transmission du VIH par les prostituées, alors que deux autres groupes jouent un rôle décisif dans cette transmission : d’une part les clients qui sollicitent des rapports non protégés, d’autre part les souteneurs (et, dans une certaine mesure, les trafiquants) qui imposent de tels rapports6. Ce n’est que récemment que l’OMS a commencé à prôner une attitude non discriminatoire envers les prostituées en tant que seule manière efficace de prévenir et de traiter le VIH/sida dans le cadre du travail sexuel7.

9.        Mais il est imprudent de penser que ces épidémies sont limitées encore aujourd’hui à des populations particulières. La plupart des consommateurs de drogue injectables sont jeunes et nombre d’eux sont sexuellement actifs, risquant une double exposition au virus. Dans certains pays, une proportion importante des professionnel(les) du sexe s’injectent également des drogues. Il y a également une proportion considérable de clients masculins des professionnel(les) du sexe qui ont d’autres partenaires sexuels, y compris leurs épouses et leurs amies régulières. Dans chaque région, il y a également une importante proportion d’hommes et de femmes qui ont des rapports sexuels non protégés occasionnels avec des personnes autres que leurs partenaires habituels, ces comportements sexuels sont jugés à haut risques. En France, par exemple, on estime que 40 000 personnes seraient porteuses du virus sans le savoir. Au fur à mesure de l’implantation des épidémies de sida, le nombre de femmes infectées va en augmentant.

10.        Je suis fermement convaincue que les pouvoirs publics européens doivent répondre à l’épidémie de sida d’une façon à la fois pragmatique et globale s’ils veulent mettre fin à sa propagation en Europe. En d’autres termes : nous devons nous mettre d’accord pour rejeter les aspects moraux de la question et passer à la mise en œuvre des mesures qui se sont avérées efficaces, tout en luttant résolument contre les problèmes sociaux sous-jacents, comme l’inégalité entre les sexes, qui permettent au VIH/sida de poursuivre sa marche mortelle. Partout dans le monde, l’impact croissant de l’épidémie sur les femmes se produit dans un contexte de graves inégalités entre les sexes, entre les classes et autres.

III.       Lien entre le VIH/sida et l’inégalité entre les sexes

11.        Les femmes sont physiologiquement plus sensibles et par conséquent plus exposées au virus que les hommes, elles sont également davantage vulnérables en raison de leur dépendance sociale, économique et des attitudes sexistes (elles courent un risque au moins deux fois plus élevés que les hommes d’être infectées par le VIH durant les rapports sexuels). Dans la plupart des sociétés, même s’il y a aujourd’hui en Europe une évolution, les hommes ont souvent plus de pouvoir que les femmes. Aussi, lorsque les femmes dépendent des hommes avec lesquels elles ont des rapports sexuels, elles courent des risques particuliers. A brève échéance, refuser des rapports sexuels peut être plus dangereux pour elles que les risques auxquelles elles s’exposent en s’y soumettant.

12.        La violence à l’encontre des femmes joue également un certain rôle, en particulier en Europe orientale, où les toxicomanes sont la catégorie de population où la maladie se propage le plus, mais aussi dans d’autres pays, où la violence envers les femmes est bien présente. Pour rendre ce lien plus apparent, il faut replacer les violences familiales envers les femmes dans le contexte de leur environnement social et des autres comportements de domination masculine : les femmes et les jeunes filles victimes d’abus ne sont souvent pas uniquement soumises à des violences physiques ou sexuelles ; elles sont souvent placées sous contrôle à bien d’autres égards, et vivent parfois dans la crainte d’une personne qui règne sur des aspects fondamentaux de leur vie, y compris les aspects financiers, leurs contacts avec autrui et leurs choix en matière de procréation et de rapports sexuels8.

13.        De plus, il y a souvent une ignorance dangereuse des questions sexuelles pour les filles et les jeunes femmes. Ce manque de connaissance amplifie les risques qu’elles soient infectées. Il est donc essentiel de mettre en place des programmes d’éducation sexuelle de base pour les jeunes filles afin de les responsabiliser et de les encourager à l’usage des préservatifs. Il est également important de continuer les recherches sur les microbicides en tant que moyen de prévention contrôlé par les femmes (contrairement au préservatif qui est sous le contrôle du partenaire masculin). Les femmes doivent pouvoir être maitresse de leur propre prévention à l’égard du virus, certes il existe aujourd’hui un préservatif féminin, mais dont la commercialisation n’est pas très répandue, eut égard à son coût d’achat, et à son utilisation jugée contraignante par les femmes.

14.        En outre, dans la plupart des pays d’Europe, la découverte de la trithérapie a dans une grande mesure transformée le VIH en une maladie chronique ne présentant pas de problèmes insurmontables. La population, et notamment chez les jeunes adultes et les adolescents, s’imagine que grâce aux trithérapies, le virus est dompté. En conséquence, les jeunes en particulier se protègent moins, les jeunes filles notamment qui dans les pays où elles y ont facilement accès préfèrent utiliser la pilule car leur principale peur est de tomber enceinte. Avec l’apparition du vaccin contre le cancer de l’utérus, les jeunes risquent d’être de moins en moins enclin à utiliser le préservatif, les campagnes de communication sur ce nouveau traitement laissant entendre que nombreuses MST pourraient être éradiquées grâce à ce nouveau traitement. Alors que notre génération a grandi dans la peur du sida, elle semble particulièrement insouciante face aux risques qu’elle ne prend plus en compte. Or, c’est une erreur car la trithérapie est un traitement lourd et contraignant et surtout, ne l’oublions pas, la trithérapie ralentit le développement du virus mais ne le supprime pas. Un effort supplémentaire doit donc être fait pour relancer et améliorer la prévention et spécifiquement auprès des jeunes hommes et des jeunes filles, en les incitant à utiliser des préservatifs et à ne pas prendre de risques en ayant des rapports non protégés.

15.        Il est important de bien avoir conscience qu’aujourd’hui pour briser le cercle vicieux de l’infection, il est indispensable de lutter contre l’ignorance, le silence, les tabous et les mythes qui rendent la maladie impossible à maîtriser, en obscurcissant trop souvent la vérité et l’efficacité dans la lutte contre ce fléau. L’éducation préventive a donc un rôle crucial à jouer, étant aujourd’hui le meilleur des vaccins pour prévenir et lutter contre la maladie, en suscitant des attitudes, en dispensant le savoir faire et en créant les motivations requises pour induire des comportements nouveaux, propices à réduire les risques et la vulnérabilité.

16.        Le positionnement de la femme dans la société, le droit à disposer d’elle-même et la lutte contre les violences faites aux femmes deviennent ainsi des axes de travail pour protéger les femmes contre la pandémie.

IV.        Le rôle déterminant des hommes pour enrayer la propagation de l’épidémie 

17.        Au vu de ces éléments, force est de constater que c’est aussi aux hommes de faire usage de leur position de force de facto et de leur privilège dans l’exercice des responsabilités et de l’autorité. Ils doivent agir à tous les niveaux de la société, du sommet jusqu’à la base, en s’impliquant personnellement et en impliquant les communautés à laquelle ils appartiennent dans ce combat, notamment en abandonnant certains comportements nuisibles typiquement masculins. Si les hommes le décident ils peuvent accélérer le recul du VIH/sida. Cela signifie donc qu’ils doivent faire face aux réalités des expériences sexuelles, aux stéréotypes sexuels et aux moyens - souvent violents - utilisés pour contraindre les femmes à agir contre leur volonté.

18.        Pour opérer des changements durables, il faut essentiellement focaliser l’attention sur les jeunes garçons ; les valeurs qui leur sont inculquées et la façon dont ils se développent – dès avant qu’ils aient une activité sexuelle -, en faisant appel à leur respect, leur créativité et leur désir de se prendre en charge et leur sens des responsabilités.

19.        L’OMS encourage ainsi à prendre en compte la spécificité de chacune des stratégies à mener pour lutter contre ce fléau selon le sexe : ce qui signifie que des approches différentes peuvent être nécessaires9.

20.        Bien sur, il ne suffira pas seulement de faire de la prévention et de la sensibilisation pour combattre la discrimination. Nous devons absolument travailler à l’échelle nationale et internationale à la mise en place de cadres juridiques et institutionnels nécessaires pour garantir la protection des droits de la personne et promouvoir l’évolution de la société.

V.        L’accès aux soins pour tous, incluant femmes et jeunes filles et la lutte contre la discrimination et la stigmatisation

21.        Aujourd’hui, la honte associée au sida et un obstacle majeur à sa prévention, est l’opprobre qui entoure les séropositifs est aggravé par la discrimination contre les femmes. Des centaines de milliers de femmes séropositives évitent les services de dépistage et de traitement par crainte d’être abandonnées et de tout ce qu’elles pourraient s’attirer de la part de leurs maris, familles, communautés et des prestataires de soins de santé. Les femmes découvrent parfois les dernières leur condition de séropositive – après leur mari et leur belle famille. Seulement 5% des séropositifs sont informés de leur condition et le dépistage durant la grossesse est souvent le seul moyen pour une famille d’apprendre que le VIH a infecté l’un de ses membres. Parfois, les prestataires de soins de santé refusent aux femmes séropositives les soins appropriés durant et après l’accouchement. Il peut également arriver que les femmes refusent le traitement ou cessent de le suivre si le personnel médical ne les a pas bien traitées.

22.        C’est pourquoi, il est important que soit organisés des débats sur la maladie, étape essentielle pour encourager chacun à subir un dépistage, suivre un traitement et à éviter que les personnes atteintes soient stigmatisée et exclues de la société civile. Une meilleure acceptation sociale des personnes atteintes a des implications directes en matière de prévention. Elle permet non seulement une amélioration du bien être des personnes touchées, mais aussi les incite à un meilleur suivi thérapeutique, une meilleure observance des traitements et à un renforcement des comportements de prévention. A l’inverse, des discriminations cumulées peuvent engendrer des phénomènes de désocialisation et entrainer les personnes à avoir un comportement de prises de risques. Il apparaît donc nécessaire de faire progresser, notamment par des campagnes de communication à forte visibilité, la tolérance, d’améliorer l’image des personnes séropositives, et d’éviter leur culpabilisation. L’enquête « Vespa » (VIH – Enquête sur les personnes atteintes) menée par l’Agence Nationale de Recherche sur le Sida (ANRS), a montré la grande précarité des séropositifs. Lutter contre cette précarité est donc un enjeu majeur de la lutte contre le sida. Le risque de perte d’emploi pour les séropositifs est important : 24 mois après avoir découvert leur séropositivité 50% d’entre eux ont perdu leur emploi.

23.        Face à l’urgence de la situation, il est fondamental que le droit aux soins des personnes infectées soit pleinement acquis et que des traitements abordables et efficaces soient offerts à tous ceux et celle qui en ont besoin, sans discrimination. L’accès à des traitements permet à toutes personnes séropositives de mener une vie productive pendant de nombreuses années, sous réserve de bénéficier d’un traitement et d’une aide psycho-sociale. Les pouvoirs publics ont là un rôle déterminant à jouer en mettant en place, avec l’aide des groupements associatifs, des mesures visant à accompagner les personnes séropositives dans la gestion de leur vie courante (aide financière pour celles qui ne parviennent pas à assumer leur charge locative et/ou les frais médicaux, aides pour avoir accès à la culture et aux loisirs….).

24.        Il est également urgent d’investir dans la recherche des vaccins limitant la transmission mère-enfant et de traduire ainsi les principes éthiques en codes de Déontologie. Lorsqu’une femme séropositive tombe enceinte, il y a 35% de chance qu’elle transmette le virus à son enfant si elle ne prend pas de précautions nécessaires. Chaque année, plus de 700 000 enfants deviennent séropositifs par transmission du virus de la mère à l’enfant. Entre 15 à 20% des enfants sont infectés pendant la grossesse, 50% pendant l’accouchement et 33% pendant l’allaitement maternel. Les femmes enceintes séropositives peuvent diviser par deux les risques de contaminer leurs bébés si elles suivent un traitement à base de médicaments antirétroviraux et si elles bénéficient de l’information, ainsi que des soins prénatal et obstétricaux nécessaires pour prévenir la grossesse et la transmission du VIH de la mère à l’enfant (ex. prévention et traitement immédiat des infections aux seins ou des plaies et inflammations de la muqueuse de la bouche du nourrisson). De plus, la planification familiale librement acceptée devrait faire partie de toutes les stratégies destinées à freiner l’épidémie : l’éthique et les droits humains exigent que les femmes séropositives puissent faire des choix informés en matière de planification familiale, notamment celui de prévenir une grossesse non désirée. Cependant, si le père d’un enfant à naître est séronégatif, et que la mère prend les précautions nécessaires, le risque de transmettre le virus à l’enfant tombe à 2 %.

25.        Nous devons avoir conscience des incidences économiques et sociales négatives du déni des droits de l'homme des personnes vivant avec le VIH/sida sur le travail, l'éducation et les autres services sociaux, et que les femmes et les enfants soient souvent le plus durement frappés par les conséquences économiques et sociales de la pandémie.

26.        Comme l’accès au meilleur traitement disponible est l’un des droits fondamentaux des malades, les pays où les recherches sur le sida sont relativement avancées devraient faire tout ce qui est en leur pouvoir pour que les pays moins heureux, où la maladie se propage rapidement, puissent en faire bon usage.

VI.        Conclusions et recommandations

27.        Il est indubitable que le VIH/sida touche de plus en plus de femmes et de jeunes filles, en Europe et dans le monde entier. L’épidémie présente une grande hétérogénéité, d’un pays à l’autre comme à l’intérieur de chaque pays (en Europe orientale, le principal mode de transmission est la consommation de drogues injectables ; dans le reste de l’Europe, ce sont les rapports sexuels). Mais elle présente aussi une tendance générale : les infections au VIH nouvellement diagnostiquées concernent de plus en plus souvent des femmes, notamment des jeunes femmes.

28. Cette évolution ne saurait surprendre dans la mesure où l’épidémie, depuis longtemps déjà, gagne la population générale en partant des groupes « à haut risque » (homosexuels, consommateurs de drogues injectables et prostituées). En France, plus de la moitié des nouveaux diagnostics d’infection VIH concerne des personnes contaminées par rapports hétérosexuels, 22% par rapports homosexuels et 2% seulement par usage de drogues injectables. Cependant, depuis la découverte d’un traitement, la trithérapie, capable de retarder considérablement le développement du virus, de nombreuses personnes, notamment parmi les jeunes adultes, semblent abandonner toute prudence. Cette attitude explique en grande partie l’augmentation du nombre d’infections chez les jeunes femmes.

29. Mais ce n’est pas la seule explication. Les femmes sont physiologiquement plus vulnérables que les hommes vis-à-vis du virus. A cette vulnérabilité peuvent s’ajouter la dépendance sociale et économique, les attitudes sexistes et la violence domestique. La combinaison de ces facteurs peut avoir des conséquences fatales : les femmes qui, d’une manière ou d’une autre, sont dépendantes des hommes avec lesquels elles ont des rapports sexuels, n’ont pas toujours la possibilité de refuser des rapports sexuels ou d’exiger l’utilisation de préservatifs.

30. L’émancipation des jeunes filles et des femmes en Europe est donc un élément clé de la lutte contre le VIH/sida. Les jeunes filles comme les femmes doivent être correctement informées des risques liés à certains comportements, et doivent se voir donner la possibilité d’agir en conséquence. Les hommes ont eux aussi un rôle à jouer dans la lutte contre la propagation de l’épidémie : ils doivent mettre fin à certains comportements dangereux typiquement masculins, et doivent coopérer avec les femmes afin de briser la spirale de l’inégalité des sexes et de la violence fondée sur le sexe.

31. Parallèlement, il est important de combattre la discrimination contre les femmes et les jeunes filles séropositives. Les tests de dépistage du VIH, notamment les tests prénatals, doivent être confidentiels ; ils exigent un consentement éclairé et doivent s’accompagner de conseils et d’informations sur les possibilités de traitement (y compris les traitements destinés à empêcher la transmission du virus de la mère à l’enfant). L’accès à de tels services ne doit pas dépendre du sexe de la personne concernée.

32. L’Assemblée parlementaire devrait se baser sur les recommandations formulées dans le rapport de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille sur le VIH/sida en Europe et devrait recommander que le Comité des Ministres veille à la prise en compte d’une perspective de genre dans tous les travaux sur le VIH/sida au sein du Conseil de l’Europe et dans ses Etats membres.

33. L’Assemblée devrait recommander en outre que le Conseil de l’Europe et ses Etats membres concentrent leurs efforts sur les mesures suivantes pour enrayer la propagation du VIH/sida parmi les femmes et les jeunes filles en Europe :

i.       promouvoir et développer des programmes scolaires, y compris d’éducation sexuelle, qui prennent en compte les spécificités des deux sexes ;

ii.       soutenir la mise en place de programmes de prévention et de campagnes de sensibilisation relatifs au VIH/sida, en veillant notamment à la diffusion auprès des jeunes adultes d’informations adéquates et ciblées, par les médias et par d’autres canaux d’information ;

iii.       mettre en œuvre des politiques de dépistage et de traitement adaptées aux spécificités des deux sexes et fondées sur les droits de l’homme ;

iv.       combattre la discrimination contre les personnes séropositives, notamment les femmes séropositives ;

v.       œuvrer à l’échelle nationale et internationale à la mise en place de cadres juridiques et institutionnels permettant de garantir le respect, la protection et l’exercice des droits fondamentaux des femmes et des jeunes filles, y compris en Europe ;v

vi.       mener une campagne européenne de sensibilisation de lutte contre le sida à l’image de ce qui est fait cette année pour lutter contre les violences domestiques.

Commission chargée du rapport: Commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes

Renvoi en commission : Doc N° 10803, renvoi N°  3176 du 27 janvier 2006

Projet de recommandation adopté à l'unanimité par la commission le 12 décembre 2006.

Membres de la commission: Mme Minodora Cliveti (Présidente), Mme Rosmarie Zapfl-Helbling (1re Vice-Présidente), Mme Anna Čurdová (2e Vice-Présidente), Mme Svetlana Smirnova (3e Vice-Présidente), Mme Birgitta Ahlqvist, Mme Elmira Akhundova, Mme Željka Antunović, Mme Aneliya Atanassova, M. John Austin, M. Denis Badré, Mme Marieluise Beck, Mme Gülsün Bilgehan, Mme Oksana Bilozir, Mme Raisa Bohatyryova (suppléant : M. Ivan Popescu), Mme Olena Bondarenko, M. Krzysztof Bosak, Mme Mimount Bousakla, M. Paul Bradford, Ms Sanja Čekoviċ, Mme Ingrīda Circene, Mme Diana Çuli, Mr Ivica Dačiċ, M. Marcello Dell’utri, M. José Luiz Del Roio, Mme Lydie Err, Mme Catherine Fautrier, M. Adolfo Fernández Aguilar, Mme Maria Emelina Fernández Soriano, Mme Sonia Fertuzinhos, Mme Margrét Frímannsdóttir, M. Piotr Gadzinowksi, Mme Alena Gajdůšková, M. Pierre Goldberg, Mme Claude Greff, M. Attila Gruber, Mme Carina Hägg, M. Poul Henrik Hedeboe, M. Ilie Ilaşcu, Mme Halide Incekara, Mme Danuta Jazlowiecka, Mme Eleonora Katseli, Baroness Knight of Colingtree, Mme Angela Leahu, Mme Minna Lintonen, Mme Assunta Meloni, M. José Mendes Bota, Mme Danguté Mikutiené, Mme Ilinka Mitreva, M. Burkhardt Müller-Sönksen, Mme Christine Muttonen, Mme Hermine Naghdalyan, M. Hilmo Neimarlija, Mme Vera Oskina, M. Ibrahim Özal, Mme Elsa Papadimitriou (suppléante : Mme Maria Damanaki), M. Jaroslav Paška, Mme Fatma Pehlivan (suppéante : Mme Marie-José Laloy), Mme Maria Agostina Pellegatta, Mme Antigoni Pericleous-Papadopoulos, M. Leo Platvoet, Mme Majda Potrata, M. Jeffrey Pullicino Orlando, Mme Marlene Rupprecht, Mme Klára Sándor, Mme Giannicola Sinisi, Mme Rodica-Mihaela Stănoiu, Mme Darinka Stantcheva, Mme Elene Tevdoradze, Mme Ruth-Gaby Vermot-Mangold, Mme Betty Williams, Mme Jenny Willott, M. Gert Winkelmeier, Mme Karin S. Woldseth, Mme Gisela Wurm.

N.B. Les noms des membres qui ont pris part à la réunion sont imprimés en gras.

Secrétariat de la commission: Mme Kleinsorge, Mme Affholder, Mme Devaux


1 Marc Danzon : « Providing treatment, preventing transmission - the challenge of HIV/AIDS in Europe today », in : Srdan Matic, Jeffrey V. Lazarus et Martin C. Donoghue (éds.) : HIV/AIDS in Europe, OMS 2006, p. xii.

2 Srdan Matic : « Twenty-five years of HIV/AIDS in Europe », in : Srdan Matic, Jeffrey V. Lazarus et Martin C. Donoghue (éds.) : HIV/AIDS in Europe, OMS 2006, p. 3.

3 Marc Danzon : « Providing treatment, preventing transmission », op. cit., p. xii.

4 Charlotte Watts, Cathy Zimmermann et Brenda Roche : « Violence against women and trafficking: a priority for HIV programmes? », in : Srdan Matic, Jeffrey V. Lazarus et Martin C. Donoghue (éds.) : HIV/AIDS in Europe, OMS 2006, p. 216.

5 Srdan Matic : « Twenty-five years of HIV/AIDS in Europe », op. cit., p. 3.

6 Ruth Morgan Thomas, Licia Brussa, Veronica Munk et Katarína Jirešová : « Female migrant sex workers: at risk in Europe », in : Srdan Matic, Jeffrey V. Lazarus et Martin C. Donoghue (éds.) : HIV/AIDS in Europe, OMS 2006, p. 205.

7 Organisation mondiale de la santé : Toolkit for targeted HIV/AIDS prevention and care in sex work settings, OMS 2005.

8 Ibid, p. 220.

9 Déclaration OMS/11 du 28 novembre 2000