Doc. 11344

10 juillet 2007

Pour une Convention européenne sur la promotion des politiques de santé publique dans la lutte contre la drogue

Rapport

Commission des questions sociales, de la santé et de la famille

Rapporteur : M. Paul FLYNN, Royaume-Uni, Groupe socialiste


Résumé

Depuis la fin des années 1960, les considérations de santé publique ont pris une part de plus en plus importante dans l’élaboration par de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe de politiques pragmatiques et scientifiquement fondées de lutte contre la drogue. Ces considérations s’appuient sur le principe fondamental du droit à la santé, reconnu dans l’acquis du Conseil de l’Europe.

A cette fin le rapporteur invite les Etats membres à coopérer pour élaborer une nouvelle convention-cadre pour promouvoir les politiques de santé publique dans la lutte contre la drogue. Cet instrument devrait compléter les instruments juridiques existants dans le domaine de la lutte contre la drogue, des droits de l’homme et de la santé publique. Il devrait rassembler les connaissances scientifiques et médicales dans un document-cadre qui pourrait constituer une base pour élaborer des stratégies nationales de lutte contre la drogue.

Ce rapport insiste également sur l’importance des programmes de réduction de la demande de drogues, qui devraient compléter l’arsenal existant des politiques nationales de lutte contre la drogue dans les États membres du Conseil de l’Europe. Les gouvernements devraient étendre la portée des programmes de réduction de la demande de drogues, les évaluer et diffuser les bonnes pratiques identifiées.

De plus, les États membres devraient améliorer l'accès aux programmes de prévention dans les écoles et les rendre plus efficaces. Il faudrait aussi qu'ils améliorent les méthodes de prévention et la détection des facteurs de risque dans certains groupes cibles, notamment les jeunes, et qu’ils communiquent ces données aux professionnels, afin que des programmes d’intervention précoce puissent être mis en œuvre.

De même, ils devraient aussi veiller à la disponibilité et à l’accessibilité de programmes ciblés de traitement, de rééducation et de réinsertion sociale reposant sur des stratégies psychosociales et pharmacologiques éprouvées et ouverts aux toxicomanes que les services existants ne parviennent pas à toucher, une attention particulière devant être portée aux services spécialisés destinés aux jeunes. Le rapporteur recommande également le développement d’autres alternatives à l’incarcération pour les toxicomanes et la mise en place de services de prévention, de traitement et de réinsertion pour les détenus.

A.        Projet de résolution

1.       L’assuétude est un problème biologique, psychologique et sociétal complexe. La recherche scientifique et l’expérience pratique ont permis d’en élargir la connaissance. De plus en plus, cette meilleure connaissance permet de mettre en œuvre une politique en matière de drogue axée sur la préservation de la santé publique, pour le toxicomane individuel comme pour la société. Bien que nombre d’interrogations scientifiques concernant l’assuétude restent toujours sans réponse, les aspects relatifs à la santé publique, à l’efficacité de la prévention et des traitements médicaux et à une meilleure protection de la société contre les risques sanitaires sont aujourd’hui mieux connus.

2.       Depuis la fin des années 1960, les considérations de santé publique ont pris une part de plus en plus importante dans l’élaboration par de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe, de politiques pragmatiques et scientifiquement fondées de lutte contre la drogue. Ces considérations s’appuient sur le principe fondamental du droit à la santé, reconnu dans l’acquis du Conseil de l’Europe (articles 11 et 13 de la Charte sociale européenne révisée) ainsi que dans nombre d’autres traités des droits de l’homme internationaux et régionaux. Il confère à tout un chacun le droit de jouir du meilleur état de santé possible, que l’Organisation mondiale de la santé définit comme un état de bien-être physique, mental et social total.

3.       Ces dernières décennies, un certain nombre de mesures de santé publique essentielles, notamment les traitements de substitution, les programmes d’échange de seringues et les traitements psychosociaux, ont été prises pour répondre à « l’usage problématique de drogue ». Ces mesures ont eu des conséquences nettement positives en matière de réhabilitation durable et de réinsertion sociale des usagers de drogue. L’ensemble de la société a pu sentir leurs effets bénéfiques, qui se sont traduits par une diminution de la délinquance, une baisse des coûts pour le système de santé et la justice, une réduction des risques de transmission du VIH et autres virus véhiculés par voie sanguine, une augmentation de la productivité et, à terme, un usage de drogue moins répandu.

4.       Toutefois, ces réponses ne sont que partiellement appliquées à travers l’Europe, malgré le nombre d’études et de données attestant de leur efficacité et de leur rentabilité. D’après certaines estimations citées par l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), par exemple, chaque dollar investi dans des programmes de traitement de la dépendance aux opiacés peut rapporter entre 4$ et 7$ simplement par réduction de la criminalité liée à la drogue, des coûts de la justice pénale et du vol. Si l’on ajoute les économies réalisées au niveau des soins de santé, l’économie totale peut s’avérer 12 fois supérieure aux coûts engagés.

5.       En outre, les récentes évolutions mondiales ont apporté une preuve supplémentaire de l’échec retentissant des efforts déployés pour réduire la production et les approvisionnements de drogue. Le marché actuel de drogues illégales en Afghanistan, le plus grand producteur mondial d’héroïne, offre une preuve, s’il en est, de l’inefficacité d’une approche globale du problème des drogues. Les Nations Unies ont confirmé que six années d’action militaire pour limiter la production de pavot en Afghanistan se sont soldées par une production record en 2006-2007, supérieure de 60 % à celle de l’année précédente.

6.       Les mesures prises dans l’Union européenne dans le cadre de la Stratégie de l’Union contre la drogue (2005-2012) visent à atteindre un haut niveau de protection de la santé en complétant l’action des Etats membres de l’Union en matière de prévention et de réduction de la toxicomanie et de ses effets nocifs sur la santé et la société. En particulier, la stratégie place au premier rang de ses priorités l’amélioration de l’accès à diverses mesures de santé publique qui peuvent diminuer la morbidité et la mortalité liées à la toxicomanie. Il est toutefois clair qu’il conviendra de déployer des efforts particuliers en Europe de l’est et en Asie centrale, où des obstacles politiques et infrastructurels empêchent la mise en œuvre de ces mesures. La pandémie de plus en plus grave du VIH/sida dans ces régions rend cet impératif encore plus urgent : 80 % des cas de VIH dont la contamination peut être retracée en Europe de l’est et en Asie centrale sont le résultat de l’injection de drogue.

7.       La zone d’influence géographique du Conseil de l’Europe en fait le forum idéal pour entreprendre une telle action et envoyer un signal clair aux Etats membres, en les dotant d’un cadre qui les aide à concevoir des réponses au problème de l’usage de drogue qui soient axées sur la santé publique. A cette fin, qui a été soulignée par le groupe Pompidou et la Fédération internationale de la Croix Rouge et des sociétés du Croissant Rouge, l’Assemblée parlementaire invite les Etats membres à coopérer pour élaborer une convention pour promouvoir les politiques de santé publique dans la lutte contre la drogue. Cet instrument devrait compléter les instruments juridiques existants dans le domaine de la lutte contre la drogue, des droits de l’homme et de la santé publique. Il devrait rassembler les connaissances scientifiques et médicales dans un document cadre qui pourrait constituer une base pour élaborer des stratégies nationales de lutte contre la drogue.

8.       La convention du Conseil de l’Europe devrait reposer sur les trois objectifs suivants, qui sont interdépendants :

8.1.       promouvoir, en tant que droit de l’homme fondamental, le droit à la santé dans le cadre de l’usage problématique de drogue ;

8.2.       clarifier le champ d’application du droit à la santé tel qu’il s’applique à l’usage problématique de drogue ;

8.3.       contribuer à identifier des bonnes pratiques en matière d’exercice du droit à la santé dans le cadre de l’usage problématique de drogue, et ce au niveau local, national ou international.

9.       Dans la poursuite de ces objectifs, la convention, qui doit s’inscrire dans le cadre existant des politiques nationales de lutte contre la drogue tout en le complétant, devrait intégrer les quatre éléments suivants :

9.1.       prévention et éducation, notamment les mesures qui visent les besoins spéciaux de groupes marginalisés et vulnérables ;

9.2.       traitement, comprenant une variété de méthodes, notamment le traitement de substitution et les programmes d’échange de seringues, et intégrant une dimension psychosociale comme partie intégrante des différentes méthodes ;

9.3.       réhabilitation et réinsertion sociale, notamment les solutions de substitution (traitement) à la prison et la réadaptation au marché du travail;

9.4.       suivi et évaluation, dans le but d’identifier les meilleures pratiques.

10.       Dans la mesure où nombre de conséquences négatives de l’usage de drogue se ressentent au niveau local, la convention devrait également s’efforcer de réaffirmer le principe de subsidiarité, en encourageant l’étude des différents moyens par lesquels un nombre plus important d’administrations publiques pourrait agir efficacement. Ainsi, le but recherché est que les mesures politiques prises en réponse au problème de la drogue dans l’intérêt de la santé soient guidées tant par les observations scientifiques que par les conditions locales.

11.       Afin de promouvoir la mise en œuvre effective de la convention, l’Assemblée invite les Etats membres :

11.1.       à étendre le champ des programmes de réduction de la demande de drogue, à les évaluer et à diffuser les bonnes pratiques à l’issue de l’évaluation ;1

11.2.       à améliorer l’accès aux programmes de prévention dans les écoles et à les rendre plus efficaces ; 1

11.3.       à améliorer les méthodes de prévention et la détection des facteurs de risques dans certains groupes cibles, notamment les jeunes, ainsi que la diffusion de ces données auprès des professionnels afin de mettre en place des programmes d’intervention précoces ;1

11.4.       à veiller à ce que soient disponibles et accessibles des programmes ciblés de traitement, de rééducation et de réinsertion sociale. Ces programmes devraient intégrer des stratégies psychosociales et pharmacologiques éprouvées et englober les toxicomanes que n’atteignent pas les services en place, en prêtant une attention particulière aux services spécialisés destinés aux jeunes et à la réadaptation des usagers des drogues au marché du travail ; 1

11.5.       à concevoir de nouvelles alternatives à l’emprisonnement pour les toxicomanes et à développer la mise en place de services de prévention, de traitement et de réinsertion pour les détenus ;1

11.6.       à améliorer l’accès aux services et traitements de réduction du risque, à mettre en place des programmes pour prévenir la propagation du virus VIH, de l’hépatite C et d’autres maladies transmises par le sang et à s’employer à réduire le nombre de décès liés à la drogue ;1

11.7.       à encourager la recherche sur les facteurs sous-jacents de la dépendance et des questions comme les effets de certaines drogues et les mesures sanitaires efficaces ;1

11.8.       à mettre en œuvre des programmes opérationnels de lutte contre la drogue, afin de réduire la production d’héroïne, de cocaïne et de canabis ainsi que de drogues synthétiques et leur commerce, notamment en concevant des programmes communs, en recueillant des renseignements sur les pays tiers impliqués dans la fabrication et la commercialisation de ces drogues, en mettant en commun les bonnes pratiques et en échangeant les informations ;1

11.9.       à concevoir et à mettre en œuvre des mesures ciblées sur le blanchiment d’argent et la confiscation et la réaffectation de produits financiers liés à la drogue, en particulier via l’échange d’informations et de bonnes pratiques ;1

11.10.       à favoriser la coopération avec des organisations internationales telles que la Fédération internationale de la Croix-Rouge et du Croissant rouge et l’OEDT, mais aussi avec la société civile et les différentes communautés vivant là où les problèmes de drogue sont le plus criant ;1

11.11.       à encourager la création, dans les parlements nationaux, de mécanismes et de structures de promotion des réponses de santé publique au niveau national à l’usage problématique de drogue tels que des inter-groupes parlementaires;1

11.12.       à apporter l’aide financière requise.B

B.        Projet de recommandation

1.       L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution … (2007) intitulée « Pour une Convention européenne sur la promotion des politiques de santé publique comme moyen de lutter contre la drogue » et recommande au Comité des Ministres :

1.1.        de communiquer cette résolution aux gouvernements des Etats membres et de les inviter à la prendre en compte lorsqu’ils élaborent leurs stratégies nationales de lutte contre la drogue ;

1.2.       d’inviter le Groupe Pompidou et d’autres partenaires européens intéressés :

C.       Exposé des motifs par M. Paul Flynn, rapporteur

1.       En juin 2005, 19 membres de ce comité ont voté en faveur d’une proposition de résolution intitulée « Pour une convention européenne sur la promotion des mesures de santé publique pour lutter contre les drogues ». Ce rapport constitue la prochaine étape dans la formulation et l’adoption d’une convention du Conseil de l’Europe visant à codifier une politique globale en matière de toxicomanie, qui s’appuie sur des faits et repose sur le droit fondamental de l’homme à la santé.

2.       Si la consommation de drogues au sein des pays membres a toujours varié en termes de physionomie et d’échelle, rien n’indique qu’une baisse générale ait été enregistrée dans ce domaine. Au niveau de ce que l’on appelle l’ « usage problématique de drogues »1, en Europe de l’est et en Asie centrale, le nombre de consommateurs par injection a connu une hausse inquiétante au cours de la décennie écoulée, atteignant 3,1 millions fin 2003.2

3.       La mortalité parmi les usagers de drogues par injection (UDI) est jusqu’à 20 fois plus élevée que celle de l’ensemble de la population du même âge. Des facteurs autres que la seule consommation de stupéfiants, parmi lesquels la maladie mentale et le fait d’être sans domicile fixe, sont pour beaucoup dans ce chiffre. Le taux de mortalité des patients psychiatriques est ainsi quatre fois supérieur à celui de la population totale3, et de trois à quatre fois en ce qui concerne les personnes privées de logement.4

4.       Depuis la fin des années 1960, l’impératif de santé publique a poussé de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe à se montrer pragmatiques dans l’élaboration de leurs politiques de lutte contre les drogues. Même si les problèmes rencontrés et les réponses apportées varient considérablement d’un pays à l’autre, les responsables politiques font preuve d’un souci croissant d’équilibre et de réalisme dans leur manière de gérer le problème, se conformant ainsi aux engagements internationaux en la matière. Cela a donné lieu à quelques mesures clés, comme des traitements de substitution/d’entretien, des programmes d’échange de seringues et d’aiguilles (PESA) ou encore des traitements psychosociaux. Des pratiques d’excellence émergent également, étant donné que ces réponses doivent être associées à d’autres services sociaux et de santé, et qu’il est essentiel qu’elles ciblent les groupes marginalisés et ceux qui souffrent d’exclusion sociale.

5.       Alors qu’il y a vingt ans, les mesures de ce type en étaient encore au stade expérimental, il est clair qu’elles sont aujourd’hui arrivées à maturité. L’efficacité et l’utilité d’une approche sanitaire de la lutte contre les drogues ont déjà fait l’objet de nombreuses études et sous-tendent la logique qui préside à ce rapport. L’initiative proposée ici a pour but d’exhorter le Conseil de l’Europe à prendre part de manière plus visible et concrète à la formulation d’une politique générale en matière de drogues.

6.       La propagation de la pandémie de VIH/sida rappelle l’urgence de cet impératif. Les Nations Unies, à travers le 6e Objectif du millénaire pour le développement, ont lancé un appel pour « stopper la progression de [ce fléau] et commencer à inverser la tendance actuelle ». Le lien entre l’épidémie et le nombre croissant de personnes qui s’injectent des drogues est clairement établi5, et 80% des cas de VIH dont la voie de transmission est connue, en Europe de l’est et en Asie centrale, sont dus à l’usage de drogues par injection.6 Dans ces régions, certains pays en transition connaissent aujourd’hui une prévalence du VIH qui dépasse 1% de la population adulte – tel est notamment le cas de l’Estonie, de l’Ukraine et de la Fédération de Russie. Les systèmes de santé s’y sont avérés incapables de faire face à la nouvelle épidémie de sida. Des approches à l’échelle de la population, comme par exemple le dépistage de masse, ont été préférées à des interventions ciblées. La programmation verticale reste la norme, avec des services distincts pour le VIH/sida, les autres maladies infectieuses et, plus grave encore, les UDI – ce qui constitue un problème vital dans des pays où le VIH est essentiellement transmis par injection de drogues.

7.       Les mesures prises au sein de l’UE, dans le cadre de sa stratégie anti-drogues 2005-2012 (adoptée par le Conseil européen en décembre 2004), visent à atteindre un haut niveau de protection sanitaire, de bien-être et de cohésion sociale en complétant l’action des Etats membres en matière de prévention et de réduction de la toxicomanie et des méfaits qu’elle engendre sur la santé et la société. En particulier, la stratégie met nettement l’accent sur une gamme de services susceptibles de réduire la morbidité et la mortalité associées à la dépendance. Il est cependant clair que des efforts spécifiques doivent être consentis en ce qui concerne l’Europe de l’est et l’Asie centrale, où le manque de structures démocratiques fait obstacle à la mise en œuvre de tels services.7

8.       La sphère d’influence géographique du Conseil de l’Europe, qui s’étend à ces régions, en fait le forum idéal pour entreprendre de tels efforts, et notamment envoyer un signal sans équivoque à ses Etats membres leur signifiant qu’ils sont juridiquement responsables de la réponse à caractère sanitaire qu’il convient d’apporter à l’usage problématique de drogues. A cette fin, il est proposé que le Conseil de l’Europe adopte une nouvelle convention en vue de consolider les vastes connaissances sociomédicales, qui ont évolué, et de les codifier dans un cadre juridique fondé sur les pratiques d’excellence.

Respecter le droit à la santé des toxicomanes

9.       Le grand principe de droit international sur lequel cette convention devrait être fondée est celui du droit à la santé. Il s’agit du droit qu’a chacun de jouir du plus haut degré possible de santé physique et mentale. C’est là un droit global qui s’étend non seulement à la mise à disposition de soins appropriés, mais aussi aux éléments déterminants pour la santé que sont un environnement sain et l’accès à l’éducation et à l’information en la matière.8 Il confère certaines libertés – dont celle de contrôler sa propre santé, de même que des droits – parmi lesquels le droit à bénéficier d’un système de protection sanitaire (concernant les soins de santé et les facteurs sous-jacents de la santé) qui doivent permettre à chacun de se maintenir dans le meilleur état de santé possible.9

-        Sources du droit à la santé :

Droit international :

Adoptée en 1946, la constitution de l’OMS affirme la chose suivante :

La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale.10

10.       Deux ans plus tard, l’article 25 (1) de la Déclaration universelle des droits de l’homme posait les fondations du cadre juridique international du droit à la santé :

Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires.

11.       Le droit à la santé a depuis été consacré dans de nombreux traités internationaux et régionaux ayant trait aux droits de l’homme. L’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) constitue la pierre angulaire du droit à la santé dans la législation internationale, en cela qu’il introduit des dispositions juridiquement contraignantes applicables à tout individu dans les 146 Etats parties.11

12.       Le droit à la santé est également reconnu dans des traités régionaux relatifs aux droits de l’homme, parmi lesquels la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (article 16) ; la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (article 14) ; le Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels, connu sous le nom de « Protocole de San Salvador » (article 10) ; et la Charte sociale européenne (article 11).

13.       Selon les conclusions préliminaires d’une étude commandée par l’OMS à la Commission internationale des juristes, plus de 60 dispositions constitutionnelles mentionnent le droit à la santé ou le droit à des soins médicaux.12 En outre, un grand nombre de constitutions définissent des devoirs, comme celui de créer des services de santé, dont on peut inférer des droits en matière de santé.

Rentabilité

14.       Il existe des preuves scientifiques probantes que les réponses de nature sanitaire à l’usage problématique de drogues (notamment les traitements de substitution et les PESA) constituent des modes de traitement rentables par rapport à d’autres types de soins comme la thérapie médicale pour l’hypertension sévère ou le VIH/sida.

15.       Selon plusieurs estimations prudentes citées dans le rapport annuel 2005 de l’OEDT, chaque dollar investi dans les programmes de traitement de la dépendance aux opiacés peut faire gagner entre 4 et 7 $ à la collectivité, simplement en limitant le nombre de crimes liés à la drogue, les coûts de la justice pénale, et le vol. Lorsque l’on tient compte des économies réalisées en termes de soins de santé, le rapport total économies / coûts peut atteindre 12 pour 1.

Objectifs de la convention

16.       La convention du Conseil de l’Europe doit être fondée sur les trois objectifs suivants, qui sont intrinsèquement liés :

-       Promouvoir, comme droit fondamental de l’homme, le droit à la santé pour les personnes qui

font un usage problématique des drogues.

-       Clarifier la portée du droit à la santé lorsqu’il s’applique à l’usage problématique de drogues.

-       Aider à l’identification de pratiques d’excellence pour la réalisation du droit à la santé lorsqu’il s’applique à l’usage problématique de drogues, aux niveaux communautaire, national et international.

17.       La convention doit se donner pour objectif premier de réduire de manière quantifiable les effets néfastes de l’usage problématique de drogues, au niveau tant individuel que sociétal. Pour cela, il est essentiel de codifier une politique globale en matière de toxicomanie, qui s’appuie sur des faits et puisse former la base de stratégies nationales anti-drogue, tout en s’intégrant aux programmes d’aide sociale et de santé de chaque Etat.

18.       La convention doit tenir compte du fait qu’au sein même d’un pays, l’application des lois et les pratiques thérapeutiques peuvent considérablement varier selon les acteurs, les centres ou les régions. La législation nationale doit se montrer suffisamment flexible pour que les législateurs et les gens qui travaillent sur le terrain puissent adapter le traitement prescrit aux toxicomanes en fonction des endroits et des situations. A cette fin, il serait souhaitable que la convention prenne la forme d’une convention-cadre, qui pose les grandes lignes de l’engagement et crée un système général de gouvernance. Elle doit par conséquent viser à mettre en place un forum institutionnalisé de coopération et de négociation.

19.       Il est important que l’ensemble comprenne les éléments complémentaires suivants, lesquels doivent être intégrés en utilisant toutes les ressources disponibles et les connaissances scientifiques les plus récentes :

20.       Les sections suivantes présentent les composantes clés de chacun de ces éléments :

Prévention et éducation

21.       Les recherches sociologiques indiquent que les valeurs et les comportements de l’individu sont influencés par sa perception de ce qui est considéré comme normal dans son environnement social. Cela s’applique en particulier aux jeunes.13 Les stratégies de prévention doivent donc leur offrir des outils sociaux et cognitifs qui leur donnent prise sur ces influences.

22.       La convention doit renforcer les initiatives existantes de l’UE qui visent à mettre sur pied des programmes de prévention complets à grande échelle. De plus, il convient qu’elle s’inspire du Plan d’action pour la mise en œuvre de la Déclaration sur les principes fondamentaux de la réduction de la demande de drogues.14 Il est de surcroît essentiel que les stratégies de prévention tiennent compte des valeurs morales et culturelles locales, notamment en matière d’information, d’éducation et de communication, afin de décourager les conduites à risque et d’élargir l’accès aux marchandises de base que sont les préservatifs et les seringues stériles. Ces stratégies doivent aussi avoir pour but de favoriser les consultations bénévoles et confidentielles.

23.       Il faut exhorter les Etats membres à prendre toutes les mesures possibles pour prévenir l’usage problématique de drogues, réduire l’incidence des maladies liées à la toxicomanie (telles que le VIH, les hépatites B et C, et la tuberculose) et le nombre de décès qu’elles entraînent, et assurer l’identification, le traitement, l’éducation, le suivi des soins, la réhabilitation et la réintégration sociale des personnes concernées.

24.       Les programmes de prévention ont toutes les chances d’échouer lorsque les personnes ciblées ne sont pas particulièrement susceptibles de devenir gravement dépendantes aux drogues. Les interventions ciblées qui ont cours en Europe de l’est et en Asie centrale sont malheureusement inadaptées en termes de taille et d’échelle. Il faudrait que les programmes de prévention s’adressent principalement aux groupes vulnérables tels que les adolescents, les marginaux et les prisonniers. Par ailleurs, il serait souhaitable que l’on s’intéresse de près à la manière dont les toxicomanes sont traités dans le système judiciaire, notamment en ce qui concerne leur identification après l’arrestation, les alternatives à la prison et les possibilités de traitement au sein du système pénal.

25.       Les programmes de prévention et d’éducation ne doivent pas uniquement se concentrer sur l’objectif qui consiste à réduire la prévalence, en indiquant simplement que certains adolescents consomment des drogues. Il faut en plus insister sur les proportions, les styles et les types de consommation, de même que sur les effets néfastes de cette consommation.

26.       La convention doit exhorter les Etats membres à soutenir des projets d’éducation par les pairs, dans les centres d’échange de seringues et les autres locaux ou institutions où les CDI se rencontrent, afin que certains de ces toxicomanes soient à la fois formés pour sensibiliser les autres au risque du VIH et aux pratiques sûres en matière de sexe et d’injection, et impliqués dans tous les aspects de la conception, de la planification, de la mise en œuvre et de l’évaluation des programmes.

27.       Il est clair que les toxicomanes sont largement surreprésentés dans la population carcérale par rapport à la population totale. La plupart des études de l’UE estiment que le pourcentage de prisonniers qui consomment des drogues tout au long de leur vie est supérieur à 50 %. Les statistiques de l’OEDT indiquent qu’entre 8 et 60 % des détenus affirment s’être drogués en prison, sachant qu’ils sont entre 10 et 42 % à déclarer l’avoir fait de façon régulière. Bien que des systèmes aient été mis en place dans la majeure partie de l’Europe pour veiller à ce que les détenus toxicomanes bénéficient d’une assistance, on observe des différences notables dans la variété et la disponibilité des services. Il est donc important que la convention réaffirme le principe d’équivalence, selon lequel les prisonniers ont les mêmes droits que le reste de la population en matière de soins de santé, ce qui inclut la prise en charge et le traitement des personnes dépendantes aux drogues.

Traitement

28.       Il n’existe pas de traitement unique qui soit efficace pour tous les patients. Les individus qui se droguent présentent des profils divers en termes de facteurs de risque et de réflexes de protection, et les problèmes psychologiques et sociaux varient d’un cas à l’autre. C’est pourquoi la convention doit créer un cadre qui permette de choisir parmi différentes possibilités de traitement. Il est en effet préférable que le type de mesures disponibles soit déterminé au niveau local, afin de refléter les besoins locaux. Ces mesures comprendront, sans s’y limiter, des traitements de substitution/d’entretien, des centres d’injection sûre et des PESA.

29.       Le traitement de substitution/d’entretien est l’une des réponses les plus efficaces à la dépendance aux opiacés, comme le reconnaissent explicitement l’OMS, l’ONUDC et l’ONUSIDA.15 La mise à disposition de ce traitement – guidée par un travail de recherche et s’appuyant sur une évaluation, une formation et une accréditation appropriées – doit donc être présentée comme une option thérapeutique importante dans les communautés où la dépendance aux opiacés est un phénomène répandu.

30.       Les buts premiers du traitement de substitution/d’entretien doivent être le déclenchement, l’entretien et la stabilisation. L’abstinence (qui suppose de mettre un terme à la prescription de substitution) peut constituer un objectif à long terme pour certains patients.

31.       Au cours des années 1980 et 1990, le traitement de substitution/d’entretien s’est rapidement généralisé, en Europe. A l’heure actuelle, il concerne plus d’un demi million des consommateurs d’héroïne que compte le continent, soit entre le quart et la moitié du nombre estimé de patients potentiels.

32.       De nombreux éléments indiquent que le traitement de substitution/d’entretien peut contribuer à réduire la transmission du VIH, la consommation de drogues, le risque d’overdose, la criminalité liée à la toxicomanie, et à améliorer l’état de santé général des personnes dépendantes. Le traitement à la méthadone réduit considérablement la prévalence de la séropositivité et du sida.16 Il limite aussi de façon notable la fréquence des prises d’héroïne, le partage de l’équipement d’injection et le travail sexuel dans le but d’acheter de la drogue. Une étude allemande réalisée sur quatre ans17 et portant sur ce traitement administré de façon ambulatoire a montré que la consommation de drogues diminuait au bénéfice d’une amélioration des relations et des compétences sociales. Dans le même esprit, une évaluation grecque de la substitution à la méthadone18 a conclu à une baisse importante de l’usage parallèle d’héroïne.

33.       Tout un ensemble de programmes de traitement de substitution/d’entretien sont actuellement menés; pour la plupart, ils s’appuient sur l’administration de méthadone (comme pratiquement 80 % des traitements de substitution en Europe) ou de buprénorphine, dont la popularité ne cesse de croître. Il faut donc encourager les Etats membres à proposer une gamme complète de programmes de ce type. De plus, la convention doit leur confier, conformément à leur législation nationale, la responsabilité d’élargir la palette des substances de substitution acceptables, afin d’y inclure la prescription contrôlée d’héroïne ou d’opium pour les consommateurs chroniques d’opiacés.19

34.       Des PESA sont conduits dans la plupart des pays européens, dont beaucoup sont parvenus à assurer une couverture géographique totale. Les recherches scientifiques sur l’efficacité des PESA dans la réduction des cas de VIH/sida parmi les CDI remontent aux années 1980. De nombreux éléments indiquent de manière irréfutable que la mise à disposition d’accessoires stérilisés pour l’injection limite considérablement la transmission du VIH, tandis que rien ne permet de penser que cela peut avoir des retombées négatives majeures.20 Dans une analyse globale récente du rapport coût-efficacité des PESA, A. De Wit et J. Bos21 sont arrivés à la conclusion qu’en plus de lutter efficacement et à moindre coût contre la propagation du VIH, les PESA présentent l’avantage majeur de mettre une population de toxicomanes particulièrement difficile d’accès en contact avec les services sociaux et de santé.

35.       La convention doit encourager les Etats membres à mettre en place des PESA. Des lois de procédure doivent être adoptées pour assurer la collecte et la mise au rebut sans danger des aiguilles et seringues usagées. Il est également important que les gouvernements veillent, dans la mesure du possible, à ce que les centres d’échange de seringues soient intégrés à la communauté en organisant des consultations communautaires régulières, avant comme après la création de chaque centre, sur des questions telles que l’emplacement, les heures d’ouverture, etc. En outre, les clients et/ou le personnel doivent être protégés de tout harcèlement policier : la continuité du financement et du service de chaque PESA est vitale pour que celui-ci puisse réussir à attirer des CDI et à entretenir avec eux des relations durables. La fermeture de l’un de ces centres peut avoir de graves répercussions sur les conduites à risques des toxicomanes face au VIH.

36.       L’expérience prouve qu’en dépit de l’efficacité de différentes approches pharmacologiques de la désintoxication, une majorité de patients rechutent, ce qui pose un problème majeur pour leur réhabilitation. Certaines études suggèrent que les symptômes les plus douloureux pour les personnes en désintoxication sont davantage psychologiques que physiologiques. C’est pourquoi les traitements psychosociaux qui complètent les démarches de désintoxication à caractère pharmacologique permettent d’obtenir de bien meilleurs résultats en ce qui concerne la prise en charge, le suivi et la persévérance des patients.22

37.       Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels indique que les établissements, biens et services de santé, mais aussi les facteurs sous-jacents de la santé, doivent être disponibles, accessibles, acceptables et de bonne qualité. La notion d’accessibilité se décline ici de quatre manières : accessible sans discrimination, physiquement accessible, économiquement accessible (autrement dit, abordable), et accessible en termes d’informations de santé.23

38.       Dans son rapport annuel 2005, l’OEDT se penche sur les résultats de plusieurs études longitudinales qui ont analysé les changements observés dans les comportements à risque des patients en traitement face au VIH. Ces études montrent qu’un traitement plus long et mené à son terme a pour effet de réduire les comportements en question. Les CDI qui ne sont pas pris en charge sont jusqu’à six fois plus exposés au VIH que ceux qui entrent en traitement et y restent. Le taux de mortalité des personnes suivant un traitement d’entretien à la méthadone est entre trois et quatre fois plus faible que celui des toxicomanes qui ne sont pas soignés.24

39.       Dans ce contexte, la convention doit se donner pour objectif de veiller à ce que les stratégies de traitement proposent un service convivial, ouvert et facile d’accès qui favorise l’accueil et la rétention de tous les usagers problématiques de drogues.

Réhabilitation et réintégration sociale : intégrer les stratégies de réponse aux problèmes de drogue dans les programmes sociaux et services de santé nationaux

40.       « Réhabilitation » fait référence à des mesures visant à améliorer les qualités personnelles du toxicomane (santé physique et mentale, compétences techniques). 25« Intégration sociale » correspond aux mesures visant à donner au toxicomane la possibilité de vivre dans un environnement qui lui soit plus favorable. 26

41.       La réhabilitation et l’intégration sociale doivent constituer un élément clé de la Constitution, étant donné que le droit à la santé est étroitement lié à la jouissance d’un certain nombre d’autres droits et libertés fondamentales de l’homme, parmi lesquels le droit à la nourriture, au logement, au travail, à l’éducation, à la vie, à la non-discrimination, à l’égalité, à être protégé de la torture, à la vie privée et à la participation.27

42.       En conséquence, et afin d’encourager un engagement continu en faveur de politiques humanitaires de lutte contre la drogue, la convention doit exhorter les Etats membres à intégrer des mesures d’assistance aux toxicomanes (prévention, soins, traitement et soutien) dans les services de santé infantile, générale et mentale ainsi que dans les programmes sociaux (par exemple ceux qui concernent le chômage, le logement, l’éducation, l’orientation, l’exclusion sociale, l’application de la loi et la lutte contre la criminalité). Parallèlement à cela, il est nécessaire que les Etats membres renforcent leurs infrastructures nationales dédiées aux affaires sociales et à la santé afin d’être en mesure de fournir des services adaptés.

43.       Les alternatives à la prison, comme par exemple les travaux d’intérêt général, peuvent être considérées comme une mesure valable de réintégration sociale. La prison est un environnement particulièrement néfaste pour les toxicomanes ; c’est la raison pour laquelle, depuis les années 1960, des accords, stratégies et plans d’action de l’ONU et de l’UE ont à plusieurs reprises réaffirmé et renforcé le principe selon lequel le traitement, l’éducation et la réhabilitation des auteurs d’infractions liées aux drogues sont préférables à une condamnation assortie d’une peine d’emprisonnement. Cela s’est déjà traduit dans la législation nationale de nombreux pays européens, dont les systèmes de justice pénale et les services sociaux et de santé ont été adaptés en conséquence.

44.       Les principales difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de mesures alternatives au placement en détention sont dues aux différents systèmes administratifs concernés et à leurs principes sous-jacents. Les Etats membres doivent être encouragés à combler le fossé qui sépare la justice et les services sociaux et de santé par le biais d’initiatives et de structures de coordination entre la police, les tribunaux, les prisons et les services de traitement de la toxicomanie.

45.       Bien qu’il existe peu de données d’évaluation sur le traitement comme alternative à la prison, la rétention est un indicateur de réussite majeur. Plus que l’itinéraire du client, il semble que c’est la qualité des soins qui préside au succès de la thérapie. En particulier, le traitement se substitue mieux à l’emprisonnement lorsque le toxicomane souhaite vraiment se débarrasser de sa dépendance, et que l’établissement de soins suit des normes cliniques adaptées et dispose d’un personnel suffisamment nombreux et qualifié.

Suivi et évaluation

46.       Afin de donner des indications claires sur les mérites et les insuffisances des types d’interventions qui sont favorisés, l’évaluation doit faire partie intégrante de cette initiative. Il convient donc d’examiner périodiquement, au niveau national et avec la participation de la société civile, des groupes à risque et des personnels soignants, les progrès enregistrés dans la mise en œuvre des politiques de lutte contre les drogues. L’évaluation doit se donner pour mission d’identifier des pratiques d’excellence en s’appuyant sur un certain nombre de critères clairs et en utilisant les paramètres et les outils méthodologiques appropriés. Dans ce cadre, il convient de s’en remettre aux critères et techniques de suivi et d’évaluation préparés par l’OEDT, de même qu’à la recommandation du Conseil de l’Union européenne sur la prévention et la réduction des méfaits de la dépendance aux drogues sur la santé.28 Il faut tirer les enseignements des programmes de suivi qui existent déjà dans plusieurs pays européens, dont voici quelques exemples : en Allemagne, Prevnet ; en Norvège, National Prevention Database ; et en Hongrie, « Lights and Shadows », qui recueille des informations sur le contenu, les objectifs, la méthodologie, les groupes cibles et la couverture des programmes de prévention en milieu scolaire.

47.       Lors d’un échange de vues avec la Commission, en octobre 2006, M. Christopher Luckett, Secrétaire exécutif du Groupe Pompidou, a souligné l’importance des aspects suivants pour l’élaboration d’approches et de politiques relatives à la toxicomanie :

(i)        Réponses culturelles aux problèmes de toxicomanie : il n’est pas possible d’appliquer telles quelles dans un pays les mesures appliquées dans un autre. Il est toujours nécessaire de les adapter en tenant compte des différences culturelles si l’on veut en garantir la réussite.

(ii)         Continuité des soins : il est fréquent que des programmes soient mis en place pour prendre en charge des groupes spécifiques au sein de la société, mais de graves problèmes se posent lorsque ces programmes se terminent ou lorsqu’une personne change de groupe social, par exemple lorsqu'un détenu est remis en liberté et que le traitement/programme dont il bénéficiait n’est pas poursuivi. 

(iii)           Questions éthiques relatives au traitement de la personne, contrainte, besoins réels de la société plutôt que besoins perçus. M. Luckett s’inquiète du fait que le développement de techniques/technologies (vaccinations, test, dépistage, etc.) risque d’amener à se désintéresser des toxicomanes au profit d’objets inanimés.


48.       M. Luckett souligne que toutes les conventions existantes sont axées sur le contrôle plutôt que sur la réduction de la demande. S’il est réaliste d'essayer d'élaborer une convention sur ce sujet, il existe toutefois de sérieuses difficultés. Il termine en renvoyant à un document de la Fondation Berkeley, qui souligne l’importance d’intégrer l'abstinence et les services de réduction des dommages pour prodiguer des soins. Il indique par ailleurs que l'approche du Groupe Pompidou diffère de celle de l'ONU. À titre d’exemple, il cite le programme d’acquisition de compétences de vie, que le Groupe a conduit auprès d’enfants scolarisés en Russie. Cette démarche a montré son efficacité et pourrait être adaptée à d’autres pays.

49.       Le rapporteur estime toutefois que M. Luckett a complètement ignoré l’incompatibilité entre le premier et le dernier points qu'il soulève, à savoir la difficulté de parvenir à une approche qui reconnaisse et respecte la diversité culturelle, tout en recherchant une approche éthique commune. Sans renier l’importance des différences culturelles, la généralisation de l’abus de drogues s’est déroulée à peu près de la même manière dans le monde entier. La diffusion des drogues dans les anciens pays communistes après l'ouverture du rideau de fer s’est faite de la même manière qu’ailleurs en Europe et aux Amériques.

Conclusion

50.       Les tendances observées récemment au niveau mondial montrent une fois de plus que les efforts visant à éradiquer les drogues en supprimant l'offre ont lamentablement échoué. L’ONU a confirmé que le résultat des opérations militaires menées depuis six ans pour diminuer les récoltes de pavot en Afghanistan est que la récolte 2006-07, en hausse de 60% par rapport à l’année précédente, est la plus importante jamais enregistrée. En dépit des dépenses massives faites par les États-Unis pour financer leur Plan Colombie, la production de cocaïne dans ce pays a augmenté l’an dernier. La diminution des récoltes obtenue auparavant en Colombie a été compensée par les récoles faites au Pérou et en Bolivie.

51.       Ce rapport insiste sur l’importance des programmes de réduction de la demande de drogues, qui devraient compléter l’arsenal existant des politiques nationales de lutte contre la drogue dans les États membres du Conseil de l’Europe. Les gouvernements devraient étendre la portée des programmes de réduction de la demande de drogues, les évaluer et diffuser les bonnes pratiques identifiées.

52.       De plus, les États membres devraient améliorer l'accès aux programmes de prévention dans les écoles et les rendre plus efficaces. Il faudrait aussi qu'ils améliorent les méthodes de prévention et la détection des facteurs de risque dans certains groupes cibles, notamment les jeunes, et communiquent ces données aux professionnels, afin que des programmes d’intervention précoce puissent être mis en oeuvre.

53.       De même, ils devraient aussi veiller à la disponibilité et à l’accessibilité de programmes ciblés de traitement, de rééducation et de réinsertion sociale reposant sur des stratégies psychosociales et pharmacologiques éprouvées et ouverts aux toxicomanes que les services existants ne parviennent pas à toucher, une attention particulière devant être portée aux services spécialisés destinés aux jeunes. Le rapporteur recommande également le développement d’autres alternatives à l’incarcération pour les toxicomanes et la mise en place de services de prévention, de traitement et de réinsertion pour les détenus.

54.       En matière de prévention et de réduction des dommages pour la santé liés à la toxicomanie, le rapporteur estime que les États membres du Conseil de l’Europe doivent aussi améliorer les services de réduction des dommages et les traitements et mettre en place des programmes de prévention de transmission des virus du sida, de l’hépatite C et d’autres maladies transmises par le sang. Ils devraient aussi s’efforcer de réduire le nombre de décès liés à la drogue.

55.       Pour ce qui est de la réduction de la demande, les plans d’action nationaux devraient comporter des mesures visant à faire diminuer la production et le commerce d’héroïne, de cocaïne, de cannabis et de drogues synthétiques, telles que la mise en œuvre des programmes opérationnels communs, la collecte d’informations sur les pays tiers impliqués dans la production et le commerce de ces drogues, la mise en commun des bonnes pratiques et l’échange d’informations.

56.       Dans la mesure où une grande partie des effets néfastes de la consommation de drogues est ressentie au niveau local, la convention doit réaffirmer le principe de subsidiarité en encourageant la réflexion sur les moyens d’impliquer mieux et davantage les services administratifs locaux . De cette façon, les mesures sanitaires adoptées en matière de drogues pourront être guidées par des preuves scientifiques et contextuelles, et les buts de la convention seront plus en phase avec les conditions qui prévalent au plan local.

57.       Pour une mise en œuvre effective de la convention, il est vital que le Conseil de l’Europe favorise la coopération entre services et la participation de la société civile ainsi que des groupes communautaires et bénévoles issus des zones les plus touchées par l’usage problématique de drogues. L’action menée doit en outre être associée aux efforts des organisations humanitaires internationales, notamment ceux de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge.

58.       La convention proposée dans ce rapport vise à permettre l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies nationales multisectorielles de lutte contre l’usage problématique de drogues qui traitent le problème de manière franche et directe : mettre fin à la stigmatisation ; éliminer la discrimination et la marginalisation ; créer des partenariats avec la société civile et obtenir la pleine participation des toxicomanes ; enfin, promouvoir et défendre sans compromis l’ensemble des droits et des libertés fondamentales de l’homme.

Commission chargée du rapport: commission des questions sociales, de la santé et de la famille

Renvoi en commission: Doc. 10625, renvoi n° 3124 du 1er septembre 2005

Projet de résolution et projet de recommandation adoptés par la commission le 26 juin 2007

Membres de la Commission: Mme Lajla Pernaska (Présidente), Mme Christine McCafferty (1ère Vice-Présidente), M. Cezar Florin Preda (2ème Vice-Président), M. Michael Hancock (3ème Vice-Président), M. Farkhad Akhmedov (Remplaçante: Mme Tatiana Popova), M. Vicenç Alay Ferrer, Mme Sirpa Asko-Seljavaara, M. Jorodd Asphjell, M. Zigmantas Balčytis, M. Miguel Barceló Pérez, M. Andris Berzinš, M. Jaime Blanco García, Mme Raisa Bohatyryova, Mme Monika Brüning, M. Igor Chernyshenko, M. Dessislav Chukolov, Mme Minodora Cliveti, M. Imre Czinege, Mme Helen D’Amato, M. Dirk Dees, M. Stepan Demirchyan, M. Karl Donabauer, M. Ioannis Dragassakis, M. Claude Evin, Mme Daniela Filipiová, M. Paul Flynn, Mme Doris Frommelt, M. Renato Galeazzi, M. Jean-Marie Geveaux, M. Stepan Glăvan, M. Marcel Glesener, Mme Claude Greff, M. Tony Gregory, M. Ali Riza Gülçiçek, M. Jean-Marie Happart, Mme Olha Herasym’yuk, M. Ali Huseynov, M. Fazail Ibrahimli, M. Mustafa Ilicali, Mme Halide Incekara, M. Denis Jacquat, Mme Corien W.A. Jonker (Remplaçant: M. Tiny Kox), Mme Krinio Kanellopoulou, M. Marek Kawa, M. András Kelemen, Baroness Knight of Collingtree, M. Slaven Letica, M. Jan Filip Libicki, M. Ewald Lindinger, M. Gadzhy Makhachev, M. Andrija Mandic, M. Bernard Marquet, M. Ruzhdi Matoshi, M. Philippe Monfils, M. Donato Mosella, Mme Maia Nadiradzé, Mme Carina Ohlsson, Mme Vera Oskina, Mme Marietta de Pourbaix-Lundin, Mme Adoración Quesada Bravo, Mme Vjerica Radeta, M. Walter Riester, M. Andrea Rigoni, M. Ricardo Rodrigues, Mme Maria de Belém Roseira, M. Alessandro Rossi, Mme Marlene Rupprecht, M. Indrek Saar, M. Fidias Sarikas, M. Walter Schmied (Remplaçant: M. John Dupraz), M. Ellert Schram, M. Gianpaolo Silvestri, M. Hans Kristian Skibby, Mme Michaela Soidrova, Mme Darinka Stantcheva, Mme Ewa Tomaszewka, M. Oleg Tulea, M. Alexander Ulrich, M. Milan Urbáni, Mme Ruth-Gaby Vermot-Mangold, Mme Nastaša Vučković, M. Victor Yanukovych (Remplaçant: M. Ivan Popescu), Mme Barbara Žgajner-Tavš.

N.B. : Les noms des membres qui ont pris part à la réunion sont imprimés en gras

Chef du Secrétariat: M. Géza Mezei

Secrétaires de la Commission: Mme Agnès Nollinger, Mme Christine Meunier


1 « Usage de drogues par injection ou usage régulier/de longue date d’opiacés, de cocaïne et/ou d’amphétamines » (Rapport annuel de l’OEDT, 2005)

2 Aceijas C, Stimson GV, Hickman M, Rhodes T. Global overview of injecting drug use and HIV infection among injecting drug users. AIDS 2004;18:2295–303.

3 Korkeila, J. (2000), Measuring aspects of mental health, Themes 6/2000, STAKES: Helsinki.

4 Hwang, S. (2001), « Mental illness and mortality among homeless people », Acta Psychiatrica Scandinavica 103, pp. 81–2

5 Aceijas C, Stimson GV, Hickman M, Rhodes T. Global overview of injecting drug use and HIV infection among injecting drug users. AIDS 2004 ; 18:2295–303.

6 Centre européen pour la surveillance épidémiologique du SIDA (EuroHIV). Surveillance du VIH/sida en Europe, Rapport de fin d’année 2003. Saint Maurice : Institut de Veille Sanitaire, n° 70, 2004.

7 McKee M, Nolte E. Lessons from health during the transition from communism. BMJ 2004 ; 329:1428–9.

8 Voir, par exemple, Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CDESC) Observation générale n° 14, (E/C.12/2000/4), para. 8.

9 Ibid.

10 Le texte complet de la Constitution de l’OMS est disponible à l’adresse suivante : http://www.whosea.org/aboutsearo/pdf/const.pdf

11 Des protections supplémentaires du droit à la santé des groupes marginalisés sont contenues dans des traités internationaux relatifs à des groupes spécifiques. L’article 5 (e) (iv) de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CIEDR) protège les groupes raciaux et ethniques en matière de « droit à la santé publique (et aux) soins médicaux ». La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDF) contient plusieurs dispositions en faveur de la protection du droit des femmes à la santé, en particulier aux articles 11 (1) f, 12 et 14 (2) b. La Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) comprend des dispositions complètes et élaborées en termes de protection du droit de l’enfant à la santé, notamment l’article 24, qui y est totalement dédié, et les articles 3 (3), 17, 23, 25, 32 et 28, qui prévoient des protections pour les groupes d’enfants particulièrement vulnérables. Des engagements ambitieux en matière de droit à la santé ont par ailleurs été pris dans les documents finaux de nombreuses conférences mondiales des Nations Unies, dont les plus remarquables sont :

1. Déclaration de Johannesburg et Plan d’action du Sommet mondial sur le développement durable (2002).

2. Consensus de Monterrey, Conférence internationale sur le financement du développement (2002).

3. Déclaration politique de Madrid et Plan d’action international sur le vieillissement, deuxième Assemblée mondiale sur le vieillissement (2002).

4. « Un monde pour les enfants », déclaration adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies lors de sa session extraordinaire sur les enfants (2002) ; Déclaration et Plan d’action du Sommet mondial pour les enfants (1990).

5. Déclaration d’engagement sur le VIH/sida, « A crise mondiale, action mondiale », adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies à l’occasion de sa session extraordinaire sur le VIH/sida (2001).

6.Déclaration de Durban et Programme d’action de la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée (2001).

7. Déclaration des Nations Unies pour le Millénaire, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, « Assemblée du Millénaire des Nations Unies » (2000).

8. Déclaration de Beijing et Plate-forme d’action de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes (1995) et son suivi, Beijing Plus 5 (2000).

9. Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale et Plan d’action international du Sommet alimentaire mondial (1996) et son suivi, Déclaration du Sommet alimentaire mondial : cinq ans plus tard, Alliance internationale contre la faim (2002).

10. Déclaration d’Istanbul et Programme pour l’habitat de la deuxième Conférence des Nations Unies sur les établissements humains (Habitat II) (1996), et Déclaration sur les villes et autres établissements humains en ce nouveau millénaire au cours de la session extraordinaire de l’Assemblée générale consacrée à un examen et une évaluation d’ensemble de l’application du programme pour l’habitat (2001).

11. Déclaration de Copenhague sur le développement social et Programme d’action du Sommet mondial pour le développement social (1995) et son suivi, Copenhague Plus 5 (2000).

12. Déclaration de Vienne et Programme d’action adopté par la Conférence mondiale sur les droits de l’homme (1993).

13. Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement et Action 21 de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (1992).

14. Déclaration de Stockholm de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement humain (1972).

12 CIJ, Base de données sur le droit à la santé, Proposition préliminaire 2002

13 Botvin, G.J (2000), « Preventing drug use in schools: social and competence enhancement approaches targeting individual-level etiological factors ». Addictive Behaviours 25 pp. 887-97

14 Résolution S-17/2, paragraphe 12.

15 Voir l’exposé de principe conjoint OMS/ONUDC/ONUSIDA (2004), Substitution maintenance therapy in the management of opioid dependence and HIV/AIDS prevention. Disponible à l’adresse suivante :

http://www.who.int/substance_abuse/publications/en/PositionPaper_English.pdf.

16 Drucker, E., Lurie, P., Wodak, A. et Alcabes, P. (1998), « Measuring harm reduction: the effects of needle and syringe exchange programs and methadone maintenance on the ecology of HIV », AIDS, 12 (suppl. A), pp. 217–230.

17 Küfner, H., Vogt, M. et Weiler, D. (1999), Medizinische Rehabilitation und Methadon-Substitution, Schneider Verlag Hohengehren, Baltmannsweiler.

18 Entrée de la base de données de l’OEDT (2001), Deuxième phase du programme de substitution à la méthadone, à Athènes

(http://www.reitox.emcdda.org:8008/eddra, en anglais), OEDT, Lisbonne.

19 Dans le rapport de l’OEDT intitulé « Legal Aspects of Substitution Treatment: an Insight into Nine European Countries » (2003), le groupe d’experts a conclu que l’éventail des substances de substitution possibles devait être élargi, notamment pour y inclure la prescription contrôlée d’héroïne et d’opium comme traitement de substitution pour les patients les plus problématiques et marginalisés qui ne sont pas en mesure de participer de façon assidue à des programmes de traitement de substitution. L’utilisation d’héroïne pour stabiliser les consommateurs chroniques d’opiacés est à l’essai en Suisse depuis 1994, au Pays-Bas depuis 1997, ainsi qu’en Allemagne et en Espagne, plus récemment. Au Royaume-Uni, l’héroïne est prescrite de manière sélective et à petite échelle depuis des décennies.

20 OMS (2004), « Effectiveness of sterile needle and syringe programming in reducing HIV/AIDS among injecting drug users », Evidence for action technical papers, OMS, Genève.

21 De Wit, A. et Bos, J. (2004), « Cost-effectiveness of needle and syringe exchange programmes: a review of the literature », In Hepatitis C and injecting drug use: impact, costs and policy options, Monographie n°7 de l’OEDT, Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, Lisbonne, pp. 329–43.

22 Voir, par exemple, Psychosocial and pharmacological treatments versus pharmacological treatments for opioid detoxification, Amato L., Minozzi S., Davoli M., Vecchi S., Ferri M., Mayet S. The Cochrane Database of Systematic Reviews 2005, n° 4. Voir aussi, des mêmes auteurs : Psychosocial combined with agonist maintenance treatments versus agonist maintenance treatments alone for treatment of opioid dependence. The Cochrane Database of Systematic Reviews 2005, n° 4.

23 Voir CDESC, Observation générale n° 14, para 12

24 Rapport annuel 2005 de l’OEDT

25 Voir le Commentaire sur la Convention de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, para. 3.111 et 3.112

26 Ibid.

27 Voir par exemple la Déclaration et le Programme d’action de Vienne, 1993, 1ère partie, paragraphe 5, et l’Observation générale n° 14 du CDESC, paragraphe 3.

28 Bruxelles, 7 mai 2003, Doc. n°8069/03, paragraphe 2.