1. Introduction
1. La nécessité de concevoir de nouvelles approches,
novatrices et plus efficaces, pour faire face aux flux migratoires
et de réfugiés est de plus en plus largement reconnue. L’arrivée
massive de migrants irréguliers et de demandeurs d’asile sur les
rivages du sud de l’Europe, tout au long de l’année 2006 et encore
en 2007, met en évidence l’étendue du problème.
2. Un certain nombre de propositions ont été faites, dans le
passé, pour gérer ces flux. L’une d’elles tend à établir des centres
de transit ou de traitement destinés à recevoir les migrants irréguliers
et les demandeurs d’asile qui arrivent en Europe, à traiter leurs
demandes et à les installer dans le pays d’accueil ou à les reconduire
dans le pays d’origine. Ces propositions connaissent plusieurs variantes
selon que l’établissement de tels centres est envisagé au sein de
l’Union européenne, aux frontières de l’Union mais sur le continent européen,
ou hors de l’Europe.
3. Les propositions émises à ce jour n’ont pas reçu un vaste
soutien et soulèvent de graves inquiétudes, notamment dans le domaine
des droits de l’homme et quant aux responsabilités de l’Etat à l’égard
des migrants irréguliers et des demandeurs d’asile.
4. Le présent rapport a pour but d’étudier les différentes propositions
concernant la création de centres de transit ou de traitement avancées
jusqu’à présent, ainsi que les exemples d’initiatives de ce type
conduites par le passé. Ayant examiné ces propositions et ces exemples,
le rapport se penchera sur les principales inquiétudes et critiques
liées à la création des centres de transit ou de traitement.
5. La création de centres de transit ou de traitement ne domine
plus l’actualité européenne, mais la situation pourrait fort bien
changer dans un proche avenir. La Commission européenne entend notamment lancer
une étude de faisabilité sur des centres de traitement intraterritoriaux
et extraterritoriaux dans la seconde moitié de 2007. En outre, compte
tenu du renforcement des patrouilles navales de l’agence européenne
FRONTEX en 2007 en Méditerranée et au large des côtes ouest de l’Afrique,
une augmentation du nombre de fugitifs interceptés en mer est à
prévoir, ce qui pose la question de savoir où accueillir ces personnes
et traiter leurs demandes. C’est pourquoi il importe que l’Assemblée
parlementaire apporte sa contribution à toute discussion en cours
et future. Dans ce cadre, l’Assemblée devra faire valoir ses préoccupations
concernant les centres de transit ou de traitement. Parallèlement,
elle devra être prête à formuler des propositions et à soutenir
de nouvelles approches, novatrices et plus efficaces, pour la gestion des
flux migratoires et de réfugiés.
6. Lors de la préparation du présent document, le rapporteur
a bénéficié de l’aide précieuse de M. Alexander Betts, du St. Antony’s
College de l’université d’Oxford (Royaume-Uni), et du Dr Peter
van Krieken (Vientiane), de la Webster University/Röling Foundation.
Elle tient à remercier tous deux pour leur assistance.
1.1. Contexte
7. Comme indiqué dans la
Résolution 1521 (2006) de l’Assemblée
parlementaire sur l’arrivée massive de migrants irréguliers sur
les rivages de l’Europe du Sud, le nombre de migrants irréguliers
et de demandeurs d’asile qui arrivent sur les côtes méridionales
de l’Europe suscite une inquiétude croissante. L’Espagne, par exemple,
a vu le nombre de migrants joignant les îles Canaries passer de
4 700 en 2005 à environ 34 000 en 2006. L’Italie a compté plus de
22 000 arrivées par mer, et des pays comme Malte, Chypre, la Grèce
et la Turquie ont également eu à porter un lourd fardeau pour la
prise en charge des arrivants.
8. Ces tentatives d’atteindre l’Europe s’accompagnent d’importantes
pertes de vies humaines, avec notamment des morts par noyade, par
hypothermie ou par déshydratation; on signale également des violences perpétrées
par les passeurs. En 2006, le nombre de décès vérifiés parmi les
personnes ayant tenté de pénétrer en Espagne s’élevait à 1 167,
mais les estimations font état d’un chiffre probable d’environ 7
000 morts
. Cela signifie
qu’une personne sur cinq a trouvé la mort en tentant d’atteindre
l’Espagne.
9. Les pays les plus exposés à ce flux de migrants et de demandeurs
d’asile éprouvent des difficultés croissantes à y faire face. De
plus en plus, ils recherchent des moyens de partager ce fardeau
en Europe et appellent à l’adoption de nouvelles approches, novatrices
et efficaces, pour gérer le flux mixte de migrants et de demandeurs
d’asile.
10. Il convient de reconnaître que, si les problèmes sont particulièrement
visibles sur les rivages de l’Europe du Sud, les autres frontières
de l’Europe, notamment à l’est, voient également arriver et passer
d’importants flux de migrants irréguliers et de demandeurs d’asile.
11. C’est pour gérer ces flux mixtes de migrants irréguliers et
de demandeurs d’asile que les propositions visant à établir des
centres de transit ou de traitement ont été avancées.
1.2. Définition
12. Les propositions concernant les centres de transit
ou de traitement diffèrent entre elles tant par leur nature que
par leur niveau de formalisation dans des documents écrits. Néanmoins,
on peut donner une définition générale de ces centres comme des
centres fermés ou ouverts situés dans des pays de transit ou de
destination, à l’intérieur de l’Union européenne, à l’extérieur
de l’Union mais en Europe, ou à l’extérieur de l’Europe. Les centres
peuvent avoir pour tâche d’examiner les demandes d’asile, d’organiser
l’installation des réfugiés dans le pays d’accueil et d’assurer
le retour des non-réfugiés (y compris les migrants irréguliers)
dans leur pays d’origine, ou d’offrir d’autres solutions à ces derniers.
Ils peuvent également avoir pour tâche d’effectuer un premier filtrage
ou un aiguillage destinés à orienter les personnes concernées vers
un autre pays pour traitement de leur demande ou retour dans le
pays d’origine.
1.3. But
13. Les propositions portant sur la création de centres
de transit ou de traitement visent en premier lieu à traiter les
problématiques du «lien asile-migration» et des «flux mixtes de
migrants et de demandeurs d’asile». Ces expressions se rapportent
au fait que les réfugiés et les migrants empruntent les mêmes voies
pour parvenir en Europe et partagent certains motifs de fuite. L’appartenance
à une catégorie de migrants est rarement fixe et les moyens employés
pour se rendre en Europe, tels que les réseaux de contrebande et
de traite, sont souvent identiques.
14. La création de centres de transit ou de traitement a donc
pour but de concilier la maîtrise des flux migratoires avec l’équité
et l’efficacité des procédures d’asile. Plusieurs arguments sont
avancés à cet égard. Les protagonistes soutiennent que les centres
peuvent contribuer au partage des tâches entre les Etats européens,
faciliter l’harmonisation du traitement des demandes, et améliorer
la qualité des processus décisionnels. Ils soulignent également
que, selon le lieu d’établissement des centres, ceux-ci peuvent rapprocher
autant que possible les lieux d’accueil des pays d’origine, ce qui
permet dans certains cas d’éviter aux réfugiés de longs et dangereux
déplacements. Enfin, de tels centres permettraient de réduire le
coût du traitement des demandes, offriraient aux Etats la possibilité
de partager des ressources, et auraient un effet dissuasif sur la
migration illégale.
1.4. Impulsion donnée par l’Union européenne
15. Après que le Conseil européen de Tampere se fut penché,
en 1999, sur la nécessité d’élaborer une politique commune de l’Union
européenne en matière d’asile, le Conseil européen de Séville a
reconnu, en 2002, l’opportunité de développer la coopération avec
les pays tiers dans les domaines de l’asile et des migrations, afin
de mieux gérer les migrations irrégulières tout en assurant aux
personnes ayant besoin de protection internationale un accès à celle-ci.
Le programme de La Haye, adopté par le Conseil européen de Bruxelles
en 2004
, formule des propositions plus concrètes
au sujet des centres de transit ou de traitement. Il demande la
réalisation d’une étude de faisabilité sur le «traitement extraterritorial».
Le plan d’action
visant à
appliquer le programme de La Haye, adopté le 2 juin 2005, propose
toutefois de réaliser des «études sur les conséquences du traitement
commun des demandes d’asile (...) dans l’Union et en dehors du territoire
de l’UE», sans définir de politique allant dans le sens d’un traitement
extraterritorial. Or le programme de La Haye souligne également
la nécessité d’améliorer la protection dans les régions d’origine
et aussi, dans une certaine mesure, dans les régions de transit,
notamment au moyen des Programmes de protection régionaux (PPR)
de l’Union européenne. Dans ce contexte, certains Etats membres
et la Commission européenne ont préconisé des mesures et formulé
des propositions. Ils ont mis l’accent sur l’établissement de partenariats
avec les pays des régions d’origine des réfugiés ou les pays de
transit vers l’Union européenne afin soit d’assurer aux intéressés
une protection effective dans leur région d’origine, soit de situer
le traitement des demandes d’asile au-delà des frontières extérieures
de l’Union. La notion de centres de transit ou de traitement s’inscrit
dans ce débat plus large. La Commission européenne prévoit d’entamer
dans la seconde moitié de 2007 une étude de faisabilité sur le traitement
intraterritorial et extraterritorial des flux mixtes de migrants
et de demandeurs d’asile.
2. Précédents
2.1. Les Etats-Unis et la baie de Guantánamo
16. Au début des années 1990, les Haïtiens interceptés
en mer par la marine américaine étaient emmenés à la base navale
américaine de Guantánamo, à Cuba, où leurs demandes d’asile étaient
traitées par le US Immigration and Naturalization Service (Service
d’immigration et de naturalisation américain). Ceux dont la crainte
de persécutions était jugée crédible étaient transférés aux Etats-Unis,
où on les autorisait à présenter formellement leurs demandes d’asile.
Le Gouvernement américain procédait également à un examen rapide des
demandeurs d’asile haïtiens en mer, à bord du navire-hôpital américain Comfort. La majorité des Haïtiens ont
été renvoyés dans leur pays d’origine en 1994, quand cette politique
a pris fin et que la situation politique a changé à Haïti.
2.2. L’Australie et la «Pacific Solution»
17. En 2001, après avoir interdit d’accoster à un cargo
norvégien (le Tampa) qui avait
porté secours à 438 personnes au large de l’île Christmas, le Gouvernement
australien a transporté les demandeurs d’asile du bateau à Nauru
et en Papouasie-Nouvelle Guinée. L’incident du Tampa a suscité la formalisation
d’une législation sur le traitement «offshore» dans ces Etats. Dans
chacun d’eux, le Gouvernement australien a financé l’installation
de centres de traitement qui, gérés par l’Organisation internationale
pour les migrations (OIM), assuraient des services sociaux et humanitaires;
des agents australiens de l’immigration y procédaient à la détermination
du statut de réfugié des demandeurs en étroite coopération avec
le HCR. Les personnes ayant reçu le statut de réfugié ont été réinstallées
dans six pays. Celles réinstallées en Australie y ont reçu des visas
de protection temporaires. Près de 500 personnes, provenant de sept
pays, ont regagné volontairement leur pays d’origine. On peut noter
qu’il n’a pas été donné suite aux propositions australiennes (été
2006) tendant à l’envoi systématique de la plupart des demandeurs
d’asile à Nauru aux fins de traitement de leur demande.
2.3. Le Plan d’action global pour les réfugiés indochinois
18. En 1989, le Plan d’action global pour les réfugiés
indochinois avait pour but de traiter un flux mixte de réfugiés
et d’autres migrants qui quittaient la République socialiste du
Viêt Nam et traversaient les eaux internationales pour se rendre
dans les Etats membres de l’ASEAN et à Hong Kong
.
L’initiative s’appuyait sur un accord international entre le pays
d’origine, les pays de premier asile de la région et des pays tiers
au-delà de celle-ci. En particulier, les pays de premier asile –
notamment la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie, les Philippines
et Hong Kong – se sont entendus pour continuer d’accueillir et de
filtrer les demandeurs d’asile plutôt que de les renvoyer de force
sans procédure d’examen de leur demande. Ils l’ont fait à la double condition
que des pays tiers extérieurs à la région, notamment l’Australie,
les Etats-Unis et les pays européens, se déclarent prêts à accueillir
les personnes ayant obtenu le statut de réfugié et arrivées après
une date limite, et que le pays d’origine soit disposé à réintégrer
(avec une aide internationale) celles à qui le statut de réfugié avait
été refusé.
19. Dans le cadre du plan d’action, les procédures et équipements
établis dans les pays de premier asile ont un rôle analogue à celui
des éventuels centres de transit ou de traitement: il s’agit de
distinguer les réfugiés des autres migrants, dans leur région d’origine,
au moyen d’une procédure de détermination du statut de réfugié.
Contrairement toutefois aux autres précédents, le filtrage effectué
dans ces pays n’a débuté qu’une fois conclu un accord préalable
sur le rôle des différents groupes d’Etats, qui garantissait qu’avant
1996 tous les réfugiés ou migrants vietnamiens seraient soit réinstallés,
soit renvoyés au Viêt Nam. Ce type d’accord multilatéral clair entre
pays d’origine, pays de réinstallation et pays d’hébergement permet
de limiter la durée d’hébergement – qui s’apparente de facto à une longue détention
au centre extraterritorial australien de Nauru, par exemple. Bien
que les conditions de détention et de retour aient été fréquemment
critiquées, et en dépit de certains problèmes concernant la réinstallation
de plusieurs personnes ayant obtenu le statut de réfugié, cette
approche fondée sur la coopération internationale a permis de résoudre
une situation qui peut être considérée comme analogue à l’actuel
lien asile-migration transméditerranéen.
3. Propositions pertinentes
3.1. Le document «New Vision» du Royaume-Uni
20. Les deux propositions du Royaume-Uni relatives à
la création de «zones de protection régionales» (ZPR) et de «centres
de traitement de transit» (CTT) remontent à mars 2003
.
La première concerne le renforcement de la capacité de protection
dans la région d’origine, et la deuxième, la création de centres
de traitement extraterritoriaux. Il y est envisagé que l’Union européenne
finance et gère des CTT situés hors de son territoire. Les migrants
interceptés en route vers l’Union européenne ou identifiés comme
ayant des revendications «manifestement infondées» en arrivant sur
le territoire de l’Union seraient envoyés dans les centres en question
pour y faire examiner leur demande d’asile. Ceux dont on établirait
qu’ils ont besoin d’une protection internationale recevraient le
statut de réfugié au sein de l’Union européenne et pourraient être répartis
entre les Etats membres à l’aide d’un mécanisme de partage des tâches
au niveau de l’Union. Les autres seraient reconduits dans leur pays
d’origine sur la base d’accords de réadmission. Le Royaume-Uni a proposé
qu’un CTT pilote soit créé en Croatie. Cette démarche a reçu le
soutien des Gouvernements danois et néerlandais, qui ont développé
l’idée de cette opération conjointement avec le Royaume-Uni dans
le cadre de consultations intergouvernementales. Cependant, en raison
de vives critiques de la part d’ONG et d’universitaires concernant
les limites pratiques et juridiques de l’approche «New Vision
»,
ces propositions ont été rejetées par les autres Etats membres de
l’UE au Conseil européen de Thessalonique, en juin 2003
.
3.2. Les «trois volets» du HCR
21. En 2003, en même temps qu’était examinée la proposition
«New Vision» du Royaume-Uni, le HCR publiait un document de travail
sur les trois volets d’une politique d’asile de l’Union européenne:
premièrement, amélioration de la protection et des solutions dans
les régions d’origine; deuxièmement, amélioration des procédures
d’asile internes; troisièmement et surtout, un «volet Union européenne
».
Ce dernier proposait un système de traitement commun doté d’un mécanisme
de partage des tâches au niveau de l’Union et suggérait que les
centres d’accueil de l’UE faciliteraient l’application d’une politique
d’asile commune et plus équitable. Contrairement aux propositions
du Royaume-Uni, le «volet Union européenne» partait de l’idée que
ces centres devraient être situés sur le territoire de l’Union européenne
afin que des normes juridiques communes puissent y être appliquées.
Ce point est important car il met en lumière la crainte du HCR que
le transfert de la procédure de détermination du statut de réfugié
dans des Etats aux structures juridiques moins développées affaiblisse
les obligations des Etats en matière de protection et, partant,
les droits des réfugiés.
22. En 2006, le HCR, continuant d’exprimer sa préoccupation quant
aux flux mixtes de migrants et de demandeurs d’asile, a élaboré
un plan d’action en 10 points pour la gestion des flux migratoires
mixtes. Ce plan d’action ne prévoit pas d’établir des centres de
transit ou de traitement mais souligne, parmi ses priorités, la
nécessité d’une coopération entre les principales parties concernées.
3.3. Les propositions d’Otto Schily
23. En juillet 2004, Otto Schily, alors ministre allemand
de l’Intérieur, a proposé la création en Afrique du Nord de «zones
sûres» ou de camps financés par l’Union européenne. Devant le Conseil
«Justice et affaires intérieures», à Bruxelles, il a déclaré que
ces centres serviraient à accueillir les personnes se trouvant dans des
pays de transit du Maghreb et souhaitant traverser la Méditerranée.
Celles dont on estimerait qu’elles ont besoin d’une protection internationale
seraient admises dans l’Union européenne, et celles considérées comme
«migrants irréguliers» seraient soit reconduites dans leur pays
d’origine par le pays hôte nord-africain – avec l’aide de l’Union
européenne –, soit informées des autres filières de migration.
24. Ces propositions ont reçu le soutien de M. Pisanu, alors ministre
italien de l’Intérieur, et de M. Buttiglioni, alors pressenti pour
occuper le poste de commissaire de l’Union européenne pour la justice
et les affaires intérieures. Elles ont été examinées par le Bundestag
allemand et par le Conseil «Justice et affaires intérieures». Toutefois,
ce n’est qu’en septembre 2005 que les idées de M. Schily ont été
rendues publiques, dans un document les décrivant plus en détail
sous le titre «Protection effective des réfugiés, mesures effectives
contre les migrations illégales». Selon ces propositions, les migrants
seraient interceptés en Méditerranée et envoyés dans les centres
de traitement extraterritoriaux; les centres en question ne se prononceraient
pas sur l’octroi du statut officiel de réfugié, mais procéderaient
simplement à un premier filtrage. Les personnes ayant besoin d’une
protection seraient transférées soit dans des pays sûrs de la région d’origine,
soit dans l’Union européenne, dans un premier temps sur la base
d’une forme quelconque de statut humanitaire
.
3.4. La Libye
25. Après la catastrophe du
Cap
Anamur , l’Italie et la Libye ont passé,
en août 2004, un accord de coopération en matière d’immigration
illégale. Dans le cadre de cet accord, on pense que l’Italie a conclu également
un accord bilatéral de réadmission avec la Libye. Bien que la chose
ait été officiellement démentie et que le secret entoure les relations
entre les deux Etats, le grand nombre de personnes renvoyées de
l’île de Lampedusa laisse penser qu’il y a eu au moins accord informel.
Un rapport du Parlement italien sur les comptes publics a révélé
le versement d’une somme considérable à la Libye, y compris l’existence
d’articles budgétaires relatifs à un soutien financier supplémentaire
en rapport avec les migrations. De fait, M. Pisanu, alors ministre
italien de l’Intérieur, a déclaré que l’Italie réaliserait son projet
de créer des centres de traitement extraterritoriaux en Libye. Lors
de la rédaction du présent rapport, on ignorait encore dans quel
sens le Gouvernement italien réglerait ces questions.
26. Sous l’égide de l’Italie, l’UE a ensuite organisé une mission
de dix jours en Libye pour un groupe d’experts de la Commission
et des Etats membres, en décembre 2004. En janvier 2006, la Commission
a proposé d’allouer 2 millions d’euros de financement AENEAS à l’OIM
pour «renforcer les capacités de la Libye à traiter les migrations
de transit illégales de façon humaine et ordonnée
». Indépendamment du
fait qu’un centre de transit soit ou doive être établi en Libye,
notons que ce pays n’a toujours pas adhéré à la Convention de 1951
relative au statut des réfugiés. Il convient également de souligner
que la Libye aurait renvoyé des demandeurs d’asile dans des pays
comme l’Egypte ou l’Erythrée sans avoir convenablement observé les procédures
nécessaires à la détermination de leur statut
.
4. Types de centres
27. Il ressort de la diversité des précédents et des
propositions récentes que les centres de transit ou de traitement
peuvent prendre des formes présentant d’importantes différences,
lesquelles auront des incidences pratiques et juridiques considérables.
28. Un centre de transit ou de traitement peut être, d’une part,
un centre servant à examiner les demandes d’asile de migrants soit
en route vers l’Europe, soit arrivés en Europe. D’autre part, il
peut s’agir d’un centre où sont envoyés, pour traitement de leur
demande, les migrants ayant demandé l’asile sur le territoire de
l’Europe, auquel cas le centre peut se trouver sur ce même territoire,
hors de ce territoire mais en Europe (dans l’Union européenne ou
en dehors de l’Union européenne), ou hors du continent européen.
Un tel centre peut également servir à traiter les demandes d’asile
déposées en dehors de l’Europe. En outre, il peut s’agir d’un centre
à fonction d’orientation, c’est-à-dire où les demandeurs sont soumis
à un premier filtrage sans examen formel de leur demande. De surcroît,
un centre peut être placé sous la responsabilité du pays où il se
trouve, sous une responsabilité partagée (entre le pays où il se
trouve, le pays européen concerné, l’Union européenne en tant qu’institution
et/ou le HCR), ou encore sous la seule responsabilité de l’Union
européenne ou du pays européen concerné (auquel cas il est doté
du statut diplomatique et de l’immunité correspondante).
4.1. Qui gère les centres?
29. Si les centres étaient créés à l’initiative de l’UE
ou de certains Etats membres, il resterait à déterminer qui exactement
serait responsable de leur gestion et quelles fonctions les Etats
européens délégueraient aux Etats hôtes ou à d’autres organisations.
Seraient-ce l’Union européenne (comme dans les propositions du Royaume-Uni),
des organismes internationaux tels que l’OIM et le HCR (comme dans
la «Pacific Solution») ou le pays hôte (comme dans les relations
de l’Italie avec la Libye)? Comment le HCR devrait-il contribuer
à superviser le mode de détermination du statut de réfugié ou les
autres formes de filtrage? Ce sont là des questions importantes,
car elles pèsent sur le fait de savoir quel système juridique s’appliquerait,
quels Etats auraient quelles obligations, et de quels droits jouiraient
les demandeurs d’asile et les migrants. En outre, elle auront également
un fort impact sur les législations internes des divers Etats membres,
qui devront peut-être subir des amendements avant que les autorités
puissent s’engager dans le traitement extraterritorial et (ou) le transfert
de responsabilités au-delà de ce que prévoit Dublin 2. Dans l’hypothèse
où l’UE assumerait une responsabilité dans la gestion des centres,
il pourrait également être nécessaire de revoir son cadre juridique.
4.2. A qui seraient destinés les centres?
30. Les propositions récentes varient aussi en fonction
des groupes de migrants dont s’occuperaient les centres. D’une part,
les propositions du Royaume-Uni et les propositions écrites de M. Schily
impliquent que les migrants peuvent être interceptés en cours de
transit et reconduits, pour traitement extraterritorial de leur demande,
dans le pays par lequel ils sont passés. Il en est de même pour
les migrants aux demandes manifestement infondées et provenant d’un
pays de transit. D’autre part, les centres peuvent simplement servir à
accueillir les personnes qui arrivent sur le territoire du pays
de transit. Cette distinction a son importance, car d’elle dépend
qu’un transfert fasse partie ou non du processus et aussi que les
Etats européens puissent être tenus ou non de ne pas refouler des
demandeurs d’asile du fait que ceux-ci ont atteint l’Union européenne
ou ont été interceptés en mer. Dès lors que des migrants ont atteint
l’Union européenne ou ont été interceptés en Méditerranée, par exemple,
l’Etat membre concerné aura l’obligation juridique à la fois directe
et indirecte de veiller à ce que les intéressés ne soient pas renvoyés
dans leur pays au risque d’y subir des tortures ou des persécutions.
4.3. Qu’advient-il après la procédure de détermination
du statut de réfugié?
31. Il est probable qu’après le filtrage ou la détermination
du statut de réfugié, on aura identifié au moins quatre groupes
pour chacun desquels existera une option particulière: les réfugiés
qui n’ont trouvé de protection effective nulle part ailleurs; ceux
qui ont entrepris un mouvement secondaire après en avoir déjà trouvé
une; ceux qui auraient pu en trouver une ailleurs, car ils sont
passés par des pays où une telle protection leur aurait été en principe
accessible; enfin, les non-réfugiés. Dans le premier cas, ceux identifies
comme ayant de bonnes raisons de craindre des persécutions ou relevant
du principe de protection subsidiaire de la directive communautaire
concernée (2004/83/EC) pourraient être autorisés à se réinstaller
sur le territoire de l’Union européenne dans le cadre d’un système
de partage des tâches (selon les propositions du Royaume-Uni ou
la formule des trois volets), autorisés à se réinstaller dans le
pays où ils avaient initialement l’intention de se rendre, ou envoyés
dans un «pays tiers sûr» (selon les propositions Schily). Dans le
deuxième cas, ceux qui ont entrepris un mouvement secondaire pourraient
être renvoyés dans leur premier pays d’asile, autorisés à rester
dans le pays de transit, ou se voir accorder un statut humanitaire
au sein de l’Union. Dans le troisième cas, les non-réfugiés pourraient
être renvoyés dans leur pays d’origine s’il était possible d’identifier
celui-ci avec certitude. Une difficulté surgit lorsque les autorités
du pays d’origine refusent le retour du demandeur d’asile ou lorsque
le centre ne peut identifier la nationalité de l’intéressé ou l’itinéraire
qu’il a suivi. Les non-réfugiés peuvent aussi recevoir des informations
sur d’autres filières de migration.
4.4. Quelles sont les conditions à remplir?
32. Les centres pourraient adopter plusieurs approches
distinctes, qui diffèrent notamment par le degré de liberté de mouvement
et le degré d’accès temporaire au marché du travail qu’elles permettraient
d’accorder aux migrants en transit. Les centres peuvent être fermés
ou ouverts, mais doivent toujours offrir les services et facilités
de base, en vertu de la directive pertinente des Communautés. La
formule des centres fermés se retrouve dans la plupart des propositions
actuelles et des précédents en la matière. Le fonctionnement des centres
doit reposer sur des bases juridiques solides, en particulier l’application
des directives pertinentes EC/EU (comme la Directive 2003/9/EC du
27 janvier 2003, qui fixe les normes minimales de réception des demandeurs
d’asile), un droit de recours, le droit à un conseiller juridique,
etc. Les normes énoncées par le Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(CPT) doivent également être garanties. Assurément, tout doit être
mis en œuvre pour que ces centres soient gérés conformément aux
normes juridiques admises. De fait, étant donné les risques et les
sensibilités en jeu, les normes appliquées doivent être très supérieures
aux normes minimales. A cet égard également, la transparence, l’accessibilité
et la responsabilité sont de règle.
4.5. Où les centres doivent-ils être situés?
33. La plupart des sites proposés pour l’établissement
de centres de transit ou de traitement se trouvent à la périphérie
de l’Union européenne, en Afrique du Nord, dans les Balkans, ou
dans les ex-républiques soviétiques. Il importe de savoir que les
Etats pressentis ont signé dans des mesures variables la Convention de
Genève de 1951 sur le statut des réfugiés et d’autres traités pertinents
en matière de droits de l’homme. Cependant, le rapporteur note également
que dans son document sur les «trois volets», le HCR propose l’établissement
de centres sur le territoire de l’Union européenne.
5. Aspects juridiques
34. La création de centres de transit ou de traitement
soulève plusieurs questions d’ordre juridique dont chacune mérite
d’être étudiée de manière transparente et constructive. Ce sont
notamment le transfert de responsabilité et ses diverses modalités,
et la nécessité de respecter les traités en matière de droits de l’homme
tels que la Convention européenne pour la prévention de la torture
et des peines ou traitements inhumains ou dégradants et la Convention
européenne des Droits de l’Homme (CEDH) ainsi que sa jurisprudence;
ce sont aussi les impératifs procéduraux et pratiques ainsi que
le choix entre centres fermés et centres ouverts. Il est rappelé,
à cet égard, que la directive des Communautés mentionnée précédemment stipule
en son article 7.3 que «lorsque cela s’avère nécessaire, les Etats
membres peuvent obliger un demandeur à demeurer dans un lieu déterminé
conformément à leur droit national, par exemple pour des raisons
juridiques ou d’ordre public».
5.1. Transfert de responsabilité
35. Les articles 33 et 1.
a de
la Convention de 1951 sur les réfugiés impliquent l’obligation de
s’abstenir de refouler les réfugiés vers des pays où ils ont de
bonnes raisons de craindre des persécutions. Ces dispositions imposent
implicitement aux Etats l’obligation procédurale de chercher à établir
le statut de réfugié des demandeurs d’asile plutôt que de les renvoyer
arbitrairement. Erika Feller, du HCR, soutient qu’en ce qui concerne
la protection ou le traitement extraterritorial, «si, sur votre
territoire, un individu fait appel à votre protection et si vous
êtes partie à la Convention, il vous incombe de veiller à ce que
cette personne ait accès à une protection,
que
ce soit dans votre pays ou ailleurs ». Dans le dernier cas,
l’Etat concerné doit s’en tenir à ses engagements vis-à-vis des
autres Parties. D’autres Etats peuvent être d’avis qu’un Etat exposant des
demandeurs d’asile à un traitement extraterritorial n’agit pas conformément
aux dispositions de la Convention de 1951 sur les réfugiés. Une
telle divergence de vues est à prendre au sérieux et nécessite un véritable
débat entre les Etats parties à ladite convention.
36. Toutefois, cela n’implique pas nécessairement que la responsabilité
de la protection des réfugiés et du traitement des demandes d’asile
ne puisse être transférée d’un Etat à un autre. La notion de «pays
tiers sûr» donne du reste à penser qu’un Etat peut transférer un
réfugié ou un demandeur d’asile vers un autre Etat à condition que
toutes les parties soient d’accord pour considérer que le pays tiers
agit conformément aux dispositions de la Convention de 1951 sur
les réfugiés. Au sein de l’Union européenne, «Dublin 1» et «Dublin 2»
sont nés de cette conception des choses
.
Toutefois, le document de septembre 2003 dans lequel le HCR exposait
sa démarche en trois volets semble indiquer que le traitement extraterritorial
ne doit pas être exclu a priori. De plus, un transfert de demandeurs
d’asile vers d’autres Etats aux fins de traitement pourrait se faire selon
trois formules distinctes:
a. le
transfert «intégral» de la responsabilité du traitement des demandes;
b. le traitement extraterritorial des demandes, l’Etat où
celles-ci ont été formulées en premier lieu conservant la responsabilité
de ce traitement;
c. le traitement effectué sur la base d’une responsabilité
partagée, en vertu de laquelle le pays (membre de l’Union) auquel
l’asile a été demandé partagerait la responsabilité de la procédure
et de son exécution avec, par exemple, le HCR et le pays où a effectivement
lieu le traitement.
5.2. Responsabilité juridique
37. Comme indiqué plus haut, la responsabilité du traitement
peut: a. être transférée au
pays dans lequel le centre doit être établi; b. incomber
au pays de l’UE où la demande en question a été déposée; c. être partagée, impliquant éventuellement
le HCR.
38. Dans ce contexte, il faut tenir compte de la Convention européenne
des Droits de l’Homme et de la jurisprudence en la matière. Aucune
action ne doit être entreprise qui comporterait une violation des
obligations découlant de la Convention.
39. En outre, il est reconnu que le Protocole no 7
à la Convention européenne des Droits de l’Homme, qui a pour objet
de conférer aux étrangers les mêmes sauvegardes (procédurales) qu’aux
ressortissants des Etats membres du Conseil de l’Europe, n’a pas
été signé par d’importants membres de l’organisation, notamment l’Allemagne,
la Belgique et les Pays-Bas. En tout état de cause, ce même protocole
souligne que les sauvegardes (procédurales) contenues dans la Convention
ne sont pas toutes automatiquement applicables aux étrangers ou
non-citoyens; c’est là sa raison d’être.
6. Aspects pratiques
6.1. Respect des obligations juridiques
40. L’analyse qui précède montre que, s’il est peu probable
que la création de centres de transit ou de traitement hors de l’UE
soit en elle-même contraire au droit international des réfugiés
ou aux droits de l’homme, les Etats européens doivent résoudre des
problèmes pratiques importants afin de rendre de tels centres compatibles
avec leur législation interne et leurs obligations internationales
(au niveau de l’Union européenne, du Conseil de l’Europe et des
Nations Unies). En ce qui concerne les demandeurs d’asile et les
réfugiés qui ont déjà atteint l’Union européenne ou qui ont été
interceptés par un Etat membre de l’Union alors qu’ils étaient en
route pour l’Europe, le transfert de la responsabilité du traitement
ou de la protection est extrêmement malaisé, car il impose à l’Etat
auteur du transfert la lourde tâche de garantir de façon crédible
que seront honorées à l’étranger toutes les obligations auxquelles
il aurait été astreint vis-à-vis de l’intéressé si ce dernier était
resté sur son territoire. Ces considérations s’appliquent autant
lorsque les individus font l’objet d’un premier filtrage avant d’être
envoyés dans un autre pays pour détermination définitive de leur
statut, que lorsque la procédure formelle de détermination du statut
est entièrement effectuée dans le centre. Dans la mesure où ils
sont concernés par la gestion des centres, les Etats européens conserveront
sans doute leurs importantes responsabilités juridiques vis-à-vis
des demandeurs d’asile qu’ils interceptent en cours de transit.
41. Honorer ces obligations risque de se révéler très difficile
sur le plan concret. La manière dont le transfert a été opéré, la
question de savoir si le centre est ouvert ou fermé, le droit de
recours, l’accès des migrants à la justice, la nécessité d’accroître
la capacité légale qu’a l’Etat d’honorer ces obligations en matière
de droits de l’homme, l’accès à une «protection effective» pour
ceux reconnus comme réfugiés, la nécessité de superviser les installations
ainsi que celle de traiter humainement tous les migrants en obtenant
des assurances et un suivi diplomatiques, tout cela posera de graves
problèmes pratiques, dont la résolution dépendra dans une large
mesure – là encore – du niveau de transfert de la responsabilité
et du mode effectif de traitement (par l’Etat de résidence, l’Etat
d’arrivée, le HCR ou une combinaison des trois).
6.2. Coûts
42. L’un des principaux arguments des protagonistes des
centres de transit ou de traitement est que de tels centres sont
sans doute économiquement plus «efficients» dans la mesure où ils
permettent de réduire les nombreux coûts occasionnés par les procédures
juridiques et par les soins et l’entretien dont bénéficient les demandeurs
d’asile arrivant spontanément en Europe. C’était, par exemple, l’argument
explicite des «propositions du Royaume-Uni», selon lesquelles le
coût du traitement pourrait être réduit par la création de tels
centres. Mais l’expérience australienne du traitement extraterritorial
montre que la gestion des centres de rétention des îles de Nauru
et Manus a coûté beaucoup plus cher que le traitement sur place.
C’est ainsi qu’en 2002-2003, la majeure partie de l’augmentation
du budget pour les réfugiés, qui s’élevait à 1,2 milliard de dollars
australiens, a été affectée au traitement extraterritorial, dont
430 millions dans des pays tiers du Pacifique (Nauru et Papouasie-Nouvelle
Guinée) et 455 millions dans des centres australiens extraterritoriaux (île
Christmas et îles Cocos) pour la période comprise entre 2002-2003
et 2005-2006. En outre, 219 millions ont été affectés à la construction
d’installations et 75 millions au paiement des frais de transit.
S’agissant de la rentabilité comparée du traitement sur place et
du traitement extraterritorial, le coût quotidien moyen du traitement
extraterritorial pour le contribuable a été de 293 dollars aux îles
Christmas et de 236 dollars aux îles Cocos, contre 87 dollars à
Port Hedland, 65 dollars à Sydney et 102 dollars à Woomera, par
exemple
. Le temps pris par le traitement des
demandes et l’exécution de ses résultats s’avérera donc crucial
à cet égard.
6.3. Que faire des personnes non reconnues comme réfugiés?
43. Une grave question en rapport avec la viabilité des
centres de transit et de traitement est de savoir ce qu’il faut
faire des demandeurs d’asile à qui l’on a refusé le statut de réfugié.
Cela peut poser un problème particulier lorsque aucun accord de
réadmission n’a été conclu avec le pays d’origine ou lorsqu’il y
a incertitude ou désaccord sur le pays d’origine du migrant. Le
cas de Nauru montre combien le séjour peut se prolonger dans les
centres extraterritoriaux où les personnes retenues ne peuvent ni
retourner dans leur pays, ni se réinstaller ailleurs. Il faut, à
tout le moins, trouver par quels biais éviter aux intéressés d’être
retenus indéfiniment dans ces centres. On peut certes admettre que
des accords de réadmission faciliteront le retour des demandeurs
d’asile déboutés, mais l’existence de tels accords n’est pas une
condition sine qua non de ce retour, car le droit international
astreint chaque pays à réadmettre ses propres ressortissants. Il
sera plus difficile de s’entendre sur le mode opératoire pour le
retour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d’accords
de réadmission. Dans ces circonstances, il est essentiel d’obtenir
des garanties concernant le respect des droits de l’homme dans le
pays de réadmission. Le rapporteur considère que les accords de réadmission
sont un élément essentiel de la gestion des flux mixtes de demandeurs
d’asile et de réfugiés; la négociation de tels accords, sous réserve
de la pleine prise en compte des aspects liés aux droits de l’homme, nécessite
davantage d’attention.
6.4. Efficacité
44. Etant donné l’environnement complexe et souvent sensible
dans lequel pourraient opérer de tels centres, il serait nécessaire:
a. d’assurer leur transparence, leur
accessibilité et leur responsabilité;
b. d’évaluer périodiquement leur fonctionnement, leurs résultats,
leur efficacité et d’autres aspects connexes. Différents organes
pourraient être impliqués dans cette évaluation, y compris le Comité européen
pour la prévention de la torture (CPT) et l’Assemblée parlementaire
elle-même.
45. De plus, il est très possible qu’un plus grand nombre de personnes
soient tentées d’éviter entièrement le système d’asile et de recourir
à des passeurs clandestins pour atteindre l’Europe, après quoi ils
essaieront de s’y installer comme migrants irréguliers. Cela signifie
qu’il ne faut pas considérer de manière isolée l’établissement de
tels centres, mais relier cette question à celle de la migration
irrégulière en général (notamment l’accès de ces migrants (irréguliers)
au marché du travail), de même qu’à celle des passeurs et des trafiquants,
conformément à la Convention de Palerme de 2000 et aux protocoles
concernant ces questions et certaines questions connexes.
6.5. Conséquences politiques
46. L’établissement de centres de transit ou de traitement
à l’extérieur de l’UE risque de se heurter à une forte opposition
de la part des ONG, des universitaires et aussi de certaines autorités.
C’est pourquoi la réflexion ouverte, en général, et le processus
de décision, en particulier, doivent se faire avec la participation de
toutes les parties prenantes pour permettre à celles-ci de se communiquer
leurs points de vue afin que tous les arguments et renseignements
pertinents soient exposés et examinés. En particulier, la question
de la responsabilité (partagée) et le niveau (nettement plus élevé
que le minimum) des normes à respecter en matière de droits de l’homme
présentent la plus grande importance à cet égard. De même, il faudra
veiller à ce que les Etats dans lesquels de tels centres seraient
établis n’abaissent pas mais renforcent leur niveau d’engagement
à l’égard des droits de l’homme.
47. A l’évidence, les centres en question doivent s’inscrire dans
un effort plus vaste tendant à soutenir les pays qui, comme ceux
du Sud, ont à supporter le véritable fardeau des réfugiés.
7. Questions connexes
7.1. Engagement global dans les régions d’origine
48. La difficulté de s’attaquer aux migrations de transit
via la Méditerranée concerne surtout l’Afrique subsaharienne. Selon
le Centre international pour le développement des politiques migratoires
(ICMPD), sur les 100 000 à 120 000 migrants qui, chaque année, traversent
illégalement la Méditerranée, environ 65 000 viennent d’Afrique
subsaharienne
.
Par ailleurs, une grande partie des migrations de transit via les
Balkans et les pays du Maghreb est originaire du Proche-Orient.
Pour traiter les causes des migrations de transit, il faut élaborer
une approche globale qui soit fondée sur la coopération internationale
et axée à la fois sur les pays d’origine, les pays de premier asile
et les pays de transit. Une telle approche pourrait s’inspirer,
par exemple, du Plan d’action global (PAG) établi par le HCR à la
fin des années 1980 et au début des années 1990. En particulier,
le Plan d’action pour les réfugiés indochinois et la Conférence
internationale sur les réfugiés d’Amérique centrale (CIREFCA) offrent
des exemples de la manière dont la coopération internationale s’est développée
entre pays d’asile, pays d’origine et pays tiers au-delà de la région
concernée afin de régler des problèmes régionaux spécifiques en
matière de réfugiés. Il est cependant crucial, aux fins d’une telle
approche, que l’engagement des Etats européens aille bien au-delà
d’une étroite focalisation sur les pays de transit ou de traitement.
En outre, force est de reconnaître que si le présent document semble
axé sur les demandeurs d’asile plutôt que sur les migrants en général,
les demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée peuvent être
assimilés
de facto à des migrants
irréguliers. Les solutions et procédures à établir pour les demandeurs déboutés
seront donc également utiles au groupe des migrants irréguliers.
7.2. Pays de premier asile
49. Dans le cadre du volet Irregular Secondary Movements
(ISM, Mouvements secondaires irréguliers) de l’initiative Convention
Plus du HCR, l’étude du Forum suisse pour les migrations (FSM) sur
les mouvements secondaires irréguliers des réfugiés somaliens a
montré que l’une des principales causes de mouvement de ces réfugiés
a été l’insuffisance (perçue) de la protection et de l’assistance
et l’absence d’accès à des moyens de subsistance et à des solutions
durables dans les pays de premier asile
. Cela revient à dire que la nécessité
où se trouvent ces gens de continuer à se déplacer vers l’Europe
peut être partiellement réduite par l’offre d’une «protection effective»
dans les pays de premier asile, de même que par un accès opportun
à des solutions durables pour les réfugiés qui ont été longtemps
retenus dans des camps
.
50. Pour que les normes de protection appliquées dans les pays
de premier asile correspondent à celles qu’impose la Convention
de 1951, il faut soutenir les initiatives tendant à accroître la
capacité de protection des pays hôtes. Des normes juridiques plus
pertinentes, de la nourriture en suffisance, un abri, des services sociaux,
la liberté de mouvement, un accès aux moyens d’existence et la garantie
de la sécurité physique figurent parmi les améliorations à apporter
dans les pays de premier asile afin que les intéressés reçoivent
une protection efficace et ne soient pas contraints de poursuivre
leur migration. Le Projet de renforcement des capacités de protection
du HCR et le Programme de protection régionale de l’Union européenne
ont besoin d’un financement massif pour pouvoir répondre convenablement
à ces impératifs.
51. Quant aux réfugiés dont la situation traîne en longueur, on
en compte plus de six millions maintenus dans des limbes sans issue,
souvent confinés pendant plus de cinq ans dans des camps où règne
l’insécurité. En travaillant à la recherche de solutions durables
telles que le rapatriement, l’intégration sur place ou la réinstallation,
on contribue à réduire la nécessité des mouvements migratoires secondaires.
Les Etats européens peuvent agir dans ce sens en étoffant leurs
programmes de réinstallation, en soutenant le développement par
l’intégration locale qui, préconisé par le HCR, a été réalisé dans
des pays tels que la Zambie et la Serbie-Monténégro, ainsi qu’en
prêtant appui aux efforts de transition accomplis après un conflit. Le
soutien des initiatives du HCR visant à élaborer des plans d’action
exhaustifs pour régler le problème des réfugiés de longue durée
– comme le Plan d’action global pour les réfugiés somalis, le Plan
d’action pour le Mexique ou les travaux de l’Afghanistan Comprehensive
Solutions Unit (ACSU) – offre un moyen d’optimiser la recherche
de solutions durables.
52. Dans les situations où des solutions durables ne sont pas
immédiatement applicables en raison, par exemple, d’un conflit persistant,
la notion d’assistance au développement pour les réfugiés, conçue
par le HCR dans le cadre du volet de la Convention «Initiative Plus»
relatif au ciblage de l’assistance au développement, offre un moyen
de promouvoir, de mettre en place et de financer l’autonomie des
réfugiés en attendant que des solutions durables soient trouvées
à leur sujet. En assurant une assistance au développement intégrée, qui
profite aussi bien à la communauté d’accueil qu’aux premiers intéressés,
l’assistance au développement pour les réfugiés permet de favoriser
la liberté de mouvement, l’emploi et la prise en charge sociale
intégrée des intéressés, évitant ainsi à ces derniers de devoir
poursuivre leur migration. L’application la plus notoire de cette
démarche a été observée, d’une part, avec la Stratégie pour l’autonomie
de l’Ouganda, d’autre part, dans la péninsule mexicaine du Yucatan.
7.3. Pays d’origine
53. Le HCR a élaboré le concept des 4 R (rapatriement,
réintégration, réadaptation et reconstruction) afin d’établir une
solution de continuité entre l’aide d’urgence et le développement,
et pour que le retour des réfugiés soit durable et ne débouche pas
sur un cercle vicieux, comme on a pu le voir en Somalie ou en Afghanistan.
S’attacher à améliorer les perspectives de rapatriement durable
permet donc de réduire le «reflux» des mouvements de réfugiés. Toutefois,
pour combler l’écart entre aide d’urgence et développement, il convient
d’assurer plus de cohérence entre les mesures prises, non seulement
– au niveau mondial – entre le HCR, le PNUD et la Banque mondiale,
mais aussi – au niveau de l’Union européenne – entre la DG du développement,
ECHO, la DG de la justice et des affaires intérieures, ainsi que
la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Il faut aussi
un engagement allant au-delà des trois à cinq ans habituels. De
plus, il y a lieu de s’impliquer davantage dans l’édification de
la paix afin d’attaquer les causes premières des flux de réfugiés.
L’Union européenne a entrepris des activités de ce type, notamment
avec ECHO et la DG du développement. C’est ainsi qu’en République
démocratique du Congo, elle a engagé des soldats dans l’opération
Artémis afin d’amorcer une désescalade du conflit. Néanmoins, là
encore, une cohérence accrue s’impose pour rattacher de telles initiatives
à une stratégie d’asile et de migration plus globale.
54. Pour pouvoir traiter les causes premières des autres formes
de migration, il faut comprendre que, dans un contexte marqué par
l’augmentation du chômage dans de nombreuses régions d’Afrique subsaharienne,
la migration de la main-d’œuvre y est suscitée en grande partie
par des facteurs centrifuges. Nombre d’enquêtes relatives aux causes
des migrations de transit à partir de l’Afrique subsaharienne via
le Maghreb révèlent, en effet, que beaucoup de migrants qui quittent
le Nigeria, le Sénégal, le Cameroun et le Mali, par exemple, le font
en réaction à la misère et au dénuement
. Cela met en lumière
la nécessité d’une assistance au développement ciblée, visant à
donner des moyens d’existence durables à ceux que l’on renvoie dans
leur pays d’origine. Il va sans dire que les facteurs d’attirance
jouent un rôle, eux aussi. L’un d’eux est lié à un manque de libre-échange,
de même qu’à la poursuite des subventions agricoles au sein de l’Union.
La plupart du temps, tout se passe comme si l’Europe préférait les
cueilleurs de tomates étrangers (en situation irrégulière) aux tomates
produites dans le pays d’origine de ces mêmes cueilleurs.
8. Conclusions
55. Si la nécessité de concevoir des approches novatrices
et plus efficaces pour faire face aux flux de migrants et de demandeurs
d’asile apparaît clairement, les propositions formulées à ce jour
en ce qui concerne la création de centres de transit ou de traitement
soulèvent un certain nombre de questions et d’inquiétudes sérieuses.
56. Le rapporteur, admettant que de tels centres ne constituent
pas en soi une violation des droits de l’homme ou du droit des réfugiés,
considère qu’il importe de souligner les principales questions et préoccupations
suivantes.
57. Premièrement, comment régler la question de la responsabilité
et garantir que l’éventuel établissement de tels centres ne dispense
aucun Etat de ses responsabilités au regard des droits de l’homme
ou du droit des réfugiés.
58. Deuxièmement, comment faire en sorte que l’éventuel établissement
de tels centres ne remplace pas les procédures d’asile établies
dans les pays européens de destination.
59. Troisièmement, comment s’assurer que de tels centres ne compromettent
pas les politiques, les pratiques et les procédures de détermination
en vigueur dans les pays où ils pourraient être établis.
60. Quatrièmement, comment veiller à ce que les éventuels centres
s’insèrent dans un plan d’action global à l’égard des migrants et
des demandeurs d’asile, qui tienne compte des besoins des personnes
concernées et des besoins des pays d’origine, de transit et de destination.
61. Le rapporteur a parfaitement conscience du fait que les enjeux
sont très différents selon que l’on envisage d’établir des centres
de transit ou de traitement dans des Etats membres de l’UE, dans
des Etats européens non membres de l’UE ou hors du continent européen.
Tandis que l’établissement d’un centre de transit ou de traitement
dans l’Union européenne ne semble pas soulever de problèmes insurmontables
(de fait, une telle mesure a déjà été proposée par le HCR), la création
de centres hors de l’Europe semble poser de graves problèmes dans
les circonstances actuelles. En conséquence, le rapporteur est d’avis
que l’éventuel établissement de tels centres devrait se faire tout
d’abord dans l’Union européenne, et que le modèle ne devrait être
transposé qu’à condition d’avoir donné satisfaction.
62. Les inquiétudes mentionnées dans ce rapport devraient être
prises en considération dans toute future discussion sur l’établissement
de centres de transit ou de traitement, mais aussi dans tout débat
sur l’élaboration d’approches novatrices et plus efficaces pour
la gestion des flux de migrants et de demandeurs d’asile.
63. Parmi les expériences positives recueillies lors de l’établissement
de centres de transit ou de traitement, le rapporteur souhaite mentionner
l’exemple du Plan d’action global pour les réfugiés indochinois,
qui a permis de résoudre rapidement le problème des boat people vietnamiens. Le succès
de cette initiative tient au fait que les pays d’origine, de transit
et de destination y ont été impliqués dans une démarche globale
pour la gestion des flux mixtes de migrants irréguliers et de demandeurs
d’asile. Des enseignements utiles sont à tirer de cet exemple et
d’autres expériences positives.
64. Face aux flux mixtes de migrants et de demandeurs d’asile,
il est nécessaire de concevoir des approches novatrices et plus
efficaces allant au-delà des propositions visant à l’établissement
de centres de transit ou de traitement formulées jusqu’à présent.
C’est pourquoi le rapporteur invite instament l’Assemblée à se pencher
sur cette question dans le cadre d’un nouveau rapport sur des approches
novatrices et plus efficaces pour la gestion des flux mixtes de
migrants et de demandeurs d’asile.
* * *
Commission chargée du rapport: commission des migrations,
des réfugiés et de la population.
Renvoi en commission: Doc. 10448 et
Renvoi no 3059 du 18 mars 2005.
Projet de résolution et projet de recommandation adoptés par
la commission à l’unanimité le 11 mai 2007.
Membres de la commission: M. Mevlüt Çavus¸og˘ lu (Président),
M. Jean-Guy Branger (1er Vice-Président), M. Doug Henderson (2e Vice-Président),
M. Ibrahim Özal (3e Vice-Président),
Mme Tina Acketoft, M. Pedro Agramunt,
M. Küllo Arjakas, M. Ryszard Bender (remplaçant: M. Andrzej Grzesik), M. Akhmed Bilalov, M. Italo Bocchino,
Mme Olena Bondarenko, Mme Mimount Bousakla, M. Márton Braun, Lord Burlison, M. Sergej Chelemendik,
M. Christopher Chope, M. Boriss
Cilevicˇs, Mme Minodora Cliveti, M. Ivica Da cˇ i´c, M. Joseph Debono
Grech, M. Taulant Dedja,
M. Nikolaos Dendias, M. Karl
Donabauer, Mme Lydie Err, M. Valeriy Fedorov,
M. Oleksandr Feldman, Mme Margrét Frimannsdóttir,
Mme Gunn Karin Gjul,
Mme Angelika Graf, M. John Greenway, M. Andrzej Grzyb, M. Ali Riza Gülçiçek, M. Michael Hagberg, Mme Gultakin
Hajiyeva, M. Jürgen Herrmann, M. Bernd Heynemann, M. Ilie Ilas¸cu, Mme Iliana
Iotova, M. Tadeusz Iwin´ ski, M. Mustafa
Jemilev, M. Tomásˇ Jirsa, Mme Corien
W.A. Jonker, Mme Eleonora Katseli, M. Hakki Keskin, M. Dimitrij Kovacˇ icˇ, M. Andros Kyprianou,
M. Jaakko Laakso, M. Geert
Lambert, M. Jean-Marie Le Guen, M. Massimo Livi Bacci, M. Younal
Loutfi, M. Jorge Machado, M. Jean-Pierre Masseret, M. Giorgio Mele (remplaçant:
M. Pasquale Nessa), Mme
Ana Catarina Mendonça, M. Morten Messerschmidt (remplaçant: M. Morten Østergaard), M. Paschal Mooney,
M. Gebhard Negele, M. Kalevi
Olin, Mme Vera Oskina, M. Grigore
Petrenko, M. Leo Platvoet, Mme María
Josefa Porteiro Garcia, M. Cezar
Florin Preda, M. Dusˇan Prorokovi´c, M. Gabino Puche, M. Milorad Pupovac, M. Marc Reymann, M. Alessandro Rossi, M. Richard Sequens
(remplaçant: M. Walter Bartosˇ),
M. Samad Seyidov, M. Luzi Stamm, Mme Terezija Stoisits, M. Giacomo Stucchi, M. Vilmos
Szabó, Mme Elene Tevdoradze,
M. Tigran Torosyan, Mme Ruth-Gaby Vermot-Mangold
(remplaçant: M. Arthur Loepfe),
M. Andrej Zernovski, M. Vladimir
Zhirinovsky, M. Emanuelis Zingeris.
N.B. Les noms des membres présents à la réunion sont indiqués
en gras.
Ces textes seront débattus ultérieurement.